B. D'ICI À 2050, LA SATISFACTION DE NOS BESOINS ÉLECTRIQUES SERA PRINCIPALEMENT ASSURÉE PAR LA RELANCE DE L'INDUSTRIE NUCLÉAIRE

1. Faire de la flexibilité le coeur du fonctionnement du système électrique

À la suite des difficultés d'approvisionnement en électricité lors des deux derniers hivers, la question d'éventuelles défaillances des systèmes électriques en Europe et en particulier en France est revenue sur le devant de la scène, alors qu'elle avait quasiment disparue. La transformation du système électrique en cours doit entraîner un renouvellement de la réflexion sur la question de la sécurité d'approvisionnement et des flexibilités utiles au système électrique dans son ensemble. La commission recommande que le Parlement soit associé à ces réflexions.

La France a été pionnière avec la politique d'effacement de consommation liée au positionnement de la recharge des ballons électriques sur les heures creuses nocturnes. Développer une flexibilité plus large de la demande est souhaitable et le potentiel estimé est d'environ 15 GW en 2030, voire 20 GW en 2033/2035. Cette flexibilité de la demande contribue à la sécurité d'approvisionnement, à la baisse du recours à des moyens de production carbonés à la pointe mais suppose une politique volontariste d'installation d'équipements de pilotage de la consommation qui aident à la réalisation d'économies pour les particuliers.

La commission d'enquête estime nécessaire de faire évoluer les tarifs réglementés de l'électricité pour qu'ils soient plus incitatifs à la flexibilité. Pour permettre un pilotage intelligent de la consommation électrique profitable au système électrique comme au consommateur, la commission recommande de passer à une collecte automatique, sauf opposition du client, de la courbe de charge des compteurs, c'est-à-dire de la consommation et son enregistrement dans le système d'information du gestionnaire de réseau de distribution. Enfin, il est aussi nécessaire de reconnaître cette flexibilité, à la hausse comme à la baisse, dans le code de l'énergie, qui ne mentionne jusqu'alors que les effacements.

Le stockage et la flexibilité de l'offre de production constituent également des éléments clés mais trop souvent négligés de notre sécurité d'approvisionnement. Les seuls moyens de stockage véritablement efficaces aujourd'hui sont les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP). Malheureusement, leurs perspectives de développement sont entravées par le précontentieux avec la Commission européenne lié aux concessions hydroélectriques ainsi que par la fragilité de leur modèle économique. Il est impératif que ces deux problématiques soient résolues pour libérer ce potentiel.

Pour garantir la sécurité d'approvisionnement nationale, la commission d'enquête estime indispensable de maintenir les capacités de production thermiques actuelles. Par ailleurs, compte-tenu de l'insuffisance maturité des filières thermiques décarbonées, et si la construction de nouvelles centrales fonctionnant au gaz naturel ne doit être qu'une solution de dernier recours en cas de risque avéré pesant sur notre sécurité d'approvisionnement, la commission d'enquête considère qu'il serait imprudent de se priver de cette possibilité.

2. D'ici 2035, la prolongation optimisée du parc nucléaire accompagnera un déploiement ambitieux mais réaliste et efficient de capacités renouvelables
 
 
 

investissements dans le cadre du programme « grand carénage »

objectif de production du parc nucléaire historique à horizon 2030

coût annoncé de la construction des 6 premiers EPR2 du programme de nouveau nucléaire

La prolongation du parc nucléaire en exploitation jusqu'à 60 ans est un enjeu crucial à l'horizon 2035. L'intérêt économique de cette prolongation ne fait aucun doute. Son coût, entre 30 et 40 euros par MWh, est inférieur à toute autre filière de production. Par ailleurs, des études récentes et des exemples internationaux démontrent que techniquement comme en termes de sûreté cette hypothèse est très vraisemblable. La prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs de 900 MW jusqu'à 50 ans est par ailleurs déjà bien engagée grâce aux opérations réalisées dans le cadre du programme de « grand carénage ». La prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels ne peut s'envisager cependant sans une optimisation significative de leur performance. Celle-ci passera par une meilleure maîtrise des phases de maintenance ou encore par une augmentation de la puissance et un allongement du cycle de rechargement de certains réacteurs.

D'ici à 2035, le développement des moyens de production renouvelables s'avère également incontournable pour augmenter, en toute sécurité et de façon décarbonée, la production nationale électrique. La commission d'enquête estime que ce développement doit s'appuyer sur une répartition équilibrée entre les différentes technologies, en privilégiant les avancées technologiques et une implantation plus optimale sur l'ensemble du territoire. Il doit aussi tenir compte des différents usages du sol et garantir la préservation des paysages et du patrimoine bâti. Un déploiement raisonnable et équilibré de ces énergies renouvelables doit ainsi guider la décision publique. Dans ce cadre, les installations photovoltaïques et éoliennes devraient continuer à se déployer. Toutefois le parc éolien terrestre pourrait connaître un ralentissement de son étalement en raison des avancées technologiques permettant d'augmenter la puissance par mât. La commission d'enquête considère que l'éolien en mer constitue un pari risqué, compte tenu des coûts réels de ces technologies, de leurs difficultés d'acceptabilité et de la faible maturité technique de l'éolien flottant. Les objectifs très ambitieux qui ont été affichés par le discours de Belfort ne pourront du reste pas être tenus.

Le développement de l'énergie hydraulique, énergie maîtrisée, rentable et décarbonée, dépend aujourd'hui de la résolution du conflit, qui dure depuis plus de quinze ans, avec la Commission européenne concernant le régime juridique des concessions hydroélectriques. Après avoir assuré, en 2008, à la Commission européenne qu'elles procéderaient à une mise en concurrence des concessions arrivées à échéance, les autorités françaises ont refusé cette option. La Commission européenne a mis en demeure la France, en 2015 et 2019, de mettre fin à cette situation. Depuis, les gouvernements successifs ont exploré plusieurs pistes afin de soustraire le renouvellement des concessions hydroélectriques à l'obligation de mise en concurrence, la dernière en date étant celle du passage vers un régime d'autorisation, sans que cela ne débouche sur aucun résultat concret. La commission d'enquête constate que les marges de manoeuvres pour parvenir à une résolution du conflit et échapper à la mise en concurrence sont étroites mais qu'il y a urgence à régler ce différend. C'est pourquoi elle demande la création d'une commission composée de représentants de l'État, de représentants d'EDF et autres concessionnaires et des acteurs de la filière, d'experts notamment en droit et de parlementaires afin d'étudier les solutions qui pourraient être présentées à la Commission européenne.

Au total, à l'horizon 2035, le scénario de mix de production retenu par la commission, composé à 60 % par la filière nucléaire, permettrait de couvrir l'augmentation attendue de la consommation avec une marge suffisante susceptible de contribuer à la sécurité d'approvisionnement et de maintenir un solde exportateur.

Comparaison de la production et de la consommation annuelles à horizon 2035 dans le scenario de la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

3. À l'horizon 2050, prolonger les centrales actuelles au-delà de 60 ans et construire 14 nouveaux réacteurs

Il est nécessaire de prolonger au-delà de 60 ans, dans le respect strict des normes de sûreté, un maximum de réacteurs du parc nucléaire actuel. Cette perspective repose essentiellement sur la maîtrise des conditions de vieillissement des composants irremplaçables d'une centrale que sont la cuve et son enceinte de confinement. Des exemples étrangers permettent d'envisager très sérieusement cette perspective qui fait l'objet de recherches approfondies d'EDF et du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

La commission d'enquête juge également incontournable la construction dans des conditions économiques optimisées d'un nouveau parc nucléaire de 14 réacteurs. Pour se prémunir des mésaventures passées, et alors que l'estimation du coût de construction des 6 premiers réacteurs a déjà été réévaluée de 30 % au printemps 2024, aucun effort ne doit être ménagé pour assurer la maîtrise industrielle du projet. À ce titre, la revue de maturité du programme en cours revêt une importance décisive. Par ailleurs, et dans la mesure où le montant total d'un programme de ce type repose largement sur ses coûts de financement, la commission d'enquête recommande de concevoir un modèle économique sécurisant permettant de réduire le prix de l'électricité qui sera délivrée par les nouveaux réacteurs. Ce modèle de financement impliquera une participation publique ainsi que des rémunérations garanties à EDF pendant les phases de construction et d'exploitation.

En fonction de différentes hypothèses liées, d'une part, au nombre de réacteurs qui pourront être prolongés au-delà de 60 ans3(*) et, d'autre part, au calendrier de déploiement du programme de nouveau nucléaire4(*), le mix de production national résultant des scénarios étudiés par la commission d'enquête5(*) produirait entre 700 et 850 TWh en 2050. Entre 52 % et 61 % seraient assurés par des moyens nucléaires. Sous toutes réserves compte-tenu de l'horizon lointain envisagé, il permettrait de couvrir la courbe d'évolution de la consommation telle qu'elle peut être estimée aujourd'hui.

Comparaison de la production et de la consommation annuelles à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

4. Relancer d'urgence la quatrième génération de réacteurs nucléaires

La commission d'enquête alerte sur un sujet trop peu évoqué, celui du risque de raréfaction de l'uranium naturel à une échéance assez rapprochée. Selon les hypothèses de déploiement de l'énergie nucléaire civile dans le monde, qui doit être massif pour permettre la décarbonation, l'uranium peut se raréfier autour des années 2060. Dans le scenario présenté à la COP 28 d'un triplement mondial de la capacité nucléaire mondiale d'ici 2050, les réserves identifiées à 260 $ le kg pourraient être épuisées autour de 2070, les réserves identifiées à 130 $/kg pourraient l'être un peu après 2060 et les réserves « raisonnablement assurées » un peu après 2055.

La voie d'avenir pour une électricité décarbonée, durable et souveraine, au-delà de 2050 est dans ce cadre constituée par la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Ces RNR, qui produisent moins de déchets ultimes en consommant le plutonium, permettraient à la France de disposer d'une énergie nucléaire pour des centaines d'années, compte tenu notamment de leur capacité à utiliser l'uranium appauvri dont la France détient des stocks considérables. Mais pour être en capacité de lancer le déploiement d'un parc RNR à cet horizon, qui exige environ 30 ans, il faut dès à présent reprendre les recherches qui ont été pratiquement bloquées en 2018 (arrêt du programme Astrid) dans le cadre de décisions politiques à courte vue. Par ailleurs, pour être en capacité de démarrer un parc de RNR, la France doit préserver son stock de plutonium. Il en résulte que le projet de multirecyclage dans les réacteurs classiques à eau pressurisée (Multirecyclage en REP) qui risque d'entamer significativement notre stock de plutonium et de mobiliser des ressources financières indispensables ne semble pas pertinent à la commission d'enquête.


* 3 Les hypothèses dites 1, 2 et 3 anticipent respectivement une prolongation de l'ensemble des réacteurs du parc actuel au-delà de 60 ans, de deux réacteurs sur trois et d'un réacteur sur deux.

* 4 L'hypothèse dite A prévoit une première mise en service dès 2036 permettant de disposer de 14 nouveaux réacteurs en fonctionnement à l'horizon 2050. L'hypothèse dite B retient quant à elle une première mise en service en 2038 pour 12 réacteurs en fonctionnement en 2050.

* 5 Ces 6 scenarios sont des combinaisons des hypothèses (1, 2 et 3) relatives à la prolongation des réacteurs actuels et de celles (A et B) liées au rythme de mise en service du nouveau parc de réacteurs.

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