C. 2022-2024 : LES PROJECTIONS DE CONSOMMATION ÉLECTRIQUE SE PRÉCISENT À HORIZON 2035

Dès la publication des Futurs énergétiques 2050, RTE avait signalé que l'exercice avait vocation à être complété par une analyse centrée sur le passage du cap de 2035.

Seulement deux ans après les Futurs énergétiques 2050, le contexte a largement changé sur plusieurs points : guerre en Ukraine, crise énergétique, durcissement des ambitions environnementales, etc. Il en résulte une évolution nécessaire de la prévision à horizon 2035 ainsi qu'une actualisation de la vision pour 2050.

1. Un contexte qui a fortement évolué et qui impacte les projections

L'actualisation des trajectoires d'évolution est liée à une évolution de contexte par rapport à la période 2019-2021 qui était celle de l'élaboration des Futurs énergétiques 2050.

Globalement, trois grandes évolutions ont eu lieu depuis 2021 qui ont entrainées cette actualisation des trajectoires d'évolution de la demande d'électricité.

Premièrement, elle découle d'ambitions réaffirmées et renforcées en matière de politique énergétique et climatique au niveau européen.

Deuxièmement, elle s'inscrit dans une évolution défavorable du contexte international qui a conduit la France, comme d'autres pays européens, à reprendre sa réflexion sur sa dépendance énergétique et la souveraineté de ses approvisionnements. L'invasion de l'Ukraine par la Russie, suivie d'une vague de sanctions contre ce pays, et l'insécurité relative à l'approvisionnement en gaz, a changé la donne pour les pays européens. Plus largement, l'exacerbation de la concurrence internationale et de la compétition pour la sécurisation des approvisionnements énergétiques (minerais, terres rares, ...), le contrôle des flux de transports et la maitrises des technologies de, et technologiques entraînent des risques de frictions accrus. La montée du protectionnisme et de la défiance entre grandes puissances (Chine, Etats-Unis, ...) accroît les risques de dépendance énergétique.

Troisièmement, la France a connu une inflexion des décisions du pouvoir politique en matière énergétique. D'une part, le discours sur la politique de l'énergie tenu à Belfort le 10 février 2022 par le président de la République fixe une orientation en termes d'offre et de production d'électricité. La vision en matière de prévision de consommation est désormais : « le deuxième chantier structurant, chantier du siècle si je puis dire (...) est de produire davantage d'électricité décarbonée (...). Je reprends les chiffres qui ont été produits par nos experts, nous devrons être en mesure de produire jusqu'à 60 % d'électricité en plus qu'aujourd'hui (...) nous aurons besoin de produire beaucoup plus d'électricité. ». Il faut noter que cette croissance de 60 % de 2019 à 2050 est bien supérieure à cette retenue par la SNBC qui est de 40 %.

Quel est le scénario des Futurs énergétiques 2050 le plus proche du discours de Belfort ?

Le discours de Belfort, prononcé par le président de la République, semble s'appuyer sur les éléments suivants des Futurs énergétiques 2050 :

- le scénario « réindustrialisation profonde » pour la consommation (environ + 60 %).

- le scénario N03 pour le nucléaire (prolongation des réacteurs existants ; construction de 6 + 8 nouveaux EPR 2 d'ici 2050 ; développement des SMR)

- le scénario N02 pour ce qui concerne les énergies renouvelables

Il intègre également un choix politique sur les renouvelables qui se concrétise par plus d'éolien en mer et de solaire et moins d'éolien terrestre.

Source : Commission d'enquête

D'autre part, l'ambition de réindustrialiser le pays prend un tour renforcé avec les enjeux de souveraineté économique. Dans la droite ligne du plan France relance de 2021, le plan d'investissement France 2030 est doté de 54 milliards d'euros. Ce plan poursuit la stratégie du Gouvernement en faveur de l'investissement, de l'innovation et de la réindustrialisation. Il doit permettre de rattraper le retard de la France dans certains secteurs historiques. Il vise aussi la création de nouvelles filières industrielles et technologiques.

Ces orientations nouvelles se déclinent notamment avec deux lois.

La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui vise notamment, à faciliter l'instruction des projets EnR, sécuriser ces projets face aux risques de recours, permettre leur réalisation en priorité sur les terrains déjà artificialisés.

La loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Cette loi facilite les procédures administratives pour accélérer la construction de nouveaux réacteurs de type EPR2, prévus sur des sites nucléaires existants. Plusieurs dispositions traitent aussi de la planification énergétique, de la prolongation des vieilles centrales et des sûreté et sécurité nucléaires. Cette loi supprime ainsi l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2035, de même que le plafonnement de la capacité de production nucléaire à 63,2 gigawatts310(*). Là encore, pour accélérer les projets de réacteurs EPR2, y compris de SMR, et certains projets d'entreposage de combustibles, les procédures sont temporairement simplifiées.

Enfin, les travaux sur la planification écologique ont livré leurs premiers enseignements, dont la révision à la baisse des puits de carbone et du volume de biomasse disponible pour décarboner l'économie française, ce qui renforce mécaniquement le besoin d'électrification et d'économies d'énergie pour respecter les objectifs climatiques.

2. L'actualisation des prévisions de RTE à horizon 2035 à travers le bilan prévisionnel 2023

Le Bilan prévisionnel 2023 : une projection à horizon 2035, complémentaire aux Futurs énergétiques 2050

Le code de l'énergie, dans son article L141-8, dispose que le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité établit chaque année un bilan électrique national qui couvre l'année précédant la date de sa publication et un bilan prévisionnel pluriannuel évaluant le système électrique sur une période minimale de cinq ans311(*).

À ce titre, RTE a publié fin septembre 2023, le Bilan prévisionnel 2023 qui « enrichit, complète et actualise » la première période de la trajectoire de transformation du système énergétique français jusqu'à la neutralité carbone. Cette mise à jour intervient dans un contexte qui a fortement évolué depuis 2021.

Source : Commission d'enquête

Le Bilan prévisionnel 2023 actualise donc et complète les Futurs énergétiques 2050 de 2021 compte tenu de l'évolution des objectifs publics, à savoir une décarbonation plus rapide et une réindustrialisation affirmée, et du contexte géopolitique et macroéconomique. Le Bilan prévisionnel 2023 se consacre à la « première marche » de la transition que constitue l'échéance 2030/2035. RTE insiste sur le fait que « tous les éléments de contexte évoqués précédemment tendent dans le même sens : la nécessité d'une transformation plus rapide du secteur électrique, à la fois au nom de l'impératif climatique de long terme et du besoin de renforcer sa souveraineté énergétique. »

Les nouvelles projections de consommation annuelle d'électricité s'échelonnent entre 580 et 640 TWh d'ici à 2035. Pour mémoire, le scénario de référence des Futurs énergétiques estimait ce niveau à 540 TWh pour 2030 (pas de prévision 2035) et 567 TWh en 2040.

Ainsi, selon le Bilan prévisionnel, la consommation électrique devrait bondir de 25 à 40 % en l'espace de 12 ans ce qui est un changement considérable et remettrait la France sur le rythme soutenu des années 1980.

Les courbes ci-dessous permettent de comparer les trajectoires d'évolution de la demande entre les deux études.

Comparaison des trajectoires d'évolution de la consommation d'électricité dans le Bilan prévisionnel 2023 et les Futurs énergétiques 2050

Source RTE 312(*)

Scénarios étudiés par RTE

Source : RTE313(*)

3. Évolutions du Bilan prévisionnel 2023 par rapport aux Futurs énergétiques 2050

Comme nous venons de le voir, le Bilan prévisionnel 2023 tient compte d'évolutions majeures depuis la publication de l'étude des Futurs énergétiques 2050. Sans rendre obsolète l'étude précédente, il intègre un nouveau contexte qui a un impact important sur la trajectoire de long terme.

Trois points essentiels peuvent être mentionnés.

Premièrement, la nécessité d'une transformation plus rapide du secteur électrique d'ici 2035, à la fois au nom de l'impératif climatique de long terme et du besoin de renforcer sa souveraineté énergétique. D'après le Bilan prévisionnel 2023, les projections de la consommation électrique devraient être comprises entre 580 et 640 TWh d'ici 2035. Si l'on retient la trajectoire médiane à l'horizon 2035, soit 615 TWh, cela entraînerait une progression annuelle de 3 % sur la base de la consommation constatée en 2023 soit 445 TWh. Pour mémoire, les Futurs énergétiques 2050 envisageaient un rythme de croissance d'environ 1 % par an sur la période 2020 - 2050.

Deuxièmement, le gisement de biomasse considéré dans les Futurs énergétiques 2050 a été revu à la baisse pour tenir compte d'une perspective plus conforme à la réalité. Comme l'indique le Bilan prévisionnel 2023, « l'un des traits distinctifs de la SNBC réside dans le pari d'une très forte croissance de la mobilisation de la biomasse pour la production d'énergie, qui serait multipliée par 2,5 par rapport à aujourd'hui ». Pour rappel, la Stratégie nationale bas-carbone prévoit un potentiel énergétique de production en biomasse atteignant 430 TWh en 2050, dont 250 TWh pour la biomasse agricole. En 2021, France Stratégie estimait même la ressource plutôt aux alentours de 350 TWh/an314(*). La biomasse agricole actuellement mobilisée pour des usages énergétiques, tels que la combustion, la méthanisation ou l'usage de biocarburants, représente actuellement moins de 40 TWh.

France stratégie rappelle qu'en tenant compte des disponibilités additionnelles des gisements existants, le potentiel énergétique maximal identifié de la biomasse agricole pourrait, en théorie, atteindre 120 TWh. Or, la SNBC estime un potentiel de production de biomasse agricole proche de 250 TWh. L'objectif mentionné dans les Futurs énergétiques apparaît donc comme irréaliste.

La révision en cours de la Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC) intégrera une révision baissière du puits de carbone et du gisement de biomasse et logiquement une augmentation de la sollicitation du vecteur électrique.

Troisièmement, si la SNBC actuelle table sur une décarbonation quasi complète de la consommation d'énergie à l'horizon 2050, elle considère que celle des transports aériens et maritimes internationaux (appelés « combustibles soutes ») sont difficilement compressibles via de nouveaux carburants. Elle devrait donc passer par des puits de carbone qui n'apparaissent pas dans l'équation électrique.

Thomas Veyrenc soulignait ce point lors de son audition plénière : « il y a encore quelques années, le secteur aérien n'avait pas une feuille de route très claire sur sa stratégie de décarbonation. Puis il a privilégié l'utilisation de vecteurs énergétiques issus de la biomasse. Aujourd'hui (...) étant donné que l'évolution du débat sur le multi-énergie nous a plutôt conduit, ces derniers temps, à réévaluer à la hausse la part relative de l'électricité par rapport à la biomasse, un grand nombre de transporteurs aériens sont venus nous dire que si le volume de biomasse se révèle insuffisant, le secteur aérien utiliserait dans la mesure du possible des électrocarburants ou e-kérosènes. Or la production de ces électrocarburants, sans changement de la trajectoire projetée sur l'évolution du trafic aérien, nécessiterait à terme une très importante production supplémentaire d'électricité. Si ces électrocarburants devaient être produits en France, les quantités d'électricité nécessaires seraient à l'horizon de 2040-2050 plus élevées que ce que nous avons écrit dans les Futurs énergétiques 2050 »315(*).

À la suite du paquet Fit for 55 et des règlements « ReFuelEU Aviation »316(*) et « FuelEU Maritime »317(*), les transports aériens et maritimes ont donc des objectifs d'incorporation de carburants bas carbone.

Le règlement « ReFuelEU Aviation » prévoit notamment l'obligation pour les fournisseurs de carburant d'aviation de veiller à ce que tout le carburant mis à la disposition des exploitants d'aéronefs dans les aéroports de l'Union contienne une part minimale de carburants durables d'aviation à partir de 2025 et, à partir de 2030, une part minimale de carburants de synthèse, ces parts augmentant progressivement318(*) jusqu'en 2050.

Réglementation ReFuelEU Aviation 

Source : Conseil de l'Union européenne, site internet319(*)

En intégrant les nouvelles règles qui s'appliquent aux énergies utilisées par les transports aériens et maritimes internationaux, RTE estime, dans la trajectoire référence du Bilan prévisionnel 2023, que ces secteurs représenteront 17 TWh pour l'aérien et 6 TWh pour le maritime à l'horizon 2035. Pour ces nouveaux usages, le besoin en électricité est estimé en 2050 entre 44 TWh et 175 TWh par l'Ademe320(*).

Le rapporteur attire l'attention sur ces éléments d'actualisation issus du Bilan prévisionnel 2023. Ces trois éléments peuvent laisser penser que la trajectoire d'électrification sera plus forte que celle décrite dans les Futurs énergétiques 2050.


* 310 Ces objectifs de réduction de la part du nucléaire avaient été insérés dans le code de l'énergie par la loi du 17 août 2015 avec une échéance à 2025, portée à 2035 par la loi énergie-climat du 8 novembre 2019.

* 311 Ces bilans présentent notamment les évolutions de la consommation, en fonction notamment des actions de sobriété, d'efficacité et de substitution d'usages, des capacités de production par filière, des capacités d'effacement de consommation, des capacités de transport et de distribution et des échanges avec les réseaux électriques étrangers. »

* 312 Bilan prévisionnel 2023, chapitre consommation, p.13

* 313 RTE, Bilan prévisionnel 2023.

* 314 https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-ns_-_biomasse_agricole_-_quelles_ressources_pour_quel_potentiel_-_29-07-21.pdf

* 315 Table ronde du 1er février 2024.

* 316 Règlement (UE) 2023/2405 du parlement européen et du conseil, octobre 2023, relatif à l'instauration d'une égalité des conditions de concurrence pour un secteur du transport aérien durable (ReFuelEU Aviation) - https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:L_202302405

* 317 Règlement (UE) 2023/2405 du parlement européen et du conseil, octobre 2023, règlement du parlement européen et du conseil relatif à l'utilisation de carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime et modifiant la directive 2009/16/ -

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021PC0562&from=SV

* 318 Les fournisseurs de carburants devront intégrer 2 % de CDA en 2025, 6 % en 2030 et 70 % en 2050. D'autre part, à partir de 2030, 1,2 % des carburants devront être des carburants de synthèse, et cette part devra être portée à 35 % en 2050.

* 319 https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/fit-for-55-refueleu-and-fueleu/

* 320 https://librairie.ademe.fr/mobilite-et-transport/6680-electro-carburants-en-2050-quels-besoins-en-electricite-et-co2-.html

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