C. LA « SMICARDISATION » CONTRE LAQUELLE LES POUVOIRS PUBLICS DOIVENT LUTTER EN PRIORITÉ EST LA STAGNATION DU SALAIRE AU COURS DE LA CARRIÈRE PROFESSIONNELLE

L'attention portée dans le débat public à la part de travailleurs rémunérés au niveau du Smic depuis 2022, dans un contexte de choc exogène d'inflation, occulte malheureusement la question plus structurante de la smicardisation au cours de la carrière professionnelle. Les rapporteures estiment que permettre aux salariés d'avoir une espérance raisonnable de voir leur rémunération progresser au cours de leur vie professionnelle constitue une priorité politique bien plus impérieuse que la conformité conjoncturelle des branches au Smic.

1. Une stagnation salariale dans certains secteurs du fait de la nature de leurs activités économiques

Une étude de France Stratégie estimait, en 2018, qu'un salarié pouvait, en moyenne, s'attendre à multiplier sa rémunération par 1,7 au cours de sa carrière professionnelle118(*). Cette espérance recouvre toutefois des réalités très diverses selon le niveau de diplôme, le sexe et également le secteur d'activité.

En dépit des négociations menées au sein des branches professionnelles, certains secteurs économiques n'offrent en effet que très peu de perceptive d'augmentations salariales. Les rapporteures constatent, en premier lieu, que, début 2024, quinze branches du secteur général présentent ainsi un éventail des salaires inférieur à 1,7. Douze branches sur ces quinze appartiennent au secteur des services. La branche la plus importante en effectif (775 000 salariés), et d'une certaine manière la plus représentative, est celle des particuliers employeurs pour laquelle le minimum conventionnel le plus haut plafonne à 2 608,66 euros.

Les données du groupe d'experts sur le Smic mettent également en exergue que certains secteurs d'activité sont plus vulnérables que d'autres aux revalorisations du Smic (voir plus en amont du rapport). En particulier, 39,8 % des salariés du secteur de l'hébergement et de la restauration sont concernés par les revalorisations du Smic au 1er janvier 2023 contre une moyenne de 8,9 % dans l'industrie manufacturière. Ce constat n'est toutefois qu'une photographie statique de l'état des rémunérations dans deux secteurs d'activité.

Si les études manquent pour documenter les progressions salariales par secteur d'activité, il est toutefois possible d'appréhender ces différences en analysant les salaires selon l'âge des salariés bien que cette mesure comporte de nombreuses limites. Les données statistiques de la Dares119(*) sur les branches professionnelles permettent ainsi de comparer la rémunération moyenne d'un ensemble de conventions regroupées pour l'information statistique (Cris)120(*) et de l'ensemble des conventions collectives par catégorie d'âge des salariés.

Rémunération moyenne en ETP par catégorie d'âge
selon la classification statistique (Cris) retenue

en 2021

Source : Commission des affaires sociales, données de la Dares

Une comparaison entre le secteur de la métallurgie - sidérurgie et ceux du commerce de détail non alimentaire ou de l'hôtellerie, restauration et tourisme fait distinctement apparaître les différences de rémunération par âge que les secteurs d'activité peuvent entraîner. Un salarié de la métallurgie - sidérurgie de 50 ou plus gagne 1,7 fois plus qu'un salarié de moins de 29 ans tandis que ce rapport est de 1,38 pour commerce de détail non alimentaire et 1,30 pour l'hôtellerie, restauration et tourisme.

Les rapporteures ne peuvent donc qu'encourager les pouvoirs publics à garder à l'esprit ces différences dans la définition des politiques publiques. En premier lieu, il convient de mettre en place une politique économique qui n'entrave pas les secteurs à plus forte progression salariale telle que les secteurs industriels. Entendue en audition des rapporteures, la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) pointait ainsi la nécessité d'une montée en gamme structurelle de l'économie française pour lutter contre la smicardisation des carrières.

S'il n'appartient pas à la présente mission d'information de produire des recommandations précises sur ces sujets, les rapporteures rappellent que des choix structurants comme le niveau des impôts de production, les complexités administratives pour les entreprises, les contraintes excessives en matière d'artificialisation des sols sont autant de déterminants à la configuration économique du pays qui influent in fine sur l'évolution salariale des travailleurs.

2. Lutter contre la stagnation des salaires nécessite une politique de formation ciblée sur les branches professionnelles qui en ont besoin
a) Une politique de soutien à la formation qui doit pleinement intégrer un objectif de « désmicardiser les carrières »

Pour les salariés peu ou pas qualifiés dont les perspectives de progression salariale sont limitées, le développement des compétences professionnelles par la formation continue constitue un enjeu majeur. La formation professionnelle a bien une incidence sur la progression salariale. Une étude de la Dares de juillet 2021 constate qu'à la suite d'une formation d'au moins 18 heures, et sans même connaître de changement de statut d'activité, la chance de connaître une augmentation salariale pendant les cinq ans à venir étaient, pour les femmes, de 15 % contre 11 % pour l'ensemble des salariées et, pour les hommes, de 17 % contre 13 %121(*).

Les rapporteures estiment que les politiques publiques de soutien à la formation professionnelle continue doivent pleinement intégrer un objectif de progression salariale le long des carrières. Pour ce faire, il convient de cibler davantage les efforts financiers vers les secteurs d'activité les plus en difficulté pour offrir une ascension salariale à leurs salariés.

Ce ciblage pourrait notamment s'appuyer sur France compétences, qui, depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel122(*), est en charge de collecter les contributions des employeurs au financement de la formation et de verser les dotations aux onze opérateurs de compétences (Opco) notamment pour l'aide au développement des compétences au bénéfice des entreprises de moins de cinquante salariés123(*).

Les auteures du présent rapport s'inscrivent dans le sillage de la mission d'information de la commission sur France compétences qui soulignait, en 2022, l'importance de dégager de manière pérenne des marges de manoeuvres financière à l'opérateur pour accroître l'aide au développement des compétences et des qualifications dans les entreprises.

Actuellement, les modalités de répartition des dotations aux Opco sont déterminées par le conseil d'administration de France compétences en fonction du nombre d'entreprises adhérentes de moins de cinquante salariés et de leur effectif salarié. Cette dotation pourrait être majorée pour les Opco regroupant des branches professionnelles dont les secteurs présentent des progressions salariales difficiles sous réserve de la conclusion d'un accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) et d'un accord de la branche ou de l'interbranche sur l'appui aux entreprises en matière de développement des compétences. Ce financement mutualisé supplémentaire serait donc apporté aux branches vertueuses quant à leurs actions en matière d'ascension salariale par les compétences de leurs salariés.

Recommandation n° 8 : Majorer les dotations versées aux Opco pour l'aide au développement des compétences des entreprises pour les secteurs concernés par les stagnations salariales sous réserve de la conclusion d'accords de branche ou d'interbranche sur le développement des compétences.

Budgété à 273 millions d'euros (en autorisations d'engagement) au sein de la mission « Travail - emploi » en loi de finances pour 2024, le Fonds national de l'emploi - Formation (FNE-Formation) permet d'aider les entreprises dans le développement des compétences de leurs salariés. Utilisé de 2020 à 2022, afin de maintenir les compétences des salariés placés en activité partielle lors de la crise sanitaire, le FNE-Formation a été réorienté, depuis 2023, vers l'accompagnement de la triple transition écologique, alimentaire et agricole, ainsi que numérique124(*).

Les rapporteures estiment que le FNE-Formation, dans le cadre du conventionnement entre l'État et chaque Opco, pourrait intégrer un objectif d'aide à la progression salariale. Cet objectif ne serait pas contradictoire avec les missions aujourd'hui assignées au fonds ; le développement des compétences nécessaires pour anticiper les mutations économiques à venir doit s'accompagner de gain de productivité favorisant l'ascension salariale.

Recommandation n° 9 : Faire évoluer les objectifs du FNE - Formation pour y intégrer un objectif de lutte contre la stagnation à un bas salaire.

b) Encourager les perspectives d'évolution salariale hors de l'entreprise

Dans certains secteurs d'activité ou certaines entreprises, la perspective d'évolution de rémunération sur le long terme se trouve dans la création d'entreprise ou la reconversion professionnelle. Dès lors, dans un objectif d'éviter les stagnations salariales au cours des carrières, ces mobilités professionnelles ne doivent pas être découragées.

Les enquêtes d'opinion réalisés auprès des actifs en situation de reconversion font ressortir l'enjeu primordial des rémunérations. Une étude réalisée pour France compétences met par exemple en exergue que l'insatisfaction de sa rémunération est le troisième motif (22 % des cas) invoqués par les actifs en reconversion après la perte de sens du métier actuel (27 %) et l'insatisfaction des conditions de travail (23 %)125(*). En 2023, améliorer sa rémunération est même devenu la raison la plus souvent évoquée - dans 28 % des cas - par les actifs souhaitant préparer ou préparant une reconversion professionnelle126(*).

Il ressort des auditions de la mission d'information que certaines branches ont identifié cette nécessité et ont structuré des offres de développement de compétences pour une création d'entreprise ou de formation des cadres dirigeants du secteur. À cet égard, la Fédération française du bâtiment (FFB) a mis en avant le fait que de nombreux dirigeants d'entreprise ont préalablement exercé un métier dans les premiers échelons de la grille de classification. Cette politique de promotion professionnelle est encouragée par la branche grâce à l'école supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment (ESJDB). Il apparaît évident aux rapporteures que les pouvoirs publics doivent davantage soutenir ces initiatives des branches professionnelles.

En outre, les dispositifs nationaux d'accompagnement à la reconversion professionnelle doivent être renforcés alors que les salariés les moins qualifiés sont ceux qui expriment le plus souvent un souhait de reconversion mais qui échouent également le plus dans leur projet127(*).

La lutte contre la stagnation salariale doit entrer dans les priorités des projets de transition professionnelle (PTP), mis en place depuis le 1er janvier 2019 au bénéfice de tous les salariés.

La mission récente de l'Igas sur les transitions professionnelles pointe que le PTP pâtit d'une faible notoriété mais permet un financement d'un plus grand nombre de dossiers que le dispositif préexistant du congé individuel de formation (CIF). L'appréciation des demandes de prise en charge d'un projet relève des commissions paritaires interprofessionnelles régionales (CPIR), renommée associations Transitions pro, qui agissent en fixant des priorités régionales elles-mêmes déterminées dans le respect de priorités nationales décidées par France compétences128(*). Le conseil d'administration de l'opérateur détermine ces priorités dans une délibération.

Délibération du 29 septembre 2022129(*)

La délibération du 29 septembre 2022 du conseil d'administration de France compétences recommande de retenir comme prioritaires les projets des salariés :

- les moins qualifiés (ouvriers et/ou les employés de niveaux 3 et infra du cadre national des certifications professionnelles) au motif de leur plus faible accès à la formation ;

- reconnus inaptes sur leur poste actuel ;

- employés dans des entreprises de moins de cinquante salariés ;

- qui ciblent une formation d'une durée maximale de 1 200 heures ;

- formation certifiante portant sur une partie seulement des blocs de compétences constituant la certification, l'acquisition des blocs de compétences concernés devant permettre d'acquérir l'ensemble de la certification professionnelle enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).

L'Igas note toutefois que l'instruction des dossiers ne conduit pas suffisamment « à prioriser les catégories de candidats qui auraient a priori le plus besoin d'être soutenus, ou relevant de secteurs d'activité recherchés »130(*). Dans un des scénarios proposés par la mission Igas, il est recommandé d'ajouter comme critère priorisant les salariés présentant une élévation programmée de leur niveau de qualification, considérant que « les salariés les moins qualifiés bénéficient souvent de formations qui ne permettent pas une élévation de leur niveau de qualification initial »131(*).

Les rapporteures souscrivent à ce point précis et, dans cette même optique, estiment que les critères doivent davantage cibler les salariés candidats peu qualifiés dont le projet de transition professionnelle présenterait une perspective d'amélioration significative de leur rémunération. Ce critère conduira de fait à prendre en charge les formations de salariés souhaitant se tourner vers des secteurs d'activité recherchés.

Recommandation n° 10 : Ajouter les faibles perspectives d'évolution salariale comme un des critères prioritaires pour la prise en charge des projets de transition professionnelle déposée par les salariés.

3. Sans être une négociation salariale qui ne dirait pas son nom, la révision des classifications peut tout de même avoir un effet sur le temps long
a) Les révisions de classifications : ni un outil de politique salariale ni une procédure sans effet

Au sein d'une branche professionnelle, les classifications permettent d'organiser les différents types d'emplois en catégories, selon la nature des emplois, le niveau de qualification requis ou encore les tâches confiées aux salariés. Les classifications de branche ne sont pas définies par le code du travail et la méthode de classification des emplois peut donc varier d'une convention collective à une autre, selon les spécificités des secteurs d'activité. Les branches ont toutefois l'obligation d'établir ces classifications pour que leur convention collective puisse être étendue132(*).

Les entreprises se réfèrent aux grilles de classification de la branche dont ils relèvent pour hiérarchiser les postes, organiser le déroulement des carrières et, bien entendu, pour déterminer les salaires en référence aux SMH.

Les rapporteures sont convaincues que la révision des classifications ne saurait être entendue comme un véritable outil de politique salariale. La révision, processus long et complexe, ne peut être une réponse utile au tassement conjoncturel des grilles salariales et à la smicardisation de certains secteurs. Si la refonte des classifications peut bien sûr être l'opportunité de supprimer des premiers échelons devenus non pertinents, mais plaçant artificiellement la branche en état de non-conformité, l'enjeu principal n'est pas celui-ci.

Les travaux des rapporteures ont fait émerger la nécessité d'engager une révision des classifications pour les secteurs n'offrant plus de perspectives salariales en lien avec la réalité des métiers exercés. De nombreuses branches présentent en effet des coefficients « hors sol » avec la réalité des entreprises, ressemblant à du « vieux français », selon les termes du Pr Alexandre Fabre. Comme l'a souligné Jean-François Pilliard aux rapporteures, « les branches qui n'ont pas revu les classifications depuis longtemps ne permettent pas de s'assurer que la rémunération des salariés est en phase avec les compétences acquises ».

La révision des classifications de branche agit donc sur les salaires sur le temps long en ce qu'elle permet une rémunération des métiers prenant en compte les évolutions professionnelles et donc fidèle à la réalité. Si l'augmentation des salaires n'est pas un objectif de la révision des classifications, les négociations sur ce sujet s'engagent généralement avec une garantie qu'aucun salarié ne perdra en rémunération. Ces révisions ont donc souvent une incidence directe sur la masse salariale des entreprises.

b) Des procédures lourdes à engager pour les branches professionnelles
(1) Une incitation des pouvoirs publics à négocier qui produit quelques résultats sans traduction significative dans le nombre d'accords signés

Le législateur oblige les organisations liées par une convention de branche à étudier la nécessité de réviser les classifications au moins une fois tous les cinq ans133(*).

Article L. 2241-15 du code du travail

Les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels se réunissent, au moins une fois tous les cinq ans, pour examiner la nécessité de réviser les classifications.

Ces négociations prennent en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de mixité des emplois.

Lorsqu'un écart moyen de rémunération entre les femmes et les hommes est constaté, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels font de sa réduction une priorité.

À l'occasion de l'examen mentionné au premier alinéa, les critères d'évaluation retenus dans la définition des différents postes de travail sont analysés afin d'identifier et de corriger ceux d'entre eux susceptibles d'induire des discriminations entre les femmes et les hommes et afin de garantir la prise en compte de l'ensemble des compétences des salariés.

Toutefois, en dépit de cette obligation légale de négociation, les classifications de branche ne sont pas actualisées régulièrement. Reprenant l'article 3 de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023, l'article 1er de la loi du 29 novembre 2023134(*) a incité les branches professionnelles à engager ces démarches de révision en disposant qu'une « négociation en vue de l'examen de la nécessité de réviser les classifications en prenant en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de mixité des emplois est ouverte avant le 31 décembre 2023 au sein des branches n'ayant pas procédé à cet examen depuis plus de cinq ans ».

Malgré les dispositions de l'ANI du 10 février 2023 et de la loi, plusieurs organisations syndicales interprofessionnelles entendues par les rapporteures ont déploré que peu de négociations aient été véritablement engagées avant la fin de l'année 2023.

Selon les informations transmises par la DGT, les rapporteures peuvent toutefois dresser un bilan moins sombre de l'article 1er de la loi sur le partage de la valeur. Sur les 98 branches n'ayant pas révisé leurs classifications depuis plus de cinq ans, 63 branches ont indiqué à la DGT avoir commencé, d'une manière ou d'une autre, des travaux de négociation sur la révision des classifications. Certes, les travaux sont à des stades très disparates selon les banches et, pour certaines d'entre elles, nécessiteront un recul supplémentaire pour juger du sérieux des démarches. Les rapporteures ne sont pas non plus sans ignorer que certaines organisations patronales représentatives au niveau des branches ont clairement indiqué ne pas avoir l'intention de réviser les classifications : cinq branches ont ainsi fait savoir à la DGT que leurs classifications étaient déjà adaptées aux besoins de leur secteur. Toutefois, une majorité d'entre elles semblent avoir pris la mesure de l'enjeu que représentent ces révisions.

S'agissant de la concrétisation des négociations, l'aperçu quantitatif montre une progression depuis un an sans que le résultat final soit pleinement satisfaisant. D'après les informations communiquées aux rapporteures par la DGT, en mars 2024, les branches ayant conclu un accord portant sur les classifications il y a moins de cinq ans demeurent minoritaires. Cependant, leur nombre a progressé depuis avril 2023.

Évolution du nombre d'accords signés et déposés portant sur les classifications entre avril 2023 et mars 2024

Source : Commission des affaires sociales, données de la DGT

(2) L'accompagnement des refontes de classification par le ministre

En tout état de cause, les révisions de classification sont des procédures lourdes à engager et longues à aboutir, à plus forte raison lorsque la révision prend la forme d'une refonte totale de la grille de classification.

Les organisations d'employeurs entendues en audition ont témoigné de la complexité de ces révisions. La refonte des classifications de la branche de la métallurgie a été fréquemment citée en exemple de travail titanesque mais réussi. Cette dernière s'est inscrite dans la mise en place d'une nouvelle convention collective de la métallurgie signée le 7 février 2022 après six années de négociations. À elle seule, la refonte des classifications a nécessité dix-huit mois de travaux selon l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) qui rappelle toutefois les spécificités du champ conventionnel préexistant (voir encadré ci-dessous).

La révision des classifications de la branche de la métallurgie

La refonte du système conventionnel de la branche métallurgie s'est étendue de 2016, date du constat partagée par tous les partenaires sociaux, au 7 février 2022, date de la signature de l'accord par trois des quatre organisations syndicales représentatives de la branche : CFDT, CFE-CGC, FO.

Ce chantier, qualifié d'« historique » par l'UIMM, a permis de fusionner 78 conventions collectives (76 conventions collectives territoriales et 2 nationales : sidérurgie et ingénieurs et cadres), en une seule convention collective nationale (CCN) qui s'applique depuis le 1er janvier 2024.

Ces travaux ont abouti à une unique classification des emplois et une seule grille de minima conventionnels alors que les conventions collectives précédentes comportaient quatre classifications (cadres, non cadres, transposés - suite 35h - et alternants).

Le chantier de la classification a abouti à la mise en place de six critères classants. L'UIMM explique ainsi « il s'agit d'un véritable changement de paradigme : passer d'un classement du salarié à un classement de l'emploi. Tout au long du travail de préparation et durant les négociations, nous avons réalisé des expérimentations dans des entreprises, pour produire une grille pertinente. À l'issue, nous avons abouti à la création d'une nouvelle classification des emplois, la rédaction d'un « glossaire » paritaire ainsi qu'un guide pratique à destination des entreprises, pour les accompagner au mieux dans ce chantier. Pour mener à bien le déploiement de ce projet, les entreprises ont dû mobiliser leurs équipes RH et managériales pour faire un diagnostic exhaustif de l'existant, et contribuer à la rédaction précise des nouvelles définitions d'emplois. (...)

À noter qu'en termes de rémunération, grâce à la CCN, les SMH sont définis plus clairement, avec des montants qui favorisent l'attractivité de la branche ; la prime d'ancienneté est adaptée au nouveau système de classification des emplois. Des primes pour travail exceptionnel notamment sont créées au niveau national. Une garantie de rémunération légale ou conventionnelle est mise en place pour garantir au salarié en poste au 31 décembre 2023 de conserver leur rémunération. » L'UIMM précise ainsi que le changement de classification a eu un coût, qui s'est intégré dans la période de forte inflation.

Source : Réponse de l'UIMM au questionnaire adressé par les rapporteures

La révision des classifications demande d'appréhender les évolutions professionnelles ayant connu la branche et d'anticiper les mutations à venir du secteur d'activité. Les organisations patronales et syndicales doivent donc disposer de données objectives et précises pour mener à bien leurs travaux, ainsi que de compétences juridiques poussées. Le recours à un appui extérieur (cabinet de conseil ou d'avocats) n'est actuellement pas systématique et dépend des compétences dont dispose la branche en interne et des moyens financiers pour recourir à ces appuis.

Un questionnaire adressé en 2023 par la DGT aux branches qui amorcent des négociations ou au contraire sont en situation de blocage permet d'identifier plus précisément les freins à la révision des classifications. La DGT a relevé les principales difficultés suivantes :

- la technicité du sujet et mobilisation accrue des partenaires sociaux ;

- la difficulté à prioriser ce sujet parmi ceux inscrits à l'agenda ;

- les travaux s'inscrivent dans une temporalité contraignante ;

- les travaux nécessitent un engagement financier important.

La DGT souligne que certaines options existent déjà pour les partenaires sociaux. Ces derniers peuvent saisir l'Opco dont ils relèvent afin de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pour analyser leurs besoins et construire un plan d'actions. De même, les organisations de branche peuvent conventionner avec l'État pour bénéficier du dispositif de l'engagement de développements de l'emploi et des compétences (EDEC), lequel inclut le contrat d'études prospectives (CEP).

L'engagement de développements de l'emploi et des compétences (EDEC)

Développés dans une logique de prévention des mutations économiques et fondés sur le partenariat et le dialogue avec les partenaires sociaux, les EDEC permettent à l'État d'apporter une aide technique et financière à des organisations professionnelles de branche ou à des organisations interprofessionnelles devant être soutenues ou faisant l'objet d'actions publiques prioritaire, afin d'anticiper et accompagner l'évolution des emplois et des qualifications et ainsi sécuriser les parcours professionnels des actifs occupés.

Source : Direction générale du travail

Les pouvoirs publics pourraient néanmoins aider davantage à la révision des classifications en fournissant les informations nécessaires ou en finançant le recours à des experts économiques, des cabinets de conseil ou d'avocats. Début 2024, à la suite du sondage déjà mentionné, la DGT avaient ainsi recensé les principaux besoins suivants :

- l'actualisation du guide sur les classifications ;

- la diffusion d'une newsletter valorisant les bonnes pratiques ;

- la mise en place de formation à l'aune de la technicité du sujet ;

- l'accompagnement d'un cabinet extérieur dans la conduite et le suivi des négociations.

La DGT indique travailler actuellement à la mise à jour d'un guide sur les négociations de branche relatives aux classifications. Les rapporteures se réjouissent de ce chantier et ne peuvent qu'encourager le Gouvernement à accentuer les efforts d'accompagnement des branches en mettant effectivement en oeuvre des réponses aux besoins recensés.

Recommandation n° 11 : Apporter aux branches professionnelles un appui plus important (mise à jour du guide sur les classifications, aide juridique, financement d'un recours à un cabinet extérieur ou de formation...) pour la révision de leurs classifications.


* 118 France Stratégie, « Les salaires augmentent-ils vraiment avec l'âge ? », Note d'analyse n° 72, 2018.

* 119 Dares, Les portraits statistiques de branches professionnelles, 28 novembre 2023.

* 120 Élaboré par la Dares par une méthodologie prenant en compte plusieurs critères dont le secteur d'activité.

* 121 Dares, juillet 2021.

* 122 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 123 Article R. 6123-5 et 6123-6 du code du travail.

* 124 Instruction de la DGEFP du 21 avril 2023 relative à la mobilisation du FNE-Formation.

* 125 BVA pour France compétences, rapport final, Parcours de reconversion professionnelle, février 2022.

* 126 Centre Inffo, 4e édition du Baromètre de la formation et de l'emploi, février 2023.

* 127 Igas, Transitions professionnelles : dynamiser et mieux cibler l'action publique, mars 2024, p. 27.

* 128 Article R. 6323-14-2 du code du travail.

* 129 Délibération n° 2022-09-206 du 29 septembre quant à la recommandation modificative relative aux règles et priorités de prise en charge des financements alloués aux projet de transition professionnelle engagés au titre du compte personnel de formation.

* 130 Igas, rapport précité, p. 65.

* 131 Idem.

* 132 L'article L. 2261-22 du code du travail dispose que pour être étendue, une convention de branche doit contenir des clauses portant notamment sur « les éléments essentiels servant à la détermination des classifications professionnelles et des niveaux de qualification ».

* 133 Article L. 2241-15 du code du travail.

* 134 Loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise.

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