III. AGIR À PLUS LONG TERME SUR LES FREINS STRUCTURELS AUX AUGMENTATIONS SALARIALES

A. FAIRE ÉVOLUER LE SYSTÈME DES ALLÈGEMENTS DE COTISATIONS : UN OUTIL NÉCESSAIRE QUI DÉFORME LA PROGRESSIVITÉ DU COÛT SALARIAL

Le premier frein à la revalorisation salariale relève des contraintes économiques auxquelles sont soumis les employeurs : la concurrence internationale et les effets de seuil induits par les allègements de cotisations. Si les allègements successifs de cotisations employeurs ont permis de réduire le coût horaire moyen de la main-d'oeuvre en France à un niveau proche de l'Allemagne, 38,3 euros brut contre 37,2 euros, ils connaissent une forme « d'emballement » avec un montant de 72 milliards d'euros en 2022.

Montant annuel des exonérations (tous secteurs)
et taux d'exonération apparent dans le secteur privé entre 2004 et 2022

L'articulation des allègements de cotisations avec le bénéfice de certaines prestations sociales (prime d'activité, APL) entraîne des effets de seuil qui freinent les augmentations salariales du côté de l'employeur, et parfois même du salarié qui peut être contraint de réduire sa quantité de travail pour rester sous les plafonds de la sécurité sociale.

Variation du salaire super-brut nécessaire pour augmenter de 100 €
le revenu disponible d'un salarié selon son niveau de rémunération

Source : Drees, 2023

La complexité du système socialo-fiscal appelle à la prudence en matière de réforme, mais ne doit pas condamner à l'immobilisme. Un renforcement de l'évaluation des allègements de cotisation patronale au regard des objectifs de soutien à l'emploi doit être conduit, particulièrement au-dessus de 2,5 Smic. Par ailleurs, toute réforme des allègements généraux devrait s'inscrire dans une méthode assurant à la fois une concertation poussée avec les partenaires sociaux, une meilleure articulation du bénéfice des allègements et de celui des prestations sociales, et une mise en oeuvre progressive - seule garante de la prévisibilité nécessaire à la préservation de l'activité des entreprises.

B. RENFORCER LA LISIBILITÉ DES RÉMUNÉRATIONS POUR UNE MEILLEURE INFORMATION AU BÉNÉFICE DE TOUS

Les compléments du salaire, qui ne peuvent s'y substituer, ont parfois un rôle essentiel dans l'amélioration du niveau de vie des salariés. Les dispositifs de partage de la valeur, qu'il s'agisse de participation dans les entreprises de plus de 50 salariés, d'intéressement ou d'épargne salariale, permettent en outre de fédérer les salariés autour d'objectifs communs.

Cependant, ces compléments de rémunération font l'objet d'une information incomplète, et parfois déficiente, des salariés. Le bulletin de paie ne détaille, ni ne comporte l'intégralité des efforts consentis par l'employeur en faveur du niveau de vie de ses salariés. Il serait donc souhaitable qu'à l'instar des initiatives de certains employeurs, soit créé un document récapitulatif annuel de l'ensemble des efforts financiers de l'employeur pour le salarié, afin de renforcer la lisibilité de la rémunération. Il recenserait le salaire ainsi que les autres éléments de rémunération - qu'ils relèvent de primes et gratification, d'indemnités professionnelles ou d'avantages en nature - mais également de dispositifs de partage de la valeur, ainsi que le financement de la formation professionnelle. Cette obligation constituerait à court terme une charge pour l'entreprise, mais permettrait également d'en renforcer l'attractivité et la fidélité auprès des salariés.

Liste des recommandations

Recommandation n° 1 : Expérimenter pour quatre ans une obligation bisannuelle de négociations salariales dans les entreprises de plus de onze salariés dotées d'un CSE.

Recommandation n° 2 : Encourager la conclusion au niveau des branches d'accords salariaux pluriannuels comportant des clauses de revoyure, notamment en invitant les partenaires sociaux à prévoir les modalités de ces négociations dans un accord national interprofessionnel, afin de donner de la visibilité aux entreprises et aux salariés.

Recommandation n° 3 : Consacrer comme règle de droit commun le délai maximal de deux mois pour la procédure d'extension des avenants salariaux aux conventions de branche étendues.

Recommandation n° 4 : Ne pas céder à la fausse bonne idée d'une indexation sur le Smic des SMH, qui règlerait définitivement le problème de la conformité, mais contournerait le dialogue social et aboutirait in fine à un tassement des grilles salariales.

Recommandation n° 5 : Concerter les partenaires sociaux afin de porter de 2 à 2,5 % le seuil d'inflation entraînant automatiquement une revalorisation du Smic en cours d'année.

Recommandation n° 6 : Communiquer au 1er octobre une prévision de la revalorisation du Smic aux partenaires sociaux afin de leur laisser la possibilité d'anticiper les négociations.

Recommandation n° 7 : À droit constant, prendre en compte l'ensemble des éléments de rémunération certains dont bénéficient les salariés dans la comparaison des SMH d'une branche au niveau du Smic par les services de l'État.

Recommandation n° 8 : Majorer les dotations versées aux Opco pour l'aide au développement des compétences des entreprises pour les secteurs concernés par les stagnations salariales sous réserve de la conclusion d'accords de branche ou d'interbranche sur le développement des compétences.

Recommandation n° 9 : Faire évoluer les objectifs du FNE - Formation pour y intégrer un objectif de lutte contre la stagnation à un bas salaire.

Recommandation n° 10 : Ajouter les faibles perspectives d'évolution salariale comme un des critères prioritaires pour la prise en charge des projets de transition professionnelle déposée par les salariés.

Recommandation n° 11 : Apporter aux branches professionnelles un appui plus important (mise à jour du guide sur les classifications, aide juridique, financement d'un recours à un cabinet extérieur ou de formation...) pour la révision de leurs classifications.

Recommandation n° 12 : Mieux évaluer l'effet des allègements de cotisations patronales à l'avenir, et envisager l'effet des évolutions au sein des différentes branches professionnelles.

Recommandation n° 13 : Respecter un cahier des charges pour toute réforme des allègements à venir, qui réunisse progressivité dans le temps, consultation des partenaires sociaux et mise en cohérence des différentes politiques concernant le pouvoir d'achat.

Recommandation n° 14 : Mettre en place dans les entreprises un document annuel détaillant l'ensemble des éléments de rémunération, d'épargne salariale, d'avantages et de financement de la formation professionnelle des salariés afin de renforcer l'attractivité des entreprises.

Recommandation n° 15 : Être très attentifs dans la transposition de la directive européenne du 10 mai 2023 à ce que l'objectif de transparence des rémunérations ne constitue pas une charge dénuée de sens pour les employeurs, mais permette in fine de renforcer la lisibilité des trajectoires de rémunération de l'ensemble des salariés.

Réunie le mercredi 12 juin 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté le rapport et les recommandations présentés par Mme Frédérique Puissat et Mme Corinne Bourcier, rapporteures, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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