N° 692

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Rapport remis à M. le Président du Sénat le 14 juin 2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 juin 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête (1) sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France,

Président
M. Roger KAROUTCHI,

Rapporteur
M. Yannick JADOT,

Sénateurs

Tome I - Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Roger Karoutchi, président ; M. Yannick Jadot, rapporteur ; MM. Pierre Barros, Bernard Buis, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Brigitte Devésa, MM. Philippe Folliot, Philippe Grosvalet, Pierre Médevielle, Mme Sophie Primas, MM. Jean-Claude Tissot, Michaël Weber, vice-présidents ; Mme Catherine Belrhiti, MM. Yves Bleunven, Gilbert Favreau, Dominique de Legge, Didier Mandelli, Pierre-Alain Roiron, Jean-Marc Vayssouze-Faure.

L'ESSENTIEL

Le 12 juin 2024, la commission d'enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer le respect par TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, présidée par Roger Karoutchi (Les Républicains, Hauts-de-Seine) a adopté le rapport présenté par Yannick Jadot (Écologiste - Solidarité et Territoires, Paris).

Entre janvier et mai 2024, la commission d'enquête a mené plus de 40 auditions, sur la décarbonation de l'énergie, la finance durable, la régulation des mobilités public-privé et des activités de représentation d'intérêts, le devoir de vigilance, la géopolitique des hydrocarbures ou la physique du climat. Elle a également auditionné à plusieurs reprises les dirigeants de TotalEnergies.

Créée à l'initiative du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST), cette commission d'enquête est partie du cas du groupe TotalEnergies, entreprise française centenaire emblématique de notre dépendance aux énergies fossiles, pour interroger notre capacité collective à mener à bien la transition énergétique, conformément aux objectifs et aux cadres fixés par les pouvoirs publics.

Refusant tout réquisitoire, la commission d'enquête souligne d'ailleurs que les efforts réalisés par le groupe en direction de la transition énergétique sont supérieurs à ceux effectués par les autres « majors » des hydrocarbures notamment anglo-saxonnes. Ses 33 recommandations illustrent d'abord une prise de conscience commune et une volonté partagée d'agir pour créer les conditions d'un nouveau partenariat exigeant pour que le groupe TotalEnergies demeure un pilier de notre souveraineté énergétique durable.

I. L'ACCÉLÉRATION DU CHANGEMENT CLIMATIQUE : DES EFFETS DÉJÀ PERCEPTIBLES ALORS QUE LE PIRE EST À VENIR

Le réchauffement climatique est un phénomène incontestable. Les scientifiques du groupement d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) estiment qu'il dépasse aujourd'hui 1 °C depuis l'ère préindustrielle.

Ses conséquences sont déjà visibles : aridification des sols, acidification des océans, fréquence plus élevée des évènements météorologiques extrêmes... En France, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) estime que son coût serait déjà d'environ 2 points de PIB.

Or, tant que les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'origine humaine n'atteignent pas un niveau « net zéro », ce réchauffement et ses conséquences indésirables devraient s'accentuer et prendre de multiples dimensions : moindre croissance, catastrophes naturelles, migrations contraintes...

Face à ce constat, la France a joué un rôle majeur afin d'aboutir à la signature de l'Accord de Paris lors de la COP21 en 2015. La quasi-totalité des États du monde s'est ainsi fixé l'objectif de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels en poursuivant l'action menée pour la limiter à 1,5° C.

Or pour limiter le réchauffement climatique sous les 1,5° C, il est nécessaire que les émissions mondiales de GES diminuent de 43 % à horizon 2030, 60 % en 2035, 69 % en 2040 et 84 % en 2050.

Les efforts à fournir sont donc massifs.

Cependant, compte tenu du niveau actuel des émissions et des politiques publiques déployées, le Giec évalue le niveau de l'augmentation des températures à la fin du siècle à environ 2,7° C.

Une telle situation aurait des conséquences économiques et sociales très préjudiciables pour tous : le coût de l'inaction est largement supérieur au coût d'une transition écologique menée rapidement.

Il nous faut donc tenir le cap de l'engagement pris à la COP28 en décembre dernier : « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d'une manière juste, ordonnée et équitable ».

II. LA TRANSITION ET LA SOUVERAINETÉ ÉNERGÉTIQUES : LA NÉCESSITÉ D'ACCÉLÉRER LA DÉCARBONATION ET L'ÉLECTRIFICATION DE NOS ÉCONOMIES

Face à cette urgence climatique, nous devons réussir la transition énergétique. En effet, la consommation d'énergie primaire est encore largement fossile, à plus de 80 %, à l'échelon mondial en 2020, et à près de 50 %, à l'échelon national en 2022.

La consommation mondiale d'énergie primaire s'élève ainsi à 162 400 térawattheures (TWh) en 2020 ; 29 % de cette consommation est liée au pétrole, 27 % au charbon et 24 % au gaz naturel. Si la production d'hydrocarbures est en voie d'attrition en France, grâce à la loi « Hydrocarbures », de 2017, elle reste dynamique dans le monde, et dominée par quelques grands pays : les États-Unis, pour le pétrole et le gaz, la Chine, pour le charbon.

Nous devons donc agir en faveur de la décarbonation du secteur de l'énergie. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a publié plusieurs scenarii en ce sens, dont celui dit Net Zero Emission (NZE), publié en 2021 et actualisé en 2023. Ce dernier scénario plaide pour l'arrêt du développement de nouveaux champs pétroliers ou gaziers afin d'atteindre une réduction de la demande d'énergies fossiles de 83 % et des émissions de GES associées de 97 % Dans les faits, l'évolution de la demande d'énergies fossiles ne suit pas nécessairement la réduction prévue par ce scénario.

III. LE RÔLE AMBIGU DE L'ÉTAT DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ET LE RISQUE DE LAISSER LES ACTEURS ÉCONOMIQUES LIVRÉS À EUX-MÊMES

Les législateurs, européens comme nationaux, ont fait évoluer leur cadre normatif. Le paquet européen « Ajustement à l'objectif 55 », de 2021, la loi « Énergie-Climat », de 2019, et la loi « Climat et résilience », de 2021, ont ainsi réaffirmé notre engagement en faveur de la décarbonation du secteur de l'énergie.

Dans cette perspective, plusieurs leviers sont mobilisés par l'État : les participations, les subventions, la régulation, l'information, la labellisation ou encore la taxation... Ces leviers sont à actionner avec précaution, en tenant compte de l'économie mondialisée dans laquelle nous nous inscrivons, afin de ne pas nous pénaliser par rapport à des acteurs moins ambitieux.

Pour faire évoluer ce secteur, plusieurs prérequis sont ainsi indispensables, selon les acteurs économiques : la clarté et la stabilité des règles, un soutien public pour compenser les surcoûts induits, l'accès aux ressources (électricité, biomasse, métaux), une neutralité technologique entre les énergies décarbonées, et enfin des règles du jeu équitables à l'international, pour éviter les risques de dépendance et de concurrence déloyale.

IV. LE GROUPE TOTALENERGIES : UN SYMBOLE DE NOTRE DÉPENDANCE AUX HYDROCARBURES APPELÉ À INCARNER LA DÉCARBONATION DE NOTRE ÉCONOMIE

Dans ce contexte, le groupe TotalEnergies est observé par l'opinion publique. Ce groupe n'était responsable que de 1,2 % de la production mondiale de pétrole par jour en 2023. Par ailleurs, 3 % de sa production d'énergie finale concernait l'électricité renouvelable et 35 % de ses investissements nets les énergies bas-carbone cette même année. Le groupe a annoncé investir 5 milliards (Mds) d'euros par an dans ces énergies bas-carbone les prochaines années. Au total, sa production d'énergie finale a atteint 15,1 pétajoules par jour et ses investissements nets 16,83 Mds de dollars en 2023.

 
 

Le groupe TotalEnergies entend augmenter sa production d'énergie (pétrole, gaz et électricité) globalement de 4 % entre 2023 et 2030, tout en réduisant les émissions (scopes 1 et 2 et méthane) de ses sites opérés. Il a, par ailleurs, publié un bilan carbone et une « vision Net Zéro en 2050 ». Selon cette vision, le mix de ventes doit être constitué d'électricité, à hauteur de 20 % en 2030, et de 50 %1(*) en 2050.

 
 

Pour autant, son bilan et sa vision sont l'objet de critiques, notamment de la part d'associations qui regrettent l'absence d'engagements du groupe s'agissant de la réduction de ses émissions indirectes, ainsi que son implication dans une vingtaine de projets pétrogaziers très émissifs. Dans ce débat public parfois passionné, le rapport de la commission d'enquête a opté pour une présentation factuelle des positions des différents acteurs. Certains projets conduits par le groupe à l'international font aussi l'objet de critiques, notamment ceux conduits en Russie et en Azerbaïdjan. Les recommandations du rapport sont fermes s'agissant des investissements dans ces deux pays.

V. RÉAFFIRMER LES RÔLES STRATÉGIQUES DE L'ÉTAT ET DU GROUPE TOTALENERGIES POUR ACCÉLÉRER LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

L'accélération du dérèglement climatique et ses conséquences de plus en plus dramatiques exigent de tous les acteurs, tant publics que privés, une réponse forte et urgente, à la hauteur des enjeux, et proportionnée à la responsabilité de chacun. La puissance publique doit être en première ligne pour inciter tous les acteurs économiques dont le groupe TotalEnergies à sortir plus rapidement des énergies fossiles et à investir davantage dans toutes les énergies alternatives.

Les recommandations de la commission d'enquête visent donc à rappeler le rôle de l'État dans ce domaine, à accroître ses moyens d'action et à exiger de sa part des actions déterminées pour créer les conditions d'une transition rapide, ordonnée et efficace.

Comme l'indique l'intitulé de la commission d'enquête : quels sont les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour mener cette transition énergétique de concert avec les acteurs privés ?

Regroupées en 4 axes, les 33 recommandations du rapport proposent d'actionner plusieurs leviers : certains à l'échelle nationale, d'autres à l'échelle européenne ; certains dans une démarche d'accompagnement et d'incitation, d'autres dans une démarche de régulation.

A. RENFORCER NOTRE SOUVERAINETÉ ÉNERGÉTIQUE ET CLIMATIQUE

L'État doit inciter plus fortement le groupe TotalEnergies à se placer aux avant-postes de la transition énergétique.

1. Réintroduire une action spécifique au capital de TotalEnergies

À l'aune des impératifs de la transition et de souveraineté énergétiques, la commission d'enquête a mené une réflexion sur les modalités de réintroduction d'une participation publique au sein du capital du groupe TotalEnergies.

L'actionnariat du groupe est aujourd'hui composé à près de 40 % d'actionnaires nord-américains, une part en hausse de plus de 13 points depuis 2010 alors que la part d'actionnaires français a baissé de plus de 7 points depuis la même date.

Face à ces dynamiques, la possibilité d'un changement de nationalité du groupe à moyen ou long terme ne peut plus être exclue si les tendances actuelles se poursuivent.

La commission d'enquête envisage donc un mode de participation ciblée via une action spécifique. L'action spécifique offre à l'État des pouvoirs décorrélés de son poids dans le capital, comme la nomination d'un représentant de l'État sans voix délibérative au conseil d'administration, le droit de s'opposer à des cessions d'actifs ou encore la soumission à un agrément préalable du ministre chargé de l'économie de tout franchissement de seuil de participations.

Le recours à une action spécifique au capital du groupe TotalEnergies permettrait donc à l'État, sans empiéter sur les prérogatives du conseil d'administration, de disposer d'un « droit de regard » sur les évolutions actionnariales du groupe et d'une plus grande information, voire une plus grande influence, en ce qui concerne les décisions stratégiques de son conseil d'administration.

2. Inciter TotalEnergies à devenir un leader des énergies renouvelables et de la mobilité propre

Outre cet enjeu crucial de la participation publique au sein du groupe TotalEnergies, la commission d'enquête souhaite aussi encourager l'évolution de sa stratégie.

Le groupe a tout intérêt à devenir un leader des énergies renouvelables et de la mobilité propre, notamment des carburants durables, des recharges électriques et, dans une moindre mesure, de la capture et du stockage du CO2.

À cette fin, et sans mésestimer les investissements déjà réalisés, il convient de l'inciter à accélérer autant que possible sa stratégie d'investissement dans les énergies renouvelables, à court, moyen et long termes, afin d'atteindre les objectifs de l'Accord de Paris.

B. AFFIRMER UN LEADERSHIP INTERNATIONAL APRÈS L'ACCORD DE PARIS

L'État doit réaffirmer le leadership de la France en matière de transition énergétique pour concrétiser l'Accord de Paris.

1. Actualiser, dès cette année, la programmation énergétique nationale

Le Gouvernement ayant renoncé à présenter la loi quinquennale sur l'énergie, pourtant prévue par la loi « Énergie-Climat », de 2019, il faut actualiser notre programmation énergétique nationale. Une loi de programmation énergétique doit impérativement être présentée d'ici la fin de l'année, tandis que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui en découlent, doivent être actualisées.

S'agissant de son contenu, cette loi doit acter, d'ici 2030, une réduction des émissions de GES de 55 %, de la consommation d'énergie totale de 30 % et de la consommation d'énergie fossile de 45 %. Il faut également y porter la production d'électricité décarbonée à 580 TWh et la part de biogaz dans la consommation de gaz à 20 %.

Cette programmation doit aussi constituer l'occasion d'accélérer les projets de production d'énergies renouvelables et les actions de sobriété et de rénovation énergétiques, mais aussi de développer les projets de récupération de la chaleur fatale de même que de captage et de stockage du CO2.

Pour appliquer concrètement cette programmation, il est nécessaire de structurer et de développer les filières industrielles, à commencer par celles des énergies renouvelables, tant à l'échelon national qu'à celui européen.

2. Moderniser le droit minier pour sortir des énergies fossiles

L'attrition de l'extraction et de la production nationales d'hydrocarbures ayant été actée par la loi « Hydrocarbures », de 2017, et la loi « Climat et résilience » de 2021, il est nécessaire de moderniser encore le droit minier pour sortir des énergies fossiles en préservant bien sûr les acquis législatifs majeurs des dernières lois : l'interdiction du recours à de la fracturation hydraulique, ainsi que l'extinction des concessions fossiles d'ici 2040.

Le rapport préconise d'évaluer la possibilité de supprimer certaines dérogations concernant le gaz de mine et les substances connexes.

Enfin, le rapport plaide pour la mise en oeuvre d'un traité d'interdiction de l'exploitation minière des grands fonds marins, notamment auprès de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

3. Mobiliser les leviers budgétaires et fiscaux nationaux pour accompagner les projets liés à la transition énergétique

Pour accompagner les projets liés à la transition énergétique, et compenser les surcoûts induits par la substitution d'énergies décarbonées à celles fossiles, le rapport estime indispensable de mobiliser les outils budgétaires et fiscaux nationaux. C'est notamment le cas des appels d'offres et des soutiens en investissement et en fonctionnement des projets d'énergies renouvelables, de la taxe incitative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans le transport (Tiruert), des aides à l'acquisition des véhicules propres et du fonds vert.

L'examen de la prochaine loi de finances initiale pour 2025 devrait permettre un débat sur ces sujets.

4. Consolider le rôle pionnier de la France dans la mise en oeuvre des objectifs européens de transition énergétique

Au-delà de cette action nationale, le rapport préconise aussi de consolider le cadre européen en faveur de la transition et de la souveraineté énergétiques. Le paquet européen « Ajustement à l'objectif 55 » doit être appliqué et ses effets évalués. De plus, une neutralité technologique doit être assurée entre les différentes énergies renouvelables. Il convient aussi d'accélérer la mise en oeuvre des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), notamment en matière de batteries et d'hydrogène.

Surtout, la France peut et doit se hisser en position de pionnier par rapport aux autres pays européens. La commission d'enquête estime que notre pays doit proposer l'inclusion du gaz naturel liquéfié (GNL) russe aux produits énergétiques sous sanctions européennes et arrêter dès que possible ses importations de GNL russe. Au-delà de l'exigence morale, c'est aussi une nécessité sécuritaire et une opportunité économique. S'agissant du GNL en tant que tel, il constitue une technologie, tout à la fois intéressante mais émissive. La commission d'enquête propose donc que son bilan carbone soit réalisé par l'Ademe et que sa provenance soit contrôlée par la CRE.

Notre pays ne doit pas non plus se désintéresser des risques qu'un nouveau conflit intervienne entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le rapport préconise ainsi de demander l'arrêt des nouveaux projets, ou des nouvelles phases, impliquant des entreprises françaises du secteur des hydrocarbures - dont le groupe TotalEnergies - en Azerbaïdjan, dans l'attente d'une résolution pacifique des différends entre ces deux États.

5. Consolider le cadre international en faveur de la transition énergétique

Au-delà de cette action européenne, il convient également de conforter le cadre international en faveur de la transition énergétique.

C'est vrai des moyens mobilisés. Les fonds prévus dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) doivent être abondés, à commencer par ceux à destination des pays en voie de développement ou ceux compensant les pertes et les dommages.

C'est aussi vrai des règles édictées. Les secteurs aérien et maritime sont ainsi dans l'attente d'une harmonisation des règles de décarbonation, au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) ou de l'Organisation maritime internationale (OMI).

6. Inciter les secteurs bancaire et assurantiel à financer la transition énergétique

Les banques françaises ont déjà initié la réorientation des financements liés aux énergies fossiles vers les énergies bas-carbone. Elles sont nombreuses à avoir exclu les financements liés au charbon, aux hydrocarbures non conventionnels et à la production de nouveaux champs pétroliers ou gaziers tout en se fixant des objectifs de parts de financements « verts » ou bas-carbone.

Néanmoins, les actifs bas-carbone demeurent plus risqués que les actifs « bruns ». Pour accélérer cette réallocation, le rapport estime donc nécessaire de poursuivre la réflexion au niveau européen sur des taux d'intérêts différenciés selon l'intensité carbone des actifs.

Le dérèglement climatique expose notre système financier à des risques physiques et à des risques de transition, liés à la création d'actifs échoués. Des initiatives sont déjà à l'oeuvre, dans les secteurs bancaire et assurantiel, pour évaluer l'exposition des acteurs aux risques climatiques à l'aide de stress tests. Il est nécessaire d'encourager le secteur à aller plus loin, en prenant davantage en compte les actifs échoués, à la fois dans le reporting extra-financier et dans les exigences prudentielles.

C. FAVORISER LA GOUVERNANCE CLIMATIQUE DES ENTREPRISES

L'État doit accompagner les entreprises dans leur prise en compte croissante des enjeux climatiques.

1. Renforcer les bilans carbone et les plans de transition

Tout d'abord, le rapport recommande de renforcer les bilans carbone et les plans de transition, introduits par la loi « Grenelle II », de 2010, et la loi « Énergie-Climat », de 2019.

S'agissant des bilans carbone, il est proposé de passer d'une périodicité de 4 à 3 ans, pour les entreprises, et de 3 à 2 ans, pour l'État et ses établissements, et de garantir, dans la loi, la prise compte des émissions indirectes, aux côtés de celles directes. Ce dernier point est d'ailleurs l'une des principales critiques faites au groupe TotalEnergies.

Concernant les plans de transition, il convient d'envisager la suppression de la dérogation à l'obligation de réaliser un plan de transition en cas de déclaration de performance extra-financière (DPEF) pour les très grandes entreprises.

Enfin, le rapport a constaté la nécessité de progresser dans la méthodologie utilisée pour l'établissement des bilans carbone, sous l'égide de l'Ademe.

2. Renforcer le devoir de vigilance des sociétés mères

Le devoir de vigilance, sur lequel la France a été pionnière en 2017, constitue un levier permettant de prendre en compte les risques induits par l'activité de l'entreprise et de ses filiales et sous-traitants. Il couvre les matières sociales, environnementales et les droits humains sans mentionner explicitement le climat. Cette absence doit être corrigée afin que les sociétés mères prévoient des mesures dédiées à la prévention et à la correction des risques climatiques.

L'appropriation de la démarche de vigilance par les entreprises est contrastée. Pour l'heure, il n'existe ni jurisprudence établie, ni ligne directrice, ni recommandation, ni même de décret d'application pour la mise en oeuvre du plan de vigilance. La création d'une autorité de suivi et de contrôle du devoir de vigilance, comme l'exige le droit européen, permettrait d'y remédier : contrôler implique aussi guider.

Enfin, en ligne avec la directive européenne, une application extraterritoriale du devoir de vigilance mériterait d'être envisagée pour impliquer les entreprises établies hors du territoire européen mais qui y réalisent un chiffre d'affaires significatif.

3. Renforcer le dialogue actionnarial autour des enjeux climatiques

La décarbonation des entreprises est de plus en plus débattue au sein des assemblées générales, témoignant de l'importance de la question climatique pour les actionnaires et de son impact sur la valeur d'entreprise.

Les sociétés cotées développent le « Say on Climate ». Depuis 2021, TotalEnergies consulte ses actionnaires lors de l'assemblée générale sur sa stratégie de décarbonation par le biais d'une résolution déposée par le conseil d'administration.

Les actionnaires prennent aussi l'initiative de déposer des résolutions climatiques. En 2020, 2022 et 2023, des collectifs d'actionnaires minoritaires ont déposé des résolutions climatiques en vue des assemblées générales de TotalEnergies - mais aussi d'Engie ou encore Vinci. Des débats ont eu lieu sur leur recevabilité, le contenu de certaines ayant pu être considéré comme un empiétement sur les prérogatives du conseil d'administration. Le cadre juridique de ces résolutions climatiques pourrait donc utilement être clarifié pour éliminer tout doute sur leur recevabilité tout en favorisant le dialogue actionnarial.

4. Mieux intégrer le climat à la gouvernance des entreprises

L'identification du climat au sein de la gouvernance des entreprises, grâce à des comités dédiés au sein des conseils d'administration, déjà encouragée par les actionnaires publics, doit être poursuivie.

La rémunération variable des dirigeants est de plus en plus conditionnée à des indicateurs en lien avec le climat : celle du P-DG de TotalEnergies dépend ainsi à 39 % d'indicateurs extrafinanciers. Ces pratiques doivent être encouragées, notamment en poursuivant les efforts d'accompagnement des actionnaires publics.

D. LUTTER CONTRE LES CONFLITS D'INTÉRÊTS ET APPLIQUER LES RÈGLES DE TRANSPARENCE

L'État doit affirmer son exemplarité dans la lutte contre les conflits d'intérêts et l'application des règles de transparence.

1. Mettre fin aux conflits d'intérêts liés à la présence d'entreprises du secteur des hydrocarbures au sein des COP

La présence des entreprises du secteur pétrogazier au sein des délégations nationales aux COP a fait l'objet de débats. Pour mieux distinguer l'intérêt public des intérêts sectoriels, la commission d'enquête estime nécessaire que la France prenne position en faveur d'une meilleure distinction entre les délégations étatiques et celles des entreprises des secteurs les plus émissifs en GES et leurs organisations représentatives aux COP.

2. Renforcer les moyens financiers et humains de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

En outre, à l'échelle plus spécifiquement française, il apparaît opportun de renforcer les moyens et les prérogatives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Les moyens humains de la Haute Autorité pourraient également être accrus -- elle compte actuellement 75 ETP -- afin qu'elle puisse réellement accomplir ses missions.

3. Améliorer le contrôle des mobilités par la HATVP

S'agissant des mobilités public-privé, auxquelles la commission d'enquête n'est pas opposée par principe, le cadre de contrôle pourrait néanmoins être renforcé. La HATVP pourrait recevoir la possibilité d'étendre la durée de son contrôle - actuellement de 3 ans - de 2 années supplémentaires au maximum au cas par cas si l'emploi exercé par une personne ou son secteur d'activité le justifie.

4. Améliorer le contrôle des déclarations du répertoire des représentants d'intérêts par la HATVP

Le rapport estime qu'une amélioration du fonctionnement du répertoire des représentants d'intérêts mériterait également d'être recherchée.

Il propose en particulier de confier à la HATVP de nouveaux pouvoirs de communication de documents et de sanction en cas d'entrave à ses prérogatives et d'améliorer la qualité des informations contenues dans le répertoire. Le rapport recommande notamment que les représentants d'intérêts précisent la décision exacte sur laquelle porte leur action et la mention de la fonction précise des personnes sollicitées. La commission d'enquête recommande également de supprimer le critère d'initiative en vertu duquel les échanges à l'initiative des responsables publics avec des représentants d'intérêts ne sont pas mentionnés dans le registre. Pourraient enfin figurer dans ce dernier les actions de représentation d'intérêts auprès des membres des représentations diplomatiques françaises à l'étranger.

5. Obliger les organismes publics à rendre publics les financements reçus pour les projets de recherche en matière d'environnement

Certaines entités participant à notre diplomatie économique, à l'instar de l'AFD, ont une doctrine relative au soutien à des projets d'énergies fossiles, parmi les plus avancées au monde. Il paraît donc opportun d'harmoniser davantage les doctrines de l'ensemble de ces entités dans l'appui aux projets économiques à l'international, afin de valoriser les meilleures pratiques environnementales et encourager nos partenaires à adopter des doctrines analogues.

6. Mettre fin aux ambiguïtés de notre diplomatie économique

Enfin, il serait aussi pertinent que le rapport annuel de la Cour des comptes sur la transition écologique et le changement climatique annoncé par la juridiction financière comporte une évaluation des effets de la diplomatie économique de la France sur le climat.


* 1 Énergies renouvelables incluses.

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