CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE - SOLIDARITÉ ET TERRITOIRES

Le rapport produit par la commission d'enquête sur la production, la consommation et le prix de l'électricité est conforme aux travaux de qualité que rend le Sénat. Il apporte de nombreux éléments sur ce vaste sujet qu'est celui de l'électricité. Appréhender l'électricité en abordant ses différentes composantes, consommation, production et prix est indispensable car les uns dépendent des autres. Cependant, ce périmètre ambitieux n'a pas permis à la commission d'enquête, malgré un travail très conséquent, d'explorer au fond tous les domaines. Elle n'a que survolé certains points et s'est focalisée très majoritairement sur la production et en particulier sur la production nucléaire. Il eut été intéressant de se pencher plus fortement sur la consommation. À ce titre, les scénarios de sobriété et de frugalité ont été très peu abordés, lorsqu'ils l'ont été, cela a été de manière trop superficielle. De même le stockage, la flexibilité auraient mérité un travail plus approfondi.

Agir sur la consommation par la sobriété et l'efficacité énergétique

La production d'énergie est centrale mais les limites planétaires nous contraignent à revoir de manière globale les modes de consommation pour des raisons de finitude des ressources naturelles et de pollution généralisée. En ce sens, il manque dans ce rapport une vision sociologique qui aurait pu analyser l'impact des choix de développement sur la consommation de manière générale et la consommation d'énergie en conséquence. Le rôle de l'innovation est central, elle peut être au service de l'efficacité comme nous l'avons vu pour l'éclairage ou le froid, elle peut faire évoluer les process industriels vers de fortes réductions de consommation de matière et d'énergie. Mais elle peut également avoir des effets contraires avec la création de nouveaux besoins. Nous constatons bien souvent des effets rebonds qui limitent les gains attendus.

A titre d'exemple, la consommation du numérique est très peu analysée dans le rapport. Les data centers sont extrêmement consommateurs. On en dénombre 264 en France et leur consommation moyenne est estimée à 5,15 MWh/m²/an. Ainsi, un data center de 10 000 m² consomme en moyenne autant qu'une ville de 50 000 habitants. Le fonctionnement du matériel informatique représente environ 50 % des besoins énergétiques. Mais ce matériel a besoin d'être climatisé en permanence. On estime que 30 à 40 % de la consommation totale des data centers ne sert qu'à refroidir les baies de serveurs. Cette consommation gigantesque et exponentielle doit être interrogée car elle sert essentiellement à supporter les échanges numériques destinés aux loisirs et aux divertissements (TikTok, Youtube, Whatsapp ont besoin de ces data centers), et dans ce cadre n'apporte aucun gain de consommation dans les secteurs tertiaires ou secondaires.

Nous sommes donc confrontés à des choix de société qu'il eut été pertinent d'explorer davantage pour éclairer nos politiques énergétiques. Le choix de la continuité avec la poursuite de la trajectoire actuelle ou le choix de la bifurcation avec une consommation en adéquation avec les contraintes terrestres.

Nos propositions s'appuient essentiellement sur les scénarios « Génération frugale » et « coopérations territoriales » de l'ADEME ainsi que les scénarios M0 et M1 de RTE. Ces scénarios sont principalement axés sur la réduction de la consommation énergétique et des ressources naturelles, sur l'efficacité énergétique, ainsi que des changements comportementaux et des pratiques de vie plus sobres et responsables.

Les principales caractéristiques de ces scénarios sont :

1. Sobriété : gain de 90 TWh

· Forte diminution de la demande énergétique par habitant par le changement de comportement des consommateurs et une meilleure gestion de la demande énergétique.

· Mise en place de politiques et de pratiques qui favorisent la sobriété énergétique

Efficacité énergétique : gain de 200 TWh

· Amélioration substantielle de l'efficacité énergétique dans tous les secteurs (résidentiel, tertiaire, transport, industrie). A titre d'exemple les voitures électriques ont des rendements de 90% contre 25-35% pour les moteurs thermiques.

· Rénovation énergétique des bâtiments pour réduire les pertes de chaleur et pour améliorer le confort thermique.

· Réduction des consommations unitaires des équipements

Transition vers les énergies renouvelables :

· Montée en puissance des énergies renouvelables pour compenser la baisse de la consommation d'énergies fossiles.

· Développement de technologies de stockage de l'énergie et de gestion intelligente des réseaux pour intégrer davantage de production renouvelable variable ou intermittente.

Changements comportementaux :

· Promotion de modes de vie plus sobres et de comportements écoresponsables.

· Encouragement à la consommation locale et de saison, ainsi qu'à des pratiques de réutilisation et de recyclage.

Urbanisme et mobilités :

· Développement de villes plus compactes et mieux organisées pour réduire les besoins de déplacement.

· Promotion des modes de transport doux (marche, vélo) et des transports en commun pour réduire la dépendance à la voiture individuelle.

Réduction de la consommation de ressources :

· Mise en place de pratiques d'économie circulaire pour réduire l'extraction de ressources naturelles.

· Augmentation de la durabilité et de la réparabilité des biens.

La réduction des consommations s'inscrit dans le moyen et le long terme avec un objectif de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) de diminution de 40% d'ici 2050, il convient en parallèle de mettre en place des moyens de production décarbonés et renouvelables.

Des technologies sont matures aujourd'hui et à un prix maîtrisé : éolien, solaire, hydroélectricité. Associées à de la flexibilité, elles ont la capacité d'assurer notre mix électrique d'ici deux décennies. Adapter la consommation à la production est une condition impérative mais ce point n'a pas été traité de manière approfondie dans ce rapport. Les tarifs heures pleines / heures creuses devraient être revus et les plages horaires affinées. Le tarif tempo mériterait d'être davantage mis en avant car il est à ce jour assez méconnu. Enfin, l'installation de compteurs déportés permettrait de gagner en efficacité. Alors que ce principe a été voté en 2015 dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le décret d'application n'a été publié qu'en 2021 et de façon minimaliste. En effet, ce dernier prévoit que les fournisseurs d'électricité et de gaz naturel proposent l'offre de transmission des données, à leurs clients raccordés au réseau continental interconnecté bénéficiaires du chèque énergie. Les personnes éligibles restent en nombre assez limité et les applications mobiles ne permettent pas de connaître la consommation en temps réel (seulement la consommation des 24 dernières heures). Cet affichage de la consommation instantanée en kWh et en euros dans le logement (donc immédiatement visible) serait pourtant très efficace pour inciter à interrompre les appareils électriques oubliés ou inutiles.

Les énergies renouvelables à même de répondre aux enjeux

Le scénario RTE 100 % renouvelables en 2050 impose de limiter notre consommation aux alentours de 550 TWh et est totalement crédible comme l'a répété à plusieurs reprises Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE. Il réside dans un mix énergétique dans lequel solaire (200 GW), hydroélectricité (25 GW) et éolien (130 GW) assurent la majeure partie de la production électrique. La difficulté réside dans notre capacité à stocker, à effacer, à assurer une flexibilité de la consommation. La montée en puissance de ces capacités de production et de stockage se fera sur deux décennies, durant cette période le nucléaire historique assurera la transition. Des centrales thermiques fonctionnant avec des stockages de longue durée en gaz décarbonés pallieront les absences de production sur quelques jours dans l'année en association avec le stockage hydraulique et le stockage batteries.

La production d'hydrogène par électrolyse permet de développer un stockage flexible qui sera essentiel dans le cadre d'un scénario à hautes proportions en énergies renouvelables.

Une approche de l'électricité par le prisme de l'énergie nucléaire

Cette commission d'enquête s'inscrit dans un contexte d'urgence à décarboner notre société. Nous regrettons que l'essentiel des auditions se soit focalisé sur la relance du nucléaire. D'ailleurs 10 des 26 recommandations du rapport portent sur l'énergie nucléaire. Le retour en grâce de cette énergie est paradoxal car aucun des graves inconvénients inhérents à cette industrie n'a été réglé. Les augmentations de ses coûts, sa faisabilité technique, son incapacité à gérer ses déchets à l'amont comme à l'aval, sa faible capacité de résilience (en particulier dans une économie dégradée), la consommation extrêmement importante d'eau et évidemment les dangers inhérents et les questions de sûreté liées à cette technologie ne sont pas traités.

Les projets de constructions de nouveaux réacteurs EPR2 annoncés par le Président de la République (6 réacteurs dans un premier temps et potentiellement 8 par la suite) s'inscrivent sur le moyen terme avec les premières livraisons envisagées pour 2035 à Penly. Une échéance initiale particulièrement optimiste selon l'aveu même de spécialistes de la filière, qui apparait au fil des mois de plus en plus irréaliste. Or, pour être dans notre trajectoire de décarbonation afin de répondre à l'urgence climatique et pour assurer le bouclage énergétique pour 2030-2035 nous devons agir sans tarder. L'ensemble des scénarios envisagés (RTE, ADEME, Négawatt) prévoient que les énergies renouvelables fourniront l'essentiel de l'électricité en complément à une politique de sobriété et d'efficacité limitant les futurs besoins.

La question du coût de production est centrale. Dans un contexte de très fort développement des énergies éoliennes et solaires à des coûts fortement décroissants sur la dernière décennie, le prix du nucléaire joue en sa défaveur. Avec 447 GW installés en 2023, la production d'énergie solaire explose dans le monde et il aura fallu 8 ans pour passer de 100 TWh à 1000 TWh avec un déploiement rapide et bon marché.

L'absence totale de maîtrise des coûts sur l'EPR de Flamanville illustre bien les difficultés de cette filière. Cette tête de série, fleuron de la relance du nucléaire a viré au fiasco industriel et financier. Il n'y aura pas de série. Les différentes auditions ont permis de revenir sur l'échec cuisant de l'EPR1. De nombreuses leçons issues du retour d'expérience sont tirées. Il s'avère cependant que la course vers un EPR2 est également semée d'embûches en France et à l'international.

La première leçon est de ne pas commencer avant d'avoir terminé les plans de détail. Dans les faits, il semble que l'on se précipite à nouveau avec des travaux de génie civil déjà en cours à Penly. Cet EPR2 reprend une grande partie des organes de l'EPR1 comme la cuve qui pose pourtant toujours des problèmes de flux hydrauliques. Ceci interroge sur la fiabilité de ce futur réacteur.

La commission d'enquête préconise de ne pas exclure de reprendre la technologie N4 en la modernisant, ou comment faire du neuf avec du vieux. Cela reviendrait à faire un EPR3 car il s'agit de se mettre au niveau des normes de sécurité actuelles. On peut imaginer les délais !

Nous constatons que de nombreuses ombres planent sur cette filière, qui n'a rien résolu des problèmes du nucléaire. La question du combustible n'a jamais été aussi prégnante avec l'abandon de l'approvisionnement nigérien et le potentiel développement de nouveaux réacteurs dans le monde. La tension sur le minerai risque d'être forte dans 3 à 4 décennies, soit quelques années après la mise en service des EPR2.

Le coût d'un réacteur sera supérieur à 10 milliards d'euros, la facture dépendra grandement du financement. Le risque industriel sera porté par l'Etat pourtant déjà lourdement endetté. Le montage financier semble très incertain dans un contexte de forte fluctuation du prix du MWh. Comment financer le nouveau nucléaire alors que le MWh issu des EnR est beaucoup plus compétitif ?

Le réseau, un enjeu majeur

Le réseau de transport haute tension comme le réseau de distribution vont mobiliser de lourds investissements publics dans les décennies à venir. Le réseau est vieillissant, il doit être rénové et de plus il doit être adapté à l'électrification de nouveaux secteurs : véhicules électriques, pompes à chaleur, décarbonation de l'industrie. Ces éléments indispensables quel que soit le mix énergétique représentent une part importante des investissements nécessaires. De plus, le déploiement massif des productions renouvelables, par essence diffuses, nécessite des raccordements et le renforcement des interconnexions. Il s'agit ici d'optimiser sans pour autant retomber dans de très grosses unités de production. La question des équilibres territoriaux et celle de l'acceptabilité invitent à la planification et la rationalisation.

Une part plus importante de la facture consacrée au financement des réseaux semble inéluctable, elle devra être portée par les plus gros consommateurs.

Le coût de l'électricité

Le coût de production est un paramètre, mais il est nécessaire de toujours réfléchir en termes de coût système englobant production, stockage, flexibilité et réseaux. Les coûts complets annualisés peuvent être sensiblement plus élevés dans un scénario 100% renouvelable mais cela reste à confirmer sur le long terme. Nous estimons que c'est le coût de la responsabilité et de la sécurité s'inscrivant dans la démarche consommer moins mais vivre mieux.

Améliorer la gouvernance de l'Europe de l'électricité pour plus de solidarité

L'organisation actuelle du marché de l'électricité, bien essentiel et pilier de la transition énergétique, n'est pas satisfaisante. Elle protège insuffisamment les consommateurs vulnérables et ne permet pas aux États membres d'atteindre leurs objectifs politiques de décarbonation, le dogme de la concurrence montrant ses limites pour un secteur aussi stratégique. L'électricité devrait être accessible à toutes et tous, et les choix la concernant être le fruit de délibérations démocratiques.

Une évolution des directives européennes est nécessaire pour permettre aux États membres de mieux maîtriser leur mix électrique et le service offert aux consommateurs en les protégeant, tout en préservant l'optimisation de la rencontre entre l'offre et la demande électrique à la maille européenne, indispensable pour éviter le blackout.

Le modèle en place, dans lequel les investissements publics sont mis au service d'un marché en partie privé, combiné à la lenteur et l'insuffisance des investissements dans les renouvelables et les réseaux, ne permet pas d'atteindre les objectifs d'une politique énergétique, à savoir : garantir le droit à la subsistance, garantir le droit à une énergie accessible dans le respect des limites planétaires, respecter les objectifs climatiques onusiens. L'atteinte de ces objectifs passe notamment par :

-une démarche individuelle et collective de sobriété juste, dans laquelle s'envisagent le principe des premiers kWh gratuits et le plafonnement des consommations excessives ;

-la réalisation d'installations de production d'énergie renouvelable et des réseaux associés.

Il convient de réfléchir à construire un signal prix de long terme à adresser aux consommateurs d'électricité. Le modèle en place entretient un flou en termes de responsabilités entre les États, l'Union européenne et les acteurs privés qui sont censés investir en fonction des opportunités économiques. Ce flou de responsabilité et la construction actuelle des prix ne permettent ni aux producteurs d'avoir une vision à long terme des opportunités, ni aux consommateurs d'être protégés de fluctuations importantes des prix et du développement de rentes par les acteurs privés intégrés dans le marché.

Les défis techniques de l'intégration d'électricité produite à partir des énergies renouvelables impliquent une coordination d'investissements, de choix techniques, de choix de production (comme les coopératives d'énergie ou de production par les particuliers), de pratiques de consommations qui supposent des interventions publiques accrues sur le marché.

Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires défend une évolution des règles européennes pour permettre une réelle subsidiarité entre les États membres et l'Union européenne concernant les décisions relatives au mix électrique tout en préservant les mécanismes d'optimisation entre l'offre et la demande à l'échelle européenne.

Conclusion

En juillet 2012, la commission d'enquête sur « le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques », à l'initiative du groupe écologiste, rendait son rapport.

Douze ans après, les conclusions d'alors, malheureusement peu suivies d'effets, montrent que l'on en est resté au même point :

« - l'ère de l'énergie électrique à relativement bon marché est révolue, par suite de besoins d'investissement massifs, tant pour le renouvellement de notre parc de production que pour l'adaptation du réseau ;

- le financement de la transition vers un nouveau modèle décentralisé privilégiant sécurité et efficacité énergétique - quelles qu'en soient les modalités - devrait passer par une politique de vérité des coûts et donc des prix qu'il n'est plus possible de différer et pour laquelle il convient de définir les mesures d'accompagnement qui en sont la condition de l'acceptabilité sociale. »

A ce jour, le modèle électrique français reste fragile, nous l'avons constaté avec la panne générique sur les centrales liée à la corrosion sous contrainte. Un système de production 100% renouvelable et durable, moins coûteux pour le consommateur est possible. Il implique une autre conception de la société, des citoyens responsabilisés des collectivités territoriales mobilisées et une forte implication de la puissance publique. Ce scénario nous libérera de notre dépendance envers les pays producteurs de pétrole, de gaz et d'uranium tout en assurant un haut niveau d'exigence en termes de sécurité d'approvisionnement.

Nous regrettons que ce rapport n'ait pas permis d'apporter une vision d'ensemble des nombreux enjeux à l'électricité en particulier ses interactions avec les modes de consommation et déplorons fortement que le parti pris pour l'énergie nucléaire ait en quelques sortes réduit à la portion congrue les auditions d'acteurs portant des alternatives crédibles. C'est pourquoi, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, par la voix de Daniel Salmon, a voté contre ce rapport.

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