N° 689

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juin 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) par la mission d'information sur les négociations salariales,

Par Mmes Frédérique PUISSAT et Corinne BOURCIER,

Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.

L'ESSENTIEL

Avec le retour d'une inflation soutenue, les négociations salariales au niveau des branches professionnelles et des entreprises ont été mises sous pression par l'enchaînement des revalorisations automatiques du Smic. Le constat de la réussite globale des négociations salariales de branche conduit à prioriser la lutte contre les freins structurels à l'évolution professionnelle et salariale au cours de la carrière.

I. LA NÉGOCIATION SALARIALE DANS LES BRANCHES PROFESSIONNELLES EST PARVENUE À RELEVER LE DÉFI DU RETOUR DE L'INFLATION

A. LES NÉGOCIATIONS SALARIALES À L'ÉCHELON DE LA BRANCHE SONT ESSENTIELLES, ET BIEN ARTICULÉE AVEC LES NÉGOCIATIONS AU SEIN DE L'ENTREPRISE

Le cadre juridique qui s'applique aux négociations salariales est globalement adapté. Peu impactés par les ordonnances « Travail » de 2017, les salaires minima hiérarchiques (SMH), déterminés par les branches, sanctuarisent des montants que les entreprises doivent respecter. Ils demeurent déterminants pour réguler la concurrence de leur secteur d'activité en évitant le dumping social. Ces accords salariaux de branche sont donc structurants pour les TPE-PME, ce qui justifierait de ramener à deux mois le délai d'extension, par le ministre du travail, d'un accord signé par des organisations représentatives à l'ensemble des entreprises d'une branche.

Les travaux de la mission d'information conduisent à reconnaître l'importance des accords salariaux de branche qu'il convient de ne pas fragiliser.

Les modalités de négociations salariales gagneraient également à évoluer afin d'apporter plus de prévisibilité aux partenaires sociaux, et notamment en encourageant le recours aux accords salariaux de branche pluriannuels. De même, au sein des entreprises, les négociations annuelles obligatoires (NAO) pourraient être étendues de façon expérimentale aux PME disposant d'un comité social et économique (CSE) afin de renforcer la négociation au bénéfice du plus grand nombre.

B. L'INFLATION A DICTÉ LE RYTHME DES NÉGOCIATIONS SALARIALES DE BRANCHE, QUI ONT SU S'ADAPTER À CE NOUVEAU CONTEXTE

Les revalorisations du Smic ont permis de garantir le pouvoir d'achat des salariés, mais ont mis sous tension les négociations salariales de branches. Les revalorisations immédiates en cours d'année lorsque l'indice des prix augmente de 2 % ont perturbé le calendrier des négociations, puisque les partenaires sociaux des branches sont obligés de se réunir pour négocier sur les salaires dès lors qu'au moins un SMH est dépassé par le Smic.

Cette course en avant incite certains partenaires sociaux, y compris patronaux, à proposer que le législateur permette l'indexation des SMH sur le Smic. Cette idée, qui semble séduisante de prime abord, risquerait en réalité d'affaiblir le dialogue social et de conduire au tassement des grilles de rémunération en n'agissant que sur les échelons rattrapés par le Smic. En revanche, le seuil d'inflation de 2 % à partir duquel le Smic est automatiquement revalorisé en cours d'année gagnerait à être réhaussé à 2,5 % afin de prendre en compte les dernières évolutions de la politique monétaire européenne, ce qui permettrait de laisser plus de temps au dialogue social pour revaloriser l'ensemble des grilles des SMH.

Les partenaires sociaux des branches se sont efforcés de jouer le jeu de la négociation collective après chaque revalorisation du Smic.

Nombre de branches professionnelles non conformes au Smic
entre 2021 et septembre 2023

Source : Direction générale du travail

Cette réussite des négociateurs de branche est d'autant plus admirable que les assiettes des SMH et du Smic ne sont pas exactement les mêmes, conduisant par exemple à ce que certaines branches qui accordent un 13e mois à l'ensemble de leurs salariés ne puissent faire valoir cette prime dans la comparaison au Smic. Une comparaison non biaisée est donc à privilégier pour l'avenir.

C. LES BRANCHES PROFESSIONNELLES STRUCTURELLEMENT NON CONFORMES AU SMIC : UN MYTHE INFONDÉ

Le Gouvernement a choisi de menacer les branches prétendument non conformes de manière structurelle, c'est-à-dire dont au moins un minimum conventionnel est inférieur au Smic depuis plus d'un an. Lors de la conférence sociale du 16 octobre 2023, Élisabeth Borne, alors Première ministre, indiquait qu'à défaut de progrès significatifs d'ici le 1er juin 2024, quant à la mise en conformité des branches en dessous du Smic, le Gouvernement proposerait au Parlement de minorer les exonérations de cotisations sociales et envisagerait la fusion administrative des branches dans lesquelles l'activité conventionnelle serait structurellement dégradée.

La communication de l'exécutif mentionnait encore récemment une dizaine de branches dont les SMH seraient non conformes de manière structurelle au Smic, ce que ne confirment pas les faits. Sur les branches mises en cause fin décembre 2023, seules trois branches professionnelles représentant au total 48 000 salariés (cafétérias, institutions de retraite complémentaire et foyers de jeunes travailleurs) n'avaient pas retrouvé en mars 2024 des SMH supérieurs au Smic pour tous les niveaux de leur classification. Auditionnés, les représentants des branches n'ont pas fait état d'un dialogue social impuissant à la négociation salariale. La branche des foyers de jeunes travailleurs fait même état d'une divergence d'appréciation avec le Gouvernement et conteste être en état de non-conformité.

La chasse à tout prix faite aux branches non conformes ne constitue définitivement pas un enjeu sérieux de politique publique. En outre, les mises en cause et les mesures coercitives ne sont pas sans effet réputationnel pour les branches, pouvant nuire aux recrutements.

II. LE FAUX DÉBAT DE LA « SMICARDISATION » DE LA SOCIÉTÉ CACHE UN VRAI PROBLÈME DE STAGNATION DES SALAIRES AU LONG DES CARRIÈRES

A. UNE AUGMENTATION CONJONCTURELLE DU NOMBRE DE SALARIÉS AU SMIC DIFFICILE À VIVRE

La part des salariés rémunérés au Smic a particulièrement crû avec les revalorisations successives de ce dernier, atteignant 17,3 % des salariés du secteur privé hors agricole au 1er janvier 2023. Une telle augmentation a déjà été constatée en 2005, avant de redescendre progressivement à 11 %. Ce phénomène s'est doublé d'un tassement des salaires, qui s'est traduit par un resserrement entre le premier et le dernier niveau hiérarchique des SMH. En outre, le rattrapage par le Smic de salariés dont la rémunération était auparavant supérieure a provoqué un sentiment bien réel de déclassement social.

Cette situation concerne particulièrement le secteur social et médico-social, au sein duquel les modalités de négociations salariales sont pourtant fortement dictées par les pouvoirs publics. À l'échelle totale de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass), environ un salarié sur cinq reçoit un salaire compris entre 1 et 1,2 Smic.

B. LA « SMICARDISATION » CONTRE LAQUELLE LES POUVOIRS PUBLICS DOIVENT LUTTER EN PRIORITÉ EST LA STAGNATION DU SALAIRE AU COURS DE LA CARRIÈRE PROFESSIONNELLE

La stagnation salariale au cours de la carrière constitue le principal problème auquel les salariés sont confrontés, et doit donc concentrer les efforts des politiques publiques. Ce constat doit conduire à ne pas entraver les secteurs économiques qui, naturellement, permettent une ascension salariale importante, à commencer par l'industrie.

Plus largement, il conviendrait d'apporter un soutien public ciblé sur les branches professionnelles qui, par la nature de leur secteur d'activité, sont en difficulté pour offrir une progression salariale satisfaisante à leurs salariés. Ce soutien pourrait être assuré via les dotations accordées par France compétences aux opérateurs de compétence (Opco), en majorant le financement des plans de développement des compétences des branches qui s'engagent dans des accords incitant au développement des compétences et à la formation continue. De même, le Fonds national de l'emploi-Formation, dans le cadre du conventionnement entre l'État et chaque Opco, pourrait intégrer un objectif d'aide à la progression salariale. Enfin, pour les secteurs d'activité qui concentrent les stagnations salariales, il faut encourager les perspectives d'évolution hors de l'entreprise. L'État doit ainsi soutenir les initiatives de certaines branches, comme celle du bâtiment, qui structurent des écoles de formation visant à former les salariés du secteur pour en faire les cadres dirigeants des entreprises de la branche.

En revanche, la révision des classifications de branche, pour essentielle qu'elle soit à long terme dans la valorisation des compétences, ne constitue pas à court terme un levier de « désmicardisation » des carrières. Ces révisions sont des procédures lourdes à engager et longues à aboutir, ce qui justifierait un meilleur accompagnement de l'État en ingénierie de ces projets.

III. AGIR À PLUS LONG TERME SUR LES FREINS STRUCTURELS AUX AUGMENTATIONS SALARIALES

A. FAIRE ÉVOLUER LE SYSTÈME DES ALLÈGEMENTS DE COTISATIONS : UN OUTIL NÉCESSAIRE QUI DÉFORME LA PROGRESSIVITÉ DU COÛT SALARIAL

Le premier frein à la revalorisation salariale relève des contraintes économiques auxquelles sont soumis les employeurs : la concurrence internationale et les effets de seuil induits par les allègements de cotisations. Si les allègements successifs de cotisations employeurs ont permis de réduire le coût horaire moyen de la main-d'oeuvre en France à un niveau proche de l'Allemagne, 38,3 euros brut contre 37,2 euros, ils connaissent une forme « d'emballement » avec un montant de 72 milliards d'euros en 2022.

Montant annuel des exonérations (tous secteurs)
et taux d'exonération apparent dans le secteur privé entre 2004 et 2022

L'articulation des allègements de cotisations avec le bénéfice de certaines prestations sociales (prime d'activité, APL) entraîne des effets de seuil qui freinent les augmentations salariales du côté de l'employeur, et parfois même du salarié qui peut être contraint de réduire sa quantité de travail pour rester sous les plafonds de la sécurité sociale.

Variation du salaire super-brut nécessaire pour augmenter de 100 €
le revenu disponible d'un salarié selon son niveau de rémunération

Source : Drees, 2023

La complexité du système socialo-fiscal appelle à la prudence en matière de réforme, mais ne doit pas condamner à l'immobilisme. Un renforcement de l'évaluation des allègements de cotisation patronale au regard des objectifs de soutien à l'emploi doit être conduit, particulièrement au-dessus de 2,5 Smic. Par ailleurs, toute réforme des allègements généraux devrait s'inscrire dans une méthode assurant à la fois une concertation poussée avec les partenaires sociaux, une meilleure articulation du bénéfice des allègements et de celui des prestations sociales, et une mise en oeuvre progressive - seule garante de la prévisibilité nécessaire à la préservation de l'activité des entreprises.

B. RENFORCER LA LISIBILITÉ DES RÉMUNÉRATIONS POUR UNE MEILLEURE INFORMATION AU BÉNÉFICE DE TOUS

Les compléments du salaire, qui ne peuvent s'y substituer, ont parfois un rôle essentiel dans l'amélioration du niveau de vie des salariés. Les dispositifs de partage de la valeur, qu'il s'agisse de participation dans les entreprises de plus de 50 salariés, d'intéressement ou d'épargne salariale, permettent en outre de fédérer les salariés autour d'objectifs communs.

Cependant, ces compléments de rémunération font l'objet d'une information incomplète, et parfois déficiente, des salariés. Le bulletin de paie ne détaille, ni ne comporte l'intégralité des efforts consentis par l'employeur en faveur du niveau de vie de ses salariés. Il serait donc souhaitable qu'à l'instar des initiatives de certains employeurs, soit créé un document récapitulatif annuel de l'ensemble des efforts financiers de l'employeur pour le salarié, afin de renforcer la lisibilité de la rémunération. Il recenserait le salaire ainsi que les autres éléments de rémunération - qu'ils relèvent de primes et gratification, d'indemnités professionnelles ou d'avantages en nature - mais également de dispositifs de partage de la valeur, ainsi que le financement de la formation professionnelle. Cette obligation constituerait à court terme une charge pour l'entreprise, mais permettrait également d'en renforcer l'attractivité et la fidélité auprès des salariés.

Liste des recommandations

Recommandation n° 1 : Expérimenter pour quatre ans une obligation bisannuelle de négociations salariales dans les entreprises de plus de onze salariés dotées d'un CSE.

Recommandation n° 2 : Encourager la conclusion au niveau des branches d'accords salariaux pluriannuels comportant des clauses de revoyure, notamment en invitant les partenaires sociaux à prévoir les modalités de ces négociations dans un accord national interprofessionnel, afin de donner de la visibilité aux entreprises et aux salariés.

Recommandation n° 3 : Consacrer comme règle de droit commun le délai maximal de deux mois pour la procédure d'extension des avenants salariaux aux conventions de branche étendues.

Recommandation n° 4 : Ne pas céder à la fausse bonne idée d'une indexation sur le Smic des SMH, qui règlerait définitivement le problème de la conformité, mais contournerait le dialogue social et aboutirait in fine à un tassement des grilles salariales.

Recommandation n° 5 : Concerter les partenaires sociaux afin de porter de 2 à 2,5 % le seuil d'inflation entraînant automatiquement une revalorisation du Smic en cours d'année.

Recommandation n° 6 : Communiquer au 1er octobre une prévision de la revalorisation du Smic aux partenaires sociaux afin de leur laisser la possibilité d'anticiper les négociations.

Recommandation n° 7 : À droit constant, prendre en compte l'ensemble des éléments de rémunération certains dont bénéficient les salariés dans la comparaison des SMH d'une branche au niveau du Smic par les services de l'État.

Recommandation n° 8 : Majorer les dotations versées aux Opco pour l'aide au développement des compétences des entreprises pour les secteurs concernés par les stagnations salariales sous réserve de la conclusion d'accords de branche ou d'interbranche sur le développement des compétences.

Recommandation n° 9 : Faire évoluer les objectifs du FNE - Formation pour y intégrer un objectif de lutte contre la stagnation à un bas salaire.

Recommandation n° 10 : Ajouter les faibles perspectives d'évolution salariale comme un des critères prioritaires pour la prise en charge des projets de transition professionnelle déposée par les salariés.

Recommandation n° 11 : Apporter aux branches professionnelles un appui plus important (mise à jour du guide sur les classifications, aide juridique, financement d'un recours à un cabinet extérieur ou de formation...) pour la révision de leurs classifications.

Recommandation n° 12 : Mieux évaluer l'effet des allègements de cotisations patronales à l'avenir, et envisager l'effet des évolutions au sein des différentes branches professionnelles.

Recommandation n° 13 : Respecter un cahier des charges pour toute réforme des allègements à venir, qui réunisse progressivité dans le temps, consultation des partenaires sociaux et mise en cohérence des différentes politiques concernant le pouvoir d'achat.

Recommandation n° 14 : Mettre en place dans les entreprises un document annuel détaillant l'ensemble des éléments de rémunération, d'épargne salariale, d'avantages et de financement de la formation professionnelle des salariés afin de renforcer l'attractivité des entreprises.

Recommandation n° 15 : Être très attentifs dans la transposition de la directive européenne du 10 mai 2023 à ce que l'objectif de transparence des rémunérations ne constitue pas une charge dénuée de sens pour les employeurs, mais permette in fine de renforcer la lisibilité des trajectoires de rémunération de l'ensemble des salariés.

Réunie le mercredi 12 juin 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté le rapport et les recommandations présentés par Mme Frédérique Puissat et Mme Corinne Bourcier, rapporteures, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1

Expérimenter pour quatre ans une obligation bisannuelle de négociations salariales dans les entreprises de plus de onze salariés dotées d'un CSE

Recommandation n° 2

Encourager la conclusion au niveau des branches d'accords salariaux pluriannuels comportant des clauses de revoyure, notamment en invitant les partenaires sociaux à prévoir les modalités de ces négociations dans un accord national interprofessionnel, afin de donner de la visibilité aux entreprises et aux salariés

Recommandation n° 3

Consacrer comme règle de droit commun le délai maximal de deux mois pour la procédure d'extension des avenants salariaux aux conventions de branche étendues

Recommandation n° 4

Ne pas céder à la fausse bonne idée d'une indexation sur le Smic des SMH, qui règlerait définitivement le problème de la conformité, mais contournerait le dialogue social et aboutirait in fine à un tassement des grilles salariales

Recommandation n° 5

Concerter les partenaires sociaux afin de porter de 2 à 2,5 % le seuil d'inflation entraînant automatiquement une revalorisation du Smic en cours d'année

Recommandation n° 6

Communiquer au 1er octobre une prévision de la revalorisation du Smic aux partenaires sociaux afin de leur laisser la possibilité d'anticiper les négociations

Recommandation n° 7

À droit constant, prendre en compte l'ensemble des éléments de rémunération certains dont bénéficient les salariés dans la comparaison des SMH d'une branche au niveau du Smic par les services de l'État

Recommandation n° 8

Majorer les dotations versées aux Opco pour l'aide au développement des compétences des entreprises pour les secteurs concernés par les stagnations salariales sous réserve de la conclusion d'accords de branche ou d'interbranche sur le développement des compétences

Recommandation n° 9

Faire évoluer les objectifs du FNE - Formation pour y intégrer un objectif de lutte contre la stagnation à un bas salaire

Recommandation n° 10

Ajouter les faibles perspectives d'évolution salariale comme un des critères prioritaires pour la prise en charge des projets de transition professionnelle déposée par les salariés

Recommandation n° 11

Apporter aux branches professionnelles un appui plus important (mise à jour du guide sur les classifications, aide juridique, financement d'un recours à un cabinet extérieur ou de formation...) pour la révision de leurs classifications

Recommandation n° 12

Mieux évaluer l'effet des allègements de cotisations patronales à l'avenir, et envisager l'effet des évolutions au sein des différentes branches professionnelles

Recommandation n° 13

Respecter un cahier des charges pour toute réforme des allègements à venir, qui réunisse progressivité dans le temps, consultation des partenaires sociaux et mise en cohérence des différentes politiques concernant le pouvoir d'achat

Recommandation n° 14

Mettre en place dans les entreprises un document annuel détaillant l'ensemble des éléments de rémunération, d'épargne salariale, d'avantages et de financement de la formation professionnelle des salariés afin de renforcer l'attractivité des entreprises

Recommandation n° 15

Être très attentifs dans la transposition de la directive européenne du 10 mai 2023 à ce que l'objectif de transparence des rémunérations ne constitue pas une charge dénuée de sens pour les employeurs, mais permette in fine de renforcer la lisibilité des trajectoires de rémunération de l'ensemble des salariés

LISTE DES SIGLES

A

 

Afep

Association française des entreprises privées

ANI

Accord national interprofessionnel

B

 

BAD

Branche de l'aide à domicile

Bass

Branche associative sanitaire sociale et médicosociale

BCE

Banque centrale européenne

C

 

Cass. Soc.

Chambre sociale de la Cour de cassation

CCN

Convention collective nationale

CCNUE

Convention collective nationale unique étendue

CDD

Contrat à durée déterminée

CDI

Contrat à durée indéterminée

CEP

Contrat d'études prospectives

Cepremap

CEntre Pour la Recherche EconoMique et ses APplications

CFDT

Confédération française démocratique du travail

CFE-CGC

Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres

CFTC

Confédération française des travailleurs chrétiens

CGT

Confédération générale du travail

CICE

Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

CIF

Congé individuel de formation

CMP

Commission mixte paritaire

CNNCEFP

Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle

CPME

Confédération des petites et moyennes entreprises

CPPNI

Commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation

CPIR

Commission paritaire interprofessionnelle régionale

Cris

Conventions regroupées pour l'information statistique

CSE

Comité social et économique

CSG

Contribution sociale généralisée

D

 

Dares

Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques

Deets

Direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités

DGAFP

Direction générale de l'administration et de la fonction publique

DGCS

Direction générale de la cohésion sociale

DGT

Direction générale du travail

DG Trésor

Direction générale du Trésor

DSS

Direction de la sécurité sociale

DRH

Directeur des ressources humaines

E

 

EDEC

Engagement de développement de l'emploi et des compétences

ESJDB

École supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment

ESSMS

Établissement et service social ou médico-social

ETP

Équivalent temps plein

F

 

FEP

Fédération des entreprises de propreté

FFB

Fédération française du bâtiment

FNE

Fonds national de l'emploi

FO

Force ouvrière

FSJT

Foyers et services pour jeunes travailleurs

G

 

GHR

Groupement des hôtelleries et restaurations

GMR

Garanties mensuelles de rémunération

GPEC

Gestion prévisionnelle des emplois et compétences

H

 

HCFP

Haut Conseil des finances publiques

I

 

Igas

Inspection générale des affaires sociales

Insee

Institut national de la statistique et des études économiques

IM

Indice majoré

IPC

Indice des prix à la consommation

L

 

LFSS

Loi de financement de la sécurité sociale

M

 

Mecss

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

N

 

NAO

Négociation annuelle obligatoire

O

 

OCDE

Organisation de coopération et de développement économiques

OIT

Organisation internationale du travail

Opco

Opérateur de compétences

P

 

PAS

Prélèvement à la source

PCM

Président de commission mixte

PEE

Plan d'épargne entreprise

PER

Plan d'épargne retraite

PME

Petite et moyenne entreprise

PPV

Prime de partage de la valeur

PTP

Projet de transition professionnelle

R

 

Ralfss

Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale

RESF

Rapport économique et financier

RNCP

Répertoire national des certifications professionnelles

Robss

Régimes obligatoires de base de la sécurité sociale

RSP

Réserve spéciale de participation

S

 

SHBOE

Salaire horaire de base des ouvriers et des employés

SMB

Salaire mensuel de base

Smic

Salaire minimum interprofessionnel de croissance

SMH

Salaire minimum hiérarchique

SNF

Société non financière

T

 

TIB

Traitement indiciaire brut

TPE

Très petite entreprise

TVA

Taxe sur la valeur ajoutée

U

 

UE

Union européenne

UIMM

Union des industries et métiers de la métallurgie

UNISSS

Union intersyndicale des secteurs sanitaires et sociaux

U2P

Union des entreprises de proximité

   

I. FACE À L'INFLATION, LES BRANCHES PROFESSIONNELLES ONT ACCOMPLI LEUR MISSION GRÂCE À UN CADRE DE LA NÉGOCIATION SALARIALE GLOBALEMENT ADAPTÉ

A. LES NÉGOCIATIONS SALARIALES À L'ÉCHELON DE LA BRANCHE REMPLISSENT UNE FONCTION ESSENTIELLE ET BIEN ARTICULÉE AVEC LES AUTRES NIVEAUX DE DÉTERMINATION DES SALAIRES

1. Le cadre juridique qui régit les négociations salariales de branches et d'entreprises se révèle satisfaisant

Contrepartie du travail fourni, le salaire se trouve au coeur du droit du travail, d'abord, en ce qu'il définit le salarié : « celui qui reçoit un salaire » (Littré) ; « le droit du travail dans sa totalité est construit autour du salaire »1(*). Le salaire demeure donc au centre des préoccupations de tous les salariés dans leurs relations individuelles ou collectives avec leur employeur. Dans l'ordonnancement juridique du droit du travail, la question du salaire a relativement été tenue à l'écart des changements profonds opérés depuis 1982. L'équilibre aujourd'hui trouvé sur la détermination du salaire et les négociations qui s'y réfèrent semble satisfaisant.

a) Pour la détermination des salaires, les réformes du droit du travail ont, dans les faits, maintenu la même articulation des normes

Dans une économie libérale, la fixation des salaires résulte de la libre négociation entre l'employeur et le salarié. Ainsi, d'un point de vue économique, en dépit des minima légaux ou conventionnels, il convient de garder à l'esprit, comme le souligne Yves Barou, entendu en audition par les rapporteures, que « les salaires ne sont déterminés ni par la branche ni par le Gouvernement : ils se forment dans l'entreprise et nulle part ailleurs ».

D'un point de vue juridique, la règle selon laquelle « la fixation des rémunérations salariales ainsi que de leurs accessoires de toute nature relève des contrats librement passés entre employeurs et salariés » a été reconnue par le juge constitutionnel en 19632(*) comme étant un principe fondamental du droit du travail et des obligations civiles et commerciales auquel seule la loi peut déroger3(*). Avec ce principe comme toile de fond, la loi est venue tisser un ordonnancement juridique complexe.

Primo, il est des normes légales auxquelles ni le contrat de travail ni aucune norme conventionnelle ne peuvent déroger. Cet ordre public salarial, selon l'appellation doctrinale, est surtout constitué de l'interdiction légale de toute indexation des rémunérations sur le niveau général des prix et des salaires, ainsi que du principe d'égalité des rémunérations se déclinant, notamment, par une égalité de salaire reconnue aux travailleurs quel que soit leur sexe, ainsi que par le principe « à travail égal, salaire égal ». L'article L. 1242-15 du code du travail reconnait par exemple une égalité de rémunération entre une personne occupant un contrat à durée déterminée (CDD) et celle occupant un contrat à durée indéterminée (CDI) disposant « de qualification professionnelle équivalente et occupant les mêmes fonctions ». D'autres dispositions légales d'ordre public peuvent bien entendu intervenir lors des négociations salariales. La Cour de cassation a par exemple jugé qu'une convention collective ne peut porter atteinte à l'obligation de payer les heures supplémentaires4(*).

Secundo, sur les salaires, l'ordonnancement des normes est demeuré relativement inchangé en dépit des réformes du droit du travail (voir encadré ci-dessous) si bien que le salaire se fixe dans le contrat de travail, fruit de la négociation individuelle, mais dans le respect de la convention d'entreprise, de la convention de branche et du Smic.

La hiérarchie des normes en droit du travail

La hiérarchie des normes en droit du travail ne répond pas à une logique univoque. D'une part, les relations entre la loi et les normes négociées diffèrent selon les matières en jeu. Certaines dispositions relèvent de l'ordre public absolu : même librement consenties par les contractants, les dérogations à la loi sont nulles. D'autres matières font intervenir l'ordre public social, c'est-à-dire qu'il est possible de déroger à une disposition légale à la seule condition que la dérogation négociée soit plus favorable au salarié. Enfin, la doctrine a pu évoquer l'émergence d'un ordre public dérogeable au sein duquel les dispositions légales peuvent être écartées par voie conventionnelle, y compris si la dérogation est défavorable au salarié.

S'agissant, d'autre part, de l'articulation des normes négociées entre elles, l'image de la pyramide des normes n'a certes jamais été complètement appropriée : le principe de faveur guidait employeurs, salariés ou juges pour le choix de la norme à appliquer. Toutefois, les différentes réformes ont définitivement supprimé le principe selon lequel la norme devenait de plus en plus favorable aux salariés à mesure qu'elle couvrait un champ territorial ou professionnel moins large.

Un mouvement de décentralisation, dont les dernières étapes ont été la loi du 8 août 2016 dite « Travail » et l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, a donné à l'accord d'entreprise une place prépondérante, assortie toutefois d'exception. Désormais, les matières négociables sont réparties en trois blocs :

- un premier bloc regroupe les treize matières pour lesquelles la convention de branche prime la convention d'entreprise, sauf si cette dernière assure des garanties au moins équivalentes. La définition des « salaires minima hiérarchiques » se retrouve dans cette catégorie ;

- le second bloc comprend quatre items, dont les primes pour travaux dangereux ou insalubres, pour lesquels la convention de branche peut stipuler explicitement que la convention d'entreprise ne pourra comporter des clauses différentes sauf lorsque la convention d'entreprise assure des garanties au moins équivalentes ;

- enfin, pour le troisième bloc réunissant toutes les autres matières, la convention d'entreprise prévaut sur celle de branche qui n'a donc qu'une valeur supplétive.

Les réformes récentes du droit du travail n'ont eu que peu d'incidence en pratique sur les négociations salariales. Les salaires minima relèvent des treize thèmes pour lesquels la branche demeure prépondérante, sauf en cas de garantie au moins équivalente. En outre, si la question a pu se poser quant aux possibilités de remettre en cause par accord d'entreprise les compléments de salaire prévus par les branches, leur intégration aux salaires minima pour sanctuariser le montant de rémunération a été validée par la jurisprudence du Conseil d'État (voir infra). En pratique, les stipulations des accords d'entreprise prévoient donc des grilles salariales au moins aussi avantageuses que celles relevant des accords de branche. Il ressort des auditions des rapporteures que cette situation de statu quo paraît satisfaisante aux acteurs.

b) Les négociations salariales, un passage obligé du dialogue social de branche et d'entreprise
(1) Des modalités de négociations encadrées par la loi

Depuis la troisième loi Auroux du 13 novembre 19825(*), le législateur français incite les partenaires sociaux à engager des négociations salariales régulières. Le code du travail6(*) oblige ainsi les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels d'engager annuellement des négociations sur les salaires. Cette même obligation7(*) de négocier sur les salaires effectifs s'impose aux entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives à la charge pour l'employeur d'engager cette négociation.

Depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, cette nécessité de procéder à des négociations annuelles obligatoires (NAO) est toutefois devenue supplétive en l'absence d'accord de méthode entre les parties déterminant une autre périodicité de négociation ou si les stipulations de ces accords ne sont pas respectées.

En absence d'accord de méthode, les organisations liées par un accord de branche demeurent également soumises à des exigences légales quant au contenu de la négociation salariale annuelle. Cette dernière doit, par exemple, être l'occasion d'examiner « l'évolution économique, la situation de l'emploi dans la branche, son évolution et les prévisions annuelles ou pluriannuelles établies (...), ainsi que l'évolution des salaires effectifs moyens par catégories professionnelles et par sexe, au regard, le cas échéant, des salaires minima hiérarchiques »8(*). Ces négociations doivent également intégrer des mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes9(*).

Même en cas d'accord de méthode, le législateur a toutefois prévu l'obligation d'ordre public absolu que les négociations salariales au niveau des branches comme au sein des entreprises concernées se tiennent au moins une fois tous les quatre ans10(*). Au sein des entreprises, le non-respect de cette périodicité quadriennale est sanctionné d'une minoration des allègements applicables de cotisations sociales11(*).

Les accords de méthode concernant les négociations salariales

En vertu des articles L. 2241-4 et L. 2241-5 du code du travail, les organisations liées par une convention de branche peuvent conclure un accord de méthode sur plusieurs thèmes dont les salaires. Les parties peuvent alors déterminer le contenu du thème, la périodicité des négociations, le calendrier et les lieux des réunions, les informations que les organisations professionnelles d'employeurs remettent aux négociateurs ainsi que les modalités selon lesquelles sont suivis les engagements souscrits par les parties. La durée de l'accord de méthode ne peut excéder cinq ans.

Les articles L. 2242-10 et L. 2242-11 prévoient des dispositions similaires pour les entreprises si ce n'est que la durée de l'accord de méthode ne peut excéder quatre ans.

Au niveau des branches comme des entreprises, la loi ne saurait donner une obligation de résultat aux négociations salariales. Celles-ci doivent toutefois faire l'objet d'un « engagement sérieux et loyal » ce qui implique que la partie patronale ou l'employeur ait communiqué aux organisations syndicales les informations nécessaires pour leur permettre de négocier en toute connaissance de cause et ait répondu de manière motivée aux éventuelles propositions des organisations syndicales12(*). Un rapport doit ainsi être remis par les organisations d'employeurs aux organisations syndicales de salariés au moins quinze jours avant la date d'ouverture de la négociation13(*).

Au sein d'une entreprise, l'employeur ne peut, tant que la négociation salariale a cours, arrêter de décisions unilatérales sur ce sujet, sauf si l'urgence le justifie14(*). Si aucun accord n'est conclu au terme de la négociation, un procès-verbal de désaccord consigne les dernières propositions respectives des parties et les mesures que l'employeur entend appliquer unilatéralement15(*).

(2) Un légicentrisme bien français

Cette intervention du législateur pour définir les modalités des négociations salariales ne se retrouve pas nécessairement dans les autres pays européens. En Allemagne, la loi n'impose ni règle de procédure ni temporalité aux partenaires sociaux qui négocient ainsi de manière autonome sur les salaires16(*). En Italie, les règles concernant les négociations salariales, y compris leur périodicité triennale, relève d'un accord tripartite fixé en 1993 entre les confédérations syndicales, les employeurs et le Gouvernement (voir encadré ci-dessous). Enfin, en Suède, où le dialogue social est largement autorégulé, les négociations salariales s'organisent au niveau national, sectoriel ou local sans que l'État n'intervienne dans la fixation des modalités de négociations.

Le cadre des négociations salariales en Italie

En Italie, les relations collectives entre employeurs et salariés sont historiquement déterminées par la négociation. Une série d'accords dits « interconfédéraux » constituent le cadre essentiel définissant les modalités de représentation des partenaires sociaux et de négociation entre eux.

L'accord du 23 juillet 1993, dit « pacte tripartite », conclu entre les confédérations syndicales, les employeurs et le gouvernement, a profondément remodelé le système des relations sociales et redéfini les principales caractéristiques de la négociation collective. Il a introduit, d'une part, une politique des revenus fondée sur une concertation tripartite annuelle sur l'inflation attendue et, d'autre part, un système de négociation collective à deux niveaux : celui de la branche et celui de l'entreprise. S'agissant des négociations salariales, l'accord fixe les grands principes suivants :

- les négociations au niveau de la branche visent à garantir que les salaires suivent l'évolution des prix et doivent fixer des augmentations qui tiennent compte de l'inflation attendue. Elles portent également sur un large éventail de questions non salariales (heures de travail, congés, droits à l'information, organisation du travail...) ;

- les négociations salariales au niveau de l'entreprise doivent fournir un mécanisme permettant aux travailleurs de prendre en compte des développements spécifiques à l'entreprise, tels que l'amélioration de la productivité ou les risques menaçant le maintien de l'emploi ;

- il est également possible que ce niveau inférieur de négociation soit utilisé pour plusieurs employeurs à l'échelle d'une province ou d'une région. C'est plus particulièrement le cas pour certains secteurs comme la construction, le tourisme, l'artisanat et l'agriculture.

Au niveau de la branche comme de l'entreprise, le calendrier des négociations prévoit des discussions sur les salaires tous les trois ans.

Depuis 1993, d'autres textes que l'accord tripartite, parfois signés seulement par une partie des syndicats, ont complété ou remis en cause certaines clauses du pacte, en introduisant tantôt des mécanismes alternatifs de revalorisation salariale, tantôt des possibilités d'accords d'entreprises moins favorables « pour gérer des situations de crise » (accord du 28 juin 2011).

Source : Étude de la division de la législation comparée, avril 2024

Si la tradition légicentriste en France explique certainement qu'autant d'articles du code du travail régissent le cadre des négociations salariales, les dispositions ne sont toutefois pas trop interventionnistes. Il ressort des travaux des rapporteures qu'elles ne posent, en l'état, pas de difficultés aux partenaires sociaux. Les rapporteures estiment en revanche qu'il s'agit là d'un maximum : l'État législateur ne saurait être plus dirigiste sans risquer de déstabiliser les négociations salariales sur le terrain.

(3) Un périmètre des négociations d'entreprise à étendre

En application de l'article L. 2242-1 du code du travail, les obligations de négociations salariales ne s'imposent qu'aux « entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives ». Toutefois, l'administration interprète habituellement cette disposition, ainsi qu'il est indiqué par exemple dans une circulaire de la direction de la sécurité sociale (DSS) et de la direction générale du travail (DGT) du 7 mars 201117(*), comme s'appliquant aux entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales représentatives et dans lesquelles au moins un délégué syndical a été désigné. Malgré les réformes législatives intervenues, notamment en 2017, la DGT a ainsi confirmé aux rapporteures qu'elle continue à interpréter en ce sens cette disposition. En l'absence de délégué syndical, la négociation salariale avec un élu, mandaté ou non par une organisation syndicale, ou un salarié mandaté est une faculté offerte à l'employeur mais non une obligation.

Entendu en audition par les rapporteures, le professeur de droit Alexandre Fabre a souligné le « décalage entre les entreprises pourvues d'un délégué syndical (où s'appliquent les obligations de négocier) et les entreprises dépourvues d'un délégué syndical mais ayant un CSE (où les obligations de négocier ne s'appliquent pas) ». Les dispositions législatives laisseraient donc en dehors de leur champ d'incitation à négocier sur les salaires effectifs beaucoup d'entreprises, à commencer par la quasi-totalité des entreprises de 10 à 49 salariés puisque, parmi elles, seules 4,5 % étaient dotées d'au moins un délégué syndical en 202118(*).

Cette situation peut paraître étonnante alors que le législateur n'a eu de cesse, depuis 201519(*), de promouvoir la négociation collective dans l'entreprise et de faciliter la conclusion d'accords collectifs dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. L'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a ainsi permis de négocier, conclure, réviser ou dénoncer les accords d'entreprise ou d'établissement dans les entreprises sans délégué syndical (voir encadré ci-dessous). Si la DGT souligne qu'une obligation de négociation n'a bien sûr de sens que si l'employeur dispose des interlocuteurs pour négocier, les membres de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE) seraient des interlocuteurs pertinents lorsqu'aucun délégué syndical n'a été désigné.

Modalités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical

En vertu de l'article L. 2232-23-1 du code du travail, dans les entreprises de onze à 49 salariés, les accords collectifs peuvent être négociés, conclus, révisés ou dénoncés :

- soit par, au moins, un salarié expressément mandaté par une organisation syndicale représentative dans la branche ou, à défaut, représentative au niveau national et interprofessionnel. Le salarié mandaté peut être membre ou non de la délégation du personnel du CSE ;

- soit par un ou des membres titulaires de la délégation du personnel du CSE.

La validité des accords conclus avec un ou des membres de la délégation du personnel du CSE, mandaté ou non, est subordonnée à leur signature par des membres du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.

En application des articles L. 2232-24 et L. 2232-25 du même code, dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, les accords collectifs peuvent être négociés, conclus, révisés ou dénoncés :

- soit par des membres titulaires de la délégation du personnel du CSE expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche ou, à défaut, représentatives au niveau national et interprofessionnel. La validité des accords conclus en application du présent article est subordonnée à leur approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés ;

- soit, à défaut, par des membres titulaires de la délégation du personnel du CSE qui n'ont pas été expressément mandatés par une organisation syndicale. La validité des accords est alors subordonnée à leur signature par des membres de la délégation du personnel du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.

Les rapporteures proposent donc de prévoir une obligation de négocier sur les salaires effectifs dans les entreprises de plus de 11 salariés dotées d'un CSE. Cette extension permettrait donc d'inclure ainsi les 24,9 % d'entreprise de moins de 11 à 49 salariés qui disposent d'un CSE sans délégué syndical, ainsi que les 47,6 % d'entreprises de 50 à 299 salariés qui se trouvent également dans cette situation. Il convient de noter que 70 % des entreprises de 10 à 49 salariés resteraient tout de même en dehors de ce champ en ce qu'elles ne disposent d'aucune instance élue - cette situation est particulièrement présente dans certains territoires du fait de la spécificité de leur tissu économique (voir encadré ci-dessous). 

La sur-représentation des TPE-PME en Martinique

Le tissu économique martiniquais se caractérise par une part très importante des microentreprises et de TPE : 81,6 % des établissements n'avaient aucun salarié en 2020 (contre 76,6 % en France) et 2,9 % en avaient dix ou plus (contre 4,5 % en France). La direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Deets), auditionnée par les rapporteures, dénombre ainsi environ 187 entreprises de plus de 50 salariés et seulement une vingtaine d'entreprises de plus de 250.

Les entreprises sont en outre peu regroupées au sein de filières, peu syndiquées et souvent sans représentation du personnel. Sur la période 2018-2021, le taux d'élections au CSE organisées en Martinique varie d'environ 38 % pour les entreprises de 11 à 49 salariés jusqu'à 96 % pour les entreprises de plus de 250 salariés. À l'issue de ces élections, le taux de carence est respectivement de 38,5 % pour les premières et de 16,7 % pour les entreprises de plus de 250 salariés.

Source : Deets de Martinique

Toutefois, cette obligation de négociations salariales, lesquelles seraient donc novatrices pour les employeurs n'ayant jamais volontairement négocié sur les salaires, devrait dans un premier temps être introduite à titre expérimental et ne pas être pérennisée sans que son bilan soit dressé. De même, en l'absence d'accord sur une autre périodicité, l'obligation pourrait ne pas s'appliquer annuellement, ce qui pourrait être trop contraignant, mais une fois tous les deux ans. Une telle périodicité obligatoire favoriserait également la pluriannualité des accords salariaux.

Recommandation n° 1 : Expérimenter pour quatre ans une obligation bisannuelle de négociations salariales dans les entreprises de plus de onze salariés dotées d'un CSE.

(4) Des négociations pluriannuelles à encourager

Introduits en 2017, les accords collectifs de méthode pouvant prévoir une négociation salariale moins récurrente, dans la limite d'une négociation tous les quatre ans, n'ont pas fait florès sur le thème des salaires ni dans les entreprises ni dans les branches. Aucune des personnes auditionnées par les rapporteures n'a eu connaissance de la conclusion d'un tel accord sur les questions salariales. Trop attachées aux négociations salariales, les organisations syndicales ne sont pas désireuses d'espacer les temps de discussions sur ce sujet central.

Au niveau des branches, les accords salariaux pluriannuels sont donc très rares en dépit de la prévisibilité qu'un tel accord permettrait de donner aux salariés et aux entreprises. Selon les informations connues de la DGT, seule la branche prévention sécurité s'est engagée dans cette démarche en septembre 202320(*), au demeurant sans conclure pour autant un accord de méthode. Cet accord triennal, prévoyant des revalorisations importantes des salaires minima hiérarchiques (SMH) (+ 5 % au 1er janvier 2024, + 3,2 % au 1er janvier 2025 et + 2,8 % au 1er janvier 2026), s'inscrit dans un « contexte particulier d'enjeu d'attractivité que rencontre cette branche, avec en parallèle, un agenda social visant à favoriser l'attractivité du secteur en matière d'évolution de carrière, de conditions de travail, de transformation des métiers et de la filière et d'une revalorisation significative des emplois, notamment par le biais des accessoires de salaires prévus conventionnellement »21(*).

Cet accord pluriannuel de la branche prévention sécurité prévoit une clause de revoyure « si les conditions économiques venaient à déséquilibrer la logique initiale du présent accord ». Cependant, il reste toujours possible aux parties contractantes d'un accord collectif, même en l'absence de telle clause, de dénoncer l'accord ou de signer un avenant. S'il est important que les partenaires sociaux se sentent engagés par leur signature, ces démarches pluriannuelles ne leur lient pas pour autant les mains sur la période couverte.

Les rapporteures notent que certains pays, où la culture du dialogue social est historiquement très présente, ont une pratique assidue des accords salariaux pluriannuels. Tel est par exemple le cas de la Suède où les accords salariaux sectoriels ont généralement une durée de trois ans. « La majorité des accords sont signés au printemps, entre mars et mai, et les deux parties tentent généralement de conclure un nouvel accord avant l'expiration de l'ancien »22(*).

Compte tenu de leur effet bénéfique grâce à la visibilité à moyen terme qu'ils apportent tant aux entreprises qu'aux salariés, les rapporteures ne peuvent qu'inciter les partenaires sociaux à s'engager dans des négociations salariales pluriannuelles au niveau des branches. En vue de valoriser de tels accords collectifs, la DGT note ainsi que le comité de suivi des salaires ou encore le Haut conseil des rémunérations, de l'emploi et de la productivité sont des instances dans lesquelles il « pourrait être envisagé de mettre en exergue les bonnes pratiques et de tels accords, notamment au niveau des branches »23(*). Les rapporteures ne peuvent que souscrire à ces propos et encourager le Gouvernement à cette valorisation. Les partenaires sociaux pourraient en outre se saisir de cet enjeu et préciser les modalités de ces négociations pluriannuelles dans le cadre d'un accord national interprofessionnel (ANI).

Recommandation n° 2 : Encourager la conclusion au niveau des branches d'accords salariaux pluriannuels comportant des clauses de revoyure, notamment en invitant les partenaires sociaux à prévoir les modalités de ces négociations dans un accord national interprofessionnel, afin de donner de la visibilité aux entreprises et aux salariés.

2. Les négociations salariales de branche, un rôle essentiel à conforter
a) L'intérêt des salaires minima hiérarchiques

Les négociations salariales demeurent au coeur de l'activité conventionnelle. Aux termes de l'article L. 2232-5-1 du code du travail, la mission de la branche est de « définir, par la négociation, les garanties applicables aux salariés employés par les entreprises relevant de son champ d'application, notamment en matière de salaires minima (...) ». L'article L. 2261-22 du code du travail mentionne comme clauses obligatoires des conventions ou accords de branche les stipulations sur le « salaire minimum national professionnel des salariés sans qualification et l'ensemble des éléments affectant le calcul du salaire applicable par catégories professionnelles », ainsi que les procédures et la périodicité prévues pour la révision du salaire minimum. Ces salaires minima hiérarchiques (SMH) constituent des niveaux de rémunération garantis pour tous les salariés relevant de la branche selon le coefficient de classification retenu par la convention collective pour leur emploi.

Ainsi qu'il a été exposé plus en amont, les réformes du code du travail n'ont pas amoindri le rôle de la branche en matière de minima salariaux. Le rapport de 2021 du comité d'évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 montre ainsi que les ordonnances de 2017 n'ont eu que peu d'incidence en pratique sur le rôle des branches et le contenu des négociations conventionnelles24(*). Les stipulations prévoyant les SMH prévalent sur toutes les stipulations d'un accord ou d'une convention d'entreprise qui n'apporteraient pas des garanties au moins équivalentes. La définition de ces SMH, dans leur montant comme dans leur assiette relève donc de la libre appréciation des branches. Selon les spécificités du secteur d'activité, les branches professionnelles peuvent retenir des SMH exprimés en taux horaires, en rémunérations mensuelles ou annuelles. Ces minima conventionnels recouvrent le salaire de base mais peuvent également comprendre certaines primes ou compléments de salaires que la branche souhaite intégrer.

Un montant de rémunération est donc sanctuarisé au niveau de la branche mais la structure de la rémunération peut être ajustée au niveau de l'entreprise (voir encadré sur la décision du Conseil d'État au b du 2 du B du présent I). Comme le résume la DGT, « si la branche peut imposer aux entreprises un montant minimal en faisant appel à des primes pour atteindre ce montant, les entreprises conservent pour autant une autonomie notable puisqu'elles sont libres de fixer la structure de la rémunération permettant d'atteindre ce montant minimal et la branche ne peut leur imposer le versement d'une prime donnée ».

Le code du travail attribue à la branche la mission de réguler la concurrence entre entreprises relevant de son champ d'application25(*), le ministre chargé du travail détenant toujours la compétence de refuser l'extension d'un accord collectif qui porterait une atteinte excessive à la libre concurrence26(*). Cette mission s'accomplit en priorité au moyen des SMH qui permettent d'éviter la concurrence déloyale par le dumping social. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle les SMH ne portent pas uniquement sur les salaires de base mais intègrent également des compléments de salaire afin de rapprocher les SMH de la rémunération effective27(*) des salariés.

Cette mission historique de favoriser une concurrence loyale entre les acteurs d'un secteur grâce aux minima conventionnels demeure toujours d'actualité ainsi que l'ont révélé les auditions des rapporteurs. En outre, un rapport publié en septembre 2021 sous le timbre de la Dares28(*) met en lumière que les acteurs continuent d'attribuer à la branche cette mission de réguler la concurrence et cherchent, après les ordonnances Travail, à trouver des stratégies pour maintenir cette mission.

Il ressort des auditions que les grilles salariales de branche protègent surtout du dumping social les salariés des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Ces entreprises disposent en effet de moins de marge de manoeuvre pour se détacher des grilles conventionnelles. Au contraire, les grands groupes mettent généralement en place leur propre grille de salaires. Ce point a notamment été confirmé aux rapporteures par l'Association française des entreprises privées (Afep) dont les adhérents, tous des grandes entreprises, rémunèrent très rarement leurs salariés aux minima de branches, bien que ces derniers soient tout de même pris en compte pour les négociations propres aux entreprises.

Pour ces raisons, il apparaît essentiel de ne pas remettre en cause le rôle des SMH. Les rapporteures accueillent avec scepticisme certaines propositions qui ont émergé dans le débat public à l'instar de la possibilité provisoire de déroger aux stipulations des branches pour les entreprises de moins de cinq ans et de moins de 50 salariés comme le propose le rapport de février 2024 « Rendre des heures aux Français » de plusieurs parlementaires29(*).

b) Ne pas entraver les extensions d'accords salariaux de branche

Afin d'assurer leur mission de régulation économique et sociale, les accords de branche font l'objet d'une extension permettant à leurs stipulations de s'appliquer à l'ensemble des employeurs et salariés relevant du champ de la branche et non plus seulement aux entreprises adhérentes aux organisations professionnelles signataires de l'accord et à leurs salariés. L'extension des conventions collective permet dès lors de couvrir 18,5 millions de salariés du secteur privé hors agricole en 2021 soit un taux de couverture de plus de 98 % selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette procédure d'extension est encadrée par des délais, lesquels sont plus diligents pour les accords salariaux (voir encadré ci-après).

L'extension des accords par le ministre

Les articles L. 2261-15 et suivants du code du travail prévoient la procédure d'extension des accords. Celle-ci s'engage à la demande d'une des organisations d'employeurs ou de salariés représentatives ou à l'initiative du ministre du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP). Saisi de la demande d'extension, le ministre engage sans délai la procédure30(*).

Le ministre chargé du travail s'assure dès lors que les stipulations de la convention ou de l'accord sont conformes au droit. L'extension fait également l'objet d'une consultation des partenaires sociaux au sein de la sous-commission des conventions et accords de la CNNCEFP. Le ministre in fine peut refuser l'extension d'un accord pour des motifs d'intérêt général, exclure de l'extension, après avis de la CNNCEFP, les clauses qui ne seraient pas légales ou étendre avec réserves les clauses incomplètes au regard de la loi31(*).

Lorsqu'un arrêté d'extension est envisagé, il est précédé de la publication d'un avis au Journal officiel. Cet avis invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours32(*). Pour être étendu, l'accord ne doit pas faire l'objet, dans un délai d'un mois à compter de la publication de l'avis d'extension, de l'opposition d'une ou de plusieurs organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau de la branche dont les entreprises adhérentes emploient plus de 50 % des salariés des entreprises adhérant aux organisations professionnelles d'employeurs représentatives33(*).

En vertu de l'article L. 2261-26 du code du travail, les avenants à une convention étendue ne portant que sur les salaires sont soumis à une procédure d'examen accéléré. Les membres de la sous-commission des conventions et accords de la CNNCEFP disposent d'un délai de quinze jours à compter de la date d'envoi pour demander l'examen par cette sous-commission. Les avenants pour lesquels aucune demande d'examen n'a été faite et pour lesquels aucune opposition n'est notifiée sont réputés avoir recueilli l'avis motivé favorable de la CNNCEFP34(*).

En outre, le silence gardé pendant plus de six mois par le ministre du travail saisi d'une demande d'extension vaut décision de rejet35(*).

La loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a réduit le délai maximal d'extension des avenants portant sur les salaires lorsque le Smic augmente deux fois au cours des douze mois précédant la conclusion d'un avenant. Ce délai a été réduit à deux mois maximum contre six mois initialement. En période d'inflation soutenue, l'enjeu de cette réduction était bien entendu de rendre les augmentations salariales plus vite applicables à tous les salariés d'une branche. Toutefois, des délais raccourcis d'extension ont, de manière générale, la vertu de réduire le délai d'incertitude nuisant à la sécurité juridique pour les entreprises et les salariés du secteur.

Depuis l'adoption de cette disposition, les processus d'extension des accords de branche se sont effectivement écourtés. Selon les informations de la DGT, en 2023, en moyenne, les accords sur les salaires ont été étendus en 45 jours contre 67 jours en 2022. Outre cette pression légale plus importante, la DGT indique aux rapporteures que « la procédure d'extension a été optimisée grâce à la priorisation des demandes et la réduction du délai d'instruction. Enfin, la dématérialisation de la procédure d'extension par le biais d'un chantier d'ampleur portant sur le système d'information est en cours et devrait permettre l'accélération de la procédure ».

Si les rapporteures se réjouissent de ces améliorations, les travaux de la mission d'information ont mis en lumière une demande partagée par plusieurs organisations professionnelles d'accélérer encore les délais d'extension. Ont été notamment mentionnées des publications d'arrêté d'extension postérieure à l'expiration du délai règlementaire et alors qu'une décision implicite de rejet était donc déjà née. Ces situations sont particulièrement préjudiciables à la prévisibilité du droit pour les employeurs comme pour les salariés du secteur concerné.

Plusieurs personnes entendues en audition ont ainsi proposé d'introduire le principe selon lequel le silence de l'administration à l'expiration d'un délai vaudrait extension. Toutefois, les rapporteures n'ont pas retenu cette proposition estimant qu'il semble difficile de contraindre en ce sens la DGT sans risquer de détériorer le contrôle de légalité opéré par les services instructeurs. Or les enjeux liés au contrôle de légalité des accords sont trop importants alors que le bilan de la négociation collective pour 2022 fait état de 634 textes, tout thème confondu, pour lesquels au moins une observation a été émise et de 28 textes ayant fait l'objet d'un refus d'extension. Interrogée par les rapporteures, la DGT note ainsi que : « le contrôle de légalité joue (...) un rôle essentiel en permettant de sécuriser les relations collectives de travail, limitant ainsi les contentieux individuels ».

Les rapporteures ne peuvent qu'encourager les services du ministre du travail à poursuivre leurs efforts de réduction des délais. Toutefois, alors que l'inflation ralentit, il apparaît par ailleurs souhaitable et réaliste de conserver le délai maximal prévu par les dispositions de la loi du 16 août 2022 même si aucune revalorisation du Smic n'intervient en cours d'année.

Recommandation n° 3 : Consacrer comme règle de droit commun le délai maximal de deux mois pour la procédure d'extension des avenants salariaux aux conventions de branche étendues.

B. FACE AU VENT CONTRAIRE DE L'INFLATION, LES NÉGOCIATIONS SALARIALES DE BRANCHES ONT PLIÉ MAIS N'ONT PAS ROMPU

Après avoir été particulièrement mobilisés par la crise sanitaire, les partenaires sociaux en charge du dialogue social au sein des branches et des entreprises ont été mis au défi du retour d'une inflation soutenue. Les conséquences de cette inflation, qui s'est établie à 5,2 % en 2022 puis 4,9 % en 2023, ont été fortes pour les entreprises comme pour les salariés. Le sujet des négociations salariales a fait l'objet d'une attention spécifique au niveau des entreprises et des branches, qui ont parfois été confrontées à une équation insoluble : devoir maintenir le pouvoir d'achat de leurs salariés alors même que l'augmentation de leurs coûts de production réduisait leurs marges.

Face à cette situation de tension et d'emballement, les branches ont oeuvré pour répercuter les augmentations du Smic sur les minima hiérarchiques aussi vite que le temps nécessaire de la négociation le permettait.

1. Le rythme des négociations salariales est dicté par les revalorisations du Smic
a) Les revalorisations rapprochées du Smic ont permis de suivre l'accélération constatée de l'inflation
(1) Les revalorisations du Smic sont encadrées par la loi afin de garantir le pouvoir d'achat des salariés

En France, le Smic a pour objectif d'assurer aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles la garantie de leur pouvoir d'achat et une participation au développement économique de la Nation. Ces objectifs justifient que le Smic, qui bénéficie à l'ensemble des salariés de droit privé âgés d'au moins dix-huit ans et aux agents contractuels de droit public36(*), puisse conduire à ce que certains salariés soient rémunérés au-dessus de leur productivité.

Le niveau du Smic est fixé par voie réglementaire selon plusieurs mécanismes précisés par le code du travail :

- la garantie de pouvoir d'achat37(*), qui est assurée par l'indexation du Smic sur l'évolution de l'indice national des prix à la consommation et s'apprécie sur une base infra-annuelle. Lorsque cet indice connaît une hausse d'au moins 2 % par rapport à son niveau constaté lors de l'établissement du Smic immédiatement antérieur, le Smic est relevé dans la même proportion à compter du mois suivant38(*) ;

la participation des salariés au développement économique de la Nation, qui est garantie par la fixation par le Gouvernement chaque année, avec effet au 1er janvier, du niveau du Smic39(*). Cette revalorisation est prise sur avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective de l'emploi et de la formation professionnelle40(*), selon une formule qui prend également en compte l'évolution du pouvoir d'achat des salaires horaires de base des ouvriers et employés (cf. encadré) ;

les mesures dites de « coup de pouce »41(*), qui consistent à ce que le Gouvernement réhausse, en cours d'année, le Smic à un niveau supérieur à celui qui résulte de l'inflation. Cette voie n'a pas été employée depuis juillet 2012.

(2) Depuis 2021, le retour de l'inflation a conduit à une accélération des revalorisations du Smic

Les règles de revalorisation du Smic ont conduit à ce que, lors du retour d'une inflation soutenue en Europe, ce dernier connaisse de manière inédite huit revalorisations depuis 2021.

Montant du Smic horaire brut (janv. 2020 - mai 2024)

Source : Dares

Lors de son audition, le président du groupe expert Smic a rappelé qu'avant la crise sanitaire, le Smic avait déjà connu une progression dynamique entre 2005 et 2012, du fait de la réduction du temps de travail et des « coups de pouce » de 2006 et 2012, mais avait été beaucoup plus modérée entre 2013 et 2020. Or depuis 2021, compte tenu des règles de fixation du Smic, le retour de l'inflation a conduit à des revalorisations successives, dont quatre étaient infra-annuelles.

Synthèse des hausses du Smic depuis 2012

Dates

Montant horaire brut

Évolution

Mécanisme

01-janv-12

9,22 €

0,3 %

Revalorisation annuelle automatique

01-juil-12

9,40 €

2,0 %

1,4 % de revalorisation automatique anticipée sur celle du 1er janvier 2013 et 0,6 % de « coup de pouce » du gouvernement

01-janv-13

9,43 €

0,3 %

Revalorisation annuelle automatique

01-janv-14

9,53 €

1,1 %

Revalorisation annuelle automatique

01-janv-15

9,61 €

0,8 %

Revalorisation annuelle automatique

01-janv-16

9,67 €

0,6 %

Revalorisation annuelle automatique

01-janv-17

9,76 €

0,9 %

Revalorisation annuelle automatique

01-janv-18

9,88 €

1,2 %

Revalorisation annuelle automatique

01-janv-19

10,03 €

1,5 %

Revalorisation annuelle automatique

01-janv-20

10,15 €

1,2 %

Revalorisation annuelle automatique

01-janv-21

10,25 €

1,0 %

Revalorisation annuelle automatique

01-oct-21

10,48 €

2,2 %

Revalorisation infra-annuelle automatique face au dynamisme de l'inflation

01-janv-22

10,57 €

0,9 %

Revalorisation annuelle automatique

01-mai-22

10,85 €

2,6 %

Revalorisation infra-annuelle automatique face au dynamisme de l'inflation

01-août-22

11,07 €

2,0 %

Revalorisation infra-annuelle automatique
face au dynamisme de l'inflation

01-janv-23

11,27 €

1,8 %

Revalorisation annuelle automatique

01-mai-23

11,52 €

2,2 %

Revalorisation infra-annuelle automatique face au dynamisme de l'inflation

01-janv-24

11,65 €

1,1 %

Revalorisation annuelle automatique

Source : Dares

Cette accélération des revalorisations, qui a permis de protéger le pouvoir d'achat d'une grande partie des salariés, s'est observée dans les autres pays européens, et notamment dans ceux dont la législation ne prévoyait pas de revalorisation infra-annuelle. En Allemagne, le législateur a dû acter une revalorisation exceptionnelle du salaire minimum en octobre 2022, ce qui a constitué la plus forte hausse depuis son instauration en 2015 puisqu'il est passé de 9,82 euros à 12 euros bruts de l'heure42(*).

Lors des auditions, les rapporteures ont constaté que l'ensemble des partenaires sociaux reconnaissaient la pertinence de la formule légale de détermination du Smic, et que cette dernière avait effectivement permis une préservation du pouvoir d'achat des salariés face à l'inflation. Elles considèrent cependant que les « coups de pouce », que certaines organisations syndicales appellent de leurs voeux, ne doivent pas être utilisés par le Gouvernement dans la mesure où ils induisent de l'incertitude sur la vie économique, et que leur imprévisibilité vient in fine perturber les négociations salariales.

La directive relative aux salaires minimaux adéquats

Adoptée le 19 octobre 2022, la directive relative aux salaires minimaux adéquats43(*) poursuit l'objectif « d'instaurer des conditions de travail et de vie décentes pour les salariés européens, de lutter contre la pauvreté laborieuse et de réduire les inégalités de salaire ». Sur les 27 États membres de l'union européenne (UE), 22 ont déjà une rémunération minimale fixée au niveau national44(*).

La directive n'impose pas la création d'un salaire minimum aux pays qui n'en disposent pas, en revanche pour ceux qui en ont un, elle impose qu'il soit adéquat, c'est-à-dire « suffisant pour permettre des conditions de vie et de travail décentes » compte tenu des conditions socioéconomiques, du niveau général des salaires dans le pays, du pouvoir d'achat ou des niveaux nationaux de productivité et de développement à long terme. Charge aux États membres de pondérer ces critères, et d'ajuster périodiquement le salaire minimum afin d'assurer qu'il reste adéquat. La réévaluation doit être envisagée au moins tous les deux ans, sauf en cas d'indexation automatique auquel cas la période est de quatre ans.

Par ailleurs, la directive promeut la négociation collective sur les salaires. Les États dans lesquels moins de 80 % des salariés sont couverts par une convention collective devront soumettre régulièrement un plan d'action, développé avec les partenaires sociaux, afin d'augmenter ce taux de couverture. Le calendrier et les mesures retenues devront être revu au moins une fois tous les cinq ans. En revanche aucune sanction n'est prévue en cas de non-réalisation des objectifs fixés.

La transposition de cette directive dans le droit national français semble n'appeler à aucune action positive, dans la mesure où la France dispose déjà d'un salaire minimum indexé automatiquement sur une base annuelle, et que le taux de couverture des négociations collectives sur les salaires y dépasse les 80 %.

b) L'obligation de négociation pousse les salaires minima hiérarchiques à s'adapter à l'inflation

Les organisations représentatives de branche ne peuvent fixer des salaires minima professionnels inférieurs au Smic, puisqu'il constitue la rémunération minimale des salariés45(*), les minima conventionnels peuvent néanmoins, dans des situations qui demeurent l'exception, se retrouver à des niveaux inférieurs au Smic lorsque ce dernier fait l'objet de revalorisations, en particulier en période de forte inflation.

(1) La négociation des salaires minima conventionnels est encadrée afin de respecter le niveau du Smic

Le code du travail fixe des thèmes obligatoires de négociation au niveau de la branche, qui doivent s'y pencher au moins une fois tous les quatre ans46(*), parmi lesquels la négociation sur le salaire. Dans les faits cette négociation concerne les salaires minima conventionnels, qui sont fixés par la convention collective en fonction du positionnement des salariés dans les grilles de classification conventionnelle ou du coefficient hiérarchique.

Les minima conventionnels font l'objet d'injonctions qui semblent, de prime abord, contradictoires. En effet, la législation impose aux branches de se réunir pour négocier sur les salaires dès que les minima sont dépassés par le Smic47(*) : à défaut d'initiative de la partie patronale dans les quarante-cinq jours, la négociation s'engage dans les quinze jours suivant la demande d'une organisation syndicale de salariés représentative. Cependant les conventions, de même que les accords collectifs se voient interdire les clauses d'indexation sur le Smic ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires minima48(*), y compris concernant les pieds de grille.

L'exception belge : une indexation de l'ensemble des salaires sur le Smic

La loi du 2 août 197149(*) met en place un mécanisme singulier d'indexation des salaires (et de certaines prestations sociales) sur l'inflation à partir de l'indice des prix à la consommation (IPC)50(*). Régulièrement remise en cause et ponctuellement suspendue, la loi de 1971 fait de la Belgique un des seuls pays au monde à avoir mis en place une indexation automatique des salaires.

Les négociations salariales sont principalement régies par la loi du 26 juillet 199651(*) sur la promotion de l'emploi et la préservation préventive de la compétitivité, dite « loi sur la norme salariale », modifiée par la loi du 19 mars 201752(*). Le texte prévoit que l'évolution des coûts salariaux belges doit suivre celle des pays voisins, et détermine la marge d'augmentation des coûts salariaux tous les deux ans. Elle assure également les indexations et les augmentations barémiques. Applicable au secteur privé et à certaines entreprises du secteur public, elle établit une procédure, selon laquelle le Conseil central de l'économie publie un rapport technique tous les deux ans, suivi par des négociations entre partenaires sociaux. En cas de désaccord, le gouvernement intervient pour fixer la norme salariale. Les négociations sectorielles au sein des commissions paritaires restent toutefois essentielles, notamment pour établir les salaires minimaux sectoriels.

Source : Étude de la division de la législation comparée, avril 2024

Face à cette difficulté, et dans un contexte économique parfois complexe pour les entreprises, des situations de carence ou de blocage des négociations peuvent intervenir dans une branche professionnelle. Dans ce cas celle-ci peut être mise en commission mixte paritaire (CMP)53(*) et voir ses réunions de négociation présidées par un représentant de l'État, qui joue le rôle de facilitateur. Cette médiation de l'État intervient particulièrement concernant les salaires minima conventionnels, et peut être mise en place à la demande d'au moins deux organisations représentatives, où à l'initiative de l'autorité administrative lorsqu'il s'agit d'un thème de négociation imposé.

Certains des partenaires sociaux, tant syndicaux que patronaux, ont regretté lors des auditions que la négociation de branche se tende parfois sur les minima conventionnels alors même qu'une indexation des pieds de grilles sur le Smic leur permettrait d'éviter d'en arriver à des blocages persistants. En matière de négociation collective, il faut parfois faire des choix ; indexer les pieds de grilles, pour séduisante que puisse paraître cette idée pour rendre plus rapide les négociations salariales, risquerait d'avoir des conséquences néfastes en provoquant un tassement des SMH. Les rapporteures considèrent que le maintien de cette interdiction d'indexation est souhaitable, car elle permet d'inciter au dialogue social sur l'ensemble des grilles de rémunération et non pour les seuls échelons les plus bas.

Recommandation n° 4 : ne pas céder à la fausse bonne idée d'une indexation sur le Smic des SMH, qui règlerait définitivement le problème de la conformité, mais contournerait le dialogue social et aboutirait in fine à un tassement des grilles salariales.

(2) Cette mécanique, fonctionnelle en temps normal, est mise à mal en cas de revalorisations successives au sein de la même année

Pour les raisons exposées précédemment, la dynamique des négociations salariales de branche est directement corrélée au niveau d'inflation rencontré, ce qui se retrouve dans le nombre d'accords salariaux enregistrés à l'extension par année :

Année 2020

Année 2021

Année 2022

Année 2023

323

333

611

595

Source : Direction générale du travail

Les auditions ont permis de constater que les négociateurs de branche sont en capacité de conduire les négociations sur les minima conventionnels dans des délais raisonnables à la suite de la revalorisation légale du Smic qui intervient chaque année au 1er janvier. Cette périodicité fixe, avec une revalorisation du Smic annoncée le 15 décembre pour une entrée en vigueur au 1er janvier, permet en effet de s'accorder sur un calendrier prévisionnel de négociation entre les parties prenantes, voire même d'anticiper avec plus ou moins de succès le niveau de la revalorisation. Dans les branches où la conflictualité est faible, ce calendrier prévisionnel permet en général d'ouvrir les négociations au 1er février, et d'aboutir à un accord entrant en vigueur au mois de juin. A contrario, les branches dont les minima sont fixés sensiblement au-dessus du niveau du Smic respectent un rythme propre qui n'a pas besoin d'être aiguillonné par les revalorisations légales.

En revanche, il est apparu que les revalorisations infra-annuelles du Smic, intervenues à la suite d'une hausse de plus de 2 % de l'indice des prix, bousculent la mécanique de négociation des branches, et conduisent à des échéances très rapprochées. Les négociateurs auditionnés ont notamment évoqué le cas de l'année 2022, où deux revalorisations sont intervenues en cours d'année, le 1er mai et le 1er août 2022. La multiplication des revalorisations a eu un effet paradoxal, puisque certaines branches qui étaient en passe d'obtenir un accord ont eu à relancer des négociations à la faveur de la revalorisation intervenue en mai, puis à nouveau en août. Par conséquent, cette obligation de négociation imposée aux branches en cours d'année a pu aboutir à ce que les salariés de certaines branches, qui ne bénéficiaient pas directement de l'augmentation du Smic d'ordre public, ne voient leur salaire minimum conventionnel augmenter qu'en octobre ou novembre plutôt qu'en juin. Le dérèglement des calendriers de négociation par ces échéances trop rapprochées paraît préjudiciable à un dialogue social de qualité au niveau des branches et porte le risque d'une course perdante pour rattraper l'inflation au cours de l'année.

Cette difficulté de la négociation de branche pose en creux la question de la pertinence du seuil de 2 % de l'indice de prix à la consommation hors tabac des ménages du premier quintile de revenus conduisant à la revalorisation automatique du Smic. En effet, la banque centrale européenne (BCE), dont l'objectif principal est de maintenir la stabilité des prix54(*), a historiquement maintenu l'objectif de 2 % d'inflation en zone euro, mais récemment des débats entre économistes55(*) l'ont conduite à la transformer en cible à moyen terme, actant qu'elle puisse être dépassée temporairement56(*). Cette évolution de la politique monétaire européenne semble indiquer qu'un niveau d'inflation supérieur à 2 % puisse être plus souvent rencontré en France dans les années à venir, et qu'il doit être considéré comme normal.

Recommandation n° 5 : concerter les partenaires sociaux afin de porter de 2 à 2,5 % le seuil d'inflation entraînant automatiquement une revalorisation du Smic en cours d'année.

c) Un calendrier qui semble difficile à desserrer

Les négociateurs auditionnés par les rapporteures concluent unanimement à ce que la négociation de branche connaît un temps incompressible, et que seules des évolutions à la marge du calendrier de négociation sont envisageables. Les rapporteures constatent en outre que pour la majorité des branches, la mise en conformité des minima conventionnels aux revalorisations du Smic est opérée en moins de six mois (cf. infra).

Par conséquent, les rapporteures estiment que les marges d'amélioration du mécanisme de révision des minima conventionnels résident plus dans la phase amont de la négociation, et dans la prévisibilité de ces négociations. Actuellement, les partenaires sociaux se voient annoncer le niveau de revalorisation du Smic le 15 décembre pour une entrée en vigueur au 1er janvier. Par conséquent les branches se trouvent dans l'incapacité matérielle de mener une négociation en quinze jours, durant les fêtes de fin d'année, afin d'être en conformité au 1er janvier. Cependant allonger le délai entre l'annonce du montant de la revalorisation et son entrée en vigueur risquerait d'être défavorable aux salariés, dans la mesure où le niveau des prix peut s'apprécier dans l'intervalle sans être pris en compte au 1er janvier.

Afin d'éviter cet écueil, mais de permettre néanmoins l'anticipation des branches qui le souhaitent ou le peuvent, une communication de la prévision de l'Insee sur la revalorisation du Smic pourrait être transmise aux partenaires sociaux au 1er octobre de chaque année. Cette prévision, qui pourrait être amenée à évoluer, permettrait néanmoins de préparer un accord, le cas échéant sous forme de scenarii, une fois le niveau de la revalorisation définitivement établi au 15 décembre. Certaines branches risqueraient d'être attentistes jusqu'à l'entrée en vigueur de la revalorisation, mais cela ne doit pas conduire à pénaliser les branches les plus engagées dans le dialogue social.

Recommandation n° 6 : communiquer au 1er octobre une prévision de la revalorisation du Smic aux partenaires sociaux afin de leur laisser la possibilité d'anticiper les négociations.

2. Les efforts des branches ont permis d'améliorer le niveau de conformité des SMH au Smic
a) Le temps de la négociation induit mécaniquement un délai de mise en conformité des SMH

Les salaires minima conventionnels ne pouvant varier automatiquement en fonction de l'évolution du Smic, ils doivent donc être révisés par la voie de la négociation de branche. Or le calendrier de négociation exposé précédemment explique qu'il existe mécaniquement un décalage temporel entre hausse du Smic et revalorisation des salaires conventionnels. Ce décalage s'accentue en période de forte inflation, et les branches sont condamnées au « rattrapage » de leurs salaires minima pour tenir compte des revalorisations successives du Smic.

La part des branches dont les minima sont inférieurs au Smic dépend donc du moment auquel cette conformité est observée par rapport à la dernière revalorisation du Smic : plus celle-ci est éloignée, plus les branches ont eu le temps de se mettre en conformité. C'est ce caractère cyclique qu'illustre le nombre de branches dont les minima sont inférieurs au Smic entre 2021 et 2023.

Nombre de branches professionnelles non conformes au Smic
entre 2021 et septembre 2023

Source : Direction générale du travail

Cette cyclicité conduit les rapporteurs que se borner à considérer la part des branches non conformes à un instant t n'est pas satisfaisant. À titre d'exemple, le graphique suivant présente, parmi les 171 branches du secteur général comptant plus de 5 000 salariés, le niveau de conformité consécutif à la revalorisation de 1,13 % du Smic au1er janvier 2024.

Niveau de conformité au Smic des SMH des branches du secteur général
au 1er janvier 2024

Source : Direction générale du travail

Les rapporteurs constatent que les partenaires sociaux des branches se sont efforcés de jouer le jeu de la négociation collective après chaque revalorisation, et sont systématiquement parvenus à faire diminuer rapidement le nombre de branches non conformes au Smic.

b) Une comparaison avec le Smic qui ne va pas de soi

Les rapporteures constatent que le débat public a institué une comparaison systématique des salaire minima hiérarchiques avec le Smic, et déplorent que la communication gouvernementale ait parfois joué d'une forme de suspicion envers des branches qui « ne joueraient pas le jeu » de la négociation (cf. infra). Les négociateurs des branches auditionnées, syndicaux et patronaux, ont indiqué que ces critiques leurs semblaient injustifiées, et ne respectaient pas l'engagement qui était celui des partenaires sociaux dans le dialogue de branche. Cette amertume a été renforcée quand, lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, le Président de la République a de nouveau stigmatisé les branches « qui continuent de payer en dessous du Smic »57(*), assertion fausse et trompeuse.

(1) Les revalorisations du Smic bénéficient directement aux salariés dont le salaire minimum hiérarchique est rattrapé

En France, les salariés ne peuvent être rémunérés à un niveau inférieur au Smic horaire à cause d'un dialogue social défaillant. Le Smic est en effet d'ordre public et s'impose à l'employeur : « tout salarié âgé de dix-huit ans révolus, reçoi[t] de [son] employeur, lorsque [son] salaire horaire contractuel est devenu inférieur au salaire minimum de croissance en vigueur, un complément calculé de façon à porter leur rémunération au montant de ce salaire minimum de croissance »58(*). Cette obligation vaut quelle que soit la forme de la rémunération du salarié : au temps, au rendement, à la tâche, à la pièce, à la commission ou au pourboire.

Le fait que les premiers coefficients des grilles de salaires minima conventionnels soient inférieurs au Smic n'a donc pas d'incidence sur le salaire effectivement versé aux salariés.

Les rares exceptions au principe de rémunération au Smic sont d'origine légale, ne concernent pas le dialogue social, et se justifient par des objectifs d'inclusion des publics concernés, ou de spécificité territoriale :

les apprentis59(*) et les jeunes salariés en contrat de professionnalisation60(*) perçoivent une rémunération en fonction de leur âge et de la durée du contrat qui peut être en deçà du Smic ;

les jeunes salariés âgés de moins de 18 ans qui ont moins de 6 mois de pratique professionnelle dans la branche d'activité61(*) ;

les salariés dont l'horaire de travail pas contrôlable, tels que certains VRP62(*) ;

les salariés de Mayotte63(*), pour lesquels le Smic brut horaire est de 8,80 euros au 1er janvier 2024, contre 11,65 euros dans le reste du territoire.

(2) Le Smic et les SMH ne sont qu'imparfaitement comparables, puisqu'ils ne sont pas toujours calculés sur les mêmes bases

La comparaison des niveaux de rémunération garantis par les SMH et par le Smic paraît naturelle, et ce niveau de conformité fait d'ailleurs l'objet d'un suivi de qualité de la part des services de la direction générale du travail pour l'ensemble des branches du secteur général.

Pourtant, contrairement au Smic qui fait l'objet d'une assiette unique définie par les textes règlementaires et la jurisprudence, la fixation des salaires minima hiérarchiques est du ressort de la négociation de branche, qui conserve la primauté dans le cadre des ordonnances de 2017, sauf à ce qu'une convention d'entreprise assure des garanties au moins équivalentes64(*). Les négociateurs de branche sont donc libres de définir l'assiette de leurs SMH, qui recouvre fréquemment celle du Smic, mais peut également s'en détacher, à la marge ou plus substantiellement, pour des raisons d'ordres historiques ou liées aux spécificités de la branche.

La jurisprudence du Conseil d'État sur les salaires minima hiérarchiques

Dans une décision du 7 octobre 202165(*), le Conseil d'État est venu préciser le pouvoir des branches professionnelles en matière de salaires minima hiérarchiques, et l'articulation de ces salaires conventionnels avec les accords d'entreprises qui peuvent exister.

Des organisations syndicales et une organisation patronale de la branche du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire ont intenté un recours contre l'arrêté du 5 juin 2019 de la ministre du travail, qui avait étendu à l'ensemble des entreprises de la branche l'application d'un avenant des organisations signataires, en excluant du champ de cette extension les stipulations qui concernaient les compléments de salaire.

Le Conseil d'État a jugé que les accords de branche peuvent non seulement fixer le montant des SMH mais aussi en définir la structure : ce qui peut donc inclure certains compléments de salaire, comme des primes. Il rappelle aussi que, conformément aux ordonnances travail de 2017, un accord d'entreprise peut modifier ou supprimer ces compléments, mais que les salariés de l'entreprise doivent alors bénéficier d'une rémunération effective au moins égale au montant des SMH défini dans l'accord de branche.

Par conséquent, le Conseil d'État a annulé l'arrêté de la ministre du travail en tant qu'il limite le champ de l'extension de l'avenant.

Plusieurs des branches auditionnées ont indiqué que les assiettes du Smic et des SMH étaient trop éloignées pour permettre en l'état une comparaison pertinente en matière de conformité. Cela concerne principalement les éléments de rémunération, pourtant composants du SMH, qui sont exclus de l'assiette du Smic par la jurisprudence. L'union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) auditionnée a ainsi parlé de « sophisme » puisque « outre que les sommes en question sont totalement soumises au régime juridique du salaire, elles participent évidemment au pouvoir d'achat des salariés, garanti par le Smic ».

L'assiette du Smic : une définition réglementaire et jurisprudentielle

Le non-respect du niveau de rémunération du Smic par l'employeur donne dans un premier temps lieu à un rattrapage des salaires, qui peut être majoré d'une indemnisation compensatoire en cas de mauvaise foi66(*), et est par ailleurs puni d'une contravention de cinquième classe soit 1 500 euros par salarié concerné67(*).

Pour apprécier si un salarié perçoit ou non le Smic horaire qui correspond à une heure de travail effectif, il faut donc retenir et exclure certains éléments afin de considérer la conformité de sa rémunération sur l'assiette du Smic. Ces éléments sont en partie définis par le règlement68(*), et précisés par une abondante jurisprudence69(*).

Éléments de rémunération inclus
dans l'assiette du Smic

Éléments de rémunération exclus
de l'assiette du Smic

Salaire de base

Remboursements de frais effectivement supportés par le salarié

Avantage en nature

Primes d'ancienneté

Compensation pour réduction d'horaire

Majorations pour heures supplémentaires

Majorations ayant le caractère de fait d'un complément de salaire : primes, indemnités, remboursements de frais ne correspondant pas à une dépense effective, etc.

Majorations pour travail du dimanche, des jours fériés et de nuit

Pourboires et gueltes

Primes forfaitaires destinées à compenser les frais exposés par les salariés du fait de leur prestation de travail : primes de panier, d'outillage, de salissure, indemnités de petit ou grand déplacement, etc.

Primes de rendement individuelles ou collectives (rendement global d'une équipe), primes de production ou de productivité constituant un élément prévisible de rémunération

Primes d'assiduité

Primes de primes de fin d'année ou de vacances pour le mois où elles sont versées

Primes liées à la situation géographique (insularité, barrages, chantiers)

 

Primes liées à des conditions particulières de travail (danger, froid, insalubrité...)

 

Primes collectives liées à la production globale de l'entreprise, sa productivité ou ses résultats

 

Participation, intéressement

Les rapporteures rejoignent ce souhait d'une comparaison la moins biaisée possible entre le Smic et les SMH. Elles considèrent notamment qu'il n'est pas cohérent de dire qu'un salaire minimum hiérarchique est inférieur au Smic, alors que la branche à laquelle le salarié appartient a choisi d'intégrer un 13e mois dans le SMH : ce mois de rémunération supplémentaire bénéficie à l'ensemble des salariés de la branche, mais n'est pas pris en compte dans la comparaison avec le Smic alors même qu'il apprécierait de 7 % le SMH.

Cependant la modification de l'assiette du Smic n'est pas souhaitable compte tenu des conséquences directes qu'elle aurait pour les salariés, de même qu'une harmonisation des assiettes des SMH risquerait de restreindre le dialogue social au niveau des branches et de les empêcher de s'adapter aux spécificités rencontrées dans leur activité. Les rapporteures considèrent en revanche que dans le suivi de la conformité opéré par les services de l'État, et notamment en vue d'une communication sur les branches dont les SMH sont inférieurs au Smic, un rapprochement des assiettes devrait être effectué afin de prendre en compte l'ensemble des éléments de rémunération dont bénéficierait de manière certaine un salarié de la branche.

Recommandation n° 7 : À droit constant, prendre en compte l'ensemble des éléments de rémunération certains dont bénéficient les salariés dans la comparaison des SMH d'une branche au niveau du Smic par les services de l'État.

(3) La durée du travail est souvent plus déterminante pour le niveau de vie d'un ménage que les SMH de branche

La rémunération au niveau du Smic ne détermine que partiellement le niveau de vie d'un ménage. La littérature économique rappelle que le niveau de vie, qui s'apprécie notamment au regard du revenu disponible, dépend grandement de la composition du foyer et des revenus de remplacements procurés par les prestations sociales.

Lors de son audition, le président du groupe d'experts Smic a également souligné l'important des quotités de travail dans le niveau de vie des salariés. En effet pour la moitié la plus pauvre des ménages, le niveau de salaire horaire n'explique que partiellement leur niveau de vie70(*). Entre le premier et le cinquième décile des ménages répartis selon leur niveau de vie, l'écart de salaire horaire brut moyen n'est que de 20 % tandis que l'écart de niveau de vie total est de 90 %. Cette réalité s'explique principalement par le temps de travail incomplet qui est prédominant dans les ménages les plus précaires.

Salaire horaire moyen et quantité de travail moyenne par unité
de consommation, par dixième de niveau de vie

Source : Direction générale du Trésor

Les rapporteures soulignent l'importance de la prise en compte des situations de temps partiel dans la conduite des négociations salariales, mais plus largement dans la définition des politiques publiques de l'emploi, y compris dans les liens qui existent avec les politiques familiales concernant par exemple les solutions de garde, notamment pour les familles monoparentales.

c) Dans un contexte économique dégradé, la revalorisation des SMH représente en outre un défi financier pour certaines entreprises

Lors de leurs travaux, les rapporteures ont auditionné les partenaires sociaux en charge du dialogue social de quatorze branches différentes. Ces auditions ont permis de souligner l'extrême diversité dans lesquelles les branches se sont trouvées face aux revalorisations successives du Smic. Elles ont en revanche toutes souligné la responsabilité qui leur incombait de prendre en compte l'effet de leurs négociations sur les TPE-PME qui se voient élargir le bénéfice des accords sans avoir les moyens matériels de participer aux discussions.

Compte tenu de leur modèle économique, et de la structure de leur masse salariale, certaines branches n'ont aucune difficulté à revaloriser le SMH lorsque le Smic évolue. C'est par exemple le cas de la branche professionnelle de la banque, dont l'ensemble des minima hiérarchiques sont supérieurs au Smic, et dans laquelle les représentant patronaux ont pris l'engagement unilatéral dit « Smic + 5 % » afin de maintenir le pouvoir d'achat de leurs salariés. Cet engagement, qui est à saluer, n'est cependant rendu possible que par la bonne santé des entreprises de cette branche dans la conjoncture actuelle.

A contrario, certaines branches font face à des difficultés conséquentes dans le contexte inflationniste décrit précédemment. C'est notamment le cas des branches dans lesquelles l'activité fonctionne par marchés privés et publics. En effet, faute de pouvoir agir sur les prix de vente afin de revaloriser les salaires, les entreprises de ces branches sont condamnées à sacrifier leurs marges, au risque de mettre en péril leur avenir. La fédération des entreprises de la propreté (FEP) a ainsi souligné que de nombreux marchés publics limitent à 1 % la revalorisation possible en cours de contrat, alors même que le Smic augmente sans commune mesure. Cette situation est d'autant plus délicate dans les branches où l'activité est particulièrement intensive en travailleurs.

Fortes de ces éclairages, les rapporteurs constatent que les branches, dans leur diversité, ont été au rendez-vous de l'inflation. En dépit des difficultés que ces revalorisations successives ont soulevé, elles sont parvenues à revaloriser les SMH dans des temps parfois record, grâce à un dialogue social nourri et constructif.

C. L'EXISTENCE DE BRANCHES PROFESSIONNELLES STRUCTURELLEMENT NON CONFORMES AU SMIC : UN MYTHE INFONDÉ MAIS TENACE

1. Les quelques branches non conformes depuis plus d'un an : les coupables idéaux
a) Les branches non conformes depuis plus d'un an : une réalité statistique marginale

Le nombre de branches dites « structurellement non conformes » et leur responsabilité dans la « smicardisation » de la société fait l'objet, si ce n'est d'un fantasme ou d'une mystification, au moins de nombreuses idées reçues. Les auditions des rapporteures témoignent de l'opinion largement répandue selon laquelle certaines branches seraient en-dessous du Smic de manière structurelle - le chiffre d'une dizaine étant souvent évoqué - et que cette situation serait un réel problème. En effet, lors de la conférence sociale du 16 octobre 2023, la Première ministre Élisabeth Borne avait évoqué le chiffre de dix branches concernées à la date de septembre 2023. Le débat public ne s'est pas encore départi de ce chiffre.

Le nombre de branches prétendument non conformes de manière structurelle est, en tout état de cause, très marginal. Le 11 décembre 2023, la DGT notait ainsi, lors d'un point de suivi des négociations salariales, que « le nombre de branches structurellement non conformes [était] extrêmement faible » puisque seules six branches (sur un panel de 171 branches de plus de 5 000 salariés du secteur général) étaient non conformes depuis août 2022. Le Gouvernement n'avait toutefois pas communiqué sur ce chiffre de six. En outre, les rapporteures constatent que ces branches couvrent un nombre de salariés plutôt restreints puisque seuls 0,68 % des 13,76 millions de salariés du secteur général étaient alors concernés.

Tableau des branches non conformes depuis août 2022, au 11 décembre 2023

Source : DGT, point de suivi des négociations salariales du 11 décembre 2023

b) Des stigmatisations et des menaces aux conséquences réputationnelles pour les branches mises en cause.

Depuis 2021 et l'installation d'une inflation plus soutenue, les gouvernements d'Élisabeth Borne et de Gabriel Attal axent une partie de leur politique de soutien au pouvoir d'achat sur la lutte contre l'insuffisance des négociations salariales des branches et contre leurs grilles salariales en-deçà du Smic. Les rapporteures constatent que l'exécutif a fait usage d'une communication qui tantôt ciblait les branches non conformes sur une durée supérieure à un an tantôt amalgamait toutes les branches non conformes à l'instant t (voir encadré infra).

La communication de l'exécutif sur les branches non conformes
depuis la conférence sociale d'octobre 2023

Lors de la conférence sociale du 16 octobre 2023, Élisabeth Borne, alors Première ministre, indiquait que « si nous ne constatons pas de progrès significatifs d'ici le 1er juin 2024 [quant à la mise en conformité des branches en dessous du Smic], le Gouvernement proposera au Parlement un texte de loi qui permettra de calculer les exonérations [de cotisations sociales] non pas sur la base du Smic mais sur la base des minima de branche ». La Première ministre soulignait également que cet état de non-conformité illustrait « les difficultés de fonctionnement de certaines branches où le dialogue social est parfois dégradé voire inexistant » et que cela pouvait « être dû à un éparpillement important des branches qui nuit aux négociations. » Elle proposait en conséquence de relancer l'acte II des restructurations de branches.

Un article du journal Les Échos71(*), relatant un point de suivi de la conférence sociale se tenant le 11 décembre 2023, citait le ministre Olivier Dussopt : « nous renforçons la pression sur les branches qui ne jouent pas le jeu en matière de négociation des salaires et des classifications ». Selon les informations communiquées à la presse par le cabinet du ministre du travail en amont de cette réunion, 39 branches, dont la liste était diffusée, présentaient des minima inférieurs au Smic. La moitié d'entre elles « qui présentent un risque ou une situation de non-conformité structurelle » devaient être reçues au ministère du travail72(*).

Le Président de la République Emmanuel Macron indiquait également, lors de la conférence de presse du 16 janvier 2024 : « au coeur du mandat du Gouvernement, je souhaite qu'il y ait justement un travail ardent [...] pour permettre de mieux gagner sa vie par le travail, [...] avec des négociations dans certaines branches pour que la dynamique salariale soit au rendez-vous des efforts »73(*). Il déclarait également : « vous avez des tas de branches qui en fait continuent à payer les gens en dessous du Smic légal [...] ».

Lors de ses déclarations de politique générale, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, le Premier ministre Gabriel Attal a mentionné les branches professionnelles non conformes. Ainsi déclarait-il, le 31 janvier 2024 devant le Sénat : « un travail a été entamé, vous le savez, pour qu'il n'y ait plus de branches professionnelles qui rémunèrent en dessous du Smic. Nous allons le poursuivre et nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour qu'il puisse aboutir »74(*).

Enfin, lors d'un déplacement dans les Vosges le 1er mars 2024, le Premier ministre souhaitait que « les négociations s'accélèrent d'ici la fin juin » et ne pas écarter, dans le cas contraire, de recourir à des mesures législatives et à des sanctions75(*).

Le choix opéré par les gouvernements consiste à assumer la menace de mesures coercitives pour les branches présentées comme récalcitrantes. Si le Gouvernement a pu utiliser, dans une certaine mesure, le principe de « name and shame » en rendant publiques les branches non conformes, les principales épées de Damoclès pesant sur les branches non conformes structurellement sont de deux ordres.

Le Gouvernement a d'abord mis en garde les branches, dont les négociations n'aboutiraient pas à des SMH conformes au Smic, du risque de subir une fusion administrative. La loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat76(*) a en effet précisé que l'insuffisance d'accords collectifs tendant à mettre les minima conventionnels en conformité avec le Smic est un critère permettant d'engager la fusion administrative de branches, en ce qu'elle dénote une faiblesse de l'activité conventionnelle. L'arsenal législatif permet donc l'application de ce couperet qui est une compétence du ministre chargé du travail77(*).

La procédure de restructuration des branches

Créé par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, l'article L. 2261-32 du code du travail détermine le cadre juridique de la fusion de branches professionnelles. La loi « Travail » de 2016 y a défini cinq critères alternatifs permettant au ministre chargé du travail d'engager une procédure de fusion des champs d'application de conventions collectives de deux branches « présentant des conditions sociales et économiques analogues » :

- la faiblesse des effectifs salariés, que l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a précisé en fixant un seuil de 5 000 salariés ;

- la faiblesse de l'activité conventionnelle ;

- un champ géographique d'application uniquement régional ou local ;

- une faible représentativité des organisations patronales (moins de 5 % des entreprises de la branche adhérant à une organisation représentative) ;

l'absence de mise en place ou de réunion de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI).

Si la restructuration des branches sur le fondement de ces critères porte atteinte à la liberté contractuelle protégée par la Constitution, le juge constitutionnel s'est abstenu de censurer ces dispositions eu égard au motif d'intérêt général que le législateur poursuit en habilitant le ministre à procéder à cette fusion78(*). La compétence du ministre s'exerce toutefois, ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel, sous le contrôle normal du juge administratif79(*).

La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a également ajouté un sixième critère en permettant la fusion de branches professionnelles tenant à l'incapacité d'une branche à assurer effectivement « la plénitude de ses compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage ».

Enfin, la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a précisé que le critère d'une « activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés » s'apprécié notamment au regard du nombre d'accords ou avenants assurant un salaire minimum national professionnel au moins égal au Smic.

Lorsque les conditions pour engager une procédure de fusion sont remplies, le ministre invite dans un premier temps, par un avis au Journal officiel, les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations sur le projet de fusion dans un délai de quinze jours80(*). Le ministre du travail procède ensuite à la fusion après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP).

Lorsque deux organisations professionnelles d'employeurs ou deux organisations syndicales représentées à la CNNCEFP proposent une autre branche de rattachement, par demande écrite et motivée transmise dans un délai de quinze jours au ministre, ce dernier consulte à nouveau la commission à l'issue d'un délai minimum d'un mois à compter de la date de la première consultation81(*). Le ministre peut prononcer la fusion une fois le nouvel avis rendu par la commission.

Par ailleurs, si une branche remplit les conditions pour être fusionnée à une branche de rattachement, le ministre peut, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles et après avis de la CNNCEFP, refuser d'étendre la convention collective, ses avenants ou ses annexes, ou décider de ne pas arrêter la liste des organisations professionnelles et syndicales représentatives dans la branche.

D'autre part, le principe d'une sanction financière a également été annoncé à plusieurs reprises sous la forme d'une réduction du montant des allègements de cotisations sociales. Lorsqu'une branche est en état de non-conformité, le dispositif, qui nécessite une modification législative82(*), consisterait à calculer les exonérations de cotisations non pas sur la base du Smic, qui correspond aux salaires effectivement versés, mais en référence aux salaires minima conventionnels, ce qui, dès lors, minore les exonérations. Cette mesure avait déjà été adoptée au sein de la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail83(*) mais n'était jamais entrée en vigueur. Selon les annonces d'Élisabeth Borne ou Olivier Dussopt, les entreprises relevant des branches professionnelles concernées qui disposeraient tout de même de grilles salariales conformes au Smic seraient exclues de cette sanction pour ne pas être injustement pénalisées.

Il résulte de cet axe de la politique de l'exécutif une stigmatisation des branches professionnelles dans le débat public. Le dialogue social prenant place au sein des branches professionnelles a été dépeints dans les médias par des termes peu laudatifs. Non sans relayer une certaine confusion sur le nombre exact de branches à mettre à l'index, les articles de presse ont ainsi pu parler, du « rappel à l'ordre » du Gouvernement à 39 branches concernées84(*), des « 37 branches en dehors des clous »85(*), des « 34 secteurs qui ne sont toujours pas en règle sur les bas salaires »86(*) ou encore des « branches professionnelles mauvaises élèves »87(*).

Il ressort des auditions des rapporteures que les branches professionnelles ont pu servir de boucs émissaires dans une crise inflationniste dont ils ne sont pas responsables et qu'ils subissent en première ligne. Les représentants des organisations d'employeurs représentatives au niveau des branches entendus par les rapporteures ont confirmé ce sentiment. Le Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR) a ainsi indiqué aux rapporteures que « les convocations du ministère du travail sont mal vécues : nous sommes les premiers à regretter que nos entreprises soient en difficulté ». En outre, les mises en cause par le Gouvernement ne sont pas sans effet réputationnel pouvant nuire aux recrutements dans les entreprises relevant des branches, à plus forte raison au détriment des secteurs qui pâtissent déjà d'un défaut d'attractivité.

2. En 2024, les branches structurellement non conformes au Smic ne constituent pas un enjeu de politiques publiques
a) L'inexistence de branche dans lesquelles les négociations salariales seraient structurellement bloquées

Selon la terminologie de la DGT, une branche professionnelle serait structurellement non conforme si au moins un de ses coefficients est inférieur au Smic depuis plus d'une année. Les rapporteures s'inscrivent en faux contre ce raisonnement. Les organisations représentatives d'employeurs et de salariés peuvent, pour diverses raisons, ne pas avoir réussi à signer un accord salarial de branche sans que le dialogue social soit structurellement enrayé. La définition employée par le Gouvernement conduit à qualifier de « structurelle » une situation qui résulterait d'un unique échec de négociations. Ainsi, quatre branches, dont les montants des premiers niveaux ont été rattrapés par le Smic au 1er janvier 2023, ont basculé en état de non-conformité structurelle le 1er janvier 2024 sans que leur situation n'ait guère changé par rapport à décembre 2023. En outre, début 2024, il était encore trop tôt pour qualifier l'état de leur dialogue social alors que leur conformité au Smic n'était pas susceptible d'évoluer avant la fin du cycle annuel de négociations salariales se déroulant généralement au printemps.

Sur les six branches désignées le 11 décembre 2023 comme structurellement non conformes, trois (casinos, distribution directe, manutention nettoyage aéroport) s'étaient remises en conformité avec le Smic avant mars 2024. Les rapporteures ont souhaité entendre en audition les branches restantes sur la liste du 11 décembre 2023. Les raisons des trois situations résiduelles de non-conformité étaient diverses mais ne témoignent pas d'un dialogue social moribond ou impuissant.

La branche de la cafétéria présentait de sérieuses difficultés économiques en raison d'une conjoncture (crise des gilets jaunes, crise sanitaire, manifestations des agriculteurs) peu favorable depuis quelques années à son modèle économique. Les organisations représentatives d'employeurs de la branche des foyers de jeunes travailleurs, Hexopée et SoliHA, ont expliqué aux rapporteures avoir une divergence d'appréciation avec la DGT sur les éléments de rémunération à prendre en compte pour calculer leur SMH. Selon ces organisations d'employeurs, le salaire de base auquel s'ajoute une indemnité, que la branche a entendu intégrer au SMH, permet à tous les minima conventionnels d'être conformes au Smic. En tout état de cause, cette branche, issue de la fusion de deux branches, doit se doter prochainement d'une nouvelle classification assortie de nouvelles modalités de détermination du SMH, qui conduira, sans équivoque, à ce qu'aucun échelon ne soit inférieur au Smic. Enfin, dans la branche des institutions de retraite complémentaire, le dialogue social n'était pas rompu mais les négociations sur un accord salarial avaient, jusqu'à présent, achoppé en raison d'une règle particulière de la convention de branche.

L'inexistence de branches dans un état véritablement structurel de non-conformité au Smic rend disproportionnées les menaces dont le Gouvernement a eu recours. Les rapporteures ont la conviction que, s'il est important de soutenir les branches professionnelles au sein desquelles les partenaires sociaux font face à une situation objective de blocage, la lutte par tous les moyens contre les branches non conformes depuis plus d'un an ne constitue définitivement pas un enjeu sérieux de politique publique.

b) L'État doit s'effacer derrière le dialogue social et s'en tenir à un rôle de facilitateur
(1) Des restructurations de branches autoritaires n'ayant pas fait leurs preuves

S'appuyant sur les bases législatives progressivement complétées (voir encadré ci-dessus), un chantier de restructuration des branches professionnelles a été engagé depuis 2014, bien qu'il ait été interrompu par la crise sanitaire. Si ces restructurations, comme le notait la commission en 202288(*), ont majoritairement été réalisées sur la base de regroupements volontaires, les bilans de la négociation collective de 2019 à 2022 publiés par la DGT font tout de même état de 40 arrêtés ministériels de fusion en 2019 et un arrêté en 2021.

La commission, en première lecture de l'examen du projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, s'était opposée à l'introduction de la faiblesse du nombre d'accords salariaux assurant des SMH au moins égale au Smic comme motif de fusion administrative. Les travaux menés dans le cadre du présent rapport confortent les rapporteures dans l'idée que la fusion autoritaire de branches ne constitue pas une réponse appropriée à des situations de non-conformité des SMH de certaines branches. La Fédération des entreprises de la propreté (FEP) indique ainsi dans sa contribution écrite : « la négociation sur les salaires minima occupe une place centrale au sein d'une branche professionnelle. Toutefois, elle n'est pas révélatrice à elle seule de la faiblesse du dialogue social d'une branche professionnelle. Chaque branche a ses particularités (...) ». Les rapporteures ne peuvent que souscrire pleinement à ces propos.

La branche des casinos est la seule qui, en raison de minima conventionnels trop faibles depuis trois ans, avait été identifiée en 2023 par le ministre du travail Olivier Dussopt comme susceptible de faire l'objet d'une fusion administrative. Le ministre avait ainsi déclaré devant la commission : « j'ai adressé à la Fédération des casinos de France un courrier lui notifiant sa très prochaine restructuration, puisque nous sommes dans une situation à la fois de durabilité de la non-conformité et de blocage du dialogue social. Cette branche sera donc la première à expérimenter ce nouveau dispositif, qui prévoit que la restructuration peut être engagée de manière autoritaire et unilatérale dès lors qu'il y apathie du dialogue social en matière de rémunération »89(*). Un accord salarial a finalement été conclu le 18 décembre 202390(*) et la branche ne figure plus en état de non-conformité, y compris après la revalorisation du Smic au 1er janvier 2024, preuve que la fusion sur ce fondement n'était pas justifiée.

En outre, les fusions administratives, prononcées quasi exclusivement jusqu'à présent sur le motif du nombre insuffisant des effectif de salariés, n'ont pas davantage fait leurs preuves pour relancer le dialogue social. Selon les informations transmises aux rapporteures par la fédération Casinos de France, il semble que la menace de fusion administrative de la branche ait contribué, au moins dans un premier temps, à tendre le dialogue social91(*) et à retarder l'entrée en vigueur d'un avenant sur les salaires.

En conséquence, aucune branche n'a fait l'objet de fusion sur le fondement de la disposition introduite par la loi du 16 août 2022 reflétant ce que la rapporteure de la commission sur ce projet de loi, par ailleurs corapporteure du présent rapport, écrivait : « en soi, la relance du processus de restructuration des branches sur la base de leur activité en matière de négociation salariale ne peut pas directement être considérée comme une mesure d'urgence en faveur du pouvoir d'achat, compte tenu des délais nécessaires à la négociation d'une nouvelle convention collective. Il s'agit en outre d'une mesure structurelle et non d'un outil conjoncturel »92(*).

Au demeurant, l'exemple de la branche des casinos, dont le rattachement à la branche des hôtels, cafés et restaurants était envisagé alors que Casinos de France montrait une préférence pour la branche des espaces de Loisirs, illustre bien que les fusions administratives peuvent mener à des rattachements qui ne sont pas judicieux. Entendu en audition, Philippe Vivien, vice-président du groupe Alixio, a souligné que ces restructurations ont souvent été conduites avec un prisme trop juridique, se bornant à la recherche de correspondances entre les stipulations des conventions, sans prendre en compte la réalité des secteurs économiques visés ni la projection des métiers et des branches à l'horizon des vingt années à venir.

(2) L'État ne doit jouer qu'un rôle de médiateur

Les rapporteures ne méconnaissent bien entendu pas les situations dans lesquelles le dialogue social sur les salaires est réellement en difficulté. Dans ces cas nécessaires, l'État doit donc s'en tenir à son rôle de médiateur ou de facilitateur grâce au cadre de la CMP. La DGT note dans sa contribution écrite que le président de commission mixte (PCM) « permet d'offrir un cadre de discussion et assure le respect des règles du jeu de la négociation. Pour autant, en aucun cas, il ne se substitue aux négociateurs dans les débats de fond ».

Il ressort des auditions que la présence d'un représentant de l'État en CMP est généralement saluée et parvient souvent à apaiser les situations conflictuelles ou à relancer le dialogue social rompu. La DGT note ainsi dans sa contribution écrite : « de manière générale, on constate que le pourcentage d'accords salariaux signés pour les branches professionnelles en CMP est supérieur à celui des branches hors CMP, bien que le dialogue social soit normalement plus difficile dans les branches en CMP que dans les autres branches ; le rôle de médiation assuré par les PCM permet dans de nombreux cas de débloquer des situations et de faciliter l'obtention d'un accord. Cependant, la commission mixte n'est qu'un moment dans la vie conventionnelle d'une branche : le président a également un rôle pédagogique destiné à favoriser (...) un retour rapide à un fonctionnement normal en commission paritaire, sans la présence systématique d'un facilitateur ».

En 2024, 63 branches sur les 230 que comporte le secteur général sont ainsi placées en CMP. Les secteurs du commerce (33 branches) et des services (30 branches) sont les plus représentés, contre seulement quatre branches pour le secteur industriel. Toujours selon les informations transmises par la DGT, deux branches - celle de l'industrie chimique et celle des pharmacies d'officine - ont été placées en CMP en 2023, à la demande soit d'organisations patronales soit d'organisations syndicales, en raison d'une situation de blocage sur des négociations salariales.

II. DERRIÈRE LE FAUX DÉBAT DE LA « SMICARDISATION » DE LA SOCIÉTÉ, DE VRAIS PROBLÈMES DE STAGNATION DES SALAIRES AU LONG DES CARRIÈRES.

Entré dans l'édition 2020 du Petit Larousse, le néologisme « smicardisation »93(*) s'est répandu dans les discours politiques favorisé par la progression de l'inflation et les revalorisations successives du Smic. Comme tous les mots récemment forgés, son emploi dans les débats n'est pas encore définitivement arrêté. Toutefois, il recouvre au moins trois acceptions que sont :

- une proportion accrue de salariés rémunérés au Smic ou à un salaire très proche ;

- une paupérisation de la société ;

- une absence de progression salariale au cours de la carrière conduisant à une stagnation au niveau du Smic.

Si le premier sens s'est imposé dans le débat public, il n'apparaît pourtant pas comme le plus problématique.

A. UNE PROPORTION ACCRUE DE SALARIÉS AU SMIC : UN PHÉNOMÈNE DE « SMICARDISATION » CONJONCTUREL QUI NE DEVRAIT PAS S'INSTALLER

1. La hausse du nombre de personnes rémunérées au Smic est indéniable et s'accompagne d'un resserrement de l'éventail des salaires
a) Une proportion de salariés au Smic qui a atteint un pic en 2023

Après une tendance à la hausse de la fin des années 1990 au milieu des années 2000, la proportion de salariés du secteur privé hors agriculture directement concernés par les revalorisations du Smic horaire a globalement diminué et atteint un plateau oscillant autour de 11 % jusqu'en 2018. Cette stabilité s'expliquait, comme le notait le rapport du groupe d'expert sur le Smic de 2021, par « de faibles revalorisations et du fait que la négociation des branches permettait une mise en conformité des différents minima avec le Smic au fil de l'eau »94(*).

Évolution de la proportion de salariés
directement concernés par les revalorisations du Smic
et des garanties mensuelles de rémunération (GMR)

De 1991 à 2009

De 2020 à 2022

Source : Rapport 2023 du groupe d'expert sur le Smic, données de la Dares

Ce paradigme économique, ainsi qu'il a été exposé plus en amont, a été remis en cause à partir de 2022 puisque les revalorisations rapides du Smic ont conduit ce dernier à rattraper les premiers niveaux des grilles salariales de branche comme d'entreprise. Entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2023, le montant du Smic a ainsi été globalement revalorisé de 13,5 % avec notamment une augmentation de 6 % entre janvier 2022 et janvier 2023, ce qui constitue la plus forte hausse du Smic sur une année depuis le début des années 1990.

En conséquence, l'effectif de salariés du secteur privé hors agriculture concernés par la revalorisation du Smic horaire au 1er janvier a crû de 1,1 million de personnes entre 2021 et 2023 pour atteindre 3,1 millions de personnes. En proportion, c'est ainsi 17,3 % des salariés, soit le niveau le plus élevé depuis 1991, qui a été concernés par la revalorisation du 1er janvier 2023 (voir graphique ci-dessus).

Le rapport pour 2023 du groupe d'expert sur le Smic pointe plusieurs faits sociaux accompagnant cette « smicardisation » :

- en 2023, la part de femme concernées par la revalorisation du Smic a augmenté de deux points par rapport à 2022 pour atteindre 57,3 %, ce qui constitue une sur-représentation en comparaison à leur proportion dans les effectifs de salariés ;

les salariés des TPE sont davantage concernés par la smicardisation que les salariés présents dans des entreprises de plus de 10 salariés. Ainsi, le rapport montre que 29,4 % des salariés concernés par la revalorisation du Smic horaire travaillent dans une TPE alors que ces entreprises n'emploient que 21,2 % des salariés du secteur privé non agricole.

Proportion des salariés rémunérés au Smic au 1er janvier 2023
dans les entreprises selon leur taille

Source : Rapport 2023 du groupe d'expert sur le Smic

Enfin, il est intéressant de noter que la part de salariés rémunérés au Smic augmente au sein de chacun des trois grands secteurs économiques du secteur privé hors agricole. Au sein des secteurs plus affinés, celui de l'hébergement et restauration comporte le plus grand ratio de salariés concernés par la revalorisation du Smic au 1er janvier 2023 avec 39,8 %.

Évolution entre 2022 et 2023 de la part de salariés concernés par les revalorisations du Smic selon le secteur d'activité

Source : Commission des affaires, données du rapport 2023 du groupe d'expert sur le Smic

b) Un resserrement de l'éventail des salaires dans le privé

Le terme de « smicardisation » peut également traduire la compression de la distribution des salaires observée depuis 2021 (voir graphique ci-après). Ce resserrement est provoqué par les hausses successives du Smic et des premiers minima conventionnels, ainsi que par les moindres revalorisations s'appliquant sur les salaires élevés.

Évolution de la distribution du salaire net en équivalent temps plein depuis 1996, en euros constants

Source : Rapport du groupe d'experts sur le Smic

En particulier, un phénomène de tassement des grilles salariales notamment de branche se produit. La DGT suit avec attention l'éventail des salaires conventionnels, exprimé par le ratio entre le salaire conventionnel maximal et le salaire conventionnel minimal ; le maintien de l'écart hiérarchique est généralement un point de blocage des négociations salariales. Pour les branches du secteur général, l'éventail moyen total a diminué de 2,80 au 31 décembre 2021 à 2,68 au 31 décembre 202295(*). Ce resserrement observé à partir de 2021 contraste avec la période de stabilité de l'éventail des salaires conventionnels qui préexistait depuis 2010.

Ce tassement est bien entendu automatique lorsque les branches sont en état de non-conformité puisque le montant du Smic vient remplacer le minimum conventionnel le plus bas. En outre, cette situation conduit à égaliser autant de niveaux de classification en dessous du montant de Smic.

Selon les informations transmises par la DGT, sur les 171 branches du secteur général, 105 soit 61,4 % d'entre elles avaient vu leur éventail de salaire se resserrer entre fin 2022 et mars 2024. Cette proportion de branche dont la grille salariale se compresse demeure similaire (57,4 %) au sein du panel de branches pourtant en état de conformité au regard du Smic.

Source : Commission des affaires sociales, données de la DGT

L'éventail des salaires ainsi mentionné ne rend compte que de l'écart entre les deux montants extrêmes de la grille conventionnelle. Au sein de la distribution des minima hiérarchiques, l'écart interdécile (D9/D1), toute branche confondue se réduit d'environ 2,5 point de pourcentage entre 2022 et 202396(*). En décomposant cet écart, L. Baudry, E. Gautier et S. Tarrieu constatent que la moitié de ce tassement de la distribution est expliquée par l'écart entre le dernier décile et la médiane rendant ainsi compte d'un tassement des grilles conventionnelles y compris sur leur part de niveaux les plus élevés.

Évolution de l'écart interdéciles des grilles salariales de branche

Source : L. Baudry, E. Gautier et S. Tarrieu (2023)

Ainsi que le note la direction générale du Trésor (DG Trésor), le phénomène de compression des salaires « est en partie lié au fait que les hausses de salaire négociées dans les branches et les entreprises sont décroissantes avec les niveaux de salaire »97(*). Sans pouvoir objectiver le nombre de branches concernées, il est certain que le tassement résulte de grilles salariales conventionnelles au sein desquelles seuls les SMH les plus bas augmentent ou de négociations procédant à des revalorisations différenciées avec de plus fortes revalorisations sur les bas de grille pour les relever au niveau du Smic que sur le restant. La direction générale du travail note également que quelques branches ont aussi fait le choix de resserrer leurs éventails de salaires en supprimant les premiers coefficients de leurs grilles de classification sans modifier le reste de la grille afin de rétablir leur conformité au Smic en vigueur.

c) La part jouée par la fonction publique et par le secteur social et médico-social dans cette « smicardisation »
(1) Une importante smicardisation du secteur social et médico-social sans que les partenaires sociaux n'aient la main

Régi par des règles spécifiques quant à la validation des accords collectifs et de sa structuration en conventions collectives, le secteur social et médico-social se caractérise par des salaires très bas. Les négociations salariales, davantage encadrées par les pouvoirs publics, n'ont pas réussi à éviter que les revalorisations dynamiques du Smic ne produisent une smicardisation particulièrement marquée du secteur.

Ce dernier concerne un million de salariés relevant des conventions collectives nationales de la branche sanitaire sociale et médico-sociale à but non lucratif (Bass) et de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD), ainsi que des accords locaux applicables aux établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

Règles applicables aux branches du secteur social et médico-social
à but non lucratif et aux accords locaux des ESSMS

En vertu des articles L. 314-6 et R. 314-197 et suivants du code de l'action sociale et des familles, les conventions collectives et leurs avenants des branches professionnelles gérant des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) à but non lucratif, ainsi que les accords locaux négociés et applicables aux ESSMS privés à but non lucratif sont soumis, depuis 1975, à un dispositif d'agrément par le ministre chargé de l'action sociale, après avis de la commission nationale d'agrément. Sont donc concernés par cet agrément :

- la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass), laquelle est principalement couverte par deux conventions collectives nationales et un accord d'entreprise que sont la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 (CCN 51), la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 (CCN 66) et l'accord d'entreprise de la Croix-Rouge française ;

- les accords locaux couvrant environ 20 % des établissements de la Bass ne relevant d'aucune convention nationale ;

- la convention relative aux établissements médico-sociaux de l'union intersyndicale des secteurs sanitaires et sociaux (UNISSS)

- la branche de l'aide à domicile (BAD) ayant une convention nationale étendue : convention collective nationale de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010 ;

- la branche des personnels des organismes de sécurité sociale (non étendue) ;

- la branche des mutualités (non étendue) ;

- la branche habitat et logement accompagné ayant une convention collective étendue : convention collective nationale de l'habitat et du logement accompagnés du 16 juillet 2003.

Selon les informations de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l'agrément ministériel est délivré en fonction de la soutenabilité financière de l'accord ou de la décision unilatérale et de motifs d'intérêt généraux. Cette condition de soutenabilité financière s'explique par l'opposabilité de l'accord une fois agréé aux trois financeurs du secteur : la sécurité sociale, les départements et l'État. Cette soutenabilité financière est notamment appréciée au regard des sous-jacents financiers qui découlent de la loi de financement de la sécurité sociale. Le ministre peut également refuser en opportunité l'agrément des accords pour un motif d'intérêt général. Ce motif a été récemment utilisé pour inviter les partenaires sociaux à reprendre les négociations de la convention collective unique étendue (CCNUE) dans le champ de la branche de l'action sanitaire et sociale.

Source : DGCS, réponse au questionnaire adressé par les rapporteures

Comme le note la DGCS, « dans le champs soumis à agrément, la négociation collective est encadrée par des paramètres financiers fixés par les pouvoirs publics ». En effet, la liberté contractuelle est largement contrainte, d'une part, par le taux annuel d'évolution de la masse salariale annoncé chaque année lors d'une conférence salariale. D'autre part, la pratique des pouvoirs publics des années récentes a été de déterminer largement les principales mesures de revalorisation salariale (Ségur 1 et 2, Ségur pour les personnels socio-éducatifs en février 2022, transposition des revalorisations indiciaires de la fonction publique). La DGCS explique ainsi que « ces transpositions de mesures salariales définies nationalement ont constitué la principale activité conventionnelle des partenaires sociaux » dans la mesure où le taux d'évolution de la masse salariale issu de la loi de financement de la sécurité sociale correspond peu ou prou au glissement vieillesse technicité, soit l'évolution spontanée de la masse salariale par l'effet de la pyramide des âges et de l'évolution indiciaire automatique des agents.

Les rapporteures prennent acte du décrochage progressif des minima conventionnels par rapport au Smic à la suite de ses revalorisations successives, ainsi que de la part croissante des effectifs de salariés rémunérés par conséquent au Smic ou à ses environs.

Les deux conventions collectives de la Bass présentent un premier minimum conventionnel inférieur au montant du Smic même si la CCN 51 parvient, après ajout d'une prime d'ancienneté et d'une prime décentralisée, à assurer un premier montant garanti supérieur au Smic. Pour la CCN 66, 15 % des effectifs couverts en équivalent temps plein (ETP) sont en revanche concernés par un minimum conventionnel inférieur au Smic. Enfin, la convention collective de la Croix Rouge Française, dont la dernière revalorisation salariale date d'une décision unilatérale de l'employeur du 2 décembre 2022, n'est pas conforme au Smic. Par conséquent, selon les informations transmises par la DGCS, environ un salarié sur cinq, à l'échelle totale de la Bass, reçoit un salaire compris entre 1 et 1,2 Smic.

S'agissant de la branche de l'aide à domicile, l'agrément d'un avenant, fin décembre 2023, permet d'établir le premier minima conventionnel légèrement au-dessus du Smic (+ 10 euros). La DGCS signale toutefois que 20 % des salariés de la BAD risqueraient d'être concernés par un minimum de branche non conforme à la prochaine revalorisation du Smic.

(2) La fonction publique connaît les mêmes problématiques de resserrement de salaires

Dans son avis sur le programme « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques » du projet de loi de finances pour 2024, le rapporteur Catherine Di Folco soulignait « l'urgente nécessité d'une refonte des grilles indiciaires, eu égard notamment au phénomène de « tassement des grilles » induit par les revalorisations successives du Smic et de l'indice minimum de traitement dans un contexte d'inflation élevée »98(*).

En 2022 et 2023, les trois versants de la fonction publique ont en effet connu un phénomène similaire au secteur privé de tassement des grilles salariales. Les revalorisations du Smic ont obligé les pouvoirs publics à appliquer les dispositifs permettant de garantir une rémunération égale au Smic à des agents qui n'avaient pas nécessairement le même indice majoré.

Garantie d'un traitement égale au Smic

Dans la fonction publique, seule la rémunération indiciaire brute est prise en compte pour garantir le respect du Smic. Autrement appelé traitement indiciaire brut (TIB), cette rémunération correspond à la valeur du point fonction publique multipliée par l'indice majoré (IM) correspondant au grade et à l'échelon de l'agent99(*).

Lorsque le TIB de l'agent est inférieur au montant du Smic pour un emploi à temps complet, l'article 1er du décret n° 91-769 du 2 août 1991 prévoit qu'il peut bénéficier d'une indemnité différentielle égale à la différence entre le montant mensuel du Smic brut, calculé sur la base de 151,67 heures de travail par mois, et le montant mensuel de son TIB, auquel est ajoutée, le cas échéant, la valeur des avantages en nature qui lui sont alloués. Ce dispositif est d'application automatique, sans nécessiter la mise en oeuvre d'un vecteur juridique.

Le Gouvernement dispose d'autres outils règlementaires lui permettant de garantir une rémunération indiciaire supérieure ou égale au Smic.

Ainsi, il peut relever l'indice minimum de traitement fixé par le décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 modifié relatif à la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des personnels des établissements publics d'hospitalisation, en deçà duquel aucun agent ne peut être rémunéré. Dans ce cas, lorsque l'IM d'un agent est inférieur à l'indice minimum de traitement, son TIB est automatiquement calculé par référence à cet indice minimum de traitement.

Source : DGAFP, Réponse au questionnaire adressée par la rapporteure

En conséquence, entre avril 2021 et juillet 2023, il a été observé une augmentation du nombre d'agents publics d'État dont le traitement indiciaire brut (TIB) était égal au Smic ou à un niveau très proche. Ce nombre a atteint un pic après la revalorisation du Smic horaire de mai 2023 ; les agents publics concernés représentaient alors 6,7 % du nombre total des agents de la fonction publique d'État. Cette proportion est donc moindre que celle observée dans le secteur privé mais demeure amputée de la part jouée par les fonctions publiques territoriale et hospitalière pour lesquelles la DGAFP ne dispose pas de données.

Nombre d'agents publics d'État donc le TIB est égal ou proche du Smic

Source : DGAFP, base de données INDIA-Rému

La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) avertit néanmoins que « cette évaluation ne prend pas en compte l'ensemble de la rémunération des agents publics, laquelle comprend le plus souvent un régime indemnitaire dont la part dans la rémunération totale correspond, en moyenne, à près de 30 % pour les fonctionnaires de catégorie C de l'État ». Seuls certains agents contractuels à la rémunération fixée par référence au Smic sont donc véritablement rémunérés au niveau du Smic.

Que la part jouée par les indemnités dans leur rémunération permette aux agents publics d'éviter d'être payés strictement au niveau du Smic n'évite toutefois pas la pression exercée sur les rémunérations basses par un Smic galopant. De même, lors de la période récente, le problème de resserrement de l'éventail des rémunérations s'est posé au sein de la sphère publique avec la même acuité que dans le secteur privé (voir ci-après).

2. Les négociations salariales doivent permettre la résorption de ce phénomène
a) Cette situation s'est déjà produite dans un passé récent

La situation de smicardisation que connait l'économie n'est pas sans précédent récent. Ainsi qu'il a été dit, la proportion de salariés directement concernés par les revalorisations du Smic a augmenté continuellement de 1998 à 2005 pour atteindre 16,3 % de l'ensemble des salariés. Cette hausse était portée par de fortes revalorisations du Smic, dans un contexte de convergence des différents salaires minimaux ayant pris fin en 2005. Après ce sommet, la proportion avait diminué progressivement pour atteindre 9,8 % en 2010. « Les moindres augmentations du Smic horaire et la vigueur retrouvée de la négociation collective sous l'impulsion des pouvoirs publics après 2005 ont largement contribué à cette évolution »100(*), comme le soulignait le groupe d'experts sur le Smic en 2010.

De même, le resserrement de la distribution des salaires intervient après des années où les salaires les plus bas augmentaient plus modérément que les salaires plus élevés. L'écart qui résulte de cette compression des salaires réels est équivalent aux niveaux observés vers 2015 ou au début des années 2000. La DG Trésor relève ainsi que la situation actuelle n'est donc pas exceptionnelle.

b) Les sous-jacents de l'économie sont plutôt rassurants

Si toutes les inquiétudes ne sont pas dissipées pour l'avenir, les sous-jacents de l'économie redeviennent plutôt rassurants.

D'une part, à la suite du choc inflationniste exogène, provoqué par la reprise économique post-covid et la guerre en Ukraine, une boucle prix-salaire eut été possible. Ce risque semble en partie écarté comme la DG Trésor le confirmait aux rapporteures lors de son audition en avril 2024. La même hypothèse d'un retour à une inflation plus raisonnable était anticipée par l'organisation internationale du travail (OIT).

L'inflation a déjà largement ralenti ; sur un an, elle s'est établie à 2,2 % en avril 2024, après 2,3 % en mars 2024 (voir encadré ci-après). En outre, l'évolution salariale, déterminant à moyen terme de l'inflation, laisse suggérer une modération des salaires qui est rassurante pour le contexte macro-économique, bien que l'évolution de ces derniers soit désormais supérieure à l'inflation (voir infra). Sur ce point le contexte français s'écarte légèrement des sous-jacents de la zone euro dans laquelle les salaires ont légèrement accéléré au premier trimestre 2024.

Sans nouveau choc exogène, ces éléments laissent anticiper un ralentissement de l'inflation dans les mois à venir comme l'indique la DG Trésor. Le consensus des prévisionnistes anticipe ainsi une inflation moyenne à 1,9 % en 2025 pour la France.

La décélération de l'inflation et les prévisions

En moyenne annuelle, l'inflation s'est établie à + 4,9 % en 2023. Comme indiqué supra, l'inflation a mené un reflux début 2024 pour a atteint + 2,2 % en avril 2024.

Évolution de l'inflation de 2014 à 2024

(en rouge, l'indice des prix à la consommation)

Source : Insee, informations rapides n° 117, 15 mai 2024

L'Insee note ainsi que cette diminution résulte d'un ralentissement des prix des produits alimentaires (+ 1,4 % en avril 2024 sur un an glissant, correspondant à un treizième mois consécutif de décélération) et des prix des produits manufacturés (- 0,1 % en avril 2024 sur un an glissant). L'inflation globale est donc principalement soutenue par la dynamique des prix dans le secteur des services, dont les entreprises répercutent leurs coûts salariaux des dernières années.

Le programme de stabilité 2024-2027 anticipe une diminution de l'inflation à + 2,5 % en moyenne annuelle pour 2024. En 2025, l'inflation continuerait sa décroissance pour atteindre + 1,7 % en moyenne annuelle. Comme pour 2024, les prix des services seraient quasiment l'uniquement moteur de cette inflation.

Source : Programme de stabilité 2024-2027, Insee (mai 2024)

c) Les négociations salariales reprennent un rythme plus habituel et aboutissent à des hausses salariales
(1) La « désmicardisation » naturelle du secteur privé général

Ce retour à une inflation plus modérée devrait contribuer à retrouver un rythme plus apaisé de négociations salariales. Mise sous pression pendant deux ans, les entreprises et les branches ont retrouvé progressivement en 2024 une configuration plus habituelle dans laquelle les partenaires sociaux peuvent plus facilement négocier. Dans ce contexte, une diffusion plus large des hausses du Smic sur les grilles de salaires sont à anticiper.

Les négociations salariales, au niveau tant des branches que des entreprises, menées au cours du premier semestre 2024 ont conduit les hausses à désormais être supérieures à l'inflation. La Banque de France souligne que les accords salariaux d'entreprise signés début 2024 laissent penser que la hausse moyenne négociée dans les NAO sera de 3,4 % pour 2024. Les taux d'augmentation ralentiraient donc en comparaison à 2023 (+ 4 %) mais resteraient « à des niveaux historiquement élevés et au-dessus de l'inflation prévue en 2024 ». De même, pour les branches, la Banque de France estime que l'évolution nominale moyenne pour l'année 2024 des salaires minima devrait être de 3,3 %.

Ces hausses moyennes négociées correspondent peu ou prou à l'évolution du Smic sur un an. Ces hausses permettent donc un retour à une situation où les revalorisations du Smic n'écrasent plus la distribution des salaires. Pour les minima de branches, l'année 2023 avait même été marquée par un rattrapage important pour diffuser aux grilles salariales les augmentations soutenues du Smic (hausse de plus ou moins 5 %).

Évolution des hausses de salaire négociées dans les branches et les entreprises
en comparaison au Smic et de l'IPC (en glissement annuel)

Source : Banque de France (février 2024)

Les hausses moyennes négociées début 2024 dissimulent bien entendu un large éventail de situations selon les entreprises ou les branches. L'article de la Banque de France101(*) met en lumière qu'au moins 45 % des salariés sont couverts par des branches dont les NAO ont abouti à des hausses supérieures ou égale à 4 %, ce qui permettra donc, selon toute logique, de rétablir la conformité au Smic, voire de retrouver une marge par rapport au salaire minimal légal. Les auteurs de l'article citent l'exemple des branches des transports routiers, ou de la prévention-sécurité qui ont souhaité maintenir plus durablement leur grille au-dessus du Smic.

Sans que ces hausses ne suffisent nécessairement à rattraper les pertes de pouvoirs d'achat subis par les salariés en raison du choc inflationniste (voir infra), les rapporteures estiment cependant que la part des salariés rémunérés au niveau du Smic est amené à décroître. Au sein du secteur privé, la smicardisation, pris en ce sens strict, est un phénomène conjoncturel qui, en l'absence de retournement de la conjoncture économique, devrait se résorber pour retrouver les niveaux qui préexistaient à 2021.

(2) La question plus difficile du secteur social et médico-social

Les particularismes du secteur social et médico-social, liés aux financements publics et à l'encadrement par les pouvoirs publics des négociations salariales, rendent beaucoup plus complexe la désmicardisation du secteur, même si ce dernier bénéficiera de la décélération de l'inflation.

La DGCS indique aux rapporteures que la convention collective unique étendue (CCNUE) doit apporter des réponses aux problématiques exposées plus en amont de ce rapport et permettre de renforcer l'attractivité de la Bass. « La mesure bas salaire en préfiguration de la CCNUE actuellement en cours de négociation pourrait conduire à une revalorisation significative des bas de grilles et minima conventionnels ».

Cependant, la DGCS rappelle également que les négociations autour de cette convention se révèlent particulièrement tendue puisque l'accord de méthode signé à l'automne 2023, a fait l'objet d'une opposition majoritaire d'organisations syndicales. De même, une décision unilatérale d'Axess n'a pas été agréé par la ministre du travail, de la santé et des solidarités considérant que les 20 % de salariés non couverts par les conventions collectives nationales étaient exclues des revalorisations proposées alors que la CCNUE doit permettre de les intégrer. Le calendrier du Gouvernement prévoit toujours la conclusion d'un accord portant à tout le moins sur les classifications, les rémunérations et les congés avant la fin du mois de novembre 2024.

Quoi qu'il en soit, les hausses salariales et la diminution du nombre de salariés rémunérés au niveau du Smic ne pourront être possible qu'avec des efforts financiers importants de la branche autonomie, des départements et de l'État. Toutefois, dans un contexte de contrainte budgétaire forte sur les finances publiques, cette désmicardisation paraît beaucoup plus incertaine. Il convient de noter que 300 millions d'euros sont déjà compris dans l'objectif de dépenses de la branche autonomie fixé par LFSS 2024 en vue de financer des mesures de revalorisation des bas salaires, actuellement en cours négociation.

(3) La fonction publique : une désmicardisation en cours à encourager par une structuration de la négociation salariale

Le nombre d'agents publics de la fonction publique d'État dont le traitement indemnitaire brut est égal au Smic a déjà beaucoup reflué en janvier 2024. Plusieurs mesures générales ou catégorielles ont en effet été prises ces dernières années en soutien des rémunérations (voir tableau ci-dessous).

Tableau synthétisant les mesures en faveur du pouvoir d'achat
des agents publics

Source : DGAFP, réponses au questionnaire des rapporteures

Pour accompagner cette désmicardisation, il conviendrait de structurer davantage une négociation salariale dans la fonction publique sur l'exemple, mutatis mutandis, du secteur privé. Les rapporteure prennent acte des ambitions du Gouvernement d'instaurer un cadre de négociations réunissant les employeurs des trois fonctions publiques et les organisations syndicales représentatives. Ces négociations devraient comporter un calendrier permettant d'anticiper les traductions budgétaires dans les textes législatifs financiers.

Par ailleurs, en vue de desserrer les rémunérations indiciaires, l'attribution, au 1er juillet 2023, de points d'indice majoré pour les « bas de grilles » des trois grades de la catégorie C et du 1er grade de la catégorie B a permis de rétablir une différence de rémunération selon les échelons et ainsi de retrouver une progression salariale au sein de ces grilles.102(*) Néanmoins, cette mesure a conduit à réduire les écarts séparant ces indices des échelons des 2ème et 3ème grades de la catégorie B et des grades de la catégorie A. Le Gouvernement n'a donc pas encore trouvé la réponse parfaite au tassement des grilles et cette problématique ne pourra faire l'économie, comme pour le secteur privé, de négociations avec les organisations syndicales.

Une réflexion d'ensemble est certainement à mener quant à la rémunération dans la fonction publique. Ainsi que le notait Catherine Di Folco, rapporteur pour avis de la commission des lois, en 2022103(*) : « Le système actuel montre ses limites. (...) la politique de rémunération indiciaire ne peut pas tout résoudre ; afin d'assurer l'attractivité de certains métiers, accorder une part importante au régime indemnitaire est nécessaire ».

B. SI LE SMIC A PERMIS DE PRÉSERVER UNE PARTIE DU POUVOIR D'ACHAT DES SALARIÉS, SA HAUSSE RAPIDE A INDUIT DES DIFFICULTÉS POUR LES ENTREPRISES ET UN SENTIMENT BIEN RÉEL DE PAUPÉRISATION POUR LES SALARIÉS.

Dans le débat public, la smicardisation est généralement synonyme de paupérisation. Si le pouvoir d'achat des salariés a effectivement été affecté par la crise, le Smic indexé sur l'inflation, a plutôt été un facteur de modération de cette perte. La paupérisation a toutefois sans aucun doute été réellement ressentie par les salariés dont les revenus d'activité ont été « rattrapés par le Smic ». En outre, les entreprises ont également connu de réelles difficultés dans cette crise inflationniste les entravant dans leur politique salariale.

1. Le pouvoir d'achat des salaires a été malmené par l'inflation mais partiellement préservé par le Smic

La crise inflationniste a provoqué une chute importante du pouvoir d'achat des salaires nets. Selon l'Insee, la baisse de 2022 est la plus importante depuis 1996, exception faite du repli de 2021104(*). Cette diminution du pouvoir d'achat a été croissante selon le niveau de rémunération. Ainsi, les données de l'Insee montrent que, en euros constants, seuls les salaires en bas de la distribution ont connu une stabilité en 2022 (- 0,1 % pour les salaires en-deçà du 1er décile) grâce aux revalorisations du Smic indexé sur l'inflation. Le Smic a donc protégé les salariés de l'inflation au coeur de la crise.

Cette baisse du pouvoir d'achat a toutefois été enrayée à la fin 2023 et en 2024. Les données agrégées de la Dares sur l'évolution des salaires en 2024105(*) mettent en lumière que les évolutions salariales dépassent désormais le niveau de l'inflation. Les premières observations indiquent que l'indice du salaire mensuel de base (SMB) de l'ensemble des salariés du secteur privé a augmenté de 3,3 % au 1er trimestre 2024 sur un an glissant. Toujours sur un an, l'indice du salaire horaire de base des ouvriers et des employés (SHBOE) a progressé de 3,6 % fin mars 2024. Alors que du second trimestre de 2021 au second semestre de 2023, ces deux indices étaient négatifs en euros constants (voir graphique ci-après), fin mars 2024, le SMB croît de 1,4 % et le SMB de 1,1 %.

Glissement annuel des salaires et des prix à la consommation

Source : Dares, mai 2024

Si le rattrapage des pertes subies ne sera vraisemblablement pas total, comme le note Haut Conseil des finances publiques (HCFP)106(*), l'année 2024 soutiendra bien le pouvoir d'achat des revenus d'activité. La même évolution peut être anticipée à moyen terme puisqu'une progression des salaires de 3,3 % reste prévue pour 2025 et 2026107(*).

Le ressenti spécifique de l'inflation par les salariés en Martinique

Le contexte particulier de l'insularité en Martinique implique une problématique générale de vie chère, indépendamment du retour de l'inflation sur le continent européen. De fait, partant d'un niveau de prix plus élevé à l'origine, la forte inflation a touché la Martinique avec retard et plus lentement : en 2023 les prix avaient augmenté de 5,9 % dans l'Hexagone contre 3,5 % sur la même période en Martinique.

Par conséquent, la question des revalorisations salariales se pose d'une manière différente en Martinique, d'autant que les difficultés financières connues par les entreprises locales exercent une forme de modération salariale : les défaillances d'entreprises ont augmenté de 51 % entre 2022 et 2023 contre 35 % en France entière.

Cette situation oriente également l'action de l'administration vers la prévention des difficultés et la communication autours des procédures de restructuration, et vers le suivi des actions en non-paiement de salaires avec un lien fort avec l'AGS. Mécaniquement, le suivi du dialogue social fait l'objet de moins de moyens, et la Deets de Martinique ne possède pas d'informations spécifiques en la matière.

Source : Deets de Martinique

2. Toutefois, le sentiment de paupérisation est bien présent chez les salariés

Généralement, les approches sociologiques pour définir le sentiment de déclassement social des salariés, soit retiennent une analyse du lien entre diplôme et la catégorie socio-professionnelle soit s'appuient sur le salaire perçu. Datant certes de quelques années, l'ouvrage de 2014108(*) Bien ou mal payés ? Les travailleurs du public et du privé jugent leurs salaires du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) est à ce titre éclairant en ce qu'il s'appuie sur l'exploitation de l'enquête dite SalSa (les salaires vus par les salariés) pour laquelle un questionnaire a été adressé aux salariés privés et aux agents publics entre 2008 et 2011.

L'exploitation des réponses au questionnaire révèle d'abord aux auteurs que les salariés ont largement recours à la comparaison avec des références concrètes pour juger de leur niveau de satisfaction quant à leur salaire : « Ce n'est donc pas sous l'angle des catégories morales attendues, la justice ou le mérite, que les salariés évaluent leur salaire. Ils se réfèrent à des critères beaucoup plus concrets. Posée après que les personnes interrogées s'étaient déclarées « très satisfaites », « plutôt satisfaites », « plutôt mécontentes » ou « très mécontentes », la question « pourquoi ? » incitait les personnes salariées à argumenter en énonçant un ou plusieurs critères de satisfaction ou d'insatisfaction. De fait, l'expression la plus fréquente rencontrée dans leurs réponses, « par rapport à », exprime la volonté de situer son salaire de façon relative « par rapport à » une ou plusieurs grandeurs de référence, jugées fondamentales par le salarié. Que l'appréciation soit positive ou négative, les grandeurs invoquées sont très diverses, mais toujours concrètes »109(*).

Parmi ces grandeurs de référence, les auteurs notent que « le Smic constitue une référence fréquente pour les salariés déclassés au sens du salaire »110(*). L'enquête « SalSa » (2008-2011) révèle ainsi que 43 % des salariés des entreprises et 49 % des agents publics ont déjà comparé leurs salaires avec le Smic. En particulier, pour les employés et ouvriers, l'appréciation sur leur propre situation est portée en comparant les situations jugées « pires » que la leur : « Le regard est porté vers le bas. La référence qui sert à apprécier la situation présente est le Smic, terme qui pèse très lourd dans la constitution de l'axe principal »111(*). Que le Smic soit un point de référence majeur pour les ouvriers et employés explique le sentiment profond de déclassement ressenti lorsque ces salariés se retrouvent soudainement au niveau du Smic.

Avec une proportion de 17,3 % de salariés concernés par la revalorisation du Smic au 1er janvier 2023, ce sentiment de déclassement a bel et bien été partagé par un grand nombre de personnes qui, jusqu'alors, en étaient épargnées, comme la presse en a fait l'écho112(*). Il ressort également de nombreuses auditions des rapporteures qu'une part importante de salariés a ressenti ces dernières années une paupérisation soudaine. Le tassement des grilles de salaires, opéré depuis 2021, et le rattrapage de nombreux salariés par le Smic ont provoqué ce sentiment de rétrogradation sociale d'autant plus violent que certains salariés avaient dû attendre de nombreuses années pour que leur rémunération s'éloigne du niveau du Smic.

3. En outre, les hausses rapides de Smic ont induit des difficultés pour les entreprises

La période de revalorisation importante du Smic est intervenue dans un contexte de baisse de la productivité constatée depuis 2019. Cette décroissance de la productivité a été plus importante que celle des salaires réels et s'est poursuivie en 2022. En conséquence, la répartition de la valeur ajoutée depuis 2019 a évolué en faveur de la masse salariale113(*). Cette évolution fait figure d'exception au sein de l'OCDE, selon le rapport économique et financier (RESF) pour 2024, puisque, contrairement aux autres membres de l'organisation, « les coûts unitaires de main-d'oeuvre ont augmenté plus vite que les bénéfices unitaires entre fin 2019 et le 1er trimestre 2023, notamment grâce à une plus forte proportion de salariés au Smic »114(*).

Plus concrètement, les hausses soutenues du Smic et, par transitivité, des minima de branche ont eu d'importantes incidences pour les entreprises. Ainsi que le rappelle la CPME, dans sa contribution adressée aux rapporteures, l'augmentation des minima de branche a une incidence directe en entreprise :

- « soit parce que l'entreprise rémunère au niveau des minima de branche et subit ainsi régulièrement une augmentation de sa masse salariale brute, ce qui a un impact direct et immédiat sur sa trésorerie ;

soit, lorsque l'entreprise rémunère au-delà des minima de branche, du fait de la « pression » exercée par la réévaluation de ces minima, qui peuvent se rapprocher voire rattraper la grille de salaire interne de l'entreprise ». Pour maintenir sa politique d'attractivité, l'employeur, s'il en a les moyens, ne peut que répercuter sur les salaires de l'entreprise les augmentations salariales des branches.

Si le taux de marge des sociétés non financières (SNF) a légèrement progressé sur la période 2022-2023, il demeure tout de même sujet aux évolutions du coût réel du travail et a fini par se contracter au dernier trimestre de 2023 (- 0,8 point)115(*). Le taux de marge global recouvre en outre des situations très diverses et se trouve majoré par les marges importantes des branches liées à l'énergie116(*).

Dans ce contexte, les rapporteures constatent qu'une partie des entreprises, soumises également à la hausse des coûts ont dû limiter les augmentations de salaires afin de maintenir leur compétitivité-prix. L'U2P signale ainsi, dans sa réponse au questionnaire des rapporteures, que les hausses salariales n'ont parfois pas pu être à la hauteur des attentes des salariés car « les entreprises ne répercutaient pas le coût de l'inflation sur leur devis ou le prix de vente pour préserver l'activité de l'entreprise ». Une étude de février 2024 menée par Bpifrance, Le Lab et Rexecode portant sur la situation des TPE et PME indiquait, par exemple, que plus des deux-tiers des dirigeants de TPE-PME employant des personnes à des salaires proches du Smic se disaient contraints dans les augmentations salariales. Une majorité d'entre eux mentionnaient comme motif principal le manque de marges financières de leur entreprise117(*).

C. LA « SMICARDISATION » CONTRE LAQUELLE LES POUVOIRS PUBLICS DOIVENT LUTTER EN PRIORITÉ EST LA STAGNATION DU SALAIRE AU COURS DE LA CARRIÈRE PROFESSIONNELLE

L'attention portée dans le débat public à la part de travailleurs rémunérés au niveau du Smic depuis 2022, dans un contexte de choc exogène d'inflation, occulte malheureusement la question plus structurante de la smicardisation au cours de la carrière professionnelle. Les rapporteures estiment que permettre aux salariés d'avoir une espérance raisonnable de voir leur rémunération progresser au cours de leur vie professionnelle constitue une priorité politique bien plus impérieuse que la conformité conjoncturelle des branches au Smic.

1. Une stagnation salariale dans certains secteurs du fait de la nature de leurs activités économiques

Une étude de France Stratégie estimait, en 2018, qu'un salarié pouvait, en moyenne, s'attendre à multiplier sa rémunération par 1,7 au cours de sa carrière professionnelle118(*). Cette espérance recouvre toutefois des réalités très diverses selon le niveau de diplôme, le sexe et également le secteur d'activité.

En dépit des négociations menées au sein des branches professionnelles, certains secteurs économiques n'offrent en effet que très peu de perceptive d'augmentations salariales. Les rapporteures constatent, en premier lieu, que, début 2024, quinze branches du secteur général présentent ainsi un éventail des salaires inférieur à 1,7. Douze branches sur ces quinze appartiennent au secteur des services. La branche la plus importante en effectif (775 000 salariés), et d'une certaine manière la plus représentative, est celle des particuliers employeurs pour laquelle le minimum conventionnel le plus haut plafonne à 2 608,66 euros.

Les données du groupe d'experts sur le Smic mettent également en exergue que certains secteurs d'activité sont plus vulnérables que d'autres aux revalorisations du Smic (voir plus en amont du rapport). En particulier, 39,8 % des salariés du secteur de l'hébergement et de la restauration sont concernés par les revalorisations du Smic au 1er janvier 2023 contre une moyenne de 8,9 % dans l'industrie manufacturière. Ce constat n'est toutefois qu'une photographie statique de l'état des rémunérations dans deux secteurs d'activité.

Si les études manquent pour documenter les progressions salariales par secteur d'activité, il est toutefois possible d'appréhender ces différences en analysant les salaires selon l'âge des salariés bien que cette mesure comporte de nombreuses limites. Les données statistiques de la Dares119(*) sur les branches professionnelles permettent ainsi de comparer la rémunération moyenne d'un ensemble de conventions regroupées pour l'information statistique (Cris)120(*) et de l'ensemble des conventions collectives par catégorie d'âge des salariés.

Rémunération moyenne en ETP par catégorie d'âge
selon la classification statistique (Cris) retenue

en 2021

Source : Commission des affaires sociales, données de la Dares

Une comparaison entre le secteur de la métallurgie - sidérurgie et ceux du commerce de détail non alimentaire ou de l'hôtellerie, restauration et tourisme fait distinctement apparaître les différences de rémunération par âge que les secteurs d'activité peuvent entraîner. Un salarié de la métallurgie - sidérurgie de 50 ou plus gagne 1,7 fois plus qu'un salarié de moins de 29 ans tandis que ce rapport est de 1,38 pour commerce de détail non alimentaire et 1,30 pour l'hôtellerie, restauration et tourisme.

Les rapporteures ne peuvent donc qu'encourager les pouvoirs publics à garder à l'esprit ces différences dans la définition des politiques publiques. En premier lieu, il convient de mettre en place une politique économique qui n'entrave pas les secteurs à plus forte progression salariale telle que les secteurs industriels. Entendue en audition des rapporteures, la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) pointait ainsi la nécessité d'une montée en gamme structurelle de l'économie française pour lutter contre la smicardisation des carrières.

S'il n'appartient pas à la présente mission d'information de produire des recommandations précises sur ces sujets, les rapporteures rappellent que des choix structurants comme le niveau des impôts de production, les complexités administratives pour les entreprises, les contraintes excessives en matière d'artificialisation des sols sont autant de déterminants à la configuration économique du pays qui influent in fine sur l'évolution salariale des travailleurs.

2. Lutter contre la stagnation des salaires nécessite une politique de formation ciblée sur les branches professionnelles qui en ont besoin
a) Une politique de soutien à la formation qui doit pleinement intégrer un objectif de « désmicardiser les carrières »

Pour les salariés peu ou pas qualifiés dont les perspectives de progression salariale sont limitées, le développement des compétences professionnelles par la formation continue constitue un enjeu majeur. La formation professionnelle a bien une incidence sur la progression salariale. Une étude de la Dares de juillet 2021 constate qu'à la suite d'une formation d'au moins 18 heures, et sans même connaître de changement de statut d'activité, la chance de connaître une augmentation salariale pendant les cinq ans à venir étaient, pour les femmes, de 15 % contre 11 % pour l'ensemble des salariées et, pour les hommes, de 17 % contre 13 %121(*).

Les rapporteures estiment que les politiques publiques de soutien à la formation professionnelle continue doivent pleinement intégrer un objectif de progression salariale le long des carrières. Pour ce faire, il convient de cibler davantage les efforts financiers vers les secteurs d'activité les plus en difficulté pour offrir une ascension salariale à leurs salariés.

Ce ciblage pourrait notamment s'appuyer sur France compétences, qui, depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel122(*), est en charge de collecter les contributions des employeurs au financement de la formation et de verser les dotations aux onze opérateurs de compétences (Opco) notamment pour l'aide au développement des compétences au bénéfice des entreprises de moins de cinquante salariés123(*).

Les auteures du présent rapport s'inscrivent dans le sillage de la mission d'information de la commission sur France compétences qui soulignait, en 2022, l'importance de dégager de manière pérenne des marges de manoeuvres financière à l'opérateur pour accroître l'aide au développement des compétences et des qualifications dans les entreprises.

Actuellement, les modalités de répartition des dotations aux Opco sont déterminées par le conseil d'administration de France compétences en fonction du nombre d'entreprises adhérentes de moins de cinquante salariés et de leur effectif salarié. Cette dotation pourrait être majorée pour les Opco regroupant des branches professionnelles dont les secteurs présentent des progressions salariales difficiles sous réserve de la conclusion d'un accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) et d'un accord de la branche ou de l'interbranche sur l'appui aux entreprises en matière de développement des compétences. Ce financement mutualisé supplémentaire serait donc apporté aux branches vertueuses quant à leurs actions en matière d'ascension salariale par les compétences de leurs salariés.

Recommandation n° 8 : Majorer les dotations versées aux Opco pour l'aide au développement des compétences des entreprises pour les secteurs concernés par les stagnations salariales sous réserve de la conclusion d'accords de branche ou d'interbranche sur le développement des compétences.

Budgété à 273 millions d'euros (en autorisations d'engagement) au sein de la mission « Travail - emploi » en loi de finances pour 2024, le Fonds national de l'emploi - Formation (FNE-Formation) permet d'aider les entreprises dans le développement des compétences de leurs salariés. Utilisé de 2020 à 2022, afin de maintenir les compétences des salariés placés en activité partielle lors de la crise sanitaire, le FNE-Formation a été réorienté, depuis 2023, vers l'accompagnement de la triple transition écologique, alimentaire et agricole, ainsi que numérique124(*).

Les rapporteures estiment que le FNE-Formation, dans le cadre du conventionnement entre l'État et chaque Opco, pourrait intégrer un objectif d'aide à la progression salariale. Cet objectif ne serait pas contradictoire avec les missions aujourd'hui assignées au fonds ; le développement des compétences nécessaires pour anticiper les mutations économiques à venir doit s'accompagner de gain de productivité favorisant l'ascension salariale.

Recommandation n° 9 : Faire évoluer les objectifs du FNE - Formation pour y intégrer un objectif de lutte contre la stagnation à un bas salaire.

b) Encourager les perspectives d'évolution salariale hors de l'entreprise

Dans certains secteurs d'activité ou certaines entreprises, la perspective d'évolution de rémunération sur le long terme se trouve dans la création d'entreprise ou la reconversion professionnelle. Dès lors, dans un objectif d'éviter les stagnations salariales au cours des carrières, ces mobilités professionnelles ne doivent pas être découragées.

Les enquêtes d'opinion réalisés auprès des actifs en situation de reconversion font ressortir l'enjeu primordial des rémunérations. Une étude réalisée pour France compétences met par exemple en exergue que l'insatisfaction de sa rémunération est le troisième motif (22 % des cas) invoqués par les actifs en reconversion après la perte de sens du métier actuel (27 %) et l'insatisfaction des conditions de travail (23 %)125(*). En 2023, améliorer sa rémunération est même devenu la raison la plus souvent évoquée - dans 28 % des cas - par les actifs souhaitant préparer ou préparant une reconversion professionnelle126(*).

Il ressort des auditions de la mission d'information que certaines branches ont identifié cette nécessité et ont structuré des offres de développement de compétences pour une création d'entreprise ou de formation des cadres dirigeants du secteur. À cet égard, la Fédération française du bâtiment (FFB) a mis en avant le fait que de nombreux dirigeants d'entreprise ont préalablement exercé un métier dans les premiers échelons de la grille de classification. Cette politique de promotion professionnelle est encouragée par la branche grâce à l'école supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment (ESJDB). Il apparaît évident aux rapporteures que les pouvoirs publics doivent davantage soutenir ces initiatives des branches professionnelles.

En outre, les dispositifs nationaux d'accompagnement à la reconversion professionnelle doivent être renforcés alors que les salariés les moins qualifiés sont ceux qui expriment le plus souvent un souhait de reconversion mais qui échouent également le plus dans leur projet127(*).

La lutte contre la stagnation salariale doit entrer dans les priorités des projets de transition professionnelle (PTP), mis en place depuis le 1er janvier 2019 au bénéfice de tous les salariés.

La mission récente de l'Igas sur les transitions professionnelles pointe que le PTP pâtit d'une faible notoriété mais permet un financement d'un plus grand nombre de dossiers que le dispositif préexistant du congé individuel de formation (CIF). L'appréciation des demandes de prise en charge d'un projet relève des commissions paritaires interprofessionnelles régionales (CPIR), renommée associations Transitions pro, qui agissent en fixant des priorités régionales elles-mêmes déterminées dans le respect de priorités nationales décidées par France compétences128(*). Le conseil d'administration de l'opérateur détermine ces priorités dans une délibération.

Délibération du 29 septembre 2022129(*)

La délibération du 29 septembre 2022 du conseil d'administration de France compétences recommande de retenir comme prioritaires les projets des salariés :

- les moins qualifiés (ouvriers et/ou les employés de niveaux 3 et infra du cadre national des certifications professionnelles) au motif de leur plus faible accès à la formation ;

- reconnus inaptes sur leur poste actuel ;

- employés dans des entreprises de moins de cinquante salariés ;

- qui ciblent une formation d'une durée maximale de 1 200 heures ;

- formation certifiante portant sur une partie seulement des blocs de compétences constituant la certification, l'acquisition des blocs de compétences concernés devant permettre d'acquérir l'ensemble de la certification professionnelle enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).

L'Igas note toutefois que l'instruction des dossiers ne conduit pas suffisamment « à prioriser les catégories de candidats qui auraient a priori le plus besoin d'être soutenus, ou relevant de secteurs d'activité recherchés »130(*). Dans un des scénarios proposés par la mission Igas, il est recommandé d'ajouter comme critère priorisant les salariés présentant une élévation programmée de leur niveau de qualification, considérant que « les salariés les moins qualifiés bénéficient souvent de formations qui ne permettent pas une élévation de leur niveau de qualification initial »131(*).

Les rapporteures souscrivent à ce point précis et, dans cette même optique, estiment que les critères doivent davantage cibler les salariés candidats peu qualifiés dont le projet de transition professionnelle présenterait une perspective d'amélioration significative de leur rémunération. Ce critère conduira de fait à prendre en charge les formations de salariés souhaitant se tourner vers des secteurs d'activité recherchés.

Recommandation n° 10 : Ajouter les faibles perspectives d'évolution salariale comme un des critères prioritaires pour la prise en charge des projets de transition professionnelle déposée par les salariés.

3. Sans être une négociation salariale qui ne dirait pas son nom, la révision des classifications peut tout de même avoir un effet sur le temps long
a) Les révisions de classifications : ni un outil de politique salariale ni une procédure sans effet

Au sein d'une branche professionnelle, les classifications permettent d'organiser les différents types d'emplois en catégories, selon la nature des emplois, le niveau de qualification requis ou encore les tâches confiées aux salariés. Les classifications de branche ne sont pas définies par le code du travail et la méthode de classification des emplois peut donc varier d'une convention collective à une autre, selon les spécificités des secteurs d'activité. Les branches ont toutefois l'obligation d'établir ces classifications pour que leur convention collective puisse être étendue132(*).

Les entreprises se réfèrent aux grilles de classification de la branche dont ils relèvent pour hiérarchiser les postes, organiser le déroulement des carrières et, bien entendu, pour déterminer les salaires en référence aux SMH.

Les rapporteures sont convaincues que la révision des classifications ne saurait être entendue comme un véritable outil de politique salariale. La révision, processus long et complexe, ne peut être une réponse utile au tassement conjoncturel des grilles salariales et à la smicardisation de certains secteurs. Si la refonte des classifications peut bien sûr être l'opportunité de supprimer des premiers échelons devenus non pertinents, mais plaçant artificiellement la branche en état de non-conformité, l'enjeu principal n'est pas celui-ci.

Les travaux des rapporteures ont fait émerger la nécessité d'engager une révision des classifications pour les secteurs n'offrant plus de perspectives salariales en lien avec la réalité des métiers exercés. De nombreuses branches présentent en effet des coefficients « hors sol » avec la réalité des entreprises, ressemblant à du « vieux français », selon les termes du Pr Alexandre Fabre. Comme l'a souligné Jean-François Pilliard aux rapporteures, « les branches qui n'ont pas revu les classifications depuis longtemps ne permettent pas de s'assurer que la rémunération des salariés est en phase avec les compétences acquises ».

La révision des classifications de branche agit donc sur les salaires sur le temps long en ce qu'elle permet une rémunération des métiers prenant en compte les évolutions professionnelles et donc fidèle à la réalité. Si l'augmentation des salaires n'est pas un objectif de la révision des classifications, les négociations sur ce sujet s'engagent généralement avec une garantie qu'aucun salarié ne perdra en rémunération. Ces révisions ont donc souvent une incidence directe sur la masse salariale des entreprises.

b) Des procédures lourdes à engager pour les branches professionnelles
(1) Une incitation des pouvoirs publics à négocier qui produit quelques résultats sans traduction significative dans le nombre d'accords signés

Le législateur oblige les organisations liées par une convention de branche à étudier la nécessité de réviser les classifications au moins une fois tous les cinq ans133(*).

Article L. 2241-15 du code du travail

Les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels se réunissent, au moins une fois tous les cinq ans, pour examiner la nécessité de réviser les classifications.

Ces négociations prennent en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de mixité des emplois.

Lorsqu'un écart moyen de rémunération entre les femmes et les hommes est constaté, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels font de sa réduction une priorité.

À l'occasion de l'examen mentionné au premier alinéa, les critères d'évaluation retenus dans la définition des différents postes de travail sont analysés afin d'identifier et de corriger ceux d'entre eux susceptibles d'induire des discriminations entre les femmes et les hommes et afin de garantir la prise en compte de l'ensemble des compétences des salariés.

Toutefois, en dépit de cette obligation légale de négociation, les classifications de branche ne sont pas actualisées régulièrement. Reprenant l'article 3 de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023, l'article 1er de la loi du 29 novembre 2023134(*) a incité les branches professionnelles à engager ces démarches de révision en disposant qu'une « négociation en vue de l'examen de la nécessité de réviser les classifications en prenant en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de mixité des emplois est ouverte avant le 31 décembre 2023 au sein des branches n'ayant pas procédé à cet examen depuis plus de cinq ans ».

Malgré les dispositions de l'ANI du 10 février 2023 et de la loi, plusieurs organisations syndicales interprofessionnelles entendues par les rapporteures ont déploré que peu de négociations aient été véritablement engagées avant la fin de l'année 2023.

Selon les informations transmises par la DGT, les rapporteures peuvent toutefois dresser un bilan moins sombre de l'article 1er de la loi sur le partage de la valeur. Sur les 98 branches n'ayant pas révisé leurs classifications depuis plus de cinq ans, 63 branches ont indiqué à la DGT avoir commencé, d'une manière ou d'une autre, des travaux de négociation sur la révision des classifications. Certes, les travaux sont à des stades très disparates selon les banches et, pour certaines d'entre elles, nécessiteront un recul supplémentaire pour juger du sérieux des démarches. Les rapporteures ne sont pas non plus sans ignorer que certaines organisations patronales représentatives au niveau des branches ont clairement indiqué ne pas avoir l'intention de réviser les classifications : cinq branches ont ainsi fait savoir à la DGT que leurs classifications étaient déjà adaptées aux besoins de leur secteur. Toutefois, une majorité d'entre elles semblent avoir pris la mesure de l'enjeu que représentent ces révisions.

S'agissant de la concrétisation des négociations, l'aperçu quantitatif montre une progression depuis un an sans que le résultat final soit pleinement satisfaisant. D'après les informations communiquées aux rapporteures par la DGT, en mars 2024, les branches ayant conclu un accord portant sur les classifications il y a moins de cinq ans demeurent minoritaires. Cependant, leur nombre a progressé depuis avril 2023.

Évolution du nombre d'accords signés et déposés portant sur les classifications entre avril 2023 et mars 2024

Source : Commission des affaires sociales, données de la DGT

(2) L'accompagnement des refontes de classification par le ministre

En tout état de cause, les révisions de classification sont des procédures lourdes à engager et longues à aboutir, à plus forte raison lorsque la révision prend la forme d'une refonte totale de la grille de classification.

Les organisations d'employeurs entendues en audition ont témoigné de la complexité de ces révisions. La refonte des classifications de la branche de la métallurgie a été fréquemment citée en exemple de travail titanesque mais réussi. Cette dernière s'est inscrite dans la mise en place d'une nouvelle convention collective de la métallurgie signée le 7 février 2022 après six années de négociations. À elle seule, la refonte des classifications a nécessité dix-huit mois de travaux selon l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) qui rappelle toutefois les spécificités du champ conventionnel préexistant (voir encadré ci-dessous).

La révision des classifications de la branche de la métallurgie

La refonte du système conventionnel de la branche métallurgie s'est étendue de 2016, date du constat partagée par tous les partenaires sociaux, au 7 février 2022, date de la signature de l'accord par trois des quatre organisations syndicales représentatives de la branche : CFDT, CFE-CGC, FO.

Ce chantier, qualifié d'« historique » par l'UIMM, a permis de fusionner 78 conventions collectives (76 conventions collectives territoriales et 2 nationales : sidérurgie et ingénieurs et cadres), en une seule convention collective nationale (CCN) qui s'applique depuis le 1er janvier 2024.

Ces travaux ont abouti à une unique classification des emplois et une seule grille de minima conventionnels alors que les conventions collectives précédentes comportaient quatre classifications (cadres, non cadres, transposés - suite 35h - et alternants).

Le chantier de la classification a abouti à la mise en place de six critères classants. L'UIMM explique ainsi « il s'agit d'un véritable changement de paradigme : passer d'un classement du salarié à un classement de l'emploi. Tout au long du travail de préparation et durant les négociations, nous avons réalisé des expérimentations dans des entreprises, pour produire une grille pertinente. À l'issue, nous avons abouti à la création d'une nouvelle classification des emplois, la rédaction d'un « glossaire » paritaire ainsi qu'un guide pratique à destination des entreprises, pour les accompagner au mieux dans ce chantier. Pour mener à bien le déploiement de ce projet, les entreprises ont dû mobiliser leurs équipes RH et managériales pour faire un diagnostic exhaustif de l'existant, et contribuer à la rédaction précise des nouvelles définitions d'emplois. (...)

À noter qu'en termes de rémunération, grâce à la CCN, les SMH sont définis plus clairement, avec des montants qui favorisent l'attractivité de la branche ; la prime d'ancienneté est adaptée au nouveau système de classification des emplois. Des primes pour travail exceptionnel notamment sont créées au niveau national. Une garantie de rémunération légale ou conventionnelle est mise en place pour garantir au salarié en poste au 31 décembre 2023 de conserver leur rémunération. » L'UIMM précise ainsi que le changement de classification a eu un coût, qui s'est intégré dans la période de forte inflation.

Source : Réponse de l'UIMM au questionnaire adressé par les rapporteures

La révision des classifications demande d'appréhender les évolutions professionnelles ayant connu la branche et d'anticiper les mutations à venir du secteur d'activité. Les organisations patronales et syndicales doivent donc disposer de données objectives et précises pour mener à bien leurs travaux, ainsi que de compétences juridiques poussées. Le recours à un appui extérieur (cabinet de conseil ou d'avocats) n'est actuellement pas systématique et dépend des compétences dont dispose la branche en interne et des moyens financiers pour recourir à ces appuis.

Un questionnaire adressé en 2023 par la DGT aux branches qui amorcent des négociations ou au contraire sont en situation de blocage permet d'identifier plus précisément les freins à la révision des classifications. La DGT a relevé les principales difficultés suivantes :

- la technicité du sujet et mobilisation accrue des partenaires sociaux ;

- la difficulté à prioriser ce sujet parmi ceux inscrits à l'agenda ;

- les travaux s'inscrivent dans une temporalité contraignante ;

- les travaux nécessitent un engagement financier important.

La DGT souligne que certaines options existent déjà pour les partenaires sociaux. Ces derniers peuvent saisir l'Opco dont ils relèvent afin de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pour analyser leurs besoins et construire un plan d'actions. De même, les organisations de branche peuvent conventionner avec l'État pour bénéficier du dispositif de l'engagement de développements de l'emploi et des compétences (EDEC), lequel inclut le contrat d'études prospectives (CEP).

L'engagement de développements de l'emploi et des compétences (EDEC)

Développés dans une logique de prévention des mutations économiques et fondés sur le partenariat et le dialogue avec les partenaires sociaux, les EDEC permettent à l'État d'apporter une aide technique et financière à des organisations professionnelles de branche ou à des organisations interprofessionnelles devant être soutenues ou faisant l'objet d'actions publiques prioritaire, afin d'anticiper et accompagner l'évolution des emplois et des qualifications et ainsi sécuriser les parcours professionnels des actifs occupés.

Source : Direction générale du travail

Les pouvoirs publics pourraient néanmoins aider davantage à la révision des classifications en fournissant les informations nécessaires ou en finançant le recours à des experts économiques, des cabinets de conseil ou d'avocats. Début 2024, à la suite du sondage déjà mentionné, la DGT avaient ainsi recensé les principaux besoins suivants :

- l'actualisation du guide sur les classifications ;

- la diffusion d'une newsletter valorisant les bonnes pratiques ;

- la mise en place de formation à l'aune de la technicité du sujet ;

- l'accompagnement d'un cabinet extérieur dans la conduite et le suivi des négociations.

La DGT indique travailler actuellement à la mise à jour d'un guide sur les négociations de branche relatives aux classifications. Les rapporteures se réjouissent de ce chantier et ne peuvent qu'encourager le Gouvernement à accentuer les efforts d'accompagnement des branches en mettant effectivement en oeuvre des réponses aux besoins recensés.

Recommandation n° 11 : Apporter aux branches professionnelles un appui plus important (mise à jour du guide sur les classifications, aide juridique, financement d'un recours à un cabinet extérieur ou de formation...) pour la révision de leurs classifications.

III. POUVOIR D'ACHAT : PRENDRE LE PROBLÈME À LA RACINE, ET AGIR À LONG TERME SUR LES FREINS STRUCTURELS AUX AUGMENTATIONS SALARIALES

A. FAIRE ÉVOLUER LES ALLÈGEMENTS DE COTISATIONS : DES INCITATIONS NÉCESSAIRES QUI DÉFORMENT LA PROGRESSIVITÉ DU COÛT SALARIAL

Les contraintes économiques auxquelles sont soumis les employeurs constituent le premier frein à la revalorisation des salaires. Elles tiennent à la fois à la nature des économies intégrées et au système socio-fiscal français.

Face à l'intégration croissante des marchés, les entreprises sont exposées à la concurrence internationale sur certains segments, et sont donc contraintes de modérer les salaires afin de conserver une compétitivité, à l'export et sur le marché national. Cette sensibilité du coût du travail est d'autant plus forte qu'une part de l'activité économique des entreprises françaises s'est historiquement positionnée sur la compétitivité-prix.

Pour répondre à cette concurrence et préserver les emplois les moins qualifiés, voire inciter à leur création, les mesures d'allègement de cotisations employeurs sur les bas salaires n'ont cessé de se renforcer en France. Cette politique de réduction du coût du travail, concentrée sur les bas salaires, de fait, a permis de renforcer la compétitivité des entreprises françaises.

Cependant ces exonérations, en plus de questionner le financement de la sécurité sociale, induisent des effets de seuil qui peuvent désinciter l'employeur, et parfois le salarié, à une augmentation du salaire.

1. Un outil de préservation de l'emploi qui semble éprouvé
a) Une réduction du coût du travail ciblée qui a permis de renforcer la compétitivité française et de préserver l'emploi
(1) Les allègements de cotisations : réduire le coût du travail pour lutter contre le chômage de masse

La protection des emplois peu qualifiés a constitué un des premiers objectifs des politiques de l'emploi des vingt dernières années, qui ont eu prioritairement recours aux allègements de cotisations employeurs pour y parvenir. En effet, le poids des prélèvements sur l'activité a, dès les années 1990, été identifié comme facteur de l'augmentation du chômage.

Les mesures d'allègement, d'abord « généraux » puisqu'ils concernaient l'ensemble des entreprises du secteur marchand, se sont dans un premier temps concentré au niveau du Smic, avant de voir leurs seuils d'éligibilité élargis. Cet élargissement des seuils a à la fois conduit à diluer les effets protecteurs, et à introduire une meilleure progressivité sur l'échelle des salaires.

Ces allègements trouvent leur fondement dans la théorie économique, qui établit qu'une baisse des prélèvements obligatoire sur le travail est particulièrement efficace sur l'emploi le moins qualifié. Cette efficacité est due à la conjonction de différents effets économiques :

- un effet d'assiette : l'assiette d'un bas salaire est plus réduite, et la part de cotisation exonérée réduit d'autant plus le coût du travail à ce niveau de rémunération ;

un effet d'élasticité du coût du travail : à mesure que le niveau de rémunération augmente, le coût du travail est de moins en moins déterminant dans la création d'un emploi, comme dans le cas des salariés très diplômés. A contrario, la création des emplois les moins qualifiés est très sensible au coût du travail ;

un effet de substitution cotisation-salaire : une exonération de cotisation sociale peut en effet se traduire par une augmentation de salaire, ce qui réduit mécaniquement les effets attendus sur le niveau d'emploi. En revanche, au niveau du Smic, cette substituabilité est moins forte, et les allègements se traduisent quasi intégralement en baisse de coût du travail.

Les rapporteurs s'inscrivent pleinement dans la philosophie des allègements de cotisations, et sont particulièrement sensibles à la préservation des emplois les moins qualifiés. Cet outil des politiques de l'emploi leur semble en outre préférable à l'alternative des contrats aidés dont les résultats ont été plus mitigés.

(2) Une réussite indéniable : au niveau du Smic, le coût du travail est revenu dans la moyenne européenne

Le niveau des prélèvements fiscaux et sociaux français étant particulièrement élevé, les allègements successifs de cotisations employeur (cf. infra) ont permis de faire diminuer le coût du travail en France, et de renforcer la compétitivité de l'activité économique. Ce niveau de compétitivité peut être appréhendé par le coin socialo-fiscal, qui évalue la différence entre le coût total d'un travailleur pour l'entreprise, et le salaire net que celui-ci reçoit. À titre d'exemple, les allègements de cotisations sur les bas salaires ont permis de réduire les charges patronales à 3,35 % au niveau du Smic, contre 30,4 % en 1991.

Évolution du coût du travail horaire en Europe

Source : Enquête Rexecode, coût du travail dans l'industrie et les services marchands en Europe, 2024

Les effets de ces allègements sur le coût du travail se retrouvent au-delà du niveau du Smic, ce qui se traduit par le niveau du coût horaire moyen. Si la France faisait partie des pays où le coût horaire moyen de la main d'oeuvre était les plus élevés d'Europe, elle est désormais dans la moyenne avec 38,3 euros brut, proche de l'Allemagne à 37,2 euros. Ce rattrapage est dû aux allègements généraux, qui permettent au modèle français de conjuguer un salaire minimum relativement élevé par rapport aux autres pays, avec un coût du travail contenu.

Source : Insee

b) La multiplication des allègements dans le temps a réduit la lisibilité de cette politique
(1) Un empilement d'allègements successifs illisible

Les allègements de cotisations ont été plébiscités dès le début des années 1990, mais, au cours du temps, des exonérations ciblées sont venues s'ajouter aux exonérations générales, en multipliant les périmètres et les natures de ces exonérations et en réduisant in fine la lisibilité de ces allègements.

• La réduction générale de cotisations sur les bas salaires : les premiers allègements de cotisations sociales se sont concentrés sur les seuls travailleurs rémunérés au niveau du Smic. En 1993, les cotisations d'allocations familiales ont ainsi été supprimées135(*) entre 1 et 1,1 Smic, et réduites de moitié jusqu'à 1,2 Smic. Cette logique de réduction du coin socialo-fiscal au niveau du Smic s'est ensuite développée, en multipliant les cotisations concernées, et en étendant le bénéfice de ces allègements jusqu'à 1,6 Smic.

Date

Dispositif

Allègement

Périmètre

1995

« Ristourne Juppé »136(*)

Modifie l'allègement de 1993 avec une exonération de cotisations sociales patronale dégressive pouvant aller jusqu'à 18,2 %

Jusqu'à 1,33 puis 1,3 Smic

2000

Accompagnement de la réduction du temps de travail137(*)

Dispositif additionnel d'exonération dont le taux maximal est de 26 % pour les entreprises réduisant leur temps de travail

Jusqu'à 1,8 Smic

2003

Allègements Fillon138(*)

Fusion des dispositifs préexistants en une réduction unique avec un taux maximal d'exonération de 26 %

Jusqu'à 1,6 Smic

2014

Allègements généraux dits « zéro charge Urssaf au niveau du Smic »139(*)

Extension du champ des cotisations concernées par le taux maximal à la somme des taux des cotisations maladie, vieillesse, famille, AT-MP (part hors accidentalité), de la contribution au Fonds national d'aide au logement (FNAL) et de la contribution solidarité autonomie (CSA)

Jusqu'à 1,6 Smic

2019

Extension des exonérations hors champs du champ des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss)140(*)

Extension du champ de cette réduction générale aux cotisations de retraite complémentaire et aux contributions patronales d'assurance chômage

Jusqu'à 1,6 Smic

• L'exonération de cotisations d'assurance maladie, parfois appelée « bandeau maladie », a succédé au dispositif du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) qui avait été mis en place en 2012 pour améliorer la compétitivité des entreprises et favoriser l'emploi141(*). Ce crédit d'impôt représentait d'abord 4 %, puis 6 % à partir du 1er janvier 2014 de la masse salariale en dessous de 2,5 Smic.

La complexité de ce crédit d'impôt a conduit à le transformer à compter de 2019 en une réduction pérenne de cotisations sociales d'assurance maladie à due concurrence, soit 6 points, en dessous de 2,5 Smic.

• L'exonération de cotisations d'allocations familiales, aussi appelé « bandeau famille », visait également à la création d'emploi via le Pacte de responsabilité et de solidarité mis en place en 2014142(*). Cet allègement applicable depuis 2016, a pris la forme d'une réduction du taux de cotisations d'allocations familiales de 1,8 point pour les salariés dont la rémunération annuelle n'excède pas 3,5 Smic.

Mis bout à bout, ces allègements successifs ont abouti à ce que la part des cotisations sociales sur un salaire au niveau du Smic soit très faible, là où elle représentait encore 42,6 % en 1991.

Évolution des taux effectifs de prélèvement à la charge des employeurs
pour une rémunération équivalente au Smic

Source : Direction de la sécurité sociale.

(2) Les allègements souffrent d'un déficit d'évaluation, qui pose question quant aux effets sur l'emploi au-dessus de 2,5 Smic

L'évaluation des allègements de cotisation est complexe, et comme l'a fait remarquer l'économiste Stéphane Carcillo lors de son audition, l'efficacité de cette politique publique peut s'envisager selon différents objectifs : conservation des marges des entreprises, niveau d'emploi, niveau des exportations ou productivité.

Des études économiques semblent indiquer que certains dispositifs ont eu un effet parfois mesuré sur l'emploi, ou même nul. C'est le cas du CICE dont l'effet estimé par le comité de suivi et d'évaluation est de l'ordre de 100 000 emplois environ, à rapporter à son coût de 18 milliards d'euros en 2016143(*). La transformation en une baisse pérenne de cotisation maladie semble avoir donné plus de prévisibilité aux entreprises, et renforcé ces bénéfices.

En revanche, concernant le bandeau famille, la revue de littérature économique effectuée par le rapport d'information de la Mecss de l'Assemblée nationale, conduit par Jérôme Guedj et Marc Ferracci144(*), conclut que ces réductions de cotisations, au-dessus de 2,5 Smic, « se traduise[nt] très majoritairement par des augmentations de salaires, qui ont certes des effets favorables en matière de gestion des ressources humaines et de politique salariale dynamique, mais qui n'ont pas d'effet sur l'emploi ou sur la compétitivité des entreprises et un effet au mieux marginal sur l'attractivité de la France ».

Les rapporteures rejoignent le souci d'une efficacité des allègements de cotisations au regard des objectifs poursuivis, et prennent note des premiers éléments concernant plus précisément les exonérations au-dessus de 2,5 Smic. Il leur semble que cette question se pose d'autant plus légitimement dans un contexte économique où le taux de chômage fléchit légèrement.

Elles soulignent cependant l'extrême prudence avec laquelle il convient d'aborder le sujet des évolutions du système d'exonérations. En effet, durant les auditions conduites avec les branches professionnelles, elles ont constaté l'extrême diversité de situations dans lesquelles ces dernières se situent par rapport aux cotisations sociales. À titre d'exemple, les branches intensives en main-d'oeuvre, telle que l'aide à domicile ou la grande distribution, peuvent être gravement déstabilisées par une évolution des exonérations dont elles bénéficient. À un autre niveau, les branches où les emplois sont plus qualifiés, telle que la branche de la banque et de l'assurance, soulignent être plus directement en concurrence avec des entreprises étrangères, et donc avoir besoin d'un maintien des exonérations au-dessus de 1,6 et même 2,5 Smic. Ces auditions ont en définitive permis de constater l'effet cliquet des politiques d'allègements, qui justifie de renforcer l'évaluation et la progressivité des réformes.

Recommandation n° 12 : mieux évaluer l'effet des allègements de cotisations patronales à l'avenir, et envisager l'effet des évolutions au sein des différentes branches professionnelles.

2. Face à l'augmentation du montant des allègements : stop ou encore ?
a) Une politique d'allègements coûteuse : travaille-t-on au-dessus de nos moyens ?
(1) Les allègements de cotisations : des niches sociales particulièrement dynamiques

Si le recours aux allègements de cotisations a augmenté au cours des dernières décennies, ceux-ci connaissent également une dynamique propre, qui se retrouve dans le volume des moindres recettes pour les caisses de sécurité sociale. De fait, en 2022, les allègements généraux représentent 96 % du montant total des exonérations dont bénéficie le secteur privé.

L'Urssaf caisse nationale constate un « effet d'emballement » du montant de ces exonérations du régime général, puisqu'elles ont atteint 73,6 milliards d'euros en 2022, soit 13,1 % de plus que l'année précédente145(*). Il faut noter que cette dynamique est soutenue par la création d'emplois, qui contribue à gonfler la masse salariale sur laquelle ces exonérations se calculent, cependant ce facteur n'explique que partiellement la tendance, puisque la masse salariale n'a augmenté que de 8,7 % sur la même période.

Montant annuel des exonérations (tous secteurs) et taux d'exonération apparent dans le secteur privé entre 2004 et 2022

Les représentants syndicaux auditionnés ont en ce sens estimé que « les allègements de cotisations sont devenus le troisième budget de l'État », après le remboursement de la dette et l'enseignement scolaire. Cette assertion est discutable, mais invite cependant à prendre la mesure de cette dépense indirecte.

Le gel des bandeaux maladie et famille proposé par la LFSS pour 2024

L'article 20 de la LFSS pour 2024, inséré par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, a défini de nouveaux seuils jusqu'auxquels s'appliquent les « bandeau maladie » et « bandeau famille ». Ces seuils sont désormais désignés en euros, et non plus en multiples du Smic.

Cette mesure permet de réduire la perte de recettes pour les caisses de la sécurité sociale en cas de forte inflation venant revaloriser le Smic, et au bout du compte les seuils d'exonération. Par ailleurs, elle ouvre également la voie à une réduction progressive et mesure des seuils en multiples du Smic pour ces exonérations, afin de les rendre plus efficients en termes de créations d'emplois.

(2) Un risque à terme pour le financement et la gouvernance de la sécurité sociale

En partie du fait des allègements de cotisations patronales, les cotisations ne représentent plus que 49 % des recettes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss), là où elles en constituaient 82 % en 1993146(*). La loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, dite « loi Veil »147(*), a en effet posé le principe d'une obligation de compensation intégrale de l'État des exonérations et réductions de cotisations sociales, qui passe le plus souvent pas l'affectation d'une fraction de TVA, ou via la contribution sociale généralisée (CSG). Cette règle de compensation est aujourd'hui portée par l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, et est fréquemment renforcée. Par ailleurs, la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale148(*) a précisé que la dérogation au principe général de compensation relevait du domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale.

Les rapporteures estiment que, même en cas de compensation des allègements de cotisations par des transferts de fiscalité de l'État, cet affaiblissement des assiettes de cotisations contribue à une désocialisation des caisses de la sécurité sociale. En diluant le lien avec le travail, cette désocialisation éloigne la sécurité sociale de sa vocation assurantielle, et met en question in fine la place du paritarisme de gestion.

b) Les allègements de cotisations renforcent le coût d'une augmentation de salaire net à certains niveaux de rémunération

La concentration des allègements généraux au bénéfice des bas salaires, qui visent à produire des effets sur l'emploi, conduisent en revanche à renchérir le coût marginal d'une augmentation de salaire net, et freinent donc les revalorisations salariales. Ce phénomène est connu de longue date, et déjà dans le rapport du Conseil d'orientation pour l'emploi, Raymond Soubie, Jean-Luc Tavernier et Éric Aubry décrivaient ce risque :

« Ces exonérations ciblées sur les faibles rémunérations créeraient des « trappes à bas salaire » : les employeurs seraient désincités à la revalorisation des salaires par la réduction concomitante des allègements de cotisations. Ceci peut avoir potentiellement des conséquences de long terme négatives en réduisant l'incitation à la formation et en portant ainsi préjudice à la productivité globale de l'économie », avant de nuancer : « Certes l'écrasement du bas de la hiérarchie salariale est une réalité indiscutable. Les allègements de cotisations sociales ne sont cependant qu'une des causes possibles de cet écrasement, qui peut également être lié au niveau relativement élevé du salaire minimum en France par rapport au salaire médian »149(*).

En effet, augmenter un salarié au-dessus du Smic suppose pour l'employeur d'augmenter la rémunération dudit salarié, d'augmenter les cotisations salariales et patronales assises sur ce salaire, mais également de voir la part des allègements dont bénéficie l'employeur diminuer puisque ceux-ci sont dégressifs. La notion de variation du coût salarial permet de saisir l'arbitrage auquel sont confrontés les employeurs : il s'agit du coût pour l'employeur nécessaire pour augmenter d'un euro le salaire d'un individu.

Le graphique ci-dessous illustre le phénomène de trappe à bas salaire dont sont victimes conjointement les salariés et les employeurs : pour augmenter de 100 euros un salarié qui est rémunéré à 1,2 Smic, l'employeur subit une hausse du coût salarial de 580 euros, contre seulement 174 euros au-dessus de 1,6 Smic.

Variation du salaire super-brut nécessaire pour augmenter de 100 €
le revenu disponible d'un salarié selon son niveau de rémunération

Source : Drees, 2023

Ce frein aux augmentations salariales est dû aux effets de seuil propres aux allègements, mais également à l'interaction entretenue avec d'autres sources de transferts, à commencer par la prime d'activité ou les allocations pour le logement qui sont sous conditions de ressources.

Lors des auditions conduites par les rapporteures, les directeurs de ressources humaines (DRH) entendus ont insisté sur la difficulté de penser l'articulation du salaire et des prestations sociales, dans la mesure où ces prestations sont familialisées, alors que les exonérations sont les mêmes pour tous les salariés. Certaines des branches auditionnées ont également alerté les rapporteures sur le fait que « augmentations salariales et prestations sociales ne font pas bon ménage ». Dans certains cas, les salariés, notamment des mères seules, s'interdisent de travailler plus qu'un mi-temps afin de ne pas perdre le bénéfice de certaines aides sociales.

Par ailleurs cette situation de trappe à pauvreté est parfois accentuée par les possibilités offertes par les outils de partage de la valeur, notamment par la prime de partage de la valeur (cf. infra), qui bénéficient d'un traitement socio-fiscal favorable. Or ces primes ponctuelles n'ont pas le même effet dans la trajectoire salariale des bénéficiaires.

c) Cahier des charges d'une réforme des allègements de cotisations favorable aux augmentations salariales

Face à ce constat, les rapporteures partagent l'appel à la prudence formulé par Antoine Bozio et Etienne Wasmer dans le rapport d'étape de la mission relative à l'articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d'activité qui leur a été confié par la première ministre150(*). En effet, l'infinie complexité des dispositifs en jeu, ainsi que leur intrication peuvent conduire à des conséquences majeures pour les entreprises et leurs salariés.

Pour autant, cette complexité ne peut conclure à l'immobilisme, et une évolution du système des allègements de cotisations leur semble souhaitable afin de renforcer la progressivité des courbes salariales, non pas en salaire brut, mais en revenu disponible. Pour ce faire, les rapporteures dressent le cahier de charges à respecter pour une réforme réussie des allègements :

une réforme concertée : la concertation des partenaires sociaux est parfois perçue comme une figure imposée en matière sociale, mais en l'espèce elle ne doit pas être conduite dans une optique formaliste. Afin de rendre acceptable et opérationnelle une telle réforme, les partenaires sociaux doivent en effet être mis en position de contribuer, en amont, à la définition du nouveau système d'allègement. Par ailleurs, la situation des différentes branches doit être envisagée dès l'origine ;

une meilleure articulation du bénéfice des allègements et celui des prestations sociales : la dégressivité des allègements de cotisation patronale est relativement satisfaisante, mais comme vu précédemment, c'est la progressivité du coût salarial concernant le revenu disponible qui favorise la stagnation salariale. Les rapporteures appellent donc de leurs voeux une réforme joignant ces deux pans ;

un effort budgétaire pour les employeurs : l'impératif de soutenabilité des finances publiques invite à contribuer collectivement à la réduction du déficit de la sécurité sociale. Compte tenu du dynamisme des allègements de cotisation, il paraît difficile de raisonner à coût constant, et un effort mesuré pourrait être envisagé en la matière. Cependant cette réduction du montant des niches sociales concernées ne doit pas mettre en péril l'activité économique, et doit donc demeurer absorbable ;

une mise en oeuvre progressive : l'ensemble des acteurs économiques auditionnés ont insisté sur l'importance de la prévisibilité des mesures concernant le coût du travail. Afin de limiter la déstabilisation pour les entreprises, une évolution du cadre des allègements généraux doit donc s'envisager sur une période relativement longue.

Recommandation n° 13 : Respecter un cahier des charges pour toute réforme des allègements à venir, qui réunisse progressivité dans le temps, consultation des partenaires sociaux, mise en cohérence des différentes politiques concernant le pouvoir d'achat et effort budgétaire pour les employeurs.

B. RENFORCER LA LISIBILITÉ DES RÉMUNÉRATIONS : UNE MEILLEURE INFORMATION AU BÉNÉFICE DE TOUS

1. Le salaire, un élément de rémunération concurrencé par d'autres avantages
a) Au-delà du salaire, le niveau de vie d'un salarié est également déterminé par les compléments du salaire

Si le salaire est défini comme la contrepartie du travail fourni, au sein du contrat de travail, la rémunération a une définition plus générale qui inclus l'ensemble des sommes liées à l'accomplissement d'un travail pour le bénéfice d'autrui : le salaire, mais également les compléments du salaire ainsi que les avantages liés à la condition de salarié. Les compléments du salaire et autres avantages peuvent avoir une incidence réelle sur le niveau de vie d'un salarié, et c'est d'ailleurs la rémunération totale qui est retenue pour l'appréciation de l'égalité entre les hommes et les femmes au sein de l'entreprise151(*) et pour les discriminations salariales en général152(*). En revanche, seul le salaire est pris en compte pour déterminer certains droits du salarié, notamment l'assiette des indemnités de rupture du contrat de travail, l'indemnité de congés payés ainsi que l'assiette du salaire minimum légal, et conventionnel en l'absence de précisions par l'accord collectif en cause (cf. supra).

Ainsi, contrairement au salaire, qui s'impose à l'employeur en tout temps, les compléments du salaire ne sont obligatoires que s'ils sont prévus par un dispositif tel que : 

- le contrat de travail ;

- un accord collectif, qu'il soit d'entreprise ou de branche comme dans le cadre des SMH ;

- un usage, lors que sans règle écrite une pratique s'applique à tous de manière constante, comme c'est le cas dans certains secteurs tels que l'agriculture ;

- un engagement unilatéral de l'employeur.

Les compléments de rémunération peuvent désigner différents éléments, et parfois représenter une part substantielle du salaire de base :

les primes et gratifications, qui peuvent revêtir un caractère annuel (prime de fin d'année, de 13e mois, de vacances, participation, etc.), être relatives au rattrapage du coût de la vie (primes de vie chère, de productivité) ou liées à la personne du salarié (prime d'ancienneté, d'assiduité, de ponctualité) ou à ses conditions de travail (prime de pénibilité, astreinte, prime pour travaux dangereux et insalubres) ;

la prise en charge de frais et d'indemnités professionnelles versées par l'employeur, qui correspondent à des dépenses engagées dans le cadre du contrat de travail, et qui doivent être remboursées153(*) ;

la majoration liée aux heures supplémentaires qui, en l'absence de convention collective contraire154(*), sont rémunérées 25 % de plus les 8 premières heures, puis 50 % au-delà155(*) ;

les avantages en nature qui, bien que le principe du paiement du salaire en argent156(*), consistent à mettre gratuitement à la disposition d'un salarié un bien ou un service.

Les auditions ont permis aux rapporteures de constater que les compléments du salaire pouvaient avoir une importance conséquente sur le niveau de vie des salariés dans certaines branches ou entreprises. Cette flexibilité est à encourager dans la mesure où elle correspond parfois mieux aux attentes des salariés, et permettent également aux employeurs d'augmenter le niveau de vie de leurs salariés, ainsi que leur attractivité, lorsque les marges de manoeuvre financières dont ils disposent sont limitées.

b) Les outils du partage de la valeur permettent de répondre au besoin de flexibilité des employeurs tout en inscrivant le salarié dans une communauté d'intérêts
(1) Les dispositifs de partage de la valeur contribuent à une rémunération dynamique et attractive pour les salariés

Les premiers dispositifs légaux de partage de la valeur remontent à la fin des années 1950, et sont aujourd'hui caractérisés par une grande diversité. Ils partagent cependant l'idée d'associer les salariés à la croissance de l'entreprise, à la fois pour assurer une répartition de l'enrichissement de celle-ci, mais également pour valoriser le travail des salariés, et renforcer leur engagement. Cette fidélisation procède donc en théorie d'un cercle vertueux, puisque l'alignement des intérêts des salariés sur ceux de l'entreprise doit conduire à une amélioration de sa productivité. Afin d'encourager ces dynamiques, l'ensemble des outils de partage de la valeur bénéficie d'un régime fiscal et social incitatif.

· La participation, créée en 1967157(*) est le dispositif de partage de la valeur le plus commun puisqu'elle bénéficiait, en 2020, à 39 % des salariés. Elle est cependant beaucoup plus élevée dans les grandes entreprises puisqu'obligatoire dans les entreprises qui comptent plus de 50 salariés158(*). Conçue pour « garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l'entreprise », elle consiste pour l'entreprise à abonder une réserve spéciale de participation (RSP) selon une formule qui prend en compte son bénéfice159(*), pour ensuite la répartir entre les salariés selon des critères définis par l'accord d'entreprise160(*) : uniforme, proportionnelle aux salaires ou à la présence dans l'entreprise durant l'exercice.

· L'intéressement, créé en 1959161(*), est, à l'inverse, un dispositif d'épargne collective facultatif, qui concerne pourtant 34,4 % des salariés en 2020. Il vise à « associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l'entreprise »162(*), en versant une prime proportionnelle aux résultats de ladite entreprise sur un plan d'épargne. Pour cela, l'intéressement doit respecter trois critères : 

le caractère collectif : l'ensemble des salariés doivent pouvoir en bénéficier, sous réserve éventuelle de l'ancienneté nécessaire ;

- le caractère aléatoire : il doit traduire l'évolution des résultats de l'entreprise. Cela implique notamment qu'un aléa, même faible, doit exister le concernant ;

- le caractère facultatif : c'est ce qui le différencie de la participation.

· Enfin les plans d'épargne salariale sont des systèmes d'épargne spécifiques, dans lesquels un cadre collectif est défini au niveau de l'entreprise, tandis que les salariés choisissent individuellement d'y adhérer ou non. Les salariés qui le souhaitent peuvent donc, constituer un portefeuille de valeurs mobilières en profitant d'un abondement de l'entreprise. Ces plans d'épargne qui sont de différentes natures, plan d'épargne d'entreprise (PEE) et plan d'épargne retraite (PER), sont liés à la participation et à l'intéressement puisqu'ils peuvent y être affectés.

La prime de partage de la valeur instituée en 2022

La loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat163(*) a créé une nouvelle prime au caractère pérenne, la prime de partage de la valeur (PPV) qui reprend un certain nombre de caractéristiques de la prime de pouvoir d'achat à laquelle elle a succédé. 

Cette prime peut être versée une fois par an à chaque salarié, dans la limite de 3 000 euros par salarié ou de 6 000 euros si l'entreprise met en oeuvre un accord d'intéressement, qui peuvent être versés en une ou plusieurs fois au cours de l'année civile.

Son montant peut différer selon les bénéficiaires en fonction de la rémunération, du niveau de classification, de l'ancienneté dans l'entreprise, de la durée de présence effective pendant l'année écoulée ou de la durée de travail prévue au contrat de travail. Elle ne peut se substituer à aucun des éléments de rémunération qui sont versés par l'employeur, aux augmentations de rémunération et aux primes prévues par un accord salarial, par le contrat de travail ou par les usages en vigueur dans l'entreprise. 

La PPV bénéficie d'un régime d'exonérations des cotisations sociales, selon la rémunération du bénéficiaire et le moment du versement de la prime.

De juillet 2022 à juillet 2023, la prime de partage de la valeur a été versée à 9,5 millions de salariés pour un montant total de près de 6,4 milliards d'euros. Le montant moyen de prime versée était de 730 euros. 

La loi portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise164(*), signé le 10 février 2023 par les partenaires sociaux - à l'exception de la CGT - a récemment permis de faciliter le partage de la valeur dans les petites et moyennes entreprises. Pour prendre en compte la spécificité des TPE-PME, le législateur a permis à titre expérimental aux entreprises de moins de 50 salariés de recourir à une formule de calcul de la réserve spéciale de participation dérogatoire lorsqu'elles mettent volontairement en place un dispositif de participation165(*), qui peut mener à un montant de mise en réserve inférieur au droit commun, afin de prendre en compte les contraintes de trésorerie qu'elles peuvent rencontrer. De même, il a étendu à titre expérimental aux entreprises de 11 à 49 salariés qui réalisent durant trois exercices consécutifs un bénéfice net fiscal d'au moins 1 % de leur chiffre d'affaires, l'obligation de recours à un outil de partage de la valeur166(*) : PPV, participation, intéressement ou épargne salariale.

(2) Plus qu'un outil de revalorisation salariale, le partage de la valeur permet de renforcer le sentiment d'appartenance des salariés

Les auditions conduites auprès de directeurs des ressources humaines des groupes français Bel, Elior et Leroy Merlin ont permis aux rapporteures d'obtenir une présentation des possibilités offertes par le partage de la valeur au sein d'une entreprise, mais aussi des limites qui lui sont propres. Tous ont insisté sur le fait que le partage de la valeur permet de renforcer la culture d'entreprise et de fédérer les salariés dans une projection commune et valorisante de leur organisation. Par ailleurs les dispositifs d'intéressement et de participation ont l'avantage pour les employeurs et les salariés de souvent faire l'objet de négociations triennales, ce qui permet d'introduire de la prévisibilité dans la gestion de l'entreprise et des projets personnels des salariés. Les trois groupes entendus ont également rapporté que ces dispositifs leurs ont permis de saluer l'engagement de leurs équipes lors de la crise du covid-19, parfois sous le nom explicite de « prime de reconnaissance des efforts face à la crise sanitaire ».

En revanche, les directeurs auditionnés ont tous conclu que le partage de la valeur ne répond que de manière limitée aux attentes des salariés en matière de niveau de vie face à l'inflation, et qu'ils ont, pour cette raison, privilégié des efforts sur une hausse de salaire pérenne ces deux dernières années.

Les rapporteures partagent cette conception du partage de la valeur, comme levier au service de la culture d'entreprise, et moyen de donner un sens commun au travail et à la performance. En revanche, elles estiment que ces dispositifs sont plutôt de nature à jouer un rôle dans des situations favorables économiquement, mais qu'ils ne doivent pas être considérés comme une réponse à l'inflation, au risque de dévoyer leur sens premier. Autrement dit, le partage de la valeur doit s'envisager dans le temps long, celui de la fidélisation et du parcours du salarié au sein de l'entreprise, et non comme un outil de gestion de crise.

2. Une faible lisibilité de la rémunération et des avantages qui nuit à l'attractivité
a) Un éclatement des informations relatives à la rémunération pour le salarié

La diversité des éléments de rémunération offerts aux salariés induit un éclatement de l'information qui les concerne, ce qui n'est pas sans conséquences sur le sentiment de stagnation salariale de certains salariés.

· Le bulletin de paie peut sembler être un véhicule indiqué pour informer le salarié sur sa rémunération. De fait, le bulletin de paie est le support privilégié par l'employeur pour transmettre des informations au salarié, puisqu'il est bien identifié dans le monde du travail comme un document à conserver.

L'article L. 3243-2 du code du travail renvoi en effet à un décret en Conseil d'État la définition des mentions obligatoires du bulletin de paie, et c'est l'article R. 3243-1 du même code qui énumère ces mentions. Cette liste évolue régulièrement afin de prendre en compte la législation sociale en vigueur. Elle comprend les éléments directement liés à la rémunération de base du salarié ainsi que ses primes, mais également de nombreuses lignes concernant les cotisations.

Les mentions obligatoires sur le bulletin de paie

L'article R. 3243-1 du code du travail liste les informations devant figurer sur le bulletin de paie. Dans sa version en vigueur, il impose la mention :

• d'éléments relatifs à l'identité de l'employeur et du salarié

- le nom et l'adresse de l'employeur ainsi que, le cas échéant, la désignation de l'établissement dont dépend le salarié ;

- la nomenclature d'activité167(*) ;

- l'intitulé de la convention collective de branche applicable au salarié ou la référence au code du travail pour les dispositions relatives à la durée des congés payés du salarié ;

- le nom et l'emploi du salarié ainsi que sa position dans la classification conventionnelle ;

- la période et le nombre d'heures de travail auxquels se rapporte le salaire en distinguant celles payées au taux normal et au taux majoré ;

- la nature et le montant des accessoires de salaire soumis aux cotisations salariales et patronales ;

- le montant de la rémunération brute du salarié ;

• d'éléments relatifs à la rémunération

- la rémunération brute du salarié ;

- la base sur laquelle sont appliqués les taux des différentes cotisations et contributions sociales à la charge de l'employeur et du salarié avant déduction des exonérations et exemptions ;

- les taux des cotisations et contributions sociales à la charge du salarié avant déduction des exonérations et exemptions ;

- la nature et le montant des autres versements et retenues (notamment prise en charge des frais de transport domicile-travail, etc.) ;

- le montant effectivement reçu par le salarié ;

- la date de paiement ;

- les dates de congé et montant de l'indemnité de congés payés, lorsqu'une période de congé annuel est comprise dans la période de paie considérée ;

• d'éléments relatifs aux cotisations et contributions sociales

- le montant des cotisations de protection sociale réunies (santé, accidents du travail et maladies professionnelles, retraite, famille et chômage) ;

- le montant total des exonérations et exemptions de cotisations et contributions sociales ;

- le montant total versé par l'employeur (rémunération brute versée au salarié, cotisations et contributions à la charge de l'employeur, déduction faite des exonérations et allègements de charges sociales) ;

- le montant correspondant à l'évolution de la rémunération liée à la suppression des cotisations chômage et maladie ;

• d'éléments relatifs au net à payer et au net imposable : le montant net à payer avant impôt sur le revenu et montant de l'impôt sur le revenu prélevé à la source ;

• d'éléments relatifs au montant net social : montant du revenu net après déduction de l'ensemble des prélèvements sociaux obligatoires ;

• d'éléments relatifs à l'impôt sur le revenu

- le montant net imposable servant de base au calcul du prélèvement à la source (PAS) ;

- le cumul annuel des montants nets imposables servant de base au calcul du PAS ;

- le montant de l'impôt sur le revenu prélevé à la source ;

- le cumul annuel des montants de l'impôt sur le revenu prélevé à la source ;

- le montant net des heures complémentaire et/ou supplémentaire exonérées ;

- le cumul annuel des montants d'heures complémentaire et/ou supplémentaire exonérées ;

• d'autres éléments

- la mention de la rubrique dédiée au bulletin de paie sur le site service-public.fr ;

- la mention indiquant que le bulletin de paie doit être conservé sans limitation de durée ;

- le nombre d'heures indemnisées en cas d'activité partielle.

Pour autant, le contenu du bulletin de paie ne permet pas une information complète du salarié sur sa rémunération.

D'une part, les avantages en nature doivent y figurer sans pour autant devoir être détaillés : par conséquent l'aide financière pour les salariés au titre des frais de crèche et la mise à disposition d'un véhicule peuvent être amalgamés dans la même ligne de bulletin de paie.

D'autre part, l'ensemble des dispositifs de partage de la valeur font l'objet d'une fiche informative transmise par l'employeur à chaque versement, indépendamment du bulletin de paie. Cette fiche permet de préciser le montant des droits attribués, ainsi que les règles de calcul et de répartition prévues par l'accord d'intéressement ou de participation.

De nombreuses entreprises font, en outre, le choix de présenter l'ensemble des abondements consentis par l'employeur au titre de l'année écoulée au sein d'une fiche récapitulative. Lors de l'audition des directeurs des ressources humaines de grandes entreprises française, ces derniers ont confié que les efforts des employeurs en matière de rémunération hors part salariale « n'avait pas de valeur à moyen terme aux yeux des bénéficiaires, qui oublient rapidement le versement ».

Par ailleurs, le thème de la « simplification du bulletin de paie » a récemment été relancé par le projet de loi de simplification de la vie économique, déposé au Sénat le 24 avril 2024. Les simplifications du bulletin de paie ont été nombreuses ces dernières années, concernant la dématérialisation du bulletin168(*), l'harmonisation de sa présentation169(*), ou même le regroupement des cotisations de protection sociale par branches170(*). Ces simplifications, dont l'objectif de lisibilité peut être légitime, ne doivent pas pour autant faire obstacle à ce que les salariés aient accès à une vision détaillée de l'ensemble des éléments de rémunération dont ils bénéficient.

Les rapporteures considèrent en ce sens que le bulletin de paie ne suffit pas à une information exhaustive des efforts financiers de l'employeur en faveur du salarié, et que cela ne doit pas être sa vocation. En revanche, les initiatives de certains employeurs qui consistent à établir un document récapitulatif annuel de l'ensemble des efforts financiers de l'employeur pour le salarié semblent apporter une lisibilité au bénéfice de tous sur la rémunération. Ce document doit permettre de faire figurer le salaire ainsi que les autres éléments de rémunération qu'ils relèvent de primes et gratification, d'indemnités professionnelles ou d'avantages en nature, mais également de dispositifs de partage de la valeur. Le financement de formation professionnelle devrait également y figurer, afin de permettre une vision la plus exhaustive possible de ce dont bénéficie le salarié. L'établissement d'un tel document constitue une charge administrative ou financière pour l'entreprise, mais permettrait en retour de faire valoir les efforts réalisés sur le plan salarial, d'augmenter la culture de la rémunération des salariés, et de permettre de renforcer l'attractivité de son entreprise en permettant des comparaisons mieux informées.

Recommandation n° 14 : Mettre en place dans les entreprises un document annuel détaillant l'ensemble des éléments de rémunération, d'épargne salariale, d'avantages et de financement de la formation professionnelle des salariés afin de renforcer l'attractivité des entreprises.

b) La directive européenne sur la transparence salariale : un rendez-vous à ne pas manquer, à la fois risque et opportunité

Au titre des compétences de l'Union européenne en matière d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail171(*), la directive du 10 mai 2023, dite « directive transparence salariale »172(*), doit être transposée au plus tard au 7 juin 2026. La directive est en lien direct avec la question de l'information du salarié sur sa rémunération, d'autant que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne entend par « rémunération » l'ensemble constitué par le salaire, les traitements, avantages payés directement ou indirectement, en espèce ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. De manière classique dans le domaine relevant du droit du travail, la directive fixe donc des exigences minimales qu'il convient aux États membres de mettre en oeuvre dans leur droit national, par le moyen qui leur semble le plus approprié.

Principales mesures prévues par la directive « transparence des rémunérations »

1) Instaurer la transparence au sein des organisations, pour cela la directive prévoit notamment : 

- une transparence des rémunérations avant l'embauche ;

- une transparence sur la fixation des rémunérations et la politique de progression salariale ;

- un droit des salariés à l'information sur les niveaux de rémunérations ;

- une accessibilité des informations aux salariés handicapés ;

- une obligation de reporting sur les données relatives aux écarts de rémunération femmes hommes.

2) Faciliter l'application des concepts clés relatifs à l'égalité de rémunération, notamment ceux de « rémunération » et de « travail de même valeur » ; pour cela, la directive prévoit notamment :

- une définition précise de l'assiette de rémunération ;

- l'obligation pour les employeurs de disposer de structures de rémunération garantissant l'égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de valeur égale ;

les critères permettant d'évaluer si des salariés sont dans une situation comparable au regard de la valeur du travail.

3) Renforcer les mécanismes d'exécution ; pour cela, elle prévoit notamment :

- des garanties en termes de droit à l'indemnisation ;

- un renversement de la charge de la preuve ;

- quels sont les éléments de preuves permettant d'attester d'un même travail ou d'un travail de valeur égale ;

- des mécanismes de sanctions.

Les organisations patronales entendues ont souligné que cette directive pouvait constituer une charge administrative conséquente pour les employeurs, notamment dans le suivi et la mise à disposition des salariés d'informations relatives aux écarts de rémunération. De même, la refonte de l'index égalité professionnelle, créé par la loi du 24 décembre 2021173(*) semble aller dans cette même voie de complexification des normes applicables aux employeurs, puisque l'article 9 de la directive impose le calcul et la déclaration de pas moins de sept indicateurs différents.

Cependant, les rapporteures espèrent qu'une transposition concertée avec les partenaires sociaux de la directive permettra de mettre au service de la négociation sur l'évolution des salaires au sein de l'entreprise ces obligations de transparence, sans susciter d'antagonismes inutiles. Plus largement, elles appellent à ce que la transparence se double d'efforts de lisibilité sur les rémunérations afin de permettre aux salariés de prendre en compte l'ensemble des efforts faits par l'employeur en faveur de leur pouvoir d'achat.

Recommandation n° 15 : Être très attentifs dans la transposition de la directive européenne « transparence salariale » du 10 mai 2023 à ce que l'objectif de transparence des rémunérations ne constitue pas une charge dénuée de sens pour les employeurs, mais permette in fine de renforcer la lisibilité des trajectoires de rémunération de l'ensemble des salariés.

EXAMEN EN COMMISSION

M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons maintenant entendre la communication de nos rapporteures, Frédérique Puissat et Corinne Bourcier, à l'issue des travaux de la mission d'information sur les négociations salariales dans le secteur privé qu'elles ont conduite.

Cette présentation donnera lieu à une information du Sénat. La période actuelle n'y étant pas propice, nous organiserons une audition sur le sujet en septembre, qui sera l'occasion, pour nos rapporteures, de présenter de nouveau les conclusions de leur rapport et de communiquer sur les propositions du Sénat.

Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Après des années de faible évolution de l'indice général des prix, le choc inflationniste qu'a connu la France à partir de 2021 a brusquement mis en exergue la question des salaires. Avec un taux d'inflation atteignant plus de 6 % à la fin de l'année 2022 ou au début de l'année 2023, les négociations salariales dans les branches professionnelles et dans les entreprises ont été bousculées et ont brusquement subi la pression des revalorisations automatiques du Smic qui se sont enchaînées. Ce changement de contexte économique constitue le point de départ de la mission d'information dont nous vous présentons les travaux ce matin.

En préambule, rappelons que les salaires sont définis librement dans le contrat de travail signé par le salarié et l'employeur, dans le respect du Smic, des grilles salariales d'entreprise, ainsi que des grilles conventionnelles de branche déterminées au travers du dialogue social. Notre fil directeur a donc été de laisser les partenaires sociaux négocier entre eux et non d'encourager l'État à administrer les salaires.

Dès lors, pourquoi conduire une mission d'information sur cette question ? Parce que le débat public s'est emparé de ce sujet en raison de la crainte légitime d'une « smicardisation » et d'une paupérisation de la société.

Il faut l'indiquer, l'exécutif a délibérément choisi de faire de la lutte contre la « smicardisation » de l'économie un axe important de sa politique. Dans sa déclaration de politique générale prononcée devant notre assemblée le 31 janvier 2024, le Premier ministre annonçait vouloir « désmicardiser » la France. Ces mêmes termes avaient été, peu ou prou, employés par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024. Le Gouvernement a, en particulier, mis en cause les branches professionnelles, qui, selon lui, seraient rétives à négocier des hausses pour les salaires constituant les minima conventionnels et qui seraient en partie responsables de cette « smicardisation » en laissant le Smic rattraper le bas de leurs grilles salariales.

Notre mission d'information s'est donc attelée, tout d'abord, à analyser la façon dont les partenaires sociaux ont effectivement négocié durant cette période grâce au cadre juridique existant, mais aussi les résultats obtenus. Nous avons, ensuite, étudié le phénomène de « smicardisation », aussi bien au niveau de la société dans sa globalité que de celui des carrières professionnelles. Nous avons, enfin, tenté d'identifier les freins structurels aux revalorisations salariales et les entorses à la cohérence des rémunérations prises dans leur ensemble.

Au regard des compétences de notre commission, nous avons centré nos travaux sur le secteur privé dit général, dont la direction générale du travail (DGT) assure le suivi, sans oublier le secteur social et médico-social. Le secteur agricole et celui de la pêche maritime demeurent donc exclus du champ, bien que la question des salaires y soit évidemment d'une actualité brûlante.

Mme Corinne Bourcier, rapporteure. - Notre premier constat est que le cadre juridique qui s'applique aux négociations salariales est globalement adapté.

Tout d'abord, les différentes réformes du droit du travail, notamment les ordonnances Travail du 22 septembre 2017, ont laissé pratiquement inchangée l'articulation des normes relatives à la question des salaires. Les salaires minimaux relèvent ainsi des thèmes pour lesquels les accords de branche demeurent prépondérants sur les accords d'entreprise, sauf en cas de garantie au moins équivalente. Dans les faits, la branche détermine ainsi des minima conventionnels selon les classifications qu'elle retient pour organiser les emplois du secteur d'activité. Ces salaires minima hiérarchiques (SMH) sanctuarisent un montant comprenant un salaire de base et des compléments de salaire que la branche souhaite intégrer. Les salaires effectifs ne peuvent pas être inférieurs à ces SMH, même si les entreprises restent libres de prévoir d'autres éléments de rémunération pour atteindre son montant. Il ressort de nos auditions que ce statu quo convient aux partenaires sociaux.

Ensuite, nos travaux reconnaissent l'importance des accords salariaux de branche, qu'il convient de ne pas fragiliser. Le rôle historique des branches, qui consiste à réguler la concurrence d'un secteur d'activité en évitant le dumping social, demeure essentiel. Les grilles salariales de branche sont structurantes surtout pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) qui ne disposent pas toujours des marges de manoeuvre financières pour s'en écarter.

Dès lors, il est important de ne pas retarder l'extension des accords de branche portant sur les salaires afin qu'ils s'appliquent le plus rapidement possible à l'ensemble des salariés couverts par une convention collective de branche. La loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, dite loi « Pouvoir d'achat », a réduit à deux mois le délai maximal dont dispose le ministre du travail pour étendre les avenants salariaux, lorsque le Smic augmente deux fois au cours des douze derniers mois. Le délai moyen d'extension de tels avenants a en effet diminué pour s'établir à quarante-cinq jours en 2023. C'est pourquoi nous proposons de consacrer ce délai de deux mois comme une règle pérenne, quelles que soient les circonstances économiques.

Enfin, pour clore le chapitre ayant trait au cadre juridique, le code du travail prévoit des modalités de négociations salariales ; en cela, la France est fidèle à son légicentrisme. Les entreprises comme les branches professionnelles doivent négocier sur les salaires tous les ans, à moins que les organisations syndicales et patronales aient conclu un accord de méthode prévoyant une autre périodicité. En réalité, cette possibilité de déroger aux négociations annuelles obligatoires (NAO), prévues par une ordonnance Travail du 22 septembre 2017, n'a jamais été utilisée ; les organisations syndicales ne souhaitent pas espacer davantage les négociations sur les salaires, sujet trop structurant à leurs yeux.

Avec ou sans accord de méthode, nous ne pouvons cependant qu'encourager les partenaires sociaux à se saisir de la possibilité de conclure des accords salariaux de branche couvrant plusieurs années et comportant, bien sûr, des clauses de revoyure. De telles négociations pluriannuelles, dont les modalités pratiques pourraient être définies par un accord national interprofessionnel (ANI), offrent davantage de prévisibilité aux employeurs comme aux salariés et sont donc particulièrement bénéfiques.

S'agissant des entreprises, les NAO ne s'appliquent qu'à celles où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales représentatives et dans lesquelles au moins un délégué syndical a été désigné. Ces dispositions laissent donc en dehors du périmètre la plupart des entreprises comptant onze à quarante-neuf salariés, puisque seulement 4,5 % d'entre elles disposent d'un délégué syndical. Il est regrettable que ces entreprises ne soient pas incitées à négocier sur les salaires, alors qu'une telle démarche, si elle doit être loyale et sincère, ne saurait faire l'objet d'une obligation de résultat. Certaines de ces entreprises disposent tout de même d'un comité social et économique (CSE), dont les membres sont des interlocuteurs pertinents. C'est pourquoi nous proposons d'expérimenter, pendant quatre ans, une obligation bisannuelle de négociations salariales dans les entreprises de plus de onze salariés dotées d'un CSE.

Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Grâce à l'action des partenaires sociaux, le cadre juridique est resté adapté à la période d'inflation soutenue que nous avons connue. Pour reprendre l'image d'un célèbre fabuliste, les branches ont plié, mais n'ont pas rompu.

Les branches ont plié, car elles ont été soumises à la pression d'une inflation qui s'est établie à 5,2 % en 2022, puis à 4,9 % en 2023, ce qui a bouleversé le rythme habituel des négociations salariales. Les règles de revalorisation du Smic, particulièrement la garantie de pouvoir d'achat qui entraîne une revalorisation en cours d'année lorsque l'indice des prix augmente de 2 %, se sont traduites par huit hausses du Smic depuis 2021. Les branches professionnelles ont été mises au défi, puisque la loi leur impose de se réunir pour discuter des SMH dès lors que ces derniers deviennent inférieurs au Smic.

Face à cette course en avant, une première tentation consisterait à vouloir indexer les SMH sur le Smic. Cette idée, qui semble séduisante, nous a été soumise par des représentants aussi bien syndicaux que patronaux. Cependant, nous pensons qu'en matière de négociation collective, il faut parfois faire des choix. Or indexer les pieds de grille sur le Smic risquerait d'escamoter le dialogue social et, in fine, de renforcer le tassement des grilles de rémunération en agissant uniquement sur les échelons rattrapés par le Smic. Aussi, nous vous proposons de réaffirmer l'importance de l'interdiction d'indexation des SMH.

Nos auditions nous ont, en outre, amenées à nous interroger sur la pertinence du seuil de 2 % de l'indice des prix à la consommation qui entraîne une revalorisation automatique du Smic. Ce mécanisme est intervenu deux fois en 2022, de telle sorte que certaines branches, qui étaient en passe d'aboutir à un accord sur les SMH, ont relancé des négociations, sans pouvoir les conclure, en mai, puis de nouveau en août. Certes, les salariés dont la rémunération se situe au niveau du Smic ont bénéficié immédiatement de ces hausses, mais les autres salariés ont perdu le bénéfice d'un an de revalorisation des grilles des SMH.

Cette situation est amenée à se reproduire, plus qu'à l'accoutumée, puisque nombre d'économistes, y compris au sein de la Banque centrale européenne (BCE), considèrent que l'objectif de 2 % d'inflation dans la zone euro peut, et devrait être, dépassé dans les années à venir. Aussi, nous vous proposons d'en tirer les conséquences et de porter à 2,5 % le seuil d'inflation à partir duquel le Smic est réévalué en cours d'année sans attendre le 1er janvier de l'année suivante. En parallèle, nous souhaitons que des prévisions de revalorisation du Smic au 1er janvier soient communiquées aux partenaires sociaux le 1er octobre, afin de permettre aux branches qui le souhaitent d'entamer des négociations et de mieux anticiper la revalorisation à venir.

Les branches professionnelles ont donc plié, mais elles n'ont pas rompu. En effet, les partenaires sociaux des branches se sont efforcés de jouer le jeu de la négociation collective après chaque revalorisation du Smic. Au 1er janvier 2024, les SMH de 56 % des branches étaient conformes au regard du niveau du Smic, tandis qu'ils ne l'étaient plus pour 33 % d'entre elles depuis la revalorisation du 1er janvier et pour seulement 4 % des branches depuis une date antérieure au 1er mai 2023.

Pour autant, le principe même d'une comparaison entre le Smic et les SMH ne va pas de soi : les assiettes de ces deux salaires ne sont, de fait, pas les mêmes. À titre d'exemple, des représentants des branches auditionnés ont souligné que l'ensemble de leurs salariés bénéficiaient d'un treizième mois dans leurs grilles hiérarchiques de SMH, mais que ce dernier n'était pas intégré par la DGT dans ses comparaisons au niveau du Smic, alors qu'il représenterait une augmentation de 7 % des SMH. Une évolution de l'assiette du Smic est évidemment à proscrire, mais nous proposons que les services de l'État prennent désormais en compte l'ensemble des éléments de rémunération dont bénéficient les salariés, lorsqu'ils comparent les SMH d'une branche au niveau du Smic, afin d'aboutir à une comparaison qui ne soit pas biaisée.

En outre, le Gouvernement a menacé les branches prétendument « non conformes » de manière structurelle, c'est-à-dire celles dont au moins un minimum conventionnel est inférieur au Smic depuis plus d'un an. Lors de la conférence sociale du 16 octobre 2023, Élisabeth Borne, alors Première ministre, indiquait que, à défaut de progrès significatifs d'ici au 1er juin 2024 quant à la mise en conformité des branches dont les SMH sont inférieurs au Smic, le Gouvernement proposerait au Parlement de minorer les exonérations de cotisations sociales et envisagerait la fusion administrative des branches dans lesquelles l'activité conventionnelle serait structurellement dégradée. La communication de l'exécutif mentionnait alors l'existence d'une dizaine de branches dans ce cas.

Sur ce point, notre mission d'information a réalisé, en quelque sorte, un véritable travail d'enquêteur sur les branches mises à l'index par le Gouvernement. Les enseignements tirés des informations transmises par la DGT ou de nos auditions sont bien différents du réquisitoire de l'exécutif.

En décembre 2023, six branches professionnelles étaient encore identifiées par le Gouvernement comme étant non conformes depuis plus d'un an. Sur les six branches mises en cause, trois étaient déjà dotées, en mars 2024, de SMH supérieurs au Smic, pour tous les niveaux de leur classification.

Par conséquent, nous avons auditionné les représentants des trois branches restantes, à savoir celles des chaînes de cafétérias et assimilés, des institutions de retraite complémentaire et des foyers et services pour jeunes travailleurs (FSJT) -, qui ne représentent plus que 48 000 salariés sur les 13 millions que compte le secteur privé hors secteur agricole. Aucune des situations qui nous ont été présentées ne rendait compte d'un dialogue social moribond ou impuissant en matière de négociation salariale. Les représentants de la branche des FSJT font même état d'une divergence d'appréciation avec le Gouvernement et contestent la non-conformité des SMH au regard du Smic. En outre, la nouvelle convention collective entrera bientôt en vigueur et réglera définitivement le problème.

Nous en avons donc conclu que la chasse faite aux branches non conformes, par tous les moyens, n'est définitivement pas un enjeu sérieux de politique publique. De surcroît, les mises en cause et les mesures coercitives ne sont pas dépourvues d'effet réputationnel pour les branches et peuvent nuire aux recrutements.

Nous nous sommes ensuite penchées sur la « smicardisation » de la société, selon ce néologisme désormais répandu dans les discours politiques. Comme tous les mots récemment forgés, son emploi n'est pas encore stabilisé et recouvre au moins trois acceptions : premièrement, une proportion accrue de salariés rémunérés au Smic ou à un salaire très proche ; deuxièmement, une paupérisation de la société ; troisièmement, une absence de progression salariale au cours de la carrière conduisant à une stagnation au niveau du Smic.

Le premier sens du mot « smicardisation » est, sans aucun doute, le plus répandu dans le débat public et dans les médias. Il est certain que la part des salariés rémunérés au Smic a particulièrement crû en raison des revalorisations successives de ce dernier. Entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2023, le montant du Smic a été globalement revalorisé de 13,5 %. En conséquence, le groupe d'experts sur le Smic relève que la part de salariés du secteur privé, hors secteur agricole, directement concernés par la revalorisation du Smic horaire du 1er janvier 2023 a atteint 17,3 %, soit le niveau le plus élevé depuis les années 1990.

En outre, les revalorisations successives du Smic ont conduit à un tassement des salaires : 61,4 % des 171 branches du secteur général ont vu leur éventail de salaires, soit le ratio entre les salaires du dernier et du premier niveau hiérarchique, se resserrer entre la fin de l'année 2022 et mars 2024.

Les salariés dont la rémunération a été rattrapée par le Smic, alors que celle-ci lui était auparavant supérieure, ont éprouvé un sentiment de déclassement social que nos auditions ont mis en lumière. Les études sociologiques soulignent, par ailleurs, que le Smic est un élément de comparaison communément partagé et un point de référence à l'aune duquel les ouvriers et les employés jugent du caractère satisfaisant ou non de leur situation.

Cette situation de « smicardisation » existe également dans le secteur social et médico-social, au sein duquel les modalités de négociations salariales sont pourtant fortement dictées par les pouvoirs publics. Ainsi, au sein de l'ensemble de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass), environ un salarié sur cinq touche un salaire compris entre 1 et 1,2 Smic. En outre, deux des trois principales conventions collectives de cette branche, à savoir la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et la convention collective nationale de la Croix-Rouge française, présentent des pieds de grille inférieurs au Smic.

Enfin, comme point de comparaison, la fonction publique n'a pas non plus été épargnée par un tassement du bas des grilles salariales. Après la revalorisation du Smic de mai 2023, 167 000 agents publics de l'État percevaient un traitement brut égal au Smic, contre seulement 44 000 en avril 2021, soit 6,7 % d'entre eux. Si ce pourcentage est moindre que celui observé dans le secteur privé, il ne tient cependant pas compte des fonctions publiques territoriale et hospitalière, pour lesquelles l'administration n'a pas pu nous transmettre de données.

Après ce tableau général des niveaux de rémunération dans les différents secteurs de l'économie, il convient de souligner que cette « smicardisation » du secteur privé, aussi déstabilisante soit-elle, n'est pas, pour autant, le phénomène le plus préoccupant. D'une part, cette situation a déjà été observée dans un passé récent : en 2005, la proportion de salariés rémunérés au niveau du Smic avait dépassé 16 %, avant de décroître pour se stabiliser autour de 11 %. D'autre part, l'inflation a ralenti au début de l'année 2024 pour s'établir à 2,3 % et les prévisions envisagent un niveau d'évolution des prix similaire pour les années à venir. En conséquence, la proportion élevée des salariés rémunérés au Smic est certainement conjoncturelle et devrait progressivement se réduire au fil du temps.

En outre, si les revalorisations fréquentes et élevées du Smic ont provoqué un tassement des rémunérations, elles n'en ont pas moins permis de sauvegarder le pouvoir d'achat des salariés. En 2022, le pouvoir d'achat a diminué pour tout l'éventail des salaires, sauf pour ceux au niveau du Smic, pour lesquels il a pu se maintenir.

La véritable source de préoccupation que nous devons garder à l'esprit est la « smicardisation » qui perdure à l'échelle individuelle. La stagnation salariale au cours de la carrière est le principal problème auquel nos politiques économiques ou de formation doivent remédier.

À cette fin, il convient, tout d'abord, de ne pas entraver les secteurs économiques qui, naturellement, permettent une ascension salariale importante ; nous pensons, en particulier, aux secteurs industriels. À titre d'illustration, un salarié du secteur de la métallurgie et de la sidérurgie, âgé de plus de 50 ans, gagne 1,7 fois plus qu'un salarié âgé de moins de 29 ans, tandis que ce rapport n'est que de 1,3 dans les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration et du tourisme. Il existe donc de véritables différences d'évolution salariale entre les secteurs.

C'est pourquoi il convient, ensuite, d'apporter un soutien public ciblé sur les branches professionnelles qui, par la nature de leur secteur d'activité, ont des difficultés à offrir une progression salariale satisfaisante à leurs salariés. Pour cela, les dotations accordées par France Compétences aux opérateurs de compétences (Opco) au titre du financement des plans de développement des compétences pourraient être majorées, sous réserve de l'engagement des branches au travers d'accords qui inciteraient au développement des compétences et à la formation continue.

En outre, nous proposons que le Fonds national de l'emploi-Formation (FNE-Formation), dans le cadre du conventionnement entre l'État et chaque Opco, intègre un objectif d'aide à la progression salariale. Les crédits de ce fonds, qui sont inscrits au sein de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances, sont aujourd'hui orientés vers l'accompagnement de la triple transition écologique, alimentaire et agricole, ainsi que de la transition numérique.

De la même façon, dans les secteurs d'activité qui concentrent des stagnations salariales, il convient d'encourager les perspectives d'évolution hors de l'entreprise. Pour cela, la lutte contre la stagnation salariale doit faire partie des priorités des projets de transition professionnelle (PTP), mis en place depuis le 1er janvier 2019 au bénéfice de tous les salariés. Nous ne pouvons également que saluer les initiatives de certaines branches, comme celle du bâtiment, qui structurent des écoles de formation visant à former les salariés du secteur pour en faire les cadres dirigeants des entreprises de la branche.

Enfin, un dernier levier pour désmicardiser les carrières ressort de nos travaux. Les organisations tant patronales que syndicales nous ont confirmé que la révision des classifications de branche, sans être, en soi, un outil de politique salariale, agit sur les salaires sur le temps long : la rémunération prend ainsi en compte les évolutions professionnelles et, par conséquent, reflète fidèlement la réalité des métiers. Or ces révisions sont des procédures, à la fois, lourdes à engager et longues à aboutir, ce qui explique que l'obligation d'engager une négociation sur ces classifications au moins une fois tous les cinq ans ne soit pas tenue dans toutes les branches. L'État pourrait donc aider davantage les partenaires sociaux à refondre les grilles de classification de branche en leur fournissant les données nécessaires à l'appréciation des mutations économiques des secteurs ou en finançant le recours à des cabinets de conseil ou d'avocats.

Mme Corinne Bourcier, rapporteure. - Dans le cadre de nos travaux, nous nous sommes enfin intéressées aux freins qui, indépendamment du contexte d'inflation, pèsent structurellement sur les augmentations salariales et, en conséquence, sur le pouvoir d'achat des travailleurs.

C'est un truisme qu'il nous faut pour autant rappeler : le premier frein à la revalorisation salariale relève des contraintes économiques auxquelles sont soumis les employeurs. Ces dernières tiennent d'abord à la nature des économies intégrées, qui soumettent nos entreprises à la concurrence internationale et les contraint à une modération salariale afin de conserver une compétitivité à l'export et sur le marché national. La réponse à cette concurrence pesant sur le coût du travail passe principalement par des mesures d'allègement des cotisations sociales dues par les employeurs, dont nos auditions nous ont permis de constater qu'elles pouvaient avoir un effet pervers en introduisant des seuils qui n'incitent pas l'employeur à accorder une augmentation de salaire, et parfois le salarié à la demander.

En effet, la multiplication des allègements de cotisations employeurs, qu'ils soient généraux ou qu'ils concernent les bandeaux « maladie » et « famille », ont réduit les charges patronales à 3,45 % pour les salaires au niveau du Smic, contre plus de 30 % en 1991. Par conséquent, alors que le coût horaire moyen de la main-d'oeuvre de la France figurait parmi les plus élevés d'Europe, celui-ci se situe désormais dans la moyenne européenne avec 38,3 euros brut et est proche de celui de l'Allemagne qui s'élève à 37,2 euros.

Cependant, cette politique en faveur de la compétitivité a un coût non négligeable, d'autant plus que les allègements de cotisation ont connu une dynamique forte ces dernières années - ils atteignent ainsi 73 milliards d'euros en 2022, soit une augmentation de 13,1 % par rapport à 2021 -, au point que l'Urssaf évoque un « effet d'emballement ». Lors de nos auditions, certains représentants syndicaux ont été jusqu'à estimer que ces allègements étaient devenus « le troisième budget de l'État », après le remboursement de la dette et l'enseignement scolaire. Cette assertion, discutable sur le plan comptable, invite cependant à prendre la mesure de cette dépense sociale et doit nous inciter à être d'autant plus exigeants sur son efficacité.

Cette exigence a récemment nourri de nombreux travaux, scientifiques et parlementaires, ayant trait aux réductions de cotisations pour les salaires au-dessus de 2,5 Smic. Il semble qu'un consensus s'installe concernant le peu d'effet sur l'emploi et sur la compétitivité d'une telle mesure appliquée à ce niveau de rémunération.

Néanmoins, nos auditions nous ont permis de constater qu'il fallait être prudent en matière d'évolution du système d'exonérations de cotisations sociales, car les conséquences des évolutions de taux peuvent être très diverses selon les branches professionnelles. En définitive, les allègements ont un fort effet cliquet : il est difficile de revenir sur une mesure sans mettre à mal certains secteurs. Aussi, nous proposons de renforcer l'évaluation des allègements de cotisations patronales à l'avenir, et d'envisager systématiquement l'effet des évolutions au sein des différents types de branches professionnelles, selon des objectifs précis, tels que le soutien à l'emploi ou le renforcement de la compétitivité ou de la productivité.

Cet appel à la prudence ne saurait conduire à l'immobilisme, et une évolution du système des allègements de cotisations nous semble souhaitable, notamment pour renforcer la progressivité du coût salarial. En effet, les effets de seuil propres aux allègements peuvent participer à freiner les augmentations salariales du côté de l'employeur, et parfois même du salarié.

Le coût salarial, qui détermine le coût pour l'employeur nécessaire afin d'augmenter d'un euro le salaire d'un individu, est révélateur des freins que subissent les employeurs. Par exemple, afin d'augmenter de 100 euros net un salarié qui est rémunéré à 1,2 Smic, un employeur doit y consacrer 580 euros, contre seulement 174 euros pour un salarié rémunéré à hauteur de 1,6 Smic du fait du profil des allègements.

Plus grave encore, ces effets de seuil propres aux allègements se cumulent avec des effets qui touchent directement le salarié du fait des prestations sociales sous conditions de ressources, et le conduisent parfois à refuser une augmentation de sa rémunération. Les directeurs des ressources humaines (DRH) entendus lors de nos auditions ont insisté sur la difficulté de penser cette articulation entre salaire et prestations sociales, puisque le premier est individuel tandis que les secondes sont familialisées, et de conclure avec un peu d'esprit qu'« augmentations salariales et prestations sociales ne font pas bon ménage ». Cette situation construit de réelles trappes à pauvreté, et la Fédération des entreprises de propreté a par exemple rapporté que de nombreuses mères seules n'ont pas d'autre choix que de travailler moins d'un mi-temps afin de ne pas perdre le bénéfice de certaines aides sociales.

Face à cette situation, nous ne vous proposons pas la panacée, nous souhaitons plutôt dessiner les contours d'une réforme des allègements de cotisations qui serait favorable aux augmentations salariales. Pour ce faire, une telle réforme devrait respecter impérativement trois critères.

D'abord, celle-ci devrait faire l'objet d'une concertation avec les partenaires sociaux, afin de leur permettre de contribuer à ce nouveau système sociofiscal en prenant en compte la diversité des situations connues par les branches professionnelles.

Ensuite, cette réforme doit assurer une meilleure articulation du bénéfice des allègements et de celui des prestations sociales, en raisonnant non pas sur les seuls salaires brut et net, mais en prenant en compte le revenu disponible après redistribution via les prestations sociales, afin de limiter les effets de seuil qui favorisent la stagnation salariale.

Enfin, cette réforme doit impérativement connaître une mise en oeuvre progressive, puisque seule cette prévisibilité sur une période suffisamment longue est de nature à limiter la déstabilisation pour les entreprises.

Le second frein à la revalorisation que nous avons identifié lors de nos travaux porte sur la définition même de la rémunération des travailleurs. En effet, si le salaire est défini comme la contrepartie du travail fourni indiquée dans le contrat de travail, la rémunération globale des salariés est plus large en ce qu'elle inclut les compléments du salaire et les avantages liés à la condition de salarié : primes et gratifications, prise en charge de frais professionnels, majoration liée aux heures supplémentaires et avantages en nature. Ces compléments du salaire ne peuvent s'y substituer ; ils jouent néanmoins un rôle souvent essentiel dans l'amélioration du niveau de vie des salariés, et parfois dans le sentiment d'appartenance au collectif de l'entreprise.

Nos travaux et nos propres expériences professionnelles nous ont permis de constater que c'est particulièrement le cas des dispositifs de partage de la valeur, qu'il s'agisse de participation dans les entreprises de plus de 50 salariés, d'intéressement ou d'épargne salariale. En effet, ces dispositifs permettent de fédérer les salariés dans une projection commune de l'entreprise, et constituent parfois un complément du revenu avantageux. Pour autant, les DRH auditionnés ont insisté - et nous les rejoignons - sur le fait que le partage de la valeur ne peut pas constituer une réponse à l'inflation, mais doit plutôt s'envisager dans le temps long, celui de la fidélisation et du parcours du salarié au sein de l'entreprise.

Nous avons toutefois constaté que l'ensemble de ces compléments de rémunération faisaient l'objet d'une information incomplète, et parfois déficiente, des salariés. Le bulletin de paie ne détaille ni ne comporte l'intégralité des efforts consentis par l'employeur en faveur de leur niveau de vie. Or il paraît très important que ceux-ci en aient connaissance, à la fois pour se situer, mais aussi pour favoriser les comparaisons en cas de projet de mobilité professionnelle.

Nous proposons donc de nous inspirer des initiatives de certains employeurs consistant à établir un document récapitulatif annuel de l'ensemble des efforts financiers de l'employeur pour le salarié, afin de renforcer la lisibilité de la rémunération globale. Ce document devrait mentionner le salaire ainsi que les autres éléments de rémunération, que ceux-ci relèvent de primes et gratification, d'indemnités professionnelles ou d'avantages en nature, mais également de dispositifs de partage de la valeur. Le financement de la formation professionnelle devrait également y figurer, afin que le salarié dispose d'une vision exhaustive des avantages dont il bénéficie.

Certes, un tel document constituerait in fine une charge pour l'entreprise, mais il permettrait en retour de faire valoir ses efforts sur le plan salarial, de renforcer la culture de la rémunération auprès des salariés, et donc l'attractivité de certains secteurs.

En définitive, les négociations salariales dans les branches tout comme dans les entreprises ont su s'adapter à l'inflation. Si des mesures d'ordre technique gagneraient à être prises afin de fluidifier encore davantage les négociations salariales de branche, les réformes structurelles qui doivent être mises en oeuvre portent plutôt sur les freins à l'évolution professionnelle et salariale au cours de la carrière.

D'une part, la formation professionnelle doit hisser les salariés des secteurs en difficulté à des postes plus productifs et plus demandés, afin de favoriser une progression salariale réelle au cours de la carrière.

D'autre part, la progressivité du coût salarial doit être renforcée en articulant mieux les allègements des cotisations employeurs avec le bénéfice d'aides sociales, et en renforçant la qualité de l'information des salariés sur leur rémunération.

Ces enjeux, cruciaux pour le pouvoir d'achat des salariés ainsi que pour l'attractivité des entreprises, nécessitent que l'ensemble des acteurs se mobilisent en ce sens.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Merci pour ce rapport intéressant.

Vous indiquez que les ordonnances Macron n'ont pas bouleversé la hiérarchie des normes sur la question des salaires, je m'en réjouis. Les branches jouent toujours un rôle majeur, qui bénéficie tant aux salariés qu'aux employeurs, et les négociations n'ont pas été transférées au niveau des entreprises.

Vous soulignez à juste titre que les augmentations de Smic ont permis de garantir le pouvoir d'achat des salariés. Il faut donc maintenir le seuil d'inflation de 2 % à partir duquel le Smic est automatiquement réévalué, au risque sinon de perdre en réactivité.

Je rappelle que le Smic devrait correspondre à la rémunération d'un salarié sans qualification et sans ancienneté : on ne reste pas toute sa vie au Smic !

Vous évoquez la situation de la métallurgie : si le salaire des employés en fin de carrière est 1,7 fois plus élevé que les jeunes embauchés, c'est grâce aux primes d'ancienneté, qui avaient été pourtant combattues lors de leur mise en place. J'étais consultante auprès d'Elf à l'époque. La prime d'ancienneté était appelée la « prime de l'âne », car il suffit de vieillir pour en bénéficier... Le patronat la remettait vivement en cause, alors que celle-ci révèle la dynamique des parcours : la prime d'ancienneté récompense les savoir-faire, il faut la préserver.

Mme Monique Lubin. - Je vous félicite pour la qualité et pour la richesse de ce rapport.

Toutefois, je ne partage pas nécessairement l'ensemble de vos conclusions. Pourquoi ne pourrait-on pas systématiquement rehausser les SMH à l'occasion des augmentations du Smic ? Pourquoi les unes ne pourraient-elles pas suivre les autres ? Comme Raymonde Poncet Monge, je ne suis pas d'accord avec votre proposition de relever le seuil d'inflation à 2,5 % à partir duquel le Smic est automatiquement réévalué.

Tout à l'heure, nous avons examiné le rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) : les effets des exonérations de cotisations sociales sur les comptes de la sécurité sociale sont clairement établis. Or vous prônez la continuité de cette politique. C'est inadéquat.

Pourquoi établissez-vous une corrélation entre augmentations de salaire et prestations sociales ? J'en comprends la teneur et j'écoute les propos de certains DRH. Mais il me semble dangereux de faire un tel lien à l'occasion d'un débat relatif aux augmentations de salaire. Certes, c'est un principe de réalité - je ne vis pas sur une autre planète -, mais cela pose la question du niveau des salaires dans certaines branches. Qu'une mère de famille élevant ses enfants seule soit obligée de choisir entre un emploi à temps plein et le maintien des prestations sociales me pose problème : qu'en est-il de la juste rémunération de ces métiers, sans parler du fait que certaines personnes qui ne comprennent pas cette situation en tirent des conclusions inappropriées ?

Mme Pascale Gruny. - Merci à nos rapporteures. Le sujet est très intéressant et complexe.

Le tassement de la grille salariale vers le bas est un réel problème. Comment inciter les jeunes à évoluer dans l'entreprise si la différence de rémunération avec un nouveau venu n'est pas notable ? Cette question diffère selon les types d'entreprises et est aussi fonction de leurs résultats.

Je suis assez d'accord avec Monique Lubin : le salaire doit être rémunérateur, il est triste de s'en remettre toujours aux prestations sociales. On acquiert de la dignité lorsque l'on est au travail. Ce sujet me tient à coeur.

J'entends la position de Raymonde Poncet Monge sur la prime d'ancienneté, c'est un sujet important. Certains salariés se contentent de 1 % supplémentaire chaque année ; or cela n'incite pas à progresser au sein de l'entreprise. Par ailleurs, les jeunes ne font plus toute leur carrière au sein de la même entreprise, ils changent très souvent d'employeur, ce qui réduit de fait le montant de la prime.

Vous avez largement évoqué la question de la formation. Mais où trouver l'argent nécessaire ? Allons-nous évoquer l'éloignement de France Compétences ? Auparavant, les organismes paritaires collecteurs agréés (Opco) étaient à nos côtés pour construire les plans de formation. Nous pouvions les solliciter en cas de besoin complémentaire, ce n'est plus le cas aujourd'hui ; désormais, les entreprises regrettent d'avoir perdu en souplesse et en moyens de financement. Or la formation permet aux salariés de progresser au sein de l'entreprise.

Les niches sociales sont aussi un sujet important. Nous devrions pouvoir faire sans elles, mais la compétitivité du pays s'en trouverait amoindrie, en ces temps de dumping social. Nous devions examiner le projet de loi relatif à la simplification de la vie économique. Vous renoncez à l'objectif de simplifier le bulletin de paie, puisque vous considérez qu'il ne comporte pas suffisamment d'informations ; je vous rejoins sur ce sujet essentiel.

Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Nous avons auditionné toutes les branches qui avaient été clouées au pilori par le Gouvernement : non seulement celles-ci sont utiles, mais elles favorisent aussi le dialogue social. Elles ne sont pas responsables de la « smicardisation » des salaires : nous nous élevons contre ce faux débat, car nous considérons que les branches ont fait leur travail. J'ai évoqué trois cas : les FSJT, qui ont résolu le problème ; les cafétérias ; les institutions de retraite complémentaire, dont on sait que les agents ne sont pas les moins bien payés du secteur. Hormis le Gouvernement, nous sommes unanimes pour saluer le travail mené par les branches.

J'en viens à la question de la « smicardisation ». Il est en effet difficile d'évoluer au sein de certaines branches : certains salariés, s'ils y passent toute leur carrière professionnelle, auront le sentiment de stagner. Dès lors, comment faire pour augmenter les salaires ? Nous formulons des propositions ; la formation joue un rôle important et offre l'occasion aux employés de progresser dans d'autres branches ou de monter leur propre entreprise - telle est la politique menée dans le secteur du bâtiment, notamment. Ces questions sont au coeur de nos territoires : si on développe l'industrie, on améliorera le pouvoir d'achat des salariés qui travaillent dans ce secteur ; si le tissu économique est uniquement composé d'entreprises de service, c'est le contraire qui se produira. On peut regretter que des salariés du secteur de la propreté opèrent un choix entre l'augmentation de leur salaire et les aides sociales : peut-être ne faudrait-il pas mettre ces débats en parallèle, mais telle est pourtant la réalité. Le secteur est extrêmement réglementé et il est impossible aux entreprises du secteur d'augmenter les tarifs proposés dans les marchés publics, car nous tirons les prix vers le bas. Résultat : les salaires sont tirés vers le bas. Nous sommes aussi responsables.

Le Smic augmente automatiquement le 1er janvier. Mais, dans les faits, les branches conduisent des négociations et l'augmentation des SMH devient effective au mois de juin. Lorsque les augmentations automatiques de 2 % ont lieu au cours de l'année, que se passe-t-il ? Les branches disent qu'elles courent après les accords. Par conséquent, des personnes passent à côté des accords, et donc d'une augmentation salariale. Nous ne proposons pas une augmentation automatique du Smic à 2,5 %, nous proposons que les partenaires sociaux mènent des concertations afin de porter de 2 % à 2,5 % le seuil d'inflation entraînant automatiquement la revalorisation du Smic au cours de l'année. Ainsi, cela évitera que certains salariés ne bénéficient pas de hausses de salaire en cours d'année.

Par ailleurs, nous ne proposons pas d'indexer le SMH sur le Smic. Retenir cette possibilité revenait à tuer le dialogue social. Nous avons choisi de le maintenir.

Mme Corinne Bourcier, rapporteure. - Madame Poncet Monge, les primes d'ancienneté relèvent de la négociation, et donc des partenaires sociaux. Il faut aussi être attentif à la productivité de l'entreprise, qui ne permet pas toujours d'octroyer des primes aux salariés.

La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Auditions

· France stratégie - Comité d'évaluation des ordonnances « travail »

Jean-François Pilliard, ancien coprésident du comité d'évaluation

Marcel Grignard, ancien coprésident du comité d'évaluation

Sandrine Cazes, Senior Economist - Jobs and Income Division - Directorate for Employment, Labour and Social Affairs

· Organisation internationale du travail (OIT)

Catarina Braga, responsable des relations du travail et de la négociation collective

Patrick Belser, économiste principal, spécialiste des salaires

Frédérique Dupuy, chargée de mission - Bureau de l'OIT pour la France

· Association française des entreprises privées (Afep)

Bruno Clément-Ziza, directeur

Nicolas Ragache, chef économiste

Amina Tarmil, responsable des affaires parlementaires France

· Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne à Bruxelles

David Errard, conseiller pour les affaires sociales

· Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH)

Benoît Serre, directeur des ressources humaines de l'Oréal France et vice-président délégué de l'Association nationale des DRH

Christine Caldeira, secrétaire générale

· Jean-Claude Mailly, ancien secrétaire général de Force Ouvrière

· Gilbert Cette, ancien président du groupe d'experts SMIC

· Cercle des DRH européens

Yves Barou, président

Vivienne Yan, collaboratrice

· Philippe Vivien, vice-président d'Alixio group

· Stéphane Carcillo, président du groupe d'experts sur le SMIC

· Alexandre Fabre, professeur à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne

· Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM)

Jean-Pierre Fine, secrétaire général

Fanny Forest-Baccialone, directrice des relations extérieures

· Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

Florence Berthelot, déléguée générale

· Association française des banques (AFB)

André-Guy Turoche, directeur des affaires sociales

Antoine Esneault, chargé d'études au département relations institutionnelles de la FBF (Fédération bancaire française)

· Mouvement des entreprises de France (Medef)

Hubert Mongon, coprésident de la commission dynamique du marché du travail et négociateurs du Medef - Directeur général de l'IUMM

Pia Voisine, directrice adjointe de la direction des relations sociales et de la politique de l'emploi

Anissa Haddad, chargée de mission à la direction des relations sociales et de la politique de l'emploi

Adrien Chouguiat, directeur de mission affaires publiques

· Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales

Thierry Grégoire, membre du Comex CPME

Gwendoline Delamare-Deboutteville, directrice des affaires sociales

Claire Richier, juriste affaires sociales

Adrien Dufour, responsable des affaires publiques

· Sodexo

Majda Vincent, directrice des ressources humaines de Sodexo France

Isabelle Aprile, directrice des affaires publiques pour Sodexo France

· Adeo

Fabrice Keller, directeur des ressources humaines Leroy Merlin France

Etienne Bodin, directeur affaires publiques Leroy Merlin France

· Bel

Anne-Sophie Delhoustal, directrice ressources humaines, Bel France

Thibaut Thaller, directeur de l'engagement, Bel France

· Confédération française démocratique du travail (CFDT)

Luc Mathieu, secrétaire national responsable de la politique des garanties collectives en matière de salaires

Sandrine Lambert, secrétaire confédérale

· Confédération générale du travail (CGT)

Thomas Vacheron, secrétaire confédéral

Agathe Le Berder, membre de la direction confédérale

· Force ouvrière (FO)

Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective

Sébastien Dupuch, assistant du secrétaire général

· Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

Pierre Jardon, conseiller confédéral

· Confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC)

Nicolas Blanc, secrétaire national

Anaïs Folsoofi, chargée d'étude

· Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH)

Éric Abihssira, vice-président UMIH et président UMIH de la commission sociale

Hélène Simoes, directrice déléguée aux affaires sociales

· Confédération nationale de la boulangerie pâtisserie française (CNBPF)

Dominique Anract, président

Xavier Casalini, secrétaire général

· Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales

Layla Rahhou, directrice des affaires publiques

· Fédération du service aux particuliers (Fesp)

Brice Alzon, président

Rémi Domenjoud, négociateur

Mehdi Tibourtine, directeur adjoint de la fédération

· Fédération des entreprises de propreté (FEP)

Philippe Jouanny, président

Patricia Charrier-Izel, directrice générale

Loys Guyonnet, délégué général influences et politiques sociales

· Direction générale du Trésor

Albane Sauveplane, sous-directrice des politiques sociales et de l'emploi

Anna Bornstein, cheffe du bureau des institutions et évaluation des politiques sociales et de l'emploi

Floriane Jouy-Gelin, adjointe à la cheffe du bureau des institutions et évaluation des politiques sociales et de l'emploi

· Direction générale du travail (DGT)

Aurore Vitou, sous-directrice des relations du travail

Eva Jallabert, adjointe à la sous-directrice

Florence Lefrançois, adjointe au chef du bureau de la durée et des revenus du travail

· Drieets Île-de-France

Gaëtan Rudant, directeur régional

· Dreets Grand Est

Angélique Alberti, directrice régionale

Fabienne Derozier Lozano, responsable de l'unité appui au dialogue social, pôle travail

· Deets Martinique

Véronique Martine, directrice déléguée

Viviane Belhumeur, cheffe du pôle travail

· Fédération française du Bâtiment (FFB)

Anthony Laudat, président de la commission sociale

Florian Faure, directeur des affaires sociales

Benoît Vanstavel, directeur des relations institutionnelles

· Casinos de France

Sylvie Barrucand, déléguée aux affaires sociales et financières

Philippe Bon, délégué général

· Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR)

Laurence Thines, manager RH chez Autogril

Catherine De Bruyne, directrice de la négociation collective et de la protection sociale

· Hexopée

David Cluzeau, délégué général

· SoliHa

Anne Catherine Farnault, secrétaire générale

· Association d'employeurs pour la gestion du personnel des institutions de retraites complémentaires (AEGPIRC)

Marc Landais, responsable de l'AE

· Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP)

Guillaume Tinlot, chef du service des politiques sociales, salariales et des carrières

Contributions écrites

· Carrefour

· Union des Entreprises de Proximité (U2P)

· Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

Recommandations

Acteurs concernés

Support

1

Expérimenter pour quatre ans une obligation bisannuelle de négociations salariales dans les entreprises de plus de onze salariés dotées d'un CSE.

Parlement, Gouvernement

Loi

2

Encourager la conclusion au niveau des branches d'accords salariaux pluriannuels comportant des clauses de revoyure, notamment en invitant les partenaires sociaux à prévoir les modalités de ces négociations dans un accord national interprofessionnel, afin de donner de la visibilité aux entreprises et aux salariés.

Gouvernement, partenaires sociaux

Communication, ANI

3

Consacrer comme règle de droit commun le délai maximal de deux mois pour la procédure d'extension des avenants salariaux aux conventions de branche étendues.

Parlement, Gouvernement

Loi

4

Ne pas céder à la fausse bonne idée d'une indexation sur le Smic des SMH, qui règlerait définitivement le problème de la conformité, mais contournerait le dialogue social et aboutirait in fine à un tassement des grilles salariales.

Parlement, Gouvernement

/

5

Concerter les partenaires sociaux afin de porter de 2 à 2,5% le seuil d'inflation entraînant automatiquement une revalorisation du Smic en cours d'année.

Parlement, Gouvernement

Loi

6

Communiquer au 1er octobre une prévision de la revalorisation du Smic aux partenaires sociaux afin de leur laisser la possibilité d'anticiper les négociations.

Gouvernement

Données Insee

7

À droit constant, prendre en compte l'ensemble des éléments de rémunération certains dont bénéficient les salariés dans la comparaison des SMH d'une branche au niveau du Smic par les services de l'État.

Gouvernement (direction générale du travail)

/

8

Majorer les dotations versées aux Opco pour l'aide au développement des compétences des entreprises pour les secteurs concernés par les stagnations salariales sous réserve de la conclusion d'accords de branche ou d'interbranche sur le développement des compétences.

Parlement, Gouvernement, France compétences

Textes règlementaires, délibération du conseil d'administration

9

Faire évoluer les objectifs du FNE - Formation pour y intégrer un objectif de lutte contre la stagnation à un bas salaire.

Parlement, Gouvernement

PLF, textes règlementaires, contractualisation

10

Ajouter les faibles perspectives d'évolution salariale comme un des critères prioritaires pour la prise en charge des projets de transition professionnelle déposée par les salariés.

Parlement, Gouvernement, France compétences

Textes règlementaires, délibération du conseil d'administration

11

Apporter aux branches professionnelles un appui plus important (mise à jour du guide sur les classifications, aide juridique, financement d'un recours à un cabinet extérieur ou de formation...) pour la révision de leurs classifications.

Gouvernement

/

12

Mieux évaluer l'effet des allègements de cotisations patronales à l'avenir, et envisager l'effet des évolutions au sein des différentes branches professionnelles.

Gouvernement

Évaluation

13

Respecter un cahier des charges pour toute réforme des allègements à venir, qui réunisse progressivité dans le temps, consultation des partenaires sociaux et mise en cohérence des différentes politiques concernant le pouvoir d'achat.

Parlement, Gouvernement

/

14

Mettre en place dans les entreprises un document annuel détaillant l'ensemble des éléments de rémunération, d'épargne salariale, d'avantages et de financement de la formation professionnelle des salariés afin de renforcer l'attractivité des entreprises.

Employeurs

Document annuel

15

Être très attentifs dans la transposition de la directive européenne du 10 mai 2023 à ce que l'objectif de transparence des rémunérations ne constitue pas une charge dénuée de sens pour les employeurs, mais permette in fine de renforcer la lisibilité des trajectoires de rémunération de l'ensemble des salariés.

Parlement, Gouvernement

/

ANNEXE
Étude de législation comparée

___________

L'étude de législation comparée réalisée par la division de la législation comparée de la direction de l'initiative parlementaire et des délégations est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/lc/lc332/lc332.html


* 1 G. Lyon-Caen, Le salaire, 2e éd., Dalloz, 1981.

* 2 Conseil constitutionnel, décision n° 63-5 FNR du 11 juin 1963.

* 3 Article 34 de la constitution du 4 octobre 1958, « la loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales ».

* 4 Cass. Soc. 17 déc. 1996, n° 93-42.003, Bull. civ. V, no 448.

* 5 Loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail.

* 6 Initialement la loi du 13 novembre 1982 fixe cette obligation à l'article L. 132-12 du code du travail. Cette obligation est aujourd'hui prévue à l'article L. 2241-8 du code du travail.

* 7 Initialement fixée à l'article L. 132-27 du code du travail, la NAO est aujourd'hui prévue à l'article L. 2242-13 du même code.

* 8 Article L. 2241-9 du code du travail.

* 9 Article L. 2241-8 du même code.

* 10 Article L. 2241-1 du code du travail.

* 11 Article L. 2242-7 du même code.

* 12 Articles L. 2241-3 et L. 2242-6 du même code.

* 13 Article D. 2241-1 du code du travail.

* 14 Article L. 2242-4 du code du travail.

* 15 Article L. 2242-5 du code du travail.

* 16 Note sur les négociations salariales de la division de la législation comparée du Sénat, avril 2024.

* 17 Circulaire DSS/5C/DGT n o 2011-92 du 7 mars 2011 relative à la mise en oeuvre et au contrôle du mécanisme de conditionnalité des allègements de cotisations sociales prévu par l'article 26 de la loi no 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

* 18 Maria Teresa Pignoni (Dares), « Les instances de représentation des salariés dans les entreprises en 2021 », Dares Résultats n° 32, 1er juin 2023.

* 19 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 20 Accord collectif triennal du 25 septembre 2023 relatif aux revalorisations salariales pour 2024, 2025 et 2026 étendu par l'arrêté du 20 décembre 2023 portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité (n° 1351).

* 21 Contribution écrite de la DGT adressée aux rapporteures.

* 22 Division de la législation comparée, note mentionnée, p. 39.

* 23 Contribution écrite adressée aux rapporteures.

* 24 Rapport du comité d'évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 relatives au dialogue social et aux relations de travail, décembre 2021.

* 25 Article L. 2232-5-1 du code du travail.

* 26 Article L. 2261-25 du code du travail.

* 27 Ce point était mentionné par le raisonnement du rapporteur public sur la décision du 7 octobre 2021 du Conseil d'État, M. Raphaël Chambon, rapporteur public.

* 28 Orseu, Ires, Université de Lille, « Vers un basculement de la branche vers l'entreprise ? Diversité des pratiques de pluralité des formes d'articulation entre entreprise et branche », septembre 2021.

* 29 Louis Margueritte, Alexis Izard, Philippe Bolo, Anne-Cécile Violland et Nadège Havet, « Rendre des heures aux Français : 14 mesures pour simplifier la vie des entreprises », jeudi 15 février 2024.

* 30 Art. L. 2261-24 du code du travail.

* 31 Art. L. 2261-25 du code du travail.

* 32 Art. D. 2261-3 du code du travail.

* 33 Art. L. 2261-19 du code du travail.

* 34 Art. R. 2261-5 du code du travail.

* 35 Art. R. 2261-6 du code du travail.

* 36 CE, Section, 23 avril 1982, ville de Toulouse c/ Aragnou, 36851, publié au recueil Lebon.

* 37 Art. L. 3231-4 du code du travail.

* 38 Art. L. 3231-5 du code du travail.

* 39 Art. L. 3231-6 du code du travail.

* 40 Art. R. 3231-7 du code du travail.

* 41 Art. L. 3231-10 du code du travail.

* 42 Cette revalorisation exceptionnelle s'est écartée du mécanisme institué, dans lequel les partenaires sociaux doivent s'accorder au sein d'une commission salaire minimum sur une proposition de revalorisation sur deux ans à faire au Gouvernement, en se fondant sur l'évolution des salaires négociés par les conventions collectives dans les deux années précédentes.

* 43 Directive (UE) 2022/2041 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relative à des salaires minimaux adéquats dans l'Union européenne.

* 44 Seuls le Danemark, l'Italie, l'Autriche, la Finlande, la Suède et Chypre n'ont pas de salaire minimum.

* 45 Art. L. 3232-3 du code du travail.

* 46 Art. L. 2241-1 du code du travail.

* 47 Art. L. 2241-10 du code du travail.

* 48 Art. L. 3231-3 du code du travail.

* 49 Loi du 2 août 1971 organisant un régime de liaison à l'indice des prix à la consommation des traitements, salaires, pensions, allocations et subventions à charge du trésor public, de certaines prestations sociales, des limites de rémunération à prendre en considération pour le calcul de certaines cotisations de sécurité sociale des travailleurs, ainsi que des obligations imposées en matière sociale aux travailleurs indépendants.

* 50 L'IPC mesure l'évolution des prix des biens et services achetés par une famille type. Basé sur un panier représentatif de 656 produits, il est calculé à partir des données de l'enquête sur le budget des ménages menée tous les deux ans. Le service public fédéral (SPF) Économie collecte mensuellement les prix de ces produits dans les commerces, puis calcule l'IPC, utilisé pour ajuster les rémunérations, les loyers et mesurer l'inflation.

* 51 Loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité.

* 52 Loi du 19 mars 2017 modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité.

* 53 Art. L. 2261-20 du code du travail.

* 54 Article 127 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

* 55 Voir Paul Krugman, 2022, “Wonking Out: How Low Must Inflation Go?”, New York Times, 3 juin ou Olivier Blanchard, 2022, “It is time to revisit the 2 % inflation target“ Financial times 28 novembre.

* 56 Évaluation stratégique du Conseil des gouverneurs de la BCE du 8 juillet 2021.

* 57 Conférence de presse d'Emmanuel Macron, 16 janvier 2024 (49'55").

* 58 Art. D. 3231-5 du code du travail.

* 59 Art. L. 6222-27 du code du travail.

* 60 Art. L. 6325-8 du code du travail.

* 61 Art. D. 4153-3 du code du travail.

* 62 Convention collective nationale des voyageurs représentants placiers (VRP), art. 5-1.

* 63 Art. L. 3423-2 du code du travail.

* 64 Art. L. 2253-1 du code du travail.

* 65 CE, 1° et 4° ch.-r., 7 octobre 2021, n° 433053, publié au recueil Lebon.

* 66 Cass. Soc., 29 septembre 2021 n° 20-10.634.

* 67 Art. R. 3233-1 du code du travail.

* 68 Art. D. 3231-6 du code du travail.

* 69 C'est notamment le cas pour l'exclusion de l'assiette du Smic des primes d'ancienneté, d'assiduité, de sujétion, de pause, ainsi que des primes dépendant de facteurs sur lesquels « les salariés n'ont pas d'influence directe ».

* 70 Rapport du groupe d'experts Smic, 2023.

* 71 Leïla de Comarmond, « Salaires : Olivier Dussopt remet un coup de pression sur les branches professionnelles », Les Échos, 11 décembre 2023.

* 72 Sixtine de Villeblanche, « 39 branches professionnelles affichent toujours des minima inférieurs au Smic au 17 novembre 2023 (ministère du Travail) », AEF, 29 novembre 2023.

* 73 Conférence de presse de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les priorités du nouveau gouvernement en matière d'école, d'ordre public, d'économie, de natalité, d'égalité des chances, d'écologie, de services publics et de santé, à Paris le 16 janvier 2024.

* 74 Déclaration de politique générale de M. Gabriel Attal, Premier ministre, sur les grandes orientations de la politique gouvernementale notamment en matière d'agriculture, d'emploi, de logement, de santé, d'éducation et de transition écologique, au Sénat le 31 janvier 2024.

* 75 Cité par Olivier Dhers, « Gabriel Attal menace de "sanctions" les branches professionnelles aux rémunérations sous le Smic », AEF, 1er mars 2024.

* 76 Article 7 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

* 77 Article L. 2261-32 du code du travail.

* 78 Conseil constitutionnel, décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019.

* 79 Le Conseil d'État a ainsi vérifié, pour la première fois en octobre 2022, l'absence d'erreur d'appréciation du ministre pour une fusion prononcée sur l'insuffisance de l'activité conventionnelle (CE, 4e - 1ère chambres réunies, 28 octobre 2022, décision n° 457317).

* 80 Article D. 2261-14 du code du travail.

* 81 Article D. 2261-15 du code du travail.

* 82 Modification de l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale.

* 83 Article 27 de la loi n° 2008-1258.

* 84 Leïla de Comarmond, « Salaires : le ministère du Travail rappelle à l'ordre 39 branches », Les Échos, 29 novembre 2023.

* 85 Aline Gérard, « Grilles de salaires sous le Smic : quelles sont les 37 branches en dehors des clous ? », Ouest France, 29 novembre 2023.

* 86 Sarah Asali, « Smic : voici les 34 secteurs qui ne sont toujours pas en règle sur les bas salaires », Capital, 12 décembre 2023.

* 87 Frédéric Bianchi, « Jusqu'à 11 échelons sous le Smic : quelles sont les branches professionnelles mauvaises élèves pour les salaires ? », BFM Business, 12 avril 2023.

* 88 Rapport n°827 (2021-2022) du 25 juillet 2022 de Frédérique Puissat au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

* 89 Audition de M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, le jeudi 5 octobre 2023.

* 90 Étendu par l'arrêté du 13 février 2024 portant extension d'un avenant à la convention collective nationale des casinos (n° 2257).

* 91 Deux accords conclus les 31 mars 2023 et 24 juillet 2023 ont été frappés d'un droit d'opposition par des organisations syndicales.

* 92 Rapport précité du 25 juillet 2022.

* 93 Tendance à l'augmentation du nombre de salariés dont la rémunération est durablement bloquée au Smic ou à un niveau proche de celui-ci.

* 94 Rapport du groupe d'expert sur le Smic, 26 novembre 2021, p. 42.

* 95 Bilan de la négociation collective 2022, p. 296.

* 96 L. Baudry, E. Gautier et S. Tarrieu, « Quel effet de la hausse de l'inflation sur les accords de salaire de branche et d'entreprise en France ? », Annexe 6 du Rapport du groupe d'experts sur le Smic 2023.

* 97 Contribution adressée aux rapporteures.

* 98 Catherine Di Folco, avis n° 134 (2023-2024), 25 novembre 2023.

* 99 Article L.712-2 du code général de la fonction publique.

* 100 Rapport 2010 du groupe d'experts sur le Smic, p. 6, décembre 2010.

* 101 Laurent Baudry, Erwan Gautier et Sylvie Tarrieu (Banque de France), « Les hausses de salaire négociées pour 2024 : où en est-on ? », Billet de blog n° 349, 27 mars 2024.

* 102 Alors que, comme le note la DGAFP, « l'indice minimum de traitement s'appliquait uniformément aux agents des huit premiers échelons du 1er grade, des cinq premiers échelons du 2ème grade et du 1er échelon du 3ème grade de la catégorie C ainsi qu'aux deux premiers échelons du 1er grade de la catégorie B ».

* 103 Intervention en commission de Mme Catherine Di Folco sur les crédits du programme « Fonction publique » du PLF 2023, le mercredi 9 novembre 2022.

* 104 Insee, novembre 2023.

* 105 Dares, Évolution des salaires de base dans le secteur privé : résultats provisoires du 1er trimestre 2024, mai 2024.

* 106 Avis n° HCFP-2024-2 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au Programme de stabilité pour les années 2024 à 2027, 16 avril 2024, p. 11.

* 107 Banque de France, Projections macroéconomiques intermédiaires, mars 2024.

* 108 Christian Baudelot, Damien Cartron, Jérôme Gautié, Olivier Godechot, Michel Gollac, et al.. Bien ou mal payés ? : Les travailleurs du public et du privé jugent leurs salaires. Éditions rue d'Ulm, pp. 228, 2014, Cepremap.

* 109 Cepremap, p. 67.

* 110 Cepremap, p. 215.

* 111 Cepremap, ouvrage cité, p. 86.

* 112 Alice Galopin, « On est payés au ras des pâquerettes : cinq salariés rémunérés juste au-dessus du Smic racontent leur sentiment de déclassement », France Info, 1er mai 2024.

* 113 Rapport économique social et financier annexé au PLF pour 2024, p. 36.

* 114 Idem.

* 115 Insee, Note de conjoncture, 14 décembre 2023.

* 116 Banque de France, Projections macroéconomiques de septembre 2023.

* 117 Bpifrance Le Lab et Rexecode, Baromètre « Trésorerie, Investissement et Croissance des PME / TPE » du 1er trimestre 2024, 27 février 2024.

* 118 France Stratégie, « Les salaires augmentent-ils vraiment avec l'âge ? », Note d'analyse n° 72, 2018.

* 119 Dares, Les portraits statistiques de branches professionnelles, 28 novembre 2023.

* 120 Élaboré par la Dares par une méthodologie prenant en compte plusieurs critères dont le secteur d'activité.

* 121 Dares, juillet 2021.

* 122 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 123 Article R. 6123-5 et 6123-6 du code du travail.

* 124 Instruction de la DGEFP du 21 avril 2023 relative à la mobilisation du FNE-Formation.

* 125 BVA pour France compétences, rapport final, Parcours de reconversion professionnelle, février 2022.

* 126 Centre Inffo, 4e édition du Baromètre de la formation et de l'emploi, février 2023.

* 127 Igas, Transitions professionnelles : dynamiser et mieux cibler l'action publique, mars 2024, p. 27.

* 128 Article R. 6323-14-2 du code du travail.

* 129 Délibération n° 2022-09-206 du 29 septembre quant à la recommandation modificative relative aux règles et priorités de prise en charge des financements alloués aux projet de transition professionnelle engagés au titre du compte personnel de formation.

* 130 Igas, rapport précité, p. 65.

* 131 Idem.

* 132 L'article L. 2261-22 du code du travail dispose que pour être étendue, une convention de branche doit contenir des clauses portant notamment sur « les éléments essentiels servant à la détermination des classifications professionnelles et des niveaux de qualification ».

* 133 Article L. 2241-15 du code du travail.

* 134 Loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise.

* 135 Loi n° 93-353 du 27 juillet 1993 relative au développement de l'emploi et de l'apprentissage.

* 136 Loi n° 95-882 du 4 août 1995 relative à des mesures d'urgence pour l'emploi et la sécurité sociale.

* 137 Loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.

* 138 Loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi et loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.

* 139 Loi n° 2014-892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale.

* 140 Lois n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 et n° 2017-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

* 141 Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 142 Loi n° 2014-892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.

* 143 France Stratégie, 2018, Évaluation du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Synthèse des travaux d'approfondissement.

* 144 Rapport d'information n° 1685.

* 145 Urssaf, « Stat'Ur Bilan », juillet 2023, n° 366.

* 146 Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale, mai 2023.

* 147 Loi n° 94-637 du 25 juillet 1994.

* 148 Article L.O. III-3-16 du code de la sécurité sociale.

* 149 Conseil d'orientation pour l'emploi, 8 février 2006, Rapport au Premier ministre relatif aux aides publiques.

* 150 Antoine Bozio et Etienne Wasmer, Mission sur l'articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d'activité, Document d'étape.

* 151 Art. L. 3221-2 du code du travail.

* 152 Art. L. 1132-1 du code du travail.

* 153 Cass. soc., 25-2-98, n° 95-44096.

* 154 Art. L. 3121-33 du code du travail.

* 155 Art. L. 3121-36 du code du travail.

* 156 Art. L. 3241-1 du code du travail.

* 157 Ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises.

* 158 Articles L. 3322-1 et L. 3322-2 du code du travail.

* 159 Art. L. 3324-1 du code du travail.

* 160 Art. L. 3324-5 du code du travail.

* 161 Ordonnance n° 59-126 du 7 janvier 1959 tendant à favoriser l'association ou l'intéressement des travailleurs à l'entreprise.

* 162 Art. L. 3312-1 du code du travail.

* 163 Art. 1er de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

* 164 Loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise.

* 165 Article 4 de ladite loi.

* 166 Article 5 de ladite loi.

* 167 Nomenclature mentionnée au 1° de l'article R. 123-223 du code de commerce caractérisant l'activité de l'établissement d'emploi ou, pour les employeurs inscrits au répertoire national des entreprises et des établissements, via le numéro d'inscription de l'employeur au répertoire national mentionné à l'article R. 123-220 du même code.

* 168 Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures.

* 169 Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives.

* 170 Décret n° 2016-190 du 25 février 2016 relatif aux mentions figurant sur le bulletin de paie.

* 171 Article 157, paragraphe 3 du TFUE.

* 172 Directive (UE) 2023/970 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 visant à renforcer l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d'application du droit.

* 173 Loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle.

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