B. LA STRATÉGIE DU GROUPE TOTALENERGIES POUR ATTEINDRE L'OBJECTIF DE « ZÉRO ÉMISSION »

1. Le bilan carbone en 2023

Le groupe TotalEnergies rend compte de ses émissions de GES, qu'ils s'agissent de ses émissions directes (scopes 1 et 2) ou de ses émissions indirectes (scope 3).

Dans sa réponse écrite transmise à la commission d'enquête, il a précisé le niveau de ces émissions à date, pour la France et dans le monde.

Les émissions mondiales des scope 1 et 2 du groupe ont atteint 35 mégatonnes d'équivalent en dioxyde de carbone (MtCO2e) sur son périmètre opéré et 49 MtCO2e sur son périmètre patrimonial en 2023. En France, les émissions des scopes 1 et 2 du groupe se sont élevées à 8,7 MtCO2e la même année.

Source : TotalEnergies

Les émissions mondiales du scope 3 du groupe pour la catégorie 11 sur l'utilisation des produits énergétiques vendus ont représenté 355 MtCO2e en 2023.

Source : TotalEnergies

Le groupe a précisé calculer ces émissions indirectes en prenant en compte « le volume le plus élevé entre la production, le secteur intermédiaire, et les ventes pour usage final. »

Source : TotalEnergies

Aux émissions mondiales du scope 3 du groupe sur la catégorie 11 sur l'utilisation des produits énergétiques vendus doivent être ajoutées celles des autres catégories, qui ont représenté au moins 61 MtCO2e en 2023.

Source : TotalEnergies

2. La stratégie de transition en 2030 et 2050

Le groupe TotalEnergies a présenté une stratégie de transition dénommée, « Vision Net Zéro en 2050 » ; elle est détaillée dans son Sustainabily & Climate 2024 Progress Report252(*), publié le 10 mars 2024.

Dans sa réponse écrite transmise à la commission d'enquête, comprenant des extraits de ce rapport, il a précisé l'évolution de son mix de vente et de production aux horizons 2030 et 2050, pour la France et dans le monde.

Pour 2030, l'objectif est d'atteindre un mix de vente composé de 30 % de pétrole, 50 % de gaz et 20 % d'électricité. Cela correspondrait à une production de 40 % de pétrole, 40 % de gaz, 13 % d'électricité renouvelable, 5 % d'électricité autre et 2 % de bioénergies et d'hydrogène. Le groupe entend « augmenter [sa] production d'énergie (pétrole, gaz et électricité) globalement de 4 % par an entre 2023 et 2030, tout en en réduisant les émissions (Scope 1+ 2 et méthane) de [ses] sites opérés »253(*). Il a précisé développer, d'ici 2030, une capacité de carburants d'aviation durables de 1,5 Mt / an, une capacité de stockage de 10 Mt CO2 / an, un appel d'offres d'hydrogène renouvelable de 0,5 Mt, une production d'électricité renouvelable de 100 TWh et une production de biométhane de 10 TWh. Il entend devenir l'un des 5 plus importants développeurs éolien et solaire au monde - hors Chine -, accélérer le développement des bornes de recharge électrique et développer des stations de recharge hydrogène. À l'occasion de son audition, le P-DG du groupe TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a également évoqué un appui possible du groupe à la relance française de l'énergie nucléaire sous la forme de contrats de longue durée pour l'achat d'électricité nucléaire à EDF.

Source : TotalEnergies

Pour 2050, l'objectif est d'atteindre un mix de vente constitué de 25 % de molécules bas-carbone, 50 % de renouvelables et d'électricité, 18 % de GNL et de gaz et 7 % de pétrole. En 2050, cela correspondrait à une production d'électricité de 500 TWh/an, de molécules bas-carbone de 50 Mt/an et d'hydrocarbures d'1 Mb/j, dont 0,7 Mb/j pour le GNL et 0,2 à 0,3 Mb/j pour le pétrole. Ces molécules bas-carbone englobent les biocarburants, le biogaz, l'hydrogène et les e-carburants ou e-gaz.

Source : TotalEnergies

3. Le bilan carbone de TotalEnergies en 2030 et 2050

Le groupe TotalEnergies a présenté une évolution de ses émissions de GES (scope 1, 2 et 3) et son intensité carbone aux horizons 2030 et 2050.

Dans sa réponse écrite transmise à la commission d'enquête, comprenant ici aussi des extraits du rapport susmentionné, il a précisé l'évolution de ses scopes 1, 2 et 3 aux horizons 2030 et 2050, pour le monde dont la France.

Pour 2030, le groupe a pour objectifs une baisse, par rapport à 2015, de 40 % de ses émissions des scopes 1 et 2 sur le périmètre opéré, de 40 % de ses émissions du scope 3 sur l'utilisation des produits pétroliers vendus et de 25 % de l'intensité carbone du cycle de vie des produits énergétiques vendus. Il a également pour objectifs de réduire ses émissions de méthane sur le périmètre opéré de 80 % par rapport à 2020, ainsi que ses émissions des scopes 1 et 2 aux bornes de Feyzin, Normandie, Donges, La Mède et Grandpuits de plus de 50 %. Il a ajouté viser un scope 3 de la catégorie 11 sur l'utilisation des produits énergétiques vendus « inférieur à 400 MtCO2e en 2025 et 2030 tout en augmentant les ventes d'énergie ». Il a précisé avoir atteint, en 2023, une baisse de 24 % de ses émissions des scopes 1 et 2 par rapport à 2015, de 13 % de l'intensité carbone du cycle de vie des produits énergétiques vendus par rapport à la même année et de 47 % de ses émissions de méthane sur le périmètre opéré par rapport à 2020.

Source : TotalEnergies

Pour 2050, le groupe a pour objectifs une compensation de 10 MtCO2e/an par la nature, s'agissant des émissions de ses scopes 1 et 2 sur le périmètre opéré, et de 100 MtCO2e/an par des solutions d'utilisation ou de captage et de stockage du carbone, s'agissant des émissions de son scope 3 pour la catégorie 11 sur l'utilisation des produits énergétiques vendus. Il prévoit également que l'intensité carbone en cycle de vie des produits énergétiques vendus atteigne 100 %.

Source : TotalEnergies

4. Les doutes concernant le bilan carbone et la stratégie de décarbonation de TotalEnergies

Plusieurs personnalités institutionnelles ou associatives ont fait part à la commission d'enquête de critiques ou, à tout le moins, de commentaires, s'agissant du bilan carbone et, plus largement, de la stratégie de décarbonation, du groupe TotalEnergies.

Tout d'abord, Sylvain Waserman, président de l'Ademe, a rappelé l'importance des émissions de scope 3 du groupe, qui sont équivalentes à celles de la France : « L'Ademe collecte les bilans de gaz à effet de serre, que l'entreprise a l'obligation d'établir tous les quatre ans au moins. TotalEnergies est à jour de cette obligation et je commencerai par quelques commentaires sur son bilan d'émissions de gaz à effet de serre. D'abord, les scopes 1 et 2, qui regroupent les activités de raffinage, de production, les installations industrielles à proprement parler, ne représentent que 5 % des émissions, soit 40 millions de tonnes d'après les déclarations du groupe, l'essentiel des émissions relevant du scope 3, c'est-à-dire l'impact des produits vendus, principalement les ventes de carburants - qui représentent 389 millions de tonnes de carbone. L'impact global dépasse donc 400 millions de tonnes, ce qui représente l'équivalent des émissions de carbone de la France. Sur cet ensemble, l'Ademe regarde l'activité de TotalEnergies en France, dans les scopes 1 et 2, donc dans les 5 % des émissions globales de l'entreprise, et c'est dans ce périmètre restreint qu'interviennent nos aides à la décarbonation. Dans son plan de transition énergétique, TotalEnergies entend diminuer de 40 % les scopes 1 et 2, nous l'accompagnons dans cette voie. »

Par ailleurs, plusieurs acteurs ont affirmé que le groupe constitue l'une des entreprises pétrogazières les plus dynamiques. Lou Welgryn, analyste au sein de Carbon4Finance et co-présidente de l'association Data For Good, a rappelé : « TotalEnergies figure dans notre base de données relative aux bombes carbone, impliqué dans vingt-trois projets représentant un potentiel d'émissions combiné de 60 gigatonnes de dioxyde de carbone (CO2) [...] D'après la liste d'Urgewald, TotalEnergies est enfin l'entreprise qui a mené le plus d'activités d'explorations pétrolières dans le monde en 2022. »

Dans le même esprit, Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et ancienne présidente du Giec, a indiqué que « le site climateaccountability.org établit que TotalEnergies fait partie du top 14 des entreprises d'énergies fossiles responsables d'émissions cumulées. ».

De son côté, Laurence Tubiana, membre du Haut conseil pour le climat (HCC) a estimé : « C'est la deuxième entreprise la plus expansionniste dans le secteur des énergies fossiles dans le monde, car elle a un grand nombre de projets d'exploration de nouveaux champs de pétrole et de gaz dans toutes les régions du monde, en Amérique latine, en Asie et en Afrique. C'est la firme qui a approuvé le plus de nouveaux projets pétroliers et gaziers en 2022, en particulier en Ouganda et en Tanzanie. ».

Quant à Lucie Pinson, présidente de Reclaim Finance, elle a précisé : « TotalEnergies est la sixième entreprise mondiale en termes d'expansion à court terme dans les énergies fossiles. Elle est même en tête du classement si l'on s'en tient aux entreprises cotées [...] TotalEnergies est aussi la onzième entreprise mondiale parmi les entreprises développant le plus de nouveaux terminaux d'exportation de gaz naturel liquéfié (GNL). »

Plusieurs acteurs ont aussi rappelé que l'activité du groupe reste centrée sur les énergies fossiles. Lou Welgryn a estimé : « La proportion d'électricité renouvelable produite par TotalEnergies est aujourd'hui d'environ 1 % de son énergie totale. Autrement dit, 99 % de sa production d'énergie repose sur les énergies fossiles. Par ailleurs, les investissements, ou Capex (Capital Expenditures), par opposition aux dépenses de fonctionnement, se situent autour de 25 % pour ce qui concerne le bas-carbone, ce qui veut dire que 75 % des investissements sont toujours liés aux énergies fossiles [...] Le rapport Sustainability & Climate indique que le groupe mettra bien en oeuvre une réduction des produits pétroliers à l'horizon 2030. Celle-ci sera toutefois compensée par la hausse de la vente du GNL qui, bien qu'il soit présenté par TotalEnergies comme une énergie de transition, reste une énergie fossile. »

Dans le même esprit, Laurence Tubiana a indiqué que « TotalEnergies est une très grande entreprise, et 99 % de ses activités de production reposent sur le pétrole et le gaz en 2022. ». Selon Lucie Pinson, « TotalEnergies n'est pas en transition - je le dis d'entrée de jeu. C'est non pas une opinion, mais une affirmation étayée par des arguments scientifiques. Pourquoi ? Il est totalement fondé de parler d'une diversification des activités de TotalEnergies : l'entreprise développe en effet de nouvelles activités, au-delà de la production d'hydrocarbures, notamment dans le segment « Power » ou production d'électricité, qui comprend les énergies renouvelables, également des énergies qualifiées de soutenables. Toutefois, ce segment ne comprend pas que les énergies renouvelables, mais aussi la production d'électricité à partir de gaz. S'il y a bien une diversification, il en faut cependant davantage pour parler de transition. » Un constat proche a été fait par Valérie Masson-Delmontte, pour qui « la diversification des investissements du groupe vers l'électricité bas-carbone, la planification d'une moindre commercialisation de pétrole et la forte hausse des investissements dans le secteur du GNL n'impliquent pas une baisse de ces émissions scope 3 dans le monde - c'est un point sur lequel nous devons rester vigilants. »

L'absence de nette baisse des émissions du scope 3 du groupe a été relevée par plusieurs acteurs. Sylvain Wasemar a ainsi estimé que « l'objectif affiché par TotalEnergies de maintenir à 400 millions de tonnes sa production de carbone à l'horizon 2030 est décevant. » De son côté, Lucie Pinson a précisé : « TotalEnergies ne prévoit de baisser ses émissions de scope 3 - qui représentent la majeure partie de ses émissions - que de 2,5 % entre 2015 et 2030. L'objectif de baisse des émissions est donc presque nul par rapport à l'année de référence de 2015, et est en réalité supérieur au niveau d'émissions de TotalEnergies en 2022 ou en 2023. » Quant à Valérie Masson-Delmotte, elle a indiqué : « En regardant la trajectoire d'investissements présentée par TotalEnergies en septembre dernier, on peut évaluer le niveau de ses émissions scope 3 à environ 400 millions de tonnes, qui est constante entre 2015 et 2030. »

L'absence de pleine compatibilité de la stratégie de décarbonation du groupe avec le scenario NZE, issu des travaux de l'AIE, a aussi été soulignée par plusieurs acteurs. Il en va ainsi de Sylvain Waserman : « TotalEnergies continue à investir dans la prospection et dans de nouveaux projets pétroliers et gaziers, c'est contraire au scénario « net zéro », donc aux objectifs de l'AIE. Ce scénario considère que les sites d'extraction actuels sont suffisants, puisqu'il faut diminuer la consommation d'énergies fossiles. La stratégie de TotalEnergies ne répond donc pas aux objectifs de l'AIE. » Il en va de même de Lou Welgryn : « La projection de la trajectoire de production de gaz et de pétrole de TotalEnergies s'écarte fortement du scénario Net Zero Emission de l'AIE à l'horizon 2030, et les points intermédiaires ne convergent pas non plus. En ce qui concerne les objectifs pour 2050, la projection d'émissions absolues de TotalEnergies correspond au scénario de l'AIE, puisqu'une division par quatre des émissions liées à l'énergie est effectivement prévue. En revanche, les définitions retenues sont très ambiguës et ne sont pas alignées avec les standards de référence. » C'est enfin le cas de Louis Pinson, pour qui : « TotalEnergies n'entend pas réduire sa production d'hydrocarbures dans les prochaines années, contrairement à des entreprises comme BP ou Equinor, qui sont ses concurrents directs. TotalEnergies entend au contraire l'augmenter de 2 % à 3 % par an jusqu'en 2028, ce qui fait de cette entreprise la deuxième major occidentale, européenne et étasunienne, à prévoir une telle hausse, après Eni. Nous sommes donc très loin des projections de l'AIE, dont le scénario visant à limiter le réchauffement à 1,5 degré prévoit une réduction de plus de 21 % de la production de pétrole et de plus de 18 % de la production de gaz d'ici à 2030. »

Enfin, les modalités de compensation du carbone envisagées par la stratégie de décarbonation du groupe ont été critiquées par plusieurs acteurs. Sylvain Waserman a rappelé que « l'entreprise entend recourir à la compensation plutôt qu'à la diminution de son empreinte carbone. » Lou Welgryn a indiqué : « TotalEnergies prévoit notamment d'être  Net Zéro  en 2050. Or, selon les standards de l'initiative Science Based Targets, qui est une référence dans le secteur, une entreprise peut se déclarer  Net Zéro  si, et seulement si, elle a réduit de 90 % ses émissions par rapport à l'année de référence et si les émissions incompressibles restantes ont été éliminées par des solutions de séquestration de carbone. Or les projections de TotalEnergies prévoient une réduction des émissions de seulement 75 %. De plus, la définition des émissions supprimées est très ambiguë car elle inclut l'élimination des émissions restantes grâce à des solutions, non pas d'élimination, mais d'évitement de carbone. » Quant à Valérie Masson-Delmotte, elle a affirmé : « Le groupe TotalEnergies envisage de contrebalancer une partie de ses émissions par l'achat de crédits carbone sur des projets de restauration de forêts, de reforestation ou d'afforestation. Mais regardons les choses en face : on ne peut ignorer l'augmentation de la mortalité des arbres, que ce soit en France ou sous les tropiques. Dans notre pays, rien qu'en 2022, les feux de forêt et les feux de sol dans le Sud-Ouest ont causé un niveau d'émissions très important [...] Le fait d'augmenter le stock de biomasse sur pied n'assure donc pas la pérennité du stockage associé ; les opérations de restauration des forêts ne peuvent donc pas contrebalancer l'élévation du niveau d'émissions polluantes dans l'atmosphère, surtout si la croissance des arbres se traduit ensuite par un retour d'émissions du fait des incendies. »

Les interrogations du ministère de la transition écologique
sur la stratégie de décarbonation de TotalEnergies

Dans sa contribution écrite adressée à la commission d'enquête, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a fait part de ses observations quant au bilan carbone et, au-delà, à la stratégie de décarbonation du groupe TotalEnergies : « TotalEnergies n'a pas fourni d'objectifs de réduction GES en scope 3 sur le périmètre français, malgré l'obligation en ce sens issue de la réglementation des Beges.

Il n'est ainsi pas possible de comparer la trajectoire des émissions GES liées aux activités françaises de TotalEnergies à celle de la France. TotalEnergies prévoit de réduire ses émissions internationales directes nettes de GES (scope 1+2) pour ses activités opérées d'au moins 40% à horizon 2030 par rapport à 2015.

Le calcul des émissions nettes prend en compte les puits naturels de carbone hors de sa chaine de valeur comme la forêt, l'agriculture régénérative et les zones humides, ce qui est contraire à la réglementation française qui demande des objectifs bruts. TotalEnergies s'est engagé à réduire les émissions de méthane (hors méthane biogénique) de ses installations opérées de 80% entre 2020 et 2030 conformément aux recommandations de l'AIE. Pour ses émissions indirectes (i.e. en scope 3), TotalEnergies prévoit de maintenir ses émissions liées à l'utilisation par ses clients des produits énergétiques à un niveau inférieur à 400 MtCO2e d'ici 2030 par rapport à 2020 tout en réduisant les émissions de GES du scope 3 sur le poste des produits pétroliers vendus dans le monde de plus de 40% à l'horizon 2030 par rapport à 2020 et l'intensité carbone du cycle de vie des produits énergétiques utilisés par les clients de plus de 25% à l'horizon 2030 par rapport à 2020. TotalEnergies prévoit par ailleurs d'augmenter sa production d'hydrocarbures d'ici à 2030. Ceci entre en contradiction avec l'AIE qui soulignait qu'au-delà des projets déjà engagés en 2021, l'atteinte de la neutralité carbone implique qu'aucune nouvelle exploitation de gisements de pétrole et de gaz naturel ne devrait être entreprise, ainsi qu'aucune nouvelle exploitation ou expansion de mine de charbon. Pour 2050, les objectifs de TotalEnergies sont de contribuer à l'atteinte de la neutralité carbone (zéro émission net) pour les activités opérées (scope 1+2) et pour les émissions indirectes de GES liées à l'utilisation par ses clients des produits énergétiques (scope 3). TotalEnergies à date n'a pas précisé de quelle manière il compte opérationnaliser ce dernier objectif très ambitieux, au-delà d'un recours important aux puits de carbone naturels et technologiques, dont la maturité rend l'atteinte de ces résultats incertains. Afin de réduire ses émissions nettes, TotalEnergies provisionne d'importantes quantités de crédits carbone, 11 Mt aujourd'hui, pour un objectif de 44 Mt en 2030. Cela représente un budget annuel de 100 M$/an. »

Les informations extra-financières publiées par TotalEnergies
ainsi que son bilan carbone ont fait l'objet de saisines de l'AMF
de la part de certaines ONG

Les ONG Sherpa et Notre Affaire à tous ont saisi l'AMF en mai 2020254(*) concernant la sincérité financière des informations publiées par TotalEnergies en matière de risques climatiques. Elles estiment que « le Groupe fonde sa communication financière sur des hypothèses incertaines ne rendant pas compte de manière suffisamment prudente des risques financiers liés à la dépendance de son modèle économique aux hydrocarbures, ni des risques d'une possible dépréciation très forte de ses actifs. »

En novembre 2022, l'ONG Greenpeace a notamment publié un rapport intitulé « Bilan carbone de TotalEnergies : le compte n'y est pas » dans lequel elle estime que les émissions déclarées par TotalEnergies seraient sous-évaluées.

L'ONG indique : « en déclarant émettre 455 millions de tonnes de CO2 équivalent (CO2e) en 2019, TotalEnergies sous-évalue massivement ses émissions carbone, qui, selon nos calculs, s'élèveraient à 1 milliard 637 millions 648 mille tonnes de CO2e, soit un résultat quatre fois supérieur ».

Greenpeace a proposé un recalcul des estimations de gaz à effet de serre de TotalEnergies en tentant de reconstituer l'ensemble de la chaîne de production du groupe, soulignant que TotalEnergies « n'explicite pas les volumes produits, transformés et vendus sur lesquels il s'appuie pour ses calculs. » Elle s'appuie également sur une comparaison avec le concurrent de TotalEnergies, Shell, dont elle estime le reporting plus détaillé et dont les émissions de gaz à effet de serre sont 3,6 fois plus importantes pour une production de pétrole et de gaz 1,2 fois supérieure.

Greenpeace a donc opéré un signalement à l'AMF pour information trompeuse de la part de TotalEnergies concernant ses émissions de gaz à effet de serre. L'ONG avait par ailleurs déjà assigné TotalEnergies en justice le 2 mars 2022 pour pratiques commerciales trompeuses, assignation qui a donné lieu à l'ouverture d'une enquête préliminaire par le Parquet de Nanterre qui a confié des investigations à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

TotalEnergies a répondu aux critiques de Greenpeace via un communiqué de presse255(*) dans lequel il estime que la méthodologie suivie par Greenpeace est « pour le moins douteuse ». Notamment, elle ne tiendrait pas compte du caractère intégré du groupe TotalEnergies le long des chaînes de valeur huile et gaz, aboutissant à la comptabilisation à plusieurs reprises d'émissions liées à la combustion de productions sur chaque chaîne de valeur. TotalEnergies indique suivre les méthodologies sectorielles publiées par l'Ipieca, qui comptabilise le volume le plus important sur la chaîne de valeur : soit la production, soit les ventes. Le reporting concernant le bilan carbone de TotalEnergies est par ailleurs revu, comme ses autres informations extra-financières, par un organisme tiers indépendant - en l'occurrence, EY.

En ce qui concerne l'écart d'émissions de gaz à effet de serre avec le groupe Shell, TotalEnergies a indiqué à la commission d'enquête256(*) que, même s'il ne lui appartient pas de se prononcer, « TotalEnergies a plus de 10 000 stations-service dans le monde, tandis que Shell en a plus de 40 000, ce qui peut sans doute expliquer les volumes plus importants d'émissions indirectes s'agissant des émissions liées à l'usage final des produits énergétiques par les clients des entreprises. »

5. Les justifications apportées par le groupe TotalEnergies sur son bilan carbone

En réponse aux critiques précitées de son bilan carbone, le groupe TotalEnergies a rappelé sa position à la commission d'enquête.

Lors de son audition, le P-DG Patrick Pouyanné a précisé que le groupe se fixe des objectifs de réduction pour ses émissions directes des scopes 1 et 2 mais non pour celles indirectes du scope 3 : « Nous nous engageons pour les scopes 1 et 2. Je suis prêt à m'engager sur l'intensité carbone qui intègre le scope 3, car j'ai une stratégie pour baisser cette intensité de mes produits, mais non sur un scope 3 en valeur absolue. Nous nous sommes seulement engagés à ne pas l'augmenter au-dessus de 400 millions de tonnes. Nous le ferons mais nous ne pouvons pas faire plus, car sinon, ce serait décider que l'entreprise va décliner : soit vendre des actifs, soit en fermer. Ce n'est pas la vocation de notre entreprise. Le scope 3 déclinera, et notre ambition Net Zero est en phase avec la société. Lorsque la demande de pétrole déclinera, nous déclinerons avec, et le scope 3 se réduira. »

De plus, dans sa contribution écrite transmise à la commission d'enquête, le groupe est revenu plus en détail sur trois critiques.

Tout d'abord, il a contesté sa responsabilité dans les 23 « bombes carbone » susmentionnées, car, selon lui, certains projets d'hydrocarbures lui ont été attribués par erreur et les émissions du scope 3 représentent la consommation d'hydrocarbures : « Un rapport [Carbonbombs.org publié en 2023] [...] prétend que TotalEnergies serait lié à au moins 23 projets qui, s'ils étaient tous réalisés, conduiraient à l'émission de 60 GtCO2e (gigatonnes équivalent CO2). Depuis lors, Carbonbombs.org a réévalué le chiffre attribué à TotalEnergies à 43 Gt ( - 27 %). Cela donne une indication de la fiabilité qu'il convient d'accorder à ce « rapport ». Ce rapport reste encore basé sur de nombreuses erreurs méthodologiques. La première catégorie d'erreurs méthodologiques de ce rapport est d'attribuer systématiquement à TotalEnergies le contenu carbone de champs pétroliers et gaziers dont TotalEnergies n'a en droit d'exploitation qu'une fraction, voire dans certains cas, aucun intérêt du tout ( !). Nous avons identifié au moins 5 types d'erreurs : 1. Émissions et ressources correspondant aux bassins de production dans leur ensemble et non aux actifs/licences détenus par TotalEnergies dans ces bassins (par exemple en Argentine) ; 2. Double comptage des émissions des actifs sur lesquels TotalEnergies est présent dans l'Amont et l'Aval (par exemple au Qatar) ; 3. Prise en compte des émissions d'actifs desquels TotalEnergies est sorti (exemple : Canada) ; 4. Attribution à TotalEnergies de 100 % des émissions et non uniquement de la part patrimoniale de TotalEnergies (participation minoritaire entre 5 % et 26,5 % pour les projets cités) ; 5. Prise en compte de projets futurs, aujourd'hui hypothétiques. En synthèse, les évaluations de ce rapport sont sans lien avec la réalité de la production et des investissements de TotalEnergies. Corrigée de ces erreurs manifestes, la liste des projets identifiés correspondrait à un contenu carbone d'au plus 7,5 GtCO2e, issu pour l'essentiel de l'usage des produits énergétiques par les clients dans le cadre d'une demande en énergie mondiale qui répond à des choix de société, des politiques publiques et industrielles, et pas seulement à la production de telle ou telle entreprise. Car ces volumes d'émissions sont en fait fondés sur une seconde erreur méthodologique, celle d'attribuer systématiquement à TotalEnergies les émissions de ses clients (le scope 3). À ce compte, toutes les entreprises et tous les États du monde seraient responsables de plusieurs milliers de fois des émissions de gaz à effet de serre produits par l'activité humaine. À noter que les États signataires de l'Accord de Paris se sont fixé des objectifs de réduction pour les seules émissions directes de leur territoire (équivalentes au périmètre « scope 1 » de la méthodologie GHG Protocol 1 qu'utilisent les entreprises). »

Concernant la non-prise en compte de la méthodologie prévue par la SBTi, le groupe a répondu qu'il n'existe pas de standard applicable au secteur Oil & Gas : « Le standard SBTi spécifique au secteur Oil & Gas n'existe pas à ce jour et est en cours d'élaboration. Par conséquent, SBTi n'évalue pas à ce stade les objectifs et les engagements des compagnies du secteur Oil & Gas. »

Pour ce qui est de la non-prise en compte de la notion de budget carbone, le groupe a répondu qu'il n'existe pas de mécanisme de répartition pour les États ou les entreprises : « Le budget carbone s'applique donc à l'ensemble de la planète et il n'existe aucune répartition de ce budget carbone aux États, aux Parties de la COP, ou aux entreprises. »

6. Les justifications apportées par le groupe TotalEnergies sur sa stratégie de décarbonation

En réponse aux critiques susmentionnées sur sa stratégie de décarbonation, le groupe a rappelé sa position à la commission d'enquête.

En premier lieu, il a affirmé la compatibilité de sa stratégie avec le paquet « Ajustement 55 », issu du droit de l'UE.

Dans sa contribution écrite transmise à la commission d'enquête, comprenant des extraits du Sustainability & Climate 2024 Progress Report, il a affirmé qu'il « soutient les objectifs de l'Accord de Paris, et respecte les choix et les objectifs déterminés par chaque État Partie au titre de cet Accord » et que « la prise en compte des objectifs du Fit for 55 est partie intégrante à la stratégie de TotalEnergies en Europe. »

Plus spécifiquement, le groupe a affirmé que l'objectif de réduction de ses émissions des scopes 1 et 2 est en phase avec ce paquet : « Notre objectif de baisse de 40 % des émissions nettes de Scope 1+ 2 opéré est en phase avec l'objectif de baisse du programme « Fit for 55 » de l'Union européenne (- 37 % entre 2015 et 2030) »257(*).

Le groupe a ajouté contribuer à l'atteinte de plusieurs objectifs prévus par les règlements et directives européens, rappelant ses investissements en matière d'énergies renouvelables, d'électromobilité, de carburants synthétiques durables ou de captage et de stockage du CO2 : « La Directive Énergies renouvelables fixe un objectif contraignant d'au moins 42,5 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale brute de l'Union en 2030. TotalEnergies y contribuera en devenant l'un des 5 plus importants développeurs éolien et solaire au monde (hors Chine) en 2030. [De plus] l'Union européenne a adopté plusieurs législations sur la décarbonation des transports (RED, AFIR, Refuel Aviation, FuelEU Maritime, Standards CO2 pour voitures et poids-lourds). Pour les voitures dont l'Union européenne a fixé une réduction de 100 % des émissions en 2035, TotalEnergies a décidé d'accompagner la transition vers l'électromobilité en se développant de manière offensive dans l'électromobilité, avec l'accélération de son plan de déploiement de bornes de recharges électriques sur les grands axes et dans les grandes villes européennes. De plus, une co-entreprise a été créée avec Air Liquide pour développer un réseau de station de recharge hydrogène pour les poids-lourds, contribuant ainsi aux objectifs de l'Afir et du règlement standard CO2 pour les poids-lourds. [Autre point], TotalEnergies contribuera à l'atteinte des mandats d'incorporations de SAF prévus par RefuelEU Aviation (6 % en 2030 et 20 % en 2035) en produisant 1,5Mt/an en 2030, soit 10 % de parts du marché mondial. TotalEnergies a récemment conclu un partenariat avec Airbus en vue de lui fournir la moitié de ses besoins en carburants aériens durables en Europe. [Enfin] l'Union européenne s'est fixé un objectif de stockage de 50MtCO2/an à partir de 2030 dans le règlement Net Zero Industry Act. Elle a également présenté une feuille de route pour la gestion industrielle du carbone montrant la nécessité de développer la chaîne de valeur du Carbon Capture & Storage (CCS). TotalEnergies contribuera à cet objectif en développant une capacité de stockage de 10MtCO2/an d'ici 2030 au niveau mondial notamment en Europe (Norvège, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni). »

Lors de son audition devant la commission d'enquête, le P-DG Patrick Pouyanné a rappelé l'implication de son groupe dans la production d'électricité et de gaz, au-delà du pétrole : « Nous avons l'ambition de représenter 1 % de la production d'électricité mondiale à l'horizon de 2030. Ce n'est pas une petite ambition, sachant que nous représentons aujourd'hui 1,5 % de la production mondiale de pétrole. Dans la mesure où nous continuons à produire du pétrole et du gaz, notre responsabilité est de les produire autrement, en émettant moins de CO2, et, pour la production de gaz, moins de méthane. C'est une transition ; le terme est important : il n'y aura pas de Grand Soir ! [...] Le gaz contribue à la trajectoire de réduction des émissions carbone, à une nuance près : le méthane, problème dont nous avons souligné l'importance lors de la COP26, à Glasgow. Nous avons pris cette question à bras le corps : nous nous sommes engagés à réduire de 80 % nos émissions de méthane entre 2020 et 2030, soit de 90 % entre 2010 et 2030, objectif que nous pouvons tenir. À Dubaï, l'ensemble des compagnies pétrolières ont signé une charte stipulant qu'elles tendaient vers l'objectif de zéro émission de méthane d'ici à 2030. [...] Le gaz fait donc partie de la transition, même si, je le disais, il n'est pas la solution ultime. Après avoir racheté les actifs d'Engie en 2018, nous sommes devenus le numéro 3 mondial du GNL. Nous continuons à investir dans de nouveaux projets de pétrole et de gaz, afin de répondre à la demande et de contribuer à cette transition. Notre autre pilier est, je le disais, l'électricité, activité commencée en 2020. En quatre ans, nous sommes devenus un électricien détenant environ 20 milliards d'euros d'actifs, produisant 45 térawattheures (TWh) en 2024, et prévoyant une production annuelle de 120 TWh en 2030. Nos installations d'énergies renouvelables représentent environ 23 GW de puissance installée, alors que nous sommes partis de zéro ; cette puissance atteindra 35 GW en 2025 et nous visons une centaine de GW d'ici à la fin de la décennie. [...] Aujourd'hui, l'électricité bas-carbone représente 8 % à 10 % de nos ventes d'électricité. À la fin de la décennie, cette proportion devra atteindre 20 % et les ventes de gaz seront plus importantes que les ventes de pétrole. [...] Dans notre secteur, nous sommes perçus comme un acteur ambitieux et pionnier. On m'a demandé d'être l'un des trois champions de l'Oil and Gas Decarbonization Charter (OGDC, Charte de décarbonation du pétrole et du gaz), aux côtés des patrons de l'Aramco et de l'Adnoc. »

En second lieu, le groupe TotalEnergies a admis la non-compatibilité de sa stratégie de décarbonation avec certains éléments du scenario NZE, issu des travaux de l'AIE.

Dans sa contribution écrite transmise à la commission d'enquête, comprenant ici aussi des extraits du rapport précité, il a affirmé que l'objectif de réduction des émissions de ses scopes 1 et 2 est en phase avec le scenario NZE et que l'objectif de réduction de l'intensité carbone du cycle de vie des produits énergétiques vendus est proche du scenario APS : « Notre objectif de baisse de 40 % des émissions nettes de Scope 1+ 2 opéré est en phase avec l'objectif de baisse [...] du scenario Net Zero Emissions (NZE) de l'AIE (- 31 % entre 2015 et 2030. Nos objectifs de baisse de l'intensité carbone cycle de vie des produits énergétiques vendus (-15 % en 2025 et - 25 % en 2030) nous positionne sur une trajectoire proche du scenario APS (Announced Pledges Scenario) du World Energy Outlook 2023 de l'AIE »258(*).

En revanche, le groupe a indiqué constater une divergence avec le scénario NZE de l'AIE, qui fait l'hypothèse d'une diminution de la demande d'hydrocarbures et d'un arrêt des nouveaux projets dans ce domaine, et la tendance observée sur le marché mondial : « En mai 2021, l'AIE a publié son scénario Net Zéro Émissions (NZE) décrivant l'évolution d'une demande d'énergie mondiale qui serait compatible avec un scénario + 1,5 °C  sans dépassement du budget carbone associé . Les hypothèses très exigeantes utilisées pour l'évolution de la demande d'énergie d'ici 2030 ont amené l'AIE à affirmer que le monde n'avait plus besoin de nouveaux projets pétroliers et gaziers. En effet, dans ce scénario « normatif », la demande de pétrole entre 2020 et 2030 décline aussi vite que la déplétion naturelle des champs soit environ 4 % par an. Ce scénario ne prétend pas décrire une évolution prévisionnelle de la demande d'énergie et depuis sa parution, l'AIE a été amenée à publier plusieurs prévisions de demande qui montrent à quel point le monde réel s'écarte de cette vision normative. Non seulement la demande de pétrole ne décline pas autant que la déplétion des champs existants, mais elle est en réalité en hausse. En 2023, la demande mondiale de produits pétroliers a atteint 101,8 Mb/j soit + 2,3 Mb/j par rapport à 2022 et devrait continuer de croître au cours de la décennie selon l'AIE (105,7 Mb/j à l'horizon 2028). Ces prévisions de la demande demeurent dépendantes notamment de la croissance démographique et économique, du rythme de pénétration des innovations technologiques bas carbone telles que les véhicules électriques et de l'évolution des comportements. En outre, elle évoluera de manière différenciée selon les feuilles de route de transition énergétique des divers pays. Les prévisions de demande de pétrole à court terme de l'AIE rejoignent les analyses de TotalEnergies : si nous partageons le point d'atterrissage en 2050 du scenario NZE, force est de constater que la trajectoire de la demande 2020-2030 décrite pour y arriver est très éloignée des tendances observées sur le marché. L'AIE a reconnu, suite à la crise énergétique qui a marqué l'année 2022, l'importance d'assurer un équilibre entre l'offre et la demande des énergies aujourd'hui consommées dans le monde. Dans son scénario APS (compatible avec l'Accord de Paris) la demande mondiale de pétrole devrait atteindre son pic en 2030, puis commencer à décliner mais moins vite que le taux de déclin naturel des champs. De nouveaux projets sont donc nécessaires. »

Lors de son audition devant la commission d'enquête, le P-DG Patrick Pouyanné, a ainsi justifié de nouveaux projets d'hydrocarbures, compte tenu de la perte du potentiel des gisements et de la hausse de la demande mondiale : « Le phénomène de perte naturelle du potentiel mondial du gisement de pétrole de 4 % par an est majeur. Il explique que, si nous voulons simplement maintenir la production à 100 millions de barils par jour, alors que la demande a crû pour s'établir à 102 millions et atteindra sans doute 103 millions cette année, il faut investir dans de nouveaux champs de pétrole, ne serait-ce que pour lutter contre le déclin naturel. Cette donnée physique est souvent omise dans le débat. La question est moins de savoir quand aura lieu le pic pétrolier, mais de savoir quand le déclin de la demande de pétrole sera de plus de 4 % par an. À ce moment-là, on pourra commencer à dire :  Il ne faut plus investir dans les champs de pétrole . Avec un déclin annuel de l'offre de 4 % et un accroissement de la demande de l'ordre de 1 % ou 1,2 % par an, sans investissement dans le pétrole - mais cela vaut aussi pour le gaz -, les prix augmenteront jusqu'au ciel ! Cette stratégie pourrait paraître confortable pour TotalEnergies, mais en réalité elle ne le serait pas, car tout le monde se plaindrait ; je vous renvoie aux phénomènes auxquels nous faisons déjà face à cet égard. [...] Qu'est-ce que le fameux scénario Net Zero de l'AIE ? C'est un scénario théorique avec un point d'arrivée de zéro émission nette en 2050. Ce n'est pas zéro pétrole, mais une production de 20 millions de barils par jour en 2050, soit une baisse de 80 % par rapport à la production actuelle. L'AIE a procédé ensuite à une régression linéaire, en traçant une droite entre 2020 et 2050, dont la pente se trouve être de 4 % par an. Comme ce chiffre correspond au déclin naturel des champs d'hydrocarbures, l'AIE estime qu'il suffit d'arrêter d'investir dans le pétrole. Mais la même AIE, nous explique, chaque semaine et chaque mois, que la demande de pétrole de l'année suivante augmente. Le point de départ de 2020 était de 98 millions de barils par jour, on est passé à 100 millions ; on est à 102 millions cette année et on sera à 103 millions l'année prochaine. En 2026, nous atteindrons 105,6 millions de barils par jour. Ce n'est donc pas à moi qu'il faut poser la question, mais à M. Fatih Birol : comment fait-il pour concilier 106 millions de barils par jour en 2026 avec la production de 80 millions de barils par jour que nous devrions avoir atteinte si nous suivons sa trajectoire ? Je sais que tout le monde s'y raccroche et que nous avons un nouveau pape et une nouvelle bible, mais ce n'est pas la réalité de ce que nous vivons : la demande de pétrole continue à augmenter, non en raison des pays occidentaux, mais des pays émergents dont la population croît et aspire à un meilleur niveau de vie. »

La commission d'enquête rappelle à cet égard que pour l'Agence internationale de l'énergie (AIE) : « Dans le Scénario NZE, une augmentation significative du déploiement des énergies propres amène la demande en pétrole et en gaz à diminuer fortement. La réduction de la demande dans ce scénario est suffisamment forte pour rendre dispensable tout nouveau projet amont pétrolier et gazier à long délai de livraison. Il est essentiel d'échelonner l'augmentation des investissements dans les énergies propres et la diminution des investissements dans l'approvisionnement en énergies fossiles pour garantir la sécurité énergétique et éviter des flambées de prix ou des excès d'offre. »

7. TotalEnergies face aux résolutions climatiques

Des critiques sur la stratégie de décarbonation de TotalEnergies ont été également formulées par des actionnaires minoritaires de l'entreprise, qui ont déposé des « résolutions climatiques » demandant l'adoption de mesures complémentaires pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris.

Dès l'assemblée générale des actionnaires de 2020, un consortium de 11 actionnaires minoritaires a souhaité déposer un projet de résolution climatique. Le consortium, incluant La Banque postale Asset Management, le Crédit Mutuel Asset Management et les Assurances du Crédit Mutuel ou encore Meeschaert, a déposé une résolution climatique demandant à TotalEnergies d'adopter des objectifs de décarbonation absolue de ses activités, avec une stratégie détaillée dans le temps pour les atteindre, de manière à s'aligner sur les objectifs de l'Accord de Paris259(*). TotalEnergies a accepté d'inscrire cette résolution à l'ordre du jour de l'Assemblée générale tandis que Vinci, autre société confrontée à une même demande en 2020, l'a refusé260(*). Après le dépôt de cette résolution et avant l'Assemblée générale, le groupe TotalEnergies a annoncé de nouveaux engagements climatiques261(*). Cette résolution, inscrite à l'ordre du jour tout en étant « non agréée par le conseil d'administration », a été approuvée par 16,8 % des actionnaires et rejetée par 83,2 % d'entre eux. Il s'agissait de la première résolution climatique engageante pour une société déposée par des investisseurs institutionnels en France.

Anticipant les attentes de ses investisseurs, le conseil d'administration de TotalEnergies a annoncé le 18 mars 2021 prendre « l'initiative de soumettre une résolution sur la transition énergétique de TotalEnergies vers la neutralité carbone » à ses actionnaires lors de son assemblée générale de 2021262(*).

En vue de l'assemblée générale de 2022, un collectif d'actionnaires composé de MN, Edmond de Rothschild AM et la Financière de l'Échiquier a déposé un projet de résolution climatique contraignante. Elle visait, entre autres, à ajouter des informations au rapport de gestion et consistant à encadrer la stratégie « pour aligner ses activités avec les objectifs de l'Accord de Paris » et « pour (i) fixer des objectifs de réduction en valeur absolue (...) des émissions directes ou indirectes de gaz à effet de serre (...) et (ii) les moyens mis en oeuvre par la société pour atteindre ces objectifs ». TotalEnergies a refusé l'inscription à l'ordre du jour de ce projet de résolution, considérant qu'il contrevenait aux règles de répartition légale des compétences entre conseil d'administration et assemblée générale et notamment qu'il empiétait sur celle, d'ordre public, du conseil d'administration de fixer la stratégie de l'entreprise. Plusieurs actionnaires membres du collectif ont alors formulé un recours devant le tribunal de commerce sur ce refus, conformément à la procédure, et ont demandé au Président de l'AMF de se saisir pour ordonner au conseil d'administration d'inscrire leur résolution climatique à l'ordre du jour de la prochaine assemblée générale. Ce dernier a affirmé que cela ne relevait pas de sa compétence mais bien de celle du tribunal de commerce.

L'année suivante, une autre résolution climatique à l'instigation du groupe actionnarial Follow This, cette fois-ci consultative et n'emportant pas de modification de statut, a été soumise au vote de l'assemblée générale du 26 mai 2023. Par cette résolution consultative, les actionnaires ont exprimé leur souhait que la société prenne des engagements concernant :

- l'investissement des bénéfices exceptionnels générés par les prix élevés du pétrole et du gaz dans d'autres sources d'énergie ;

- l'alignement des objectifs de réduction d'émissions « scope 3 » de gaz à effet de serre sur l'Accord de Paris.

Cette résolution climatique a été approuvée par 30,44 % des actionnaires.

Depuis l'assemblée générale des actionnaires de 2021, le conseil d'administration de TotalEnergies sollicite chaque année l'avis des actionnaires sur la politique de développement durable et de transition énergétique de l'entreprise, via un vote sur le rapport Sustainability & Climate - Progress Report. Ces consultations ont été approuvées à 91,88 % en 2021, 88,89 % en 2022 et 88,76 % en 2023. Lors de l'assemblée générale du 24 mai 2024, les actionnaires ont ainsi été amenés à approuver, par un vote consultatif, dans les mêmes conditions que les années précédentes, le rapport Sustainability & Climate - Progress Report. Ce rapport rend compte des progrès réalisés par l'entreprise dans la mise en oeuvre de son ambition en matière de développement durable et de transition énergétique vers la neutralité carbone et ses objectifs en la matière à horizon 2030. L'assemblée générale du 24 mai  2024 a émis un avis favorable au rapport avec 80 % des voix exprimées263(*).


* 252 Le rapport est consultable ici.

* 253 Les données sont issues de la publication suivante : TotalEnergies, Sustainability & Climate 2024 Progress Report, 2024, p. 15.

* 254 Communiqué de presse du 28 mai 2020 de Sherpa.

* 255 Communiqué de presse du 3 novembre 2022 et Réponse de TotalEnergies au rapport de Greenpeace.

* 256 Réponse au questionnaire écrit de la commission d'enquête.

* 257 Les données sont issues de la publication suivante : TotalEnergies, Sustainability & Climate 2024 Progress Report, 2024, p. 16.

* 258 Les données sont issues de la publication suivante : TotalEnergies, Sustainability & Climate 2024 Progress Report, 2024, p. 16.

* 259 Communiqué de presse de ReclaimFinance du 29 mai 2020.

* 260 Rapport sur le gouvernement d'entreprise de l'AMF, 2023.

* 261 Communiqué de presse de TotalEnergies du 5 mai 2020.

* 262 Communiqué de presse de TotalEnergies du 18 mars 2021.

* 263 Communiqué de presse de TotalEnergies du 24 mai 2024.

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