B. APPORTER UN SOUTIEN PUBLIC FORT AU DÉPLOIEMENT DE L'IA EN SANTÉ
Il existe aujourd'hui un foisonnement d'initiatives pour déployer des IA dans le secteur de la santé, avec des technologies très variées : apprentissage machine, apprentissage profond, réseaux de neurones. Nous en sommes à un stade encore largement expérimental, fait de tâtonnements et d'ajustements, mais aussi de changements rapides.
Le rejet de ces nouvelles techniques n'est une option ni réaliste ni juste. Il est évident que des outils efficaces seront adoptés par les médecins et les patients. Il ne serait par ailleurs pas éthique de refuser d'utiliser l'IA si celle-ci permet de « mieux soigner ».
Les domaines des applications numériques de santé recensées par France Biotech sont très divers et cet outillage supplémentaire devrait se révéler globalement utile.
Annoncée en 2018 à la suite du rapport Villani, la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle (SNIA) visait à positionner la France comme un des leaders européens et mondiaux de l'IA et s'appuyait sur les financements du plan France 2030. La santé constitue l'un des volets importants de cette stratégie.
Sur le plan du pilotage et de la gouvernance, la France s'est ainsi dotée en 2019 (stratégie Ma Santé 2022) d'une Délégation au numérique en santé (DNS) devenue direction d'administration centrale du ministère de la santé en mai 2023, ainsi que d'une Agence de l'innovation en santé (AIS), créée en 2022 et chargée notamment de suivre le volet santé de France 2030 (environ 10 % de l'enveloppe globale des 54 milliards d'euros du plan) ainsi que de faciliter les démarches des porteurs de projets. Lors de son audition, l'AIS a précisé accompagner aujourd'hui une quarantaine de projets innovants en santé, parmi lesquels la moitié utilisent des technologies d'IA.
L'objectif consiste à tirer parti des innovations pour améliorer la santé, mais aussi à se doter d'un tissu économique capable de porter ces innovations. Il s'agit de tirer parti de l'excellence de nos laboratoires et de nos chercheurs en santé et biotechnologies pour développer les pépites technologiques de demain et ne pas voir fuir la valeur créée aux États-Unis ou en Chine.
Le rapport de mars 2024 de la Commission de l'intelligence artificielle40(*), présidée par Philippe Aghion et Anne Bouverot, entendus par la délégation à la prospective du Sénat le 26 mars 202441(*), pointe bien cette difficulté en indiquant que « la France et l'Europe encourent le risque d'un rapide déclassement économique », ajoutant que « le retard en matière d'intelligence artificielle porte atteinte à notre souveraineté. Une faible maîtrise de la technologie implique effectivement un lien à sens unique vis-à-vis des autres pays. »
Le développement de solutions numériques en santé exploitant le potentiel de l'IA est un axe majeur pour les entreprises du secteur de la santé, mais il se heurte aux difficultés de financement, au moins dans les premières phases de tests et de montée en puissance.
Des financements privés sont mobilisés à travers les levées de fonds opérées par les sociétés de la « healthtech ». En Europe et aux États-Unis, celles-ci ont atteint plus de 55 milliards d'euros en 2021 (dont les 2/3 par des sociétés américaines) ; ce chiffre est retombé à 29,5 milliards d'euros en 2022 et 23,7 milliards d'euros en 2023. En France, on est passé de 2,6 milliards d'euros en 2022 à 1,76 milliard d'euros en 2023, d'après le panorama 2024 dressé par France Biotech, l'association fédérant les entreprises du secteur de la santé.
Des soutiens publics sont donc également nécessaires pour suppléer ou compléter un financement privé insuffisant. D'après l'AIS, la stratégie d'accélération santé numérique (SASN) a permis de soutenir en deux ans 148 projets pour 320 millions d'euros d'aides. Les financements publics favorisant l'IA en santé peuvent s'appuyer notamment sur le programme d'équipement prioritaire de recherche (PEPR) Santé numérique doté de 60 millions d'euros, le financement des entrepôts de données de santé pour 75 millions d'euros, l'appel à manifestation d'intérêt « compétences et métiers d'avenir » pour 10 millions d'euros, le grand défi IA doté de 30 millions d'euros sur le volet santé ou encore le projet important d'intérêt commun européen commun (PIIEC) doté de 80 millions d'euros. L'AIS estime le montant total d'investissements publics dans l'IA en santé à environ 400 millions d'euros depuis le lancement des programmes d'investissement d'avenir (PIA).
Un exemple de projet soutenu : MediTwin
Annoncé fin 2023, le projet MediTwin vise à développer une plateforme européenne et souveraine de services pour l'aide à la décision médicale. Il regroupe 13 partenaires (1 industriel : Dassault Systèmes, 3 startups, 1 organisme de recherche, 7 IHU et 1 CHU).
Il repose sur la virtualisation des organes et des systèmes physio-pathologiques à partir des données médicales pour une amélioration de l'efficience des soins ainsi que de l'efficacité et la sécurité des pratiques médicales, reposant sur la capacité à prédire l'évolution et le succès des différentes interventions possibles.
Dans le cadre du projet, sept cas d'usage seront développés dans différentes pathologies (notamment en oncologie, neurologie dont Alzheimer, cardio-vasculaire) pour permettre aux spécialistes de partager les données sur les patients, d'apporter une réponse à la fragmentation actuelle des connaissances ainsi que des savoir-faire complexes, d'améliorer l'accès et l'égalité aux soins des patients, sans oublier d'améliorer aussi les conditions de travail du personnel soignant.
Dans le cadre de France 2030, MediTwin bénéficiera de 2024 à 2029 d'un financement public représentant un levier fort pour soutenir le développement de la filière santé numérique, avec l'objectif de transformer un marché intérieur français en un secteur économique exportateur et innovant.
Source : Agence de l'innovation en santé
* 40 Philippe Aghion, Anne Bouverot, IA : notre ambition pour la France, 15 mars 2024 ; https://www.vie-publique.fr/rapport/293444-ia-notre-ambition-pour-la-france.
* 41 Audition de Philippe Aghion et Anne Bouverot, co-présidents de la Commission de l'intelligence artificielle, par la délégation à la prospective, le 26 mars 2024 ; https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240325/pro_2024_03_26.html.