II. APRÈS AVOIR AUGMENTÉ SES EFFORTS D'AIDE ALIMENTAIRE, LA FRANCE DOIT CLARIFIER SA STRATÉGIE ET SES INSTRUMENTS ET CONFORTER SES POSITIONS AU SEIN DU SYSTÈME INTERNATIONAL DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

A. SUR LE PLAN STRATÉGIQUE, NOTRE AIDE ALIMENTAIRE DEVRAIT ÊTRE MIEUX VALORISÉE AU SEIN DE L'APD FRANÇAISE

1. La sécurité alimentaire paraît progressivement mieux identifiée au sein de l'aide au développement de la France

Si l'aide alimentaire de la France a continuellement augmenté au cours des dernières années, cette progression ne semble toutefois pas découler d'une priorité particulière initialement accordée à cette thématique.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a certes adopté en 2019 une « Stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l'agriculture durable ». Pourtant la publication de ce document n'a pas conduit à une progression significative de l'AAP ou des contributions de NUOI aux organisations spécialisées de l'ONU. En outre, la stratégie humanitaire de la République française pour 2018-2022 traitait très indirectement des questions de sécurité alimentaire et de nutrition. De même, les conclusions du CICID de 2018 fixait un objectif d'augmentation de l'aide humanitaire dans son ensemble et ne comprenait pas d'objectif dédié à l'aide alimentaire.

Deux facteurs ont ainsi contribué au bondissement des crédits de l'aide alimentaire. D'une part, l'accroissement généralisé de l'aide humanitaire, dont l'aide alimentaire est une composante, a indirectement fait progresser cette dernière. L'augmentation de l'enveloppe du FUHS dès 2017-2018 précède ainsi celle de l'AAP à compter de 2020. Car, d'autre part, c'est le contexte géopolitique ayant émergé entre 2020 et 2022, qui a placé les questions alimentaires au centre de l'attention. La pandémie de covid-19 en 2020 et ses conséquences économiques, dans un premier temps, puis le déclenchement de la guerre en Ukraine, dans un second temps, a conduit la France comme d'autres bailleurs à se saisir de cette thématique.

Cette priorité se retrouve désormais dans la nouvelle stratégie humanitaire de la République française pour 2023-2027 publiée fin 2023. Cette dernière mentionne l'objectif de « poursuivre les efforts en matière de sécurité alimentaire et de nutrition ». Le renforcement de la sécurité alimentaire, notamment en Afrique, figure parmi les dix objectifs politiques présentés dans les conclusions du CICID de 2023. En outre, la préparation de la prochaine stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l'agriculture durable devrait rapidement intervenir. La publication de ce document devra toutefois être précédée d'une évaluation de la précédente stratégie.

2. Une nécessaire communication sur l'action de la France en matière d'aide alimentaire

À titre liminaire, vos rapporteurs estiment que l'aide alimentaire de la France, comme l'aide publique au développement en général, doit conserver une dimension politique. L'impératif humanitaire et les enjeux de lutte contre la sous-alimentation doivent présider à la sélection des projets financés par l'aide de la France. La prééminence de critères politiques pourrait en effet conduire à un effet de « saupoudrage » des interventions. Cependant, les crédits de l'aide alimentaire peuvent permettre de soutenir les relations bilatérales avec les pays bénéficiaires, dans une logique partenariale. À cet égard, l'enjeu de la visibilité de l'aide alimentaire est crucial.

L'action de la France en faveur de la sécurité alimentaire internationale peut ainsi constituer un vecteur utile de notre politique étrangère et de notre influence dans le monde. Dans le contexte du conflit russo-ukrainien, où l'alimentation se trouve au coeur des narratifs, les initiatives dans ce domaine ont une portée conséquente.

Il importe par conséquent de valoriser la visibilité de l'aide alimentaire française, tant dans son volume que dans la souplesse de ses instruments de mise en oeuvre.

Sur le plan quantitatif, l'éclatement de l'aide française entre différents instruments, en premier lieu les canaux de l'aide humanitaire, réduit la visibilité de l'engagement français. L'instrument d'aide alimentaire programmée permet certes d'identifier un « noyau dur » de l'effort français, mais comme expliqué supra, il ne s'agit en rien d'un instrument exhaustif. Le fonctionnement souple de certains canaux d'aide, comme le FUHS, dont les crédits ne sont pas programmés en amont de l'exercice budgétaire, ne permettent pas d'identifier a priori leur contribution à l'aide alimentaire.

De plus, les estimations du total de l'aide française varient selon les critères de définition retenus, comme ont pu le constater vos rapporteurs au cours des auditions et dans les réponses aux questionnaires de contrôle. Il n'existe ainsi pas, dans les documents budgétaires comme dans les publications du MEAE, de définition précise de l'aide alimentaire et, par suite, d'évaluation du total de l'aide.

Le volume de l'aide alimentaire pourrait donc, en interne, être plus clairement présentée au sein des documents budgétaires. Le document de politique transversale (DPT) consacré à la politique de développement pourrait comprendre un chapitre présentant l'action de la France en matière d'aide alimentaire et, plus largement, de sécurité alimentaire. Au-delà de notre sujet, cette présentation thématique pourrait être élargie à chacun des grands sujets transversaux de notre aide publique au développement (environnement, santé, genre, éducation...).

Recommandation n° 1 : Faire apparaître, au sein du document de politique transversale dédié à la politique de développement, une synthèse des montants d'aide engagée par grande thématique, dont celle de la sécurité alimentaire (MEAE, direction générale de la mondialisation).

Cette valorisation devrait se prolonger, sur un plan multilatéral, par un travail de consolidation des données transmises au Comité de l'assistance alimentaire de la convention de Londres. Une telle consolidation permettrait d'élargir l'évaluation de l'aide française en incluant les contributions d'autres canaux comme le FUHS, qui n'est actuellement pas comptabilisé. Or le cadre de la convention de Londres constitue une référence pour comparer les engagements des grands donateurs.

Recommandation n° 2 : Consolider l'évaluation de l'aide alimentaire française pouvant être comptabilisée au titre de la convention de Londres, au-delà du seul instrument de l'aide alimentaire programmée (MEAE, direction générale de la mondialisation).

Sur un plan communicationnel, se pose la question de la dénomination de l'outil d'aide alimentaire programmée. Le rapport d'évaluation de 2009 soulignait déjà que cet intitulé était avant tout un reflet de l'histoire de l'aide au développement de la France. Ce nom correspond aux objectifs initiaux de l'instrument, créé pour écouler les surplus de production agricole. Une réflexion est en cours au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour le faire évoluer.

Recommandation n° 3 : Changer la dénomination de l'aide alimentaire programmée, éventuellement en « assistance alimentaire programmée », pour mieux refléter les évolutions de cet instrument et plus largement de cette politique d'aide internationale (MEAE, direction générale de la mondialisation).

Au-delà du volume de l'aide alimentaire, sur lequel la France se situe en retrait par rapport aux plus grands donateurs, il importe de valoriser la spécificité de l'aide française. La souplesse et la rapidité de déploiement de ses instruments d'aide alimentaire, couplées à un investissement fort sur des thématiques précises, constituent la spécificité de l'action de la France en la matière. Par comparaison, l'aide alimentaire de l'Allemagne, largement supérieure en montant (1,14 milliard de dollars en 2022 selon la comptabilisation de l'OCDE), transite presque exclusivement au travers des organisations internationales.

Ainsi, des instruments de réaction rapide aux crises humanitaires, comme l'AAP et le FUHS, contribuent à la valorisation de l'aide française. La préservation de la spécificité de l'aide alimentaire française repose donc en grande partie sur le maintien, au sein de cette aide, d'une capacité d'intervention bilatérale directe.

3. Les montants consacrés à l'aide alimentaire, tant bilatérale que multilatérale, devraient être maintenus dans les années à venir

Compte tenu des besoins exprimés par les organisations internationales et les organismes de la société civile et de la portée politique et humanitaire de l'aide alimentaire, le maintien du volume actuel semble s'imposer.

Dans le cadre du comité interministériel pour la coopération internationale et le développement de juillet, le Gouvernement a acté une augmentation des fonds dédiés à l'aide humanitaire à un milliard d'euros en 2025. Ces financements se situent d'ores et déjà à un niveau de 895 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2024. Au sein de ces financements, il apparaît nécessaire, aux yeux de vos rapporteurs, de conserver une part substantielle d'aide alimentaire, afin de stabiliser les moyens qui lui sont affectés au sein de l'aide publique au développement.

Recommandation n° 4 : Dans le cadre de l'augmentation par la France des crédits d'aide humanitaire, maintenir le montant consacré à l'aide alimentaire, tant dans son volet bilatéral que dans son volet multilatéral (MEAE).

Néanmoins, et comme exposé infra, la progression continue des moyens de l'aide alimentaire française au cours des dernières années devrait conduire à adapter les instruments et les procédures mises en oeuvre à ce nouveau volume. L'articulation entre les différents instruments comme les moyens humains consacrés à leur gestion, ne peuvent demeurer identiques alors que le montant des crédits alloué à chaque instrument a plus que doublé depuis 2021.

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