ANALYSE D'IMPACT PRÉLIMINAIRE D'UN MIX À 70 % NUCLÉAIRE / 30 % ENR RÉALISÉE PAR RTE À LA DEMANDE DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Analyse préliminaire - Scénario 70-30

Préambule :

Le processus d'élaboration et d'analyse des scénarios de long terme de RTE repose sur une méthode éprouvée et sur une phase de concertation approfondie, en vue de disposer d'un large panel de scénarios possibles et d'éclairer utilement le débat public. Les travaux de concertation et d'étude préalables à la publication des Futurs énergétiques 2050 se sont ainsi étalés sur plus de deux ans.

Les évolutions de contexte observées depuis la publication de l'étude en octobre 2021 ne remettent pas en cause aujourd'hui les principaux enseignements de l'étude mais permettent d'envisager des scénarios et des trajectoires différentes sur certains paramètres (sur la consommation d'électricité, les renouvelables ou le nucléaire).

Afin d'alimenter les travaux de la Commission d'enquête du Sénat sur les prix de l'électricité et en réponse aux interrogations des membres de la commission, RTE a décrit les conditions de faisabilité d'un scénario visant une part très élevée du nucléaire (de l'ordre de 70%) dans la part du mix électrique français à long terme. Ces analyses, restituées dans la présente note, ne sont que très préliminaires à ce stade. Elles ne sauraient donc se substituer au processus habituel d'élaboration et d'étude des scénarios prospectifs de RTE. Afin de constituer un scénario robuste, il conviendra en particulier de consolider, avec les acteurs industriels, institutionnels et les autres parties prenantes, certaines hypothèses sur la prolongation des réacteurs existants (respect des contraintes de sûreté qui seront fixées par l'ASN), sur le rythme de développement de nouveaux réacteurs ou encore sur les perspectives d'augmentation de la puissance et de la disponibilité des réacteurs existants.

L'élaboration et l'analyse approfondie de nouvelles configurations peuvent ainsi être intégrées à l'actualisation de l'étude Futurs énergétiques 2050 prévue pour 2026. Ces nouvelles configurations pourront inclure des scénarios avec une production d'électricité issue du nucléaire à long terme plus importante que dans la précédente étude, mais sans que ceci ne constitue un scénario de référence ni la seule configuration qui sera ajoutée à l'actualisation de l'étude.

Conclusion générale : l'évolution des paramètres techniques, économiques et politiques depuis les Futurs énergétiques 2050 permet d'envisager une réévaluation à la hausse de la part maximale du nucléaire dans certains scénarios d'atteinte de la neutralité carbone.

Cette réévaluation pourrait notamment résulter de nouvelles perspectives sur la prolongation à long terme des réacteurs existants (au-delà de 60 ans), voire d'une accélération du rythme de mise en service possible de nouveaux réacteurs, même si la cible de 14 nouveaux réacteurs d'ici 2050 est déjà aujourd'hui considérée comme ambitieuse.

Dans le cadre de ses missions, RTE peut analyser en détail ce type de scénarios lors de la prochaine actualisation de ses trajectoires de long terme (sans préjudice des autres scénarios qui devront également être actualisés), et les comparer aux alternatives en intégrant des hypothèses techniques, économiques et environnementales réactualisées.

Dans tous les cas, il est acquis que la part du nucléaire dans la production diminuera mécaniquement lors des 10 prochaines années du fait des dynamiques déjà à l'oeuvre.

Inverser cette tendance pour atteindre à long terme une pondération se rapprochant de « 70 % nucléaire / 30 % renouvelables » pour alimenter une consommation électrique très largement supérieure à celle d'aujourd'hui n'est pas théoriquement impossible, mais repose sur des hypothèses extrêmement fortes, strictes et cumulatives. Ce scénario soulève des risques spécifiques pour l'atteinte des objectifs publics de réduction des gaz à effet de serre, qui devront être analysés.

De manière générale, RTE considère que la fixation d'objectifs spécifiques sur la part du nucléaire (qu'il soit de 70% minimum dans ce scénario ou de 50% maximum comme dans la loi de 2015) ou des renouvelables dans la production d'électricité ne peut constituer une fin en soi dans un système électrique qui a vocation à se développer pour contribuer à la sortie des énergies fossiles et à l'atteinte de la neutralité carbone. Les objectifs sectoriels sur le nucléaire et les renouvelables devraient plutôt porter sur la capacité installée ou sur la production annuelle et la disponibilité des installations.

Résumé :

- À court/moyen terme, il n'est pas possible de conserver une part de nucléaire « immuable » de 70% dans le mix électrique français, le développement des renouvelables et la relance du nucléaire étant tous deux engagés mais le premier produisant des effets plus rapides. De manière mécanique, la part du nucléaire diminuera au moins jusqu'à 60% dans la décennie 2030. Elle ne pourrait réaugmenter ensuite qu'à condition de mettre en service rapidement des nouveaux réacteurs tout en conservant ceux de seconde génération, construits dans les années 1970-1980.

- À plus long terme, il n'existe pas d'impossibilité théorique à élaborer un scénario de mix 70/30, c'est-à-dire à concevoir un système électrique rendant possible la neutralité carbone en 2050 et retrouvant à cette échéance une pondération 70% nucléaire / 30% renouvelables (en volume de production). RTE peut intégrer ce type de scénario à ceux

à étudier dans la prochaine actualisation de ses trajectoires long terme, en vue d'une comparaison avec les scénarios alternatifs, en s'appuyant sur des hypothèses qui restent à consolider.

- Au regard des dernières évaluations sur le besoin d'électricité décarbonée en 2050, en augmentation par rapport à la trajectoire de référence des Futurs énergétiques 2050 publiés en 2021, et dans le prolongement de celle du Bilan prévisionnel de 2023, une production d'au moins 800 TWh pourrait être visée à long terme (750 TWh de consommation et 50 TWh de pertes de stockage / écrêtement), soit un niveau proche de la trajectoire réindustrialisation profonde des Futurs énergétiques 2050. Dans un scénario à 70% de nucléaire, le volume de production nucléaire nécessaire serait alors d'environ 550 TWh en 2050.

- L'atteinte de cette cible repose sur des hypothèses extrêmement volontaristes, aujourd'hui loin de pouvoir être considérées comme acquises, sur la prolongation des réacteurs actuels ainsi que sur le rythme de développement de nouveaux réacteurs nucléaires (avec des rythmes de mise en service compris entre 1,5 et presque 3 nouveaux réacteurs par an entre 2035 et 2050 en fonction des hypothèses de consommation et en conservant l'hypothèse de durée d'exploitation du parc nucléaire du scénario N03 de 2021).

- Parmi ces hypothèses, la prolongation des réacteurs existants semble le levier le plus accessible. Cependant, réussir ce scénario impliquerait d'avoir réussi la prolongation de la totalité du parc actuel au-delà de 60 ans, et d'une large majorité jusqu'à 70-80 ans.

- Cette prolongation de la durée d'exploitation des réacteurs de seconde génération jusqu'à 70-80 ans serait une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faudrait en complément augmenter le rythme de mise en service de nouveaux EPR2 à presque environ un nouveau réacteur et demi par an entre 2035 et 2050 (soit la cible annoncée par EDF pour l'ensemble de l'Europe et non uniquement la France), de sorte à disposer d'un parc d'une vingtaine d'EPR2 en 2050, et construire par ailleurs environ 5 GW de SMR (soit environ 15 paires de type Nuward).

- À partir de l'horizon 2050 et au-delà, de nouvelles technologies en matière de nucléaire pourraient également être développées et prendre le relais des réacteurs de deuxième génération, par exemple des réacteurs de quatrième génération. Cette hypothèse ne pourrait toutefois produire des effets qu'au-delà de l'horizon 2050 et nécessite de consolider voire d'accélérer les travaux de recherche et développement sur les réacteurs de 4e génération afin de crédibiliser des mises en service d'ici une trentaine d'années.

- Pour accompagner la sortie des énergies fossiles, les énergies renouvelables devraient toujours être développées, surtout en début de période, mais dans des proportions moindres que dans la trajectoire de Belfort ou que dans le projet de Stratégie française pour l'énergie et le climat. S'il était choisi de freiner le développement de l'éolien terrestre, par exemple, il serait toujours nécessaire de développer des parcs éoliens en mer et solaires, bien que cela ne réponde pas à une optimisation de nature économique.

- Les besoins de développement du réseau (raccordements, réseaux régionaux) seraient moindres que dans les scénarios comprenant une part plus restreinte de nucléaire (pour un volume d'électricité produit équivalent), mais toujours importants s'agissant du réseau stratégique à très haute tension (le réseau français n'est pas du tout dimensionné pour accueillir une vingtaine d'EPR en plus des sites existants : de nombreuses lignes à très haute tension devraient être renforcées ou créées, tout comme dans les scénarios avec une part plus importante d'énergies renouvelables dans le mix).

- Les besoins de « flexibilités » seraient moindres que dans les scénarios comprenant une part plus restreinte de nucléaire (pour un volume d'électricité produit équivalent), même s'ils seraient quand même nécessaires du fait du profil de la consommation en France et car elle est par ailleurs physiquement interconnectée à ses voisins européens, qui développent massivement les énergies renouvelables.

- Sur la base de la matrice des risques utilisée par RTE dans les Futurs énergétiques 2050, un scénario 70/30 repose sur des paris industriels et technologiques qui apparaissent plus lourds que dans les scénarios de type N2. A l'instar des scénarios « 100% renouvelables », ils reposent en effet sur des conditions strictes et cumulatives, et sur des rythmes de développement ou de prolongation de réacteurs qui ne sont pas acquis à ce jour, notamment du fait du manque d'expérience actuel en matière de gestion des grands projets d'infrastructures de la filière nucléaire en Europe ainsi que du renforcement des exigences de sureté.

- Ce scénario semble à ce stade de l'analyse présenter de plus grands risques d'échec dans l'atteinte des objectifs publics (décarbonation, réindustrialisation) que des scénarios plus équilibrés entre nucléaire et renouvelables car son succès repose sur une accélération du développement de nouveaux réacteurs nucléaires qui doit être massive et lancée maintenant, mais dont les effets ne pourront être observés que durant la décennie 2040. En cas d'échec de cette stratégie ou de retard observé durant cette décennie, il ne serait alors plus possible d'accélérer suffisamment sur les autres filières pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

- Cette analyse peut être reliée aux conclusions du dernier Bilan prévisionnel de RTE publié en septembre 2023 : adopter des objectifs ambitieux sur chacun des quatre principaux paramètres (nucléaire, renouvelables, sobriété, efficacité énergétique) est l'option qui maximise les chances d'atteinte des objectifs de décarbonation et de réindustrialisation. Dans l'éventualité où cette stratégie conduirait à un « surplus » d'électricité décarbonée, la France pourrait toujours exporter cette électricité, compétitive, à ses voisins, et ainsi augmenter sa balance commerciale. RTE a étudié en détail le fonctionnement d'un système électrique composé principalement de réacteurs nucléaires et d'énergies renouvelables variables dans les chapitres techniques du dernier Bilan prévisionnel.

Analyse :

Dans le cadre des travaux menés par la Commission d'enquête du Sénat, RTE a été interrogé sur les conclusions de l'étude Futurs énergétiques 2050 publiées en octobre 2021.

RTE établit ses scénarios selon deux principes :

1) Une analyse technique, économique et environnementale approfondie, fondée sur la modélisation détaillée du système électrique européen et de l'évolution de ses déterminants sous l'effet de la transition énergétique et du changement climatique.

2) Une concertation approfondie de l'ensemble des paramètres avec les parties prenantes, qui aboutit à une élaboration au grand jour des scénarios et des hypothèses retenues.

RTE étudie l'ensemble des scénarios demandés par les parties prenantes et les évalue selon la même grille méthodologique, à des fins d'équité et d'inter-comparaison.

1. Contexte d'élaboration du scénario « N03 » des Futurs énergétiques 2050

Les scénarios des Futurs énergétiques 2050 ont été élaborés entre 2019 et 2021, selon les hypothèses en vigueur à cette époque.

RTE a analysé différentes configurations de relance du nucléaire, pour en retenir finalement trois principales, tenant compte des retours des parties prenantes et en particulier des industriels de la filière nucléaire lors de la consultation publique menée en 2021 :

- un « scénario bas » (N1) correspondant au programme NNF qui était alors en cours d'étude entre l'État et EDF, avec la construction de 6 nouveaux réacteurs de type EPR2 entre 2035 et 2045, ensuite prolongé au rythme d'une paire tous les 5 ans, donc avec 8 EPR2 en service en 2050 ;

- un « scénario intermédiaire » (N2) augmentant cette ambition en portant à 14 EPR2 le nombre de réacteurs à mettre en service d'ici 2050 ;

- un « scénario haut » (N03) reposant sur le même nombre d'EPR2 que dans N2, mais en y ajoutant d'autres types de réacteurs de type SMR (pour 3 GW) ainsi qu'une prolongation de certains réacteurs au-delà de 60 ans.

Le bilan suivant peut être tiré de ce travail :

1) Le travail de concertation, puis la consultation publique, a conduit à crédibiliser des scénarios de relance du nucléaire plus ambitieux que ceux qui étaient initialement projetés et débattus entre la filière et l'Etat (programme NNF, consistant en la construction de 6 nouveaux réacteurs entre 2035 et 2045). Cet élargissement du champ des possibles correspondait bien à la nature prospective de l'exercice.

2) Dans le scénario N03, la valeur de 50 % pour la part du nucléaire dans la production d'électricité en 2050 n'a pas été considérée comme un plafond, mais initialement comme un plancher à respecter dans les scénarios de relance du nucléaire les plus rapides (type N3). L'étude de ce scénario a alors démontré que si les réacteurs actuels étaient fermés à 50 ou 60 ans, il en résulterait un besoin d'accélération considérable du rythme de déploiement du nouveau nucléaire pour atteindre l'objectif d'électrification en maintenant durablement la part du nucléaire au-delà de 50 %. Ce besoin ayant été considéré supérieur aux capacités industrielles à date de la filière (lesquels n'ont pas été considérés comme une fatalité ou comme un maximum intrinsèque, mais comme un constat industriel à un moment donné), le caractère incontournable d'une extension de la durée de vie de certains des réacteurs existants au-delà de 60 ans s'est alors imposé comme condition nécessaire dans ce type de scénario. Ceci est allé de pair avec une reconnaissance du rôle que pourraient jouer les petits réacteurs modulaires (SMR) dans le renforcement de la capacité de production nucléaire.

3) Le scénario « N03-réindustrialisation » stabilisé à l'issue de la consultation publique du printemps 2021 est le fruit de ce travail. Plusieurs de ses orientations clés ont été reprises dans le discours de Belfort du Président de la République en février 2022 : prolongation de la durée de vie des réacteurs, lancement d'un programme allant jusqu'à 14 nouveaux réacteurs (annonce d'un programme pour 6 premiers réacteurs et du lancement d'une instruction pour 8 réacteurs complémentaires), diversification des technologies nucléaires via les SMR, poursuite du développement des énergies renouvelables pour accompagner la sortie des énergies fossiles.

4) Dans les études, la « part du nucléaire » n'a pas été bornée à 50 % en 2035 comme la loi en fixait l'objectif au moment de la parution des Futurs énergétiques 2050. Elle excède cette proportion en 2035 dans N03 (dans ses trois configurations sobriété, référence et réindustrialisation profonde), et dépasse 50 % en 2050 dans N03-sobriété.

2. Défis pour l'élaboration d'un scénario de type « 70/30 »

La commission d'enquête a proposé à RTE d'instruire un scénario de type « 70/30 ». Comme indiqué lors des auditions et comme RTE l'a proposé aux deux chambres et conformément aux principes de concertation qui sous-tendent l'élaboration de ses études prospectives, RTE instruira avec la même rigueur les scénarios proposés par le Sénat et l'Assemblée nationale ce qui implique un travail de consolidation et de précision des hypothèses associées.

RTE attire l'attention de la Commission d'enquête sur le fait qu'un scénario ne peut se résumer à la part du nucléaire et des énergies renouvelables dans le mix électrique. L'impact d'une part du nucléaire de 70 % dans la production d'électricité sera très différent selon (i) le niveau et la structure de la consommation d'électricité visé, (ii) le type de réacteurs nucléaires concernés, (iii) le type d'installations qui composeront le bouquet d'énergies renouvelables, (iv) les interactions entre l'électricité et les autres secteurs ainsi qu'avec les autres pays européens.

Le temps nécessaire pour instruire de manière détaillée un tel scénario et en réaliser une comparaison avec les autres scénarios serait de l'ordre de six mois. RTE propose d'approfondir ce scénario dans le cadre de la réévaluation prévue des scénarios des Futurs énergétiques 2050 (publication en 2026, ce qui signifie que les travaux seront lancés au second semestre 2024 lorsque que sera achevé le cycle d'études en cours sur l'horizon moyen terme via la publication de l'ensemble des chapitres techniques du Bilan prévisionnel 2023).

La phase de concertation et de consultation auprès des acteurs devra notamment porter sur les thèmes suivants :

- Pour viser une capacité nucléaire installée supérieure à 51 GW en 2050 (e.g. celle du scénario N03), analyse des leviers pouvant être activés le plus facilement : prolongation des réacteurs actuels, augmentation du rythme de construction des EPR2, recours aux nouvelles technologies pour les nouveaux réacteurs ?

- Définition du coût à retenir pour la prolongation des réacteurs actuels au-delà de 60 ans ? pour les SMR. Dans le scénario N03 des Futurs énergétiques 2050, l'hypothèse de coût considérée pour les SMR, à défaut de donnée de référence bien établie par les industriels, était celle d'un coût complet proche de celui des premiers EPR2. Dans le cas d'un scénario reposant plus largement sur les SMR, cette hypothèse nécessiterait d'être affinée.

- Définition du coût retenir pour les EPR2 (EDF et l'État ont annoncé qu'une réévaluation du coût du programme était en cours).

- Définition des hypothèses à considérer sur la poursuite de stratégie de cycle fermé. Les coûts complets des scénarios doivent intégrer cette composante, chiffrée à plusieurs euros par mégawattheures selon les scénarios. La réactualisation de l'analyse économique nécessitera d'intégrer les évaluations les plus à jour (renouvellement des usines de La Hague et de Melox par exemple).

- Certains participants à la concertation ont suggéré que la relance du nucléaire pourrait faire appel à des technologies différentes, voire à des opérateurs différents, y compris étrangers.

3. Hypothèses possibles pour l'élaboration d'un scénario « 70/30 »

3.1. Volet nucléaire

Dans le scénario N03, il est considéré une relance volontariste du nucléaire reposant sur :

(i) la prolongation de tous les réacteurs au-delà de 50 ans et au moins 4 réacteurs au-delà de 60 ans (soit 24 GW en 2050),

(ii) la mise en service de 14 EPR2 d'ici 2050, trajectoire la plus haute remontée par la filière au moment de l'élaboration des scénarios (soit environ 23 GW en 2050),

(iii) une capacité de 4 GW de SMR.

De manière générale, de nombreuses incertitudes demeurent sur le cadre de sûreté qui sera appliqué à une prolongation à très long terme des réacteurs actuels ainsi que sur la capacité industrielle à développer un nouveau parc nucléaire (les SMR étant au stade de prototypes, le premier EPR à Flamanville n'étant toujours pas pleinement mis en service et les nouveaux EPR2 n'étant pas attendus avant 2035-2040 pour les premiers).

Pour autant, il est déjà possible de discuter des paramètres à prendre en compte pour réaliser ce type de scénario.

L'option d'une augmentation du nombre de nouveaux réacteurs

Pour atteindre 70 % de production nucléaire, sans recours systématique à des prolongations nombreuses des réacteurs existants au-delà de 60 ans - c'est-à-dire en reprenant l'hypothèse de 24 GW installé pour le parc existant en 2050, il faudrait construire :

- Entre 25 à 30 nouveaux EPR2 d'ici 2050 dans la trajectoire de consommation de référence des Futurs énergétiques 2050 (650 TWh en 2050) - soit un rythme de mise en service compris entre 1,5 et 2 réacteurs par an,

- Entre 30 à 35 nouveaux EPR2 d'ici 2050 dans la trajectoire de réindustrialisation profonde des Futurs énergétiques 2050 (750 TWh en 2050) - soit un rythme de mise en service compris entre 2 et 2,5 réacteurs par an,

- Près de 40 nouveaux EPR2 pour alimenter une consommation de 850 TWh en 2050 - soit un rythme de mise en service supérieur à 2,5 réacteurs par an.

Or, il apparait certain que le rythme de mise en service ne pourra être accéléré avant les années 2040 au mieux. Le président d'EDF a ainsi indiqué vouloir atteindre un rythme d'environ 1 à 1,5 EPR mis en service en Europe par an au cours de la décennie 2030 (déclaration en marge du salon du nucléaire civil en novembre 2023, confirmée lors de l'audition du directeur exécutif en charge de la préfiguration de la future direction Projets et Construction Nucléaires d'EDF à la commission d'enquête).

Pour soulager le rythme de mise en service des EPR2, une option pourrait être d'augmenter le nombre de petits réacteurs modulaires (SMR). Plusieurs modèles sont en cours de conception en France mais à ce stade, aucune décision de développement ou de construction n'a été prise. Vu d'aujourd'hui, seule une tête de série du programme Nuward est envisagée pour la décennie 2030, les autres technologies de réacteurs en développement étant a priori moins avancées. Accélérer le rythme de construction des SMR constitue donc également un défi industriel en soi tandis que des incertitudes sur le coût des SMR et le modèle économique associé ne sont pas encore levées.

Au-delà de 2050, de nouvelles technologies telles que les réacteurs de 4e génération pourraient éventuellement prendre le relais à condition de fiabiliser ce type d'hypothèse au cours des prochaines années. Les performances et coûts associées à ce type de technologies demeurent très incertains à ce stade.

L'option d'une prolongation des réacteurs actuels

Comme évoqué ci-dessus, l'hypothèse d'une prolongation au-delà de 60 ans apparaissait totalement hors du consensus lors du début de la concertation autour des Futurs énergétiques en 2019-2020, l'ASN ayant indiqué à plusieurs reprises que la prolongation au-delà de 50 ans n'était pas encore acquise et EDF ne l'ayant pas proposé dans ses scénarios de référence141(*).

À l'issue du travail de concertation et de scénarisation, les hypothèses en matière de prolongation du nucléaire ont toutefois été élargies. Le scénario N03, finalisé en fin de concertation à l'issue de la consultation publique, a ainsi considéré une prolongation de certains réacteurs au-delà de 60 ans, mais de manière non systématique.

Aujourd'hui, les différentes prises de position (ASN, EDF, autorités françaises) conduisent à envisager une prolongation plus systématique : celle-ci n'est pas acquise à date et plusieurs sujets doivent être travaillés pour en garantir la faisabilité. Pour gagner significativement de la puissance nucléaire à l'horizon 2050-2060, il faudrait envisager une hypothèse de 70 ans voire 80 ans pour tous les réacteurs. Cette prolongation n'étant pas acquise, l'hypothèse d'un panachage des fermetures (entre 60 et 80 ans selon les réacteurs) pourrait être étudiée :

ï Pour alimenter une consommation de 650 TWh en retenant les paramètres de N2 sur la construction des nouveaux réacteurs - soit 14 EPR2 d'ici 2050 - il faut prolonger 35 à 40 réacteurs au-delà de 60 ans (soit environ les deux tiers du parc), voire quelques réacteurs au-delà de 70 ans.

ï Pour alimenter une consommation de 750 TWh, en retenant les mêmes hypothèses sur le rythme de construction de nouveaux réacteurs, il faut prolonger tous les réacteurs existants jusqu'à 2050 et miser sur une augmentation de leur disponibilité et de leur facteur de charge, ce qui apparaît comme un défi au regard des effets potentiels du vieillissement du parc sur la disponibilité des réacteurs.

ï Pour alimenter une consommation de 850 TWh, même en prolongeant l'ensemble des réacteurs, il apparaît nécessaire d'accompagner cette mesure du développement de nouveaux réacteurs EPR2 supplémentaires pour ne pas faire reposer l'approvisionnement français en électricité sur des imports depuis les pays voisins.

3.2. Volet renouvelables

Lors de la construction des scénarios des Futurs énergétiques 2050, les acteurs participant à la concertation menée par RTE ont soulevé un grand nombre d'options envisageables pour le développement des énergies renouvelables, misant sur des répartitions différentes entre les filières technologiques (photovoltaïque, éolien terrestre, éolien en mer) et distinguant le type de développement, soit diffus sur tout le territoire, soit concentré dans les zones les plus favorables sous la forme de grands parcs, les plus économiques.

Dans cette étude, le scénario N03 s'appuie sur un développement des énergies renouvelables pour toutes les filières, mais avec un rythme inférieur aux autres scénarios.

Depuis la publication des Futurs énergétiques 2050, le président de la République a annoncé à Belfort l'objectif de plus de 40 GW d'éolien en mer et environ la même cible pour l'éolien terrestre à l'horizon 2050, conduisant de fait vers un ralentissement du développement de l'éolien terrestre. Les travaux sur la planification écologique menés par l'Etat depuis 2022 ont ensuite conduit à revoir à la hausse un certain nombre d'objectifs de développement des énergies renouvelables142(*) pour accompagner l'accélération de l'électrification et de la réindustrialisation.

Dans un scénario de type « 70/30 », les rythmes de développement associés doivent être revus, en lien avec le nouvel équilibre cible entre nucléaire et énergies renouvelables et en fonction aussi de la trajectoire de consommation qui sera retenue.

Au-delà du volume global de production renouvelable, différents choix politiques et économiques apparaissent possibles en matière de répartition entre les différentes technologies et les différents types d'installation : développement privilégié du photovoltaïque sur toiture, grands parcs éoliens terrestres ou photovoltaïques au sol, développement privilégié de grands parcs éoliens posés ou flottants, etc.

Ces choix peuvent influer assez largement sur les besoins techniques de flexibilité et de réseau ainsi que sur la performance économique du scénario considéré. Dans les Futurs énergétiques 2050, RTE a testé différents mix électriques et a illustré à quoi pourrait s'apparenter un mix électrique optimisé uniquement par rapport à ses coûts de production. Ces configurations optimisées confirment l'intérêt économique des mix avec une production nucléaire importante surtout si elle résulte de la prolongation de la durée d'exploitation des réacteurs existants. Pour les renouvelables, la recherche d'un mix optimal conduit à développer prioritairement l'éolien terrestre par rapport au solaire photovoltaïque - et au sein de cette filière, à privilégier les grands parcs au sol par rapport au développement sur toiture - et à développer des parcs éoliens en mer posés et proches des côtes, plutôt que flottants ou plus éloignés des côtes. Pour mémoire, dans les Futurs énergétiques 2050, le scénario reposant majoritairement sur le petit solaire (M1) était le plus onéreux pour la collectivité.

4. Proposition de cadrage de référence du scénario 70/30 pour discussion

4.1. Une proposition de cadrage à l'horizon 2050

Consommation

Depuis les Futurs énergétiques 2050, certaines ambitions ont été renforcées notamment en matière de souveraineté énergétique et de réindustrialisation de la France.

Parallèlement, la disponibilité de la ressource biomasse a été revue à la baisse accroissant le besoin d'électrification. Dans ces conditions, la consommation électrique cible de la prochaine stratégie énergie-climat devrait afficher des niveaux proches ou dépassant ceux de la variante réindustrialisation profonde des Futurs énergétiques 2050 soit près de 750 TWh à 2050 (sachant que des niveaux encore supérieurs sont parfois évoqués, notamment dans le cas d'un développement massif de la production de carburant de synthèse en France).

En tenant compte des effets de rendement (pertes dans les systèmes de stockage, pertes associées à l'écrêtement de la production renouvelable lors des périodes d'abondance de production) et des besoins de marges, il convient de viser dans cette configuration une production totale d'électricité en France de l'ordre de 780 à 800 TWh.

Production nucléaire

Pour viser une part du nucléaire élevée dans le mix électrique français à long terme, l'option pouvant apparaître comme la plus accessible consiste à prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires existants jusqu'à 70 ans voire 80 ans, en supposant que cela soit possible dans le respect des conditions fixées par l'autorité de sûreté.

En considérant, de manière théorique, que tous les réacteurs existants seraient prolongés jusqu'à 60 ans et qu'environ les deux tiers des réacteurs seraient prolongés jusqu'à 70 ans voire 80 ans, la capacité du parc nucléaire de seconde génération serait encore d'environ 50 à 55 GW en 2050, permettant de produire environ 300 TWh par an (sous réserve d'une disponibilité et d'un facteur de charge qui reste proche de celui observé sur l'historique récent).

Pour atteindre 70 % de nucléaire dans le mix en 2050 (soit de l'ordre de 550 TWh de production nucléaire), il serait donc nécessaire de compléter le parc existant de seconde génération avec la construction d'un grand nombre de nouveaux réacteurs nucléaires, qu'ils soient de type EPR2 ou SMR, en allant au-delà des capacités industrielles évoquées par les acteurs de la filière nucléaire lors de la concertation menée en 2021. En effet, la prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de 60 ans ne suffit pas à couvrir le surcroît de production nucléaire nécessaire pour atteindre 70 % de nucléaire en 2050.

Une répartition possible entre EPR2 et SMR pourrait être la suivante :

- environ 5 GW de SMR mis en service à l'horizon 2050,

- et environ 18 à 20 EPR2, soit autour de 30 GW, mis en service d'ici 2050.

In fine, un tel scénario nécessite donc de combiner la réussite de plusieurs paris extrêmement structurants sur le parc nucléaire :

- une prolongation de tous les réacteurs nucléaires existants jusqu'à 60 ans au moins et de l'essentiel des réacteurs jusqu'à 70 ans voire 80 ans ;

- le développement de SMR pour des capacités significatives (plusieurs gigawatts), alors que ce type de technologies reste à l'état conceptuel à ce jour ;

- le développement de nouveaux EPR2 (ou autres) à un rythme supérieur à celui remonté par les acteurs de la filière nucléaire au cours de l'élaboration des Futurs énergétiques 2050 et récemment confirmé dans le cadre des auditions de la Commission d'enquête du Sénat.

Figure 1. Evolution de la capacité installée nucléaire dans un scénario 70% nucléaire / 30% renouvelable

Production renouvelable

Dans un scénario à 70% nucléaire / 30% renouvelable, les cibles à 2050 doivent être revues nettement à la baisse par rapport aux ambitions annoncées par le président de la République à Belfort (environ 30% de moins à long terme).

Plusieurs combinaisons sont possibles pour atteindre une part plus faible de renouvelables à cet horizon.

Même si cette orientation est plus coûteuse sur le plan économique, il serait par exemple possible de ralentir le développement de l'éolien terrestre en raison des oppositions que suscite cette technologie au niveau politique, en maîtrisant le rythme de développement et/ou le taux renouvellement des parcs éoliens terrestres, de manière à viser un parc installé ne dépassant pas 30 GW à 2050. Ceci ne serait toutefois pas suffisante pour atteindre 70% de nucléaire à long terme et il convient alors d'envisager un ralentissement également sur les autres filières.

Ainsi, le rythme d'installation du photovoltaïque qui s'est largement infléchi à la hausse depuis 3 ans devrait décroître fortement (division par près de deux en moyenne), conduisant à atteindre une capacité de l'ordre de 65 GW à terme.

Enfin, l'ambition affichée sur l'éolien en mer, filière caractérisée par un facteur de charge particulièrement élevé par rapport aux autres énergies renouvelables, devrait être divisée par trois pour atteindre 13 à 15 GW à l'horizon 2050. Ceci correspond à une capacité installée légèrement supérieure à celle apportée par les appels d'offre en cours (~ 10 GW) et en deçà de l'objectif à 2035 du pacte éolien en mer (18 GW).

Estimation du bilan énergétique dans ce scénario

La composition du mix électrique et un premier bilan électrique approximatif associés à ce scénario sont représentés sur les graphiques ci-dessous.

Dans ce type de scénario, il apparaît probable que des moyens de flexibilités complémentaires soient nécessaires, notamment du fait du profil de la consommation en France, mais aussi car la France est par ailleurs physiquement interconnectée à ses voisins européens, qui développent massivement les énergies renouvelables. Les besoins de « flexibilités » seraient a priori moindres que dans les scénarios comprenant une part plus restreinte de nucléaire (pour un volume d'électricité produit équivalent) mais l'évaluation précise nécessite des analyses approfondies qui n'ont pas pu être menées à ce stade.

De manière générale, pour affiner la part des différentes filières dans la production électrique et les besoins de capacités complémentaires (stockage, thermique), des études plus approfondies sont toutefois nécessaires, en s'appuyant notamment sur les outils de simulation de l'équilibre offre-demande utilisés par RTE pour les études prospectives. Ces études pourraient être intégrées dans le travail d'actualisation des Futurs énergétiques 2050 qui a vocation à être réalisé d'ici 2026.

Figure 2. Premières estimations de parc installé et de mix de production électrique à l'horizon 2050 dans un scénario 70% nucléaire / 30% renouvelables (hors flexibilités nécessaires pour l'équilibre offre-demande)

4.2. À moyen terme : une part de nucléaire qui sera nécessairement inférieure à 70% au cours des prochaines années

Au-delà du point 2050, un tel scénario pose question sur l'évolution de l'équilibre du mix dans la phase transitoire des prochaines années. En effet, même dans un scénario qui viserait 70% de nucléaire dans le mix à 2050, la part du nucléaire, dont la production ne pourrait augmenter que dans des proportions limitées au cours des prochaines années (avec quelques gains attendus sur la disponibilité du parc voire sur la puissance des réacteurs), devrait mécaniquement continuer à décroitre jusqu'à 2035. Elle ne pourrait s'infléchir de nouveau à la hausse qu'à partir de l'horizon 2040 au mieux.

D'ici 2035 en effet, il n'apparaît pas possible d'anticiper la mise en service de nouvelles capacités nucléaires significatives (EPR2 ou SMR de forte puissance). Dans le même temps, les énergies renouvelables doivent continuer de se développer (appels d'offres pour éolien en mer engagés, dynamique soutenue sur le photovoltaïque et maintien d'un rythme historique sur l'éolien terrestre). Durant cette période le principal levier pour ralentir la diminution de la part du nucléaire dans la production d'électricité reposerait sur la réussite de la prolongation à 60 ans des paliers 900 MW (les premiers concernés par la cinquième visite décennale autour de 2030), sur la capacité à faire remonter la disponibilité du parc nucléaire y compris par rapport à la diminution constatée avant même la crise de la corrosion sous contrainte (retour à une production d'environ 400 TWh) ou encore sur la capacité à entreprendre et réussir des augmentations de puissance sur les réacteurs 900 et 1300 (gain potentiel d'une dizaine de térawattheures).

Ce n'est qu'entre 2040 et 2050 et sous une réserve très structurante de la réussite de la prolongation à 70 ans de tout ou partie des réacteurs existants que pourrait s'amorcer une remontée de la part du nucléaire dans le mix à condition de réussir dans le même temps la mise en service des nouvelles capacités (EPR2/SMR) à un rythme extrêmement rapide. Cela impliquerait dans le même temps de geler ou presque la capacité installée des énergies renouvelables, après un premier ralentissement entre 2030 et 2040 par rapport aux rythmes en cours.

Figure 3. Évolution de la part du nucléaire dans le mix électrique associée à différentes trajectoires possibles


* 141 Voir notamment le cahier d'acteurs d'EDF dans le cadre du débat public sur la PPE en 2018

* 142 Pour l'éolien en mer : 18 GW en 2035 (pacte éolien en mer) et 45 GW en 2050

Pour l'éolien terrestre : près de 40 GW dès 2035

Pour le photovoltaïque : 100 GW en 2035 (pacte solaire)

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