B. LE FNE-FORMATION DANS SA CHRYSALIDE : DE MULTIPLES MUES AU GRÉ DES CRISES

1. Une mobilisation au rythme de la crise sanitaire, puis des plans de relance et de réduction des tensions de recrutement

Lors de la survenue de la crise du Covid-19, le Gouvernement a instauré, dès le mois de mars 2020 et alors que sévissait le « Grand confinement »7(*), des mesures exceptionnelles de soutien aux entreprises et aux salariés en matière de formation.

Il s'agissait de préserver et de développer les compétences des salariés pendant leurs périodes d'inactivité consécutives à leur placement en activité partielle du fait du confinement. À ce titre, le FNE-Formation a été non seulement mobilisé pour lutter contre les effets économiques de la crise sanitaire, mais également renforcé et élargi. En effet, la souplesse juridique de ce dispositif a permis de le transformer et de l'adapter dans des délais relativement courts afin de viser des secteurs et des objectifs spécifiques temporairement pendant la succession des crises sanitaire et économique.

Une instruction datée du 9 avril 20208(*), relative au renforcement du FNE-Formation durant la crise du Covid-19, a ainsi profondément transformé le dispositif. Mobilisé par convention entre l'État et les opérateurs de compétences (Opco) à destination des seules entreprises dont les salariés étaient placés en activité partielle, il a pu concerner toutes les entreprises, indépendamment de leur taille, et tous leurs salariés placés en activité partielle. À la fin de l'année 2020, le périmètre des entreprises éligibles a été élargi afin d'inclure les entreprises dont les salariés étaient placés en activité partielle de longue durée (APLD)9(*).

En 2021, le dispositif a été modifié et les conditions d'éligibilité de nouveau élargies pour préparer la sortie de crise. Le FNE-Formation a ainsi pu être mobilisé par des entreprises en difficulté dès le mois de janvier10(*), puis par les entreprises en mutation ou en reprise d'activité à compter du mois de septembre11(*).

À partir de 2021, les instructions ministérielles précisent que l'ensemble des salariés d'une entreprise éligible, y compris ceux qui ne sont pas placés en activité partielle, peuvent voir leurs parcours de formation financés par le FNE-Formation. La même année, l'accès aux parcours de formation a été assoupli, le dispositif a financé des parcours de formation plus structurés et plus longs.

En 2022, le dispositif poursuivant globalement sa mise en oeuvre comme l'année précédente, les conditions d'éligibilité et les paramètres du FNE-Formation n'ont pas évolué par rapport à 202112(*).

Évolution du nombre d'actions de formation, réparties par catégorie
de motif de recours au FNE-Formation entre 2020 et 2023

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

L'élargissement progressif des entreprises éligibles a accompagné une progressive réorientation du dispositif vers un soutien moins corrélé au placement en activité partielle et davantage calibré pour satisfaire les objectifs des plans de relance français et européen, puis du plan de réduction des tensions de recrutements.

Ainsi, la notion d'entreprise en difficulté renvoie à la définition du licenciement pour motif économique au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail. Une entreprise dont les indicateurs économiques sont en baisse, ou qui fait face à des mutations technologiques ou à une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité peut ainsi être considérée comme en difficulté - les entreprises qui cessent leur activité étant évidemment exclues du bénéficie du FNE-Formation. Une telle définition répond aux objectifs poursuivis par le plan de relance, qui était de préserver l'emploi et stimuler l'économie française en sortie de crise.

De même, la notion d'« entreprise en mutation » correspond aux sociétés qui font face à des mutations économiques ou technologiques importantes (transition écologique, énergétique, numérique) nécessitant de revoir leur organisation et de les accompagner par des formations adaptées. Les « entreprises en reprise d'activité » correspondent aux sociétés qui ont connu une baisse de leur activité à l'occasion de la crise sanitaire et qui connaissent une reprise nécessitant un soutien par des actions de formation adaptées à leurs besoins.

L'éligibilité de ces entreprises répondait non seulement à la nécessité d'accompagner la reprise économique en sortie de crise - incarnée par la notion de reprise d'activité, mais aussi à la volonté du Gouvernement de transformer progressivement le FNE-Formation en outil à la disposition des entreprises pour se préparer, durant les périodes de stabilité économique, aux mutations à venir de leur environnement technologique ou concurrentiel.

Les crédits ouverts au titre du FNE-Formation entre 2020 et 2021 témoignent de cette mobilisation.

Sur ces deux années, le tableau ci-dessous permet de constater, outre des crédits de paiement correspondant à des restes à payer prévisionnels au titre des exercices 2018-2019, le véritable « saut » quantitatif des crédits inscrits au titre du FNE-Formation à partir de 2020 dans le cadre de l'activité partielle durant la crise sanitaire, puis en 2021 et 2022.

En 2021, outre les 442,6 millions d'euros en AE et 201,1 millions d'euros en CP ouvert initialement au titre du plan de relance, la mise en oeuvre du plan de réduction des tensions de recrutement, en fin d'année, a conduit à l'ouverture d'une seconde enveloppe de 420,1 millions d'euros en AE et de 202,7 millions d'euros en CP, dont l'exécution devait s'étaler sur la fin de l'exercice 2021 et sur l'exercice suivant.

Crédits ouverts entre 2020 et 2022 au titre du FNE-Formation

(en millions d'euros)

Année d'ouverture

2020

2021

2022

AE

CP

AE

CP

AE

CP

2018

 

0,2

 

0,1

 

 

2019

 

1,0

 

0,0

 

0,2

2020

335,8

221,9

 

45,1

 

2,6

2021

 

 

442,6

201,1

 

153,0

2022

 

 

420,1

202,7

150,0

177,3

Total

335,8

223,1

862,7

448,9

150,0

333,0

Note : vision « Chorus ».

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

2. Un fonctionnement transformé par les profondes mutations du dispositif
a) L'évolution du cadre européen a permis d'adapter l'intensité de prise en charge au titre du FNE-Formation

Le FNE-Formation est soumis au droit commun des aides d'État selon les termes de l'article 31 du régime cadre exempté de notification (RGEC)13(*). Les financements publics des actions de formation au titre du FNE-Formation bénéficient ainsi de ce cadre dérogatoire depuis son entrée en vigueur.

Toutefois lors de la survenue de la crise sanitaire, l'Union européenne a décidé d'assouplir et d'étendre ces règles dérogatoires afin que les États puissent soutenir leur économie plus fortement en créant un régime d'encadrement temporaire des aides européennes édicté par la Commission le 9 décembre 202014(*). Ce « régime temporaire » était dans la plupart des cas sensiblement plus avantageux, puisqu'il permettait la prise en charge par le FNE-Formation de jusqu'à 100 % des frais exposés.

Depuis le 1er juillet 2021, les entreprises éligibles ont pu choisir le régime juridique le plus avantageux. Ainsi, elles avaient la possibilité d'opter soit pour le régime de l'encadrement temporaire des mesures d'aides d'État mis en place dans le cadre de la crise, soit pour le régime général d'exemption par catégorie s'il était plus favorable. Les taux et les modalités de prise en charge des différents régimes étaient les suivants :

Taux de cofinancement prévus par l'encadrement temporaire des aides d'État

Taille de l'entreprise

Activité partielle (AP)

Activité partielle de longue durée (APLD)

Entreprise en difficulté (ED)

Entreprise en mutation, en transition ou en reprise d'activité (MUT-REP)

< 300 salariés

100 %

100 %

100 %

100 %

De 300 à 1 000 salariés

70 %

80 %

70 %

70 %

> 1 000 salariés

70 %

80 %

40 %

40 %

Source : instructions DGEFP

Depuis le 1er juillet 2022, le taux de cofinancement est désormais fixé uniquement en application des dispositions du RGEC. Ainsi, les taux d'intensité sont abaissés à 70 %, 60 % et 50 %, décroissants avec la taille de l'entreprise, de sorte que la prise en charge des frais à 100 % n'est plus autorisée.

Le taux de prise en charge n'est toutefois pas le seul levier de financement dont disposent les Opco. Ceux-ci peuvent également déterminer, dans les limites fixées par le droit européen, l'assiette des coûts éligibles à la prise en charge (par exemple les frais de personnel des formateurs, leurs coûts de fonctionnement, les coûts des services de conseil liés à la formation, certains coûts indirects, etc.) Enfin, les Opco peuvent mobiliser des financements privés, issues de contributions volontaires ou conventionnelles des entreprises, pour compléter le financement issu du FNE-Formation ; mais tout cofinancement sur fonds publics est exclu.

b) Une gestion « reconcentrée » du FNE-Formation, déléguée aux opérateurs de compétence (Opco)

Avant le mois d'avril 2020, la gestion du FNE-Formation relevait des directions régionales de l'économie, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi (Direccte), qui établissaient des conventions avec des entreprises ou des opérateurs de compétence (Opco). Ainsi, il s'agissait d'un dispositif géré par l'État, mais selon des modalités déconcentrées.

En avril 2020 toutefois, afin de tenir compte de la surcharge de travail pour les services déconcentrés de l'État induite par l'instruction d'un volume massif de demandes d'activité partielle, le choix a été fait de laisser la possibilité aux Direccte de déléguer la gestion du FNE-Formation aux Opco, par un système de conventionnement.

Issus de la fusion des anciens organismes paritaires collecteurs agréés (Opca), prévue dans la loi « Avenir professionnel » de 201815(*), les Opco sont des structures agréées par l'État pour soutenir les entreprises dans le domaine de la gestion des compétences et de la formation. Ils sont administrés par un conseil d'administration paritaire réunissant des représentants d'organisations d'employeurs et d'organisations syndicales et concentrent 329 branches professionnelles réparties entre onze Opco.

Les opérateurs de compétence (Opco)

Les 20 organismes paritaires collecteurs agréés (Opca), qui étaient chargés de financer les différents dispositifs de formation professionnelle des salariés pour le compte de leurs branches professionnelles adhérentes, ont été transformés en 2019 en 11 opérateurs de compétences (Opco). Ils se sont vus retirer la mission de financer le compte personnel de formation - transférée à la Caisse des dépôts et consignations - et la mission de recouvrer la contribution unique au financement de la formation professionnelle et de l'alternance (Cufpa) - transférée aux Urssaf et à la Mutualité sociale agricole. En parallèle, ils sont désormais compétents pour assurer le financement à titre principal des centres de formation des apprentis. Les 11 Opco sont :

Afdas pour le secteur de la culture, les industries créatives, les médias, les télécommunications, le sport et les loisirs, auquel 23 branches et 68 466 entreprises ont adhéré, couvrant 584 302 salariés ;

Akto pour les entreprises à forte intensité de main d'oeuvre, auquel 27 branches et 180 922 entreprises ont adhéré, couvrant 8 302 201 salariés ;

Atlas pour les services financiers et de conseil, auquel 15 branches et 116 767 entreprises ont adhéré, couvrant 1 788 802 salariés ;

Constructys pour le secteur du bâtiment et de la construction, auquel 9 branches et 213 017 entreprises ont adhéré, couvrant 1 509 970 salariés ;

Opcommerce pour le secteur du commerce, auquel 20 branches et 97 847 entreprises ont adhéré, couvrant 1 452 454 salariés ;

Ocapiat pour le secteur agricole, l'industrie agroalimentaire et la pêche, auquel 50 branches et 185 341 entreprises ont adhéré, couvrant 1 284 230 salariés ;

Opco 2i pour le secteur interindustriel, auquel 32 branches et 63 528 entreprises ont adhéré, couvrant 2 849 790 salariés ;

Opco EP pour les entreprises de proximité, auquel 54 branches et 283 866 entreprises ont adhéré, couvrant 3 034 734 salariés ;

Opco Mobilités pour le secteur des transports, de l'automobile et de la logistique, auquel 21 branches et 83 278 entreprises ont adhéré, couvrant 1 402 718 salariés ;

Opco Santé pour le secteur privé de la santé, auquel 8 branches et 10 936 entreprises ont adhéré, couvrant 973 544 salariés ;

Uniformation pour le secteur de la cohésion sociale, auquel 20 branches et 31 961 entreprises ont adhéré, couvrant 1 165 218 salariés.

Source : DGEFP

En raison de la surcharge de travail liée à l'activité partielle au moment de la crise sanitaire, l'ensemble des Direccte a progressivement délégué la gestion du FNE-Formation aux Opco.

Cette délégation s'est révélée efficace du point de vue de la diminution du volume de travail des services déconcentrés de l'État, malgré un coût administratif important requis pour nouer une convention entre chaque région et chaque OPCO, soit 187 conventions régionales. Par ailleurs, un nombre considérable d'avenants ont été adoptés au rythme de l'évolution épidémique. Au vu de la lourdeur administrative pour l'établissement de chaque convention, depuis 2021 les conventions sont établies au niveau national.

Désormais, l'administration du FNE-Formation repose sur l'établissement de 11 conventions nationales entre l'État et chaque Opco. Outre la simplification administrative induite, la gestion au niveau national du FNE-Formation a rendu plus aisé le pilotage du dispositif, facilitant l'homogénéisation des pratiques.

Ainsi, l'État et les Opco ont signé au début de l'année 2021 une première convention-cadre, sur le fondement de laquelle une convention financière met en oeuvre la convention-cadre. Au rythme des nouveaux engagements et des réorientations du dispositif décidées dans les instructions ministérielles successives, ces deux conventions ont fait l'objet d'avenants. Ainsi, chaque convention-signée entre l'État et un Opco a fait l'objet de deux avenants, de même que chaque convention financière.

Les Opco sont ainsi chargés de l'instruction et de la validation des demandes de prise en charge des actions de formation au titre du FNE-Formation, dans les conditions prévues par les instructions successives. À ce titre, les conseils d'administration paritaires des Opco peuvent décider de toute mesure visant à optimiser la gestion des ressources qui leur sont confiées, y compris en précisant les priorités d'accès au FNE-Formation et les conditions de prise en charge des actions de formation - dans les limites fixées par la réglementation européenne (cf. supra).


* 7 International Monetary Fund, World Economic Outlook, April 2020: « The Great Lockdown ».

* 8 Instruction DGEFP du 9 avril 2020 relative au renforcement du FNE-Formation dans le cadre de la crise du Covid-19.

* 9 Instruction DGEFP du 9 novembre 2020 relative à la mise en place du FNE-Formation dans le cadre de l'activité partielle et de l'activité partielle de longue durée.

* 10 Instruction DGEFP n° D-21-002987 du 27 janvier 2021 relative à la mobilisation du FNE-Formation dans le cadre de parcours de formation.

* 11 Instruction DGEFP n° D-21-023831 du 7 septembre 2021 relative à la mobilisation du FNE-Formation et de la pro A pour financer les parcours de formation des salariés.

* 12 Instruction DGEFP n° D-22-004111 du 14 février 2022 relative à la mobilisation du FNE-Formation et de la pro A pour financer les parcours de formation des salariés.

* 13 Règlement n° 651/2014 du 17 juin 2014 modifié déclarant certaines catégories d'aide compatibles avec le marché commun en application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

* 14 Commission européenne, Aide d'État SA.56985 (2020/N) - France - Covid-19 : Régime cadre temporaire pour le soutien des entreprises.

* 15 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

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