B. ENVERS ET CONTRE TOUT, FAIRE MIEUX AVEC MOINS FACE À LA DIMINUTION DES MOYENS
Les développements qui vont suivre tenteront de trouver, malgré le retour de la contrainte budgétaire imposée par le Gouvernement et les circonstances, les voies permettant au FNE-Formation d'achever convenablement sa mue. Comme il est de rigueur en période de restrictions budgétaires, ces propositions ne prétendront pas apporter une réponse complète aux difficultés identifiées mais elles proposeront quelques pistes à la lumière des constats exposés au cours du présent rapport.
Les rapporteurs spéciaux résument leurs propositions en trois recommandations d'ordre général : stabiliser, varier, cibler.
1. Stabiliser : le FNE-Formation ne doit pas, à la sortie de sa métamorphose, s'être mué en éphémère
Pour les rapporteurs spéciaux, il convient d'abord de stabiliser le financement et le fonctionnement du FNE-Formation afin de limiter les effets de « stop and go » unanimement considérés comme préjudiciables au déploiement du dispositif.
Ils proposent, au vu des économies déjà réalisées en 2024, a minima maintenir les crédits dédiés au FNE-Formation à leur niveau résultant de la reprogrammation consécutive à la prise du décret du 21 février 2024, et considèrent que le FNE-Formation ne constitue pas un gisement d'économies viable pour l'avenir. Une nouvelle diminution des crédits du FNE-Formation risquerait de mener ce dispositif à rejoindre la marginalité d'où la crise sanitaire l'avait tiré, voire de provoquer sa disparition. Or il a été démontré que le FNE-Formation est un dispositif utile qui répond à des besoins qu'aucun autre dispositif ne prend en charge. Cette stabilisation des montants devrait en particulier permettre, en cohérence avec les priorités du Gouvernement, de sanctuariser les moyens alloués à l'industrie.
Au terme de sa métamorphose, le FNE-Formation se doit d'être non un éphémère, mais un lépidoptère.
Les rapporteurs spéciaux proposent également qu'il soit procédé, comme l'ont préconisé de nombreux Opco, à une budgétisation au moins biannuelle du FNE-Formation et à un conventionnement d'égale durée avec les Opco, pour améliorer la visibilité sur les montants et les orientations du dispositif.
En effet, les opérateurs de compétence entendus par les rapporteurs spéciaux ont relayé les difficultés rencontrées par les entreprises en l'absence de visibilité pluriannuelle et le souhait de leurs branches adhérentes de disposer d'une telle visibilité : pour citer l'Opco 2i, entendu par les rapporteurs spéciaux, « les entreprises ne peuvent malheureusement par décliner une vision stratégique à moyen terme et restent soumises à des enveloppes qui s'ouvrent et qui se ferment, sans possibilité d'anticipation et de construction dans la durée. »
Dans leur majorité, les Opco ont indiqué qu'une prévision budgétaire de deux ans, par exemple, leur permettrait d'informer convenablement les entreprises et les branches, de construire avec elles des parcours de formation plus pertinents et de réaliser des bilans tant quantitatifs que qualitatifs des actions de formation.
Cette recommandation est d'autant plus aisée à mettre en oeuvre que le FNE-Formation a déjà fait l'objet d'une contractualisation pluriannuelle, pour les années 2021 et 2022 - ce qui n'a d'ailleurs pas empêché de modifier les enveloppes en cours d'exécution. Il pourrait être objecté qu'une budgétisation pluriannuelle ne se justifie pas du fait des incertitudes résultants des besoins d'économies liées à la conjoncture, mais les rapporteurs spéciaux considèrent que le FNE-Formation, qui vient déjà de contribuer à l'effort de redressement des finances publiques, pourrait à l'avenir être épargné.
Une budgétisation pluriannuelle devrait être accompagnée d'une contractualisation de même durée. Définie en amont, sous réserve du vote de la loi de finances et de quelques ajustements à la marge, l'enveloppe allouée au FNE-Formation pourrait ainsi être mise à disposition en début d'année, évitant ainsi les retards dans la disponibilité des crédits qui ont caractérisé l'exécution du FNE-Formation en 2023.
Enfin, les rapporteurs spéciaux recommandent de ne plus modifier qu'à la marge le fonctionnement et l'orientation générale du FNE-Formation, qui paraissent pertinents en l'état. En effet, certains Opco ont constaté, en 2021 puis en 2023, que les modifications profondes apportées au dispositif avaient généré des phénomènes de reports de projets de formation de la part des entreprises du fait de l'instabilité des plans de financements associés.
Ils se félicitent à ce titre que le projet d'instruction pour 2024 que leur a communiqué la DGEFP ne comporte que de très mineures modifications par rapport à l'instruction pour 2023. Une instruction sans limite de validité pourrait ainsi être adoptée, gage d'une plus grande stabilité du dispositif.
Recommandation n° 1 : Stabiliser le financement et le fonctionnement du FNE-Formation pour limiter les effets de « stop and go » :
- A minima maintenir les crédits dédiés au FNE-Formation à leur niveau actualisé pour 2024 ;
- Procéder à une budgétisation au moins biannuelle du FNE-Formation et à un conventionnement d'égale durée avec les opérateurs de compétences (Opco), pour améliorer la visibilité sur les montants et les orientations du dispositif ;
- Mettre les crédits conventionnés à disposition des Opco dès le début de l'exercice en cours, afin d'éviter les retards et les ruptures de mise en oeuvre ;
- À moyen terme, ne plus modifier le fonctionnement du FNE-Formation qu'à la marge.
2. Varier : les branches professionnelles qui le peuvent pourraient s'appuyer davantage sur leurs contributions conventionnelles
Le FNE-Formation, soumis au RGEC, ne peut pas faire l'objet de cofinancements publics. Toutefois, le FNE-Formation ne pouvant pas prendre en charge 100 % des coûts d'une formation depuis le 1er juillet 2022, des cofinancements privés sont indispensables. Ils peuvent venir de l'employeur, dont la participation couvre en général le « reste à charge » non financé par le FNE-Formation ; ils peuvent également venir de contributions volontaires des entreprises ou de contributions conventionnelles, décidées par les branches professionnelles.
En effet, outre la contribution unique à la formation professionnelle et l'apprentissage (Cufpa), ressource publique mutualisée pour financer les actions de formations dans les entreprises de plus de 50 salariés, les branches peuvent également décider, librement, de procéder à des contributions conventionnelles supplémentaire aux mains des Opco. Ces fonds, qui ne sont pas issus d'un prélèvement obligatoire, demeurent des fonds privés et peuvent donc être utilisés en complément du FNE-Formation, comme cela a déjà été dit.
Ainsi, les Opco Akto, Constructys, Opco Mobilités, Atlas, EP ou encore Uniformation - pour ne citer qu'eux - ont indiqué avoir mobilisé des ressources issues de contributions volontaires des branches pour compléter les financements issus du FNE-Formation, avec des enveloppes allant de quelques centaines de milliers d'euros à une dizaine de millions d'euros.
Les rapporteurs spéciaux recommandent de mobiliser davantage, pour les branches qui le peuvent, les fonds conventionnels en complément des crédits du FNE-Formation.
Cette option, discutée lors de l'audition de plusieurs Opco, n'a pas fait consensus, de nombreux opérateurs de compétence relayant une certaine lassitude ressentie dans leur branche. En effet, les contributions des entreprises à la formation ne bénéficient pas toujours à ceux qui les acquittent. Ainsi, la Cufpa est due par l'ensemble des entreprises mais ne bénéficie qu'aux entreprises de moins de 50 salariés. Dans ce contexte, les rapporteurs spéciaux concèdent qu'il peut être difficilement audible, pour certaines entreprises de taille moyenne, de contribuer davantage alors même que les fonds publics qui leur sont destinés se tarissent.
Les rapporteurs spéciaux recommandent toutefois, lorsque des accords sectoriels apparaissent possibles, d'encourager le développement des contributions conventionnelles à mobiliser en complément du FNE-Formation.
Enfin, les rapporteurs spéciaux recommandent d'orienter les entreprises de moins de 50 salariés en priorité vers des sources de financement alternatives qui leur sont spécifiquement dédiées, comme le plan de développement des compétences (PDC-50). Les rapporteurs soulignent à ce titre que la diminution de la part des actions de formation financées en faveur d'entreprises de moins de 50 salariés - elle est passée de 37,3 % en 2020 à 29,5 % en 2023 - semble indiquer que la complémentarité entre le FNE-Formation et le PDC-50 est de plus en plus recherchée. Ils appellent à poursuivre cette tendance, à condition que les fonds soient bien redéployés vers des entreprises de moins de 250 salariés.
Recommandation n° 2 : Mobiliser, lorsque cela est possible, des financements alternatifs ou complémentaires au FNE-Formation :
- Recourir davantage aux fonds conventionnels, afin de compléter les financements du FNE-Formation ;
- Orienter les entreprises de moins de 50 salariés pour recourir en priorité, à des financements alternatifs, comme le plan de développement des compétences.
3. Cibler : les fonds doivent bénéficier d'abord aux publics et aux formations prioritaires
a) Cibler les formations les plus stratégiques, au sein des transitions jugées prioritaires par chaque Opco
Enfin, les rapporteurs spéciaux recommandent de procéder à un ciblage précis des fonds engagés au titre du FNE-Formation en faveur des actions de formation qui répondent le mieux à ces objectifs. Un tel ciblage paraît indispensable pour concilier à la fois les contraintes découlant du décret d'annulation du 12 février 2024 et la volonté d'accroître l'efficacité du dispositif.
Les Opco, gestionnaires du FNE-Formation, sont en première ligne pour assurer un ciblage efficient des crédits qui leurs sont délégués, en fonction de leurs priorités.
D'abord, les conseils d'administration des Opco sont en capacité de définir des priorités de financement, faculté à laquelle ils ont souvent recours. Ainsi, certains Opco ont indiqué circonscrire leur prise en charge aux formations répondant à l'une ou l'autre des « transitions » ou thématiques mises en avant par l'administration. Ainsi, l'Opco Mobilités a défini la transition énergétique et l'organisation des grands événements sportifs comme ses priorités ; l'Opco Atlas envisage de faire de même en faveur des transitions écologiques et numériques.
Enfin, au sein de chaque transition, le ciblage des formations jugées les plus stratégiques permettrait de concentrer les moyens sur les actions prioritaires. Ainsi, la DGEFP avait indiqué que les formations bureautiques, qui avait parfois été financées par le FNE-Formation pendant et en sortie de la crise sanitaire, n'étaient désormais plus éligibles, les formations en intelligence artificielle et en cybersécurité étant les principales visées par le nouvel axe « Transition numérique ». Un strict ciblage vers ces formations stratégiques devrait, au vu de la contrainte budgétaire, être poursuivi.
b) Réduire l'assiette des coûts éligibles et plafonner les niveaux de prise en charge pour compenser la baisse des moyens
Une réponse envisagée, et parfois déjà pratiquée par les Opco pour faire face à la baisse des crédits, consiste à réduire l'assiette des coûts éligibles à la prise en charge par le FNE-Formation afin de financer en priorité les coûts directement liés à la formation, et non les coûts annexes. Ainsi, certains Opco ont financés exclusivement les coûts pédagogiques, comme l'Opco 2i, d'autres ont accepté de prendre également en charge les coûts salariaux des stagiaires. Comme l'indique l'Opco EP, les frais annexes (déplacement, hébergement, restauration, etc.) peuvent relativement aisément être sortis de l'assiette des coûts éligibles, dans la mesure où cela évite également à l'Opco de mener un travail d'instruction, de suivi et de contrôle conséquent.
D'autres Opco, comme l'Opco EP ou encore Akto ont en outre décidé d'encadrer la prise en charge des coûts pédagogiques, par exemple en fixant un plafond de prise en charge, ou en prenant en charge un montant forfaitaire des coûts salariaux des stagiaires. Ainsi, un Opco, invoquant « la raréfaction des crédits accordés par l'État », a indiqué avoir défini un montant forfaitaire de prise en charge de 12 euros par heure pour les coûts salariaux et un plafond de 2 500 euros hors taxe par jour pour les coûts pédagogiques.
Bien employés, ces mécanismes de plafonnement peuvent en outre constituer une incitation pour les entreprises à recourir à des formations moins coûteuses, le montant forfaitaire de prise en charge des coûts salariaux incitant même les entreprises, toutes choses égales par ailleurs, à former leurs salariés les moins bien rémunérés.
Le ciblage de la prise en charge sur un nombre plus limité de coûts éligibles, pourrait en tout état de cause permettre de mieux faire face à la baisse des crédits, tout en continuant de faire bénéficier de ces formations le plus grand nombre de salariés et d'entreprises.
c) Moduler le taux de prise en charge, pour soutenir davantage les formations répondant aux priorités identifiées
Enfin, les Opco disposent de la faculté de moduler les taux de prise en charge des formations en fonction des priorités identifiées. Ainsi, l'Opco du secteur agricole, OCAPIAT, a indiqué avoir introduit une modulation de l'ordre de 5 % à 10 % du taux de cofinancement public selon que les formations sont - ou non - destinées à des publics seniors.
Taux de cofinancement prévus par
OCAPIAT
selon que les formations bénéficient ou non à
des publics séniors
Taille de l'entreprise |
Petite entreprise* |
Moyenne entreprise** |
Grande entreprise*** |
|||
Tous publics |
Publics seniors |
Tous publics |
Publics seniors |
Tous publics |
Publics seniors |
|
Taux de cofinancement public |
65 % |
70 % |
50 % |
60 % |
40 % |
50 % |
*Entreprise qui emploie moins de 50 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 10 millions d'euros.
**Entreprise qui emploie moins de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions d'euros.
***Entreprise n'entrant pas dans les deux premières catégories.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par OCAPIAT
Cette modulation, qui entre dans les attributions de l'Opco en tant que gestionnaire du dispositif - dans les limites imposées par le RGEC - n'a à la connaissance des rapporteurs spéciaux été mise en oeuvre que par OCAPIAT. Réalisée à la baisse, elle permet de concentrer le soutien public sur les priorités définies par l'administration centrale dans ses instructions, tout en diminuant la participation du FNE-Formation au financement de formations qui ne concernent pas les publics prioritaires.
OCAPIAT indique d'ailleurs que cette modulation du taux de cofinancement a atteint son objectif, dans la mesure où la part des séniors parmi les bénéficiaires a augmenté de 12,6 % en 2021-2022 à 15 % en 2023.
En ce sens, la modulation du taux de prise en charge permet à la fois de s'adapter à la raréfaction des financements publics et de piloter le dispositif dans un sens plus favorable à l'atteinte de ses objectifs.
Recommandation n° 3 : Cibler les prises en charge au titre du FNE-Formation vers les formations, les coûts et les publics prioritaires :
- Cibler les formations les plus stratégiques au sein des transitions jugées prioritaires par chaque Opco ;
- Réduire l'assiette des coûts éligibles à la prise en charge par le FNE-Formation et plafonner les niveaux de prise en charge ;
- Moduler les taux de prise en charge des formations en fonction des priorités identifiées, dans une double perspective d'économies et de ciblage des crédits.