V. REDONNER SA JUSTE PLACE AU RENSEIGNEMENT
Le rapporteur l'a rappelé en introduction : dans la lutte contre le narcotrafic, la France se situe à un point de bascule. Plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête ont dressé une analogie entre la prise de conscience du risque terroriste après les attentats de 2015 et l'actuelle prise de conscience de la dangerosité du narcotrafic et des risques qu'il fait peser sur nos institutions. Pour Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, « le narcotrafic constitue bien un risque d'atteinte aux institutions, et un risque de déstabilisation de l'État »760(*).
Dans ce contexte, le renseignement doit retrouver sa juste place et le narcotrafic être traité pour ce qu'il est vraiment, à savoir une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation.
A. RECONNAÎTRE ET SANCTUARISER LE RÔLE DU RENSEIGNEMENT ADMINISTRATIF
Considérer que le narcotrafic constitue une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation appelle deux réflexions complémentaires : l'une sur la place du renseignement dans la lutte contre ce phénomène, l'autre sur l'articulation entre le renseignement et le judiciaire - les deux étant liées.
Pleinement consciente de l'importance de chacun, la commission d'enquête s'est attachée à défendre, dans ses propositions, le maintien d'une distinction claire entre ce qui relève du renseignement et ce qui relève du judiciaire, condition sine qua non de la solidité des procédures pénales et, surtout, de la garantie des droits des citoyens.
1. Assumer l'importance du renseignement administratif pour la lutte contre le narcotrafic
Police nationale, gendarmerie nationale, douanes, Ofast : tous ont confirmé en audition, quelles que soient leurs fonctions, l'importance cruciale que revêt l'approche du renseignement en matière de narcotrafic. L'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure (CSI) le permet : la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées fait partie des finalités justifiant le recours aux techniques prévues dans le CSI pour recueillir des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. C'est la « finalité 6 ».
a) Rationaliser l'intervention de chacun des acteurs
Dans ce contexte, la commission d'enquête s'est longuement interrogée sur le fait qu'en l'absence de la pleine implication de la DGSI dans la lutte contre le narcotrafic, cette mission était prioritairement assurée par deux services du premier cercle relevant non pas du ministère de l'intérieur mais de celui de l'économie et des finances, à savoir la DNRED et Tracfin. Elle n'a pas obtenu de réponse claire de la part des ministres, de la DGPN, de la DGGN ou de l'Ofast, si ce n'est pour dire que la coordination était quotidienne et qu'elle se passait bien, ce qui n'est pas toujours vrai sur le terrain.
L'Ofast est une instance encore jeune, qui doit assurer ce lien entre l'ensemble des services de renseignement et assumer un rôle de chef de file en matière de renseignement dans le domaine de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Son positionnement est toutefois particulier puisque l'Office doit coordonner et discuter avec des services du premier cercle alors qu'il dispose en son sein d'un service du second cercle - le pôle renseignement - dont la professionnalisation n'est d'ailleurs pas sans susciter quelques doutes qui ont au demeurant déjà été exprimés. Le pôle a néanmoins reçu bien plus de notes opérationnelles (76) et de notes stratégiques (48) en 2023 qu'en 2022 (respectivement 14 et 6), signe peut-être que les services du premier cercle commencent à s'habituer à ce chef-de-filat.
En dépit des critiques qu'elle peut soulever, la commission d'enquête considère que la structure actuelle des intervenants doit être conservée, ne serait-ce que pour éviter la perte de temps qu'induirait la recomposition des capacités dans de nouveaux services ou ministères. Pour autant, pour éviter les doublons et tirer au mieux profit des compétences de tous, la coordination doit être encore plus structurée et conduire à rationaliser les interventions de chacun des services, en fonction de leur positionnement, de leur expérience, de leur capacité à exploiter le renseignement concerné.
Annoncée au stade de projet par la cheffe de l'Office anti-stupéfiants761(*), la convention entre l'Ofast et la DNRED doit être finalisée au plus vite et déboucher sur une véritable doctrine d'emploi permettant d'articuler leur travail au quotidien.
b) Remobiliser les services du premier cercle, et notamment la DGSI
La commission d'enquête en est convaincue, le narcotrafic constitue aujourd'hui une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation. À ce titre, la DGSI doit y prendre toute sa part, tout comme l'ensemble des services du premier cercle dans leurs champs de compétences respectifs. Lors de ses premières auditions, la commission d'enquête a été très étonnée d'apprendre que plusieurs services répressifs n'avaient absolument aucun contact avec la DGSI s'agissant de la lutte contre le trafic de stupéfiants, les échanges ayant lieu en priorité avec la DNRED et l'Ofast. La DGSI semble ainsi avoir « déserté » le champ de la lutte contre le narcotrafic, sauf en ce qui concerne l'appui au déploiement des techniques de renseignement.
Lors de son audition, le directeur général de la police nationale a néanmoins déclaré que le ministre de l'intérieur avait demandé à la DGSI de s'investir sur tous les sujets touchant à la lutte contre les trafics de stupéfiants762(*). Pour autant, de fortes incertitudes demeurent sur la portée concrète de cette affirmation et sur ses conséquences pour les autres services des premier et second cercles. Les propos de Gérald Darmanin en audition sont loin d'avoir rassuré la commission d'enquête : plutôt que de plaider pour un renforcement de la DGSI, celui-ci s'est interrogé sur la possibilité de transformer l'Ofast en organisme de renseignement criminel, « comme la DGSI pour le terrorisme »763(*).
Lors de son audition à huis clos, la directrice générale, Céline Berthon, a effectivement souligné que la DGSI n'est pas en première ligne dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, pour ce qui concerne notamment la production du renseignement et son analyse, mais qu'elle apporte son concours technique aux services prioritairement chargés de cette mission. Toujours selon ses déclarations, elle ne fait face en l'espèce à aucune contrainte capacitaire ou budgétaire : elle peut répondre à l'ensemble des demandes et les seuls refus proviennent d'une infaisabilité opérationnelle764(*).
Ces éléments témoignent d'une situation paradoxale au terme de laquelle la DGSI semble avoir délaissé la prévention de la menace susceptible d'être posée par la criminalité organisée, et en particulier par le narcotrafic, mais en a tout de même pleinement conscience puisqu'elle reçoit de la part des services du second cercle ou des services d'enquête des demandes de « piégeage », pour intercepter les communications cryptées. S'il y a besoin de déchiffrer un réseau de communication utilisé par des narcotrafiquants, c'est que la menace s'est concrétisée.
Par ailleurs, dans l'hypothèse où, dans le cadre de ses autres missions de renseignement, la DGSI croise une information liée au trafic de stupéfiants et que cette information est d'intérêt, elle la partage avec l'Ofast, donc avec un service de renseignement du second cercle, avec un formalisme renforcé. Pour les informations de plus « petit » niveau, elle peut les partager avec les services de la police et de la gendarmerie nationales. Plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête ont toutefois souligné que ces échanges étaient rares.
Si le rôle de la DGSI est au coeur des interrogations sur la remobilisation des services du premier cercle, le rapporteur ne peut s'empêcher de mentionner le cas de la DNRED. Au 1er juillet 2024, cette dernière verra ses compétences être élargies au recueil, au traitement et à la diffusion du renseignement en matière de fraude fiscale grave et complexe et de son blanchiment pour le compte de la direction générale des finances publiques765(*). Cette annonce n'est pas sans susciter un certain étonnement :
· il y a tout d'abord une incertitude sur le fondement juridique de cette extension, les techniques de recueil de renseignement ne pouvant pas être utilisées pour lutter contre la fraude766(*) ;
· se pose ensuite la question d'un éventuel renforcement des moyens de la DNRED pour accomplir cette mission, en parallèle de celles dont elle a déjà la charge ;
· par ailleurs, la question de la coopération avec Tracfin et du partage des tâches entre ces deux services du premier cercle doit encore être posée, tout comme celle de la coopération avec l'Ofast si le renseignement fiscal, recueilli pour le compte de la DGFiP, porte sur un dossier de stupéfiants ;
· enfin, et comme cela a été rappelé, les volets financier et patrimonial sont primordiaux pour s'attaquer aux narcotrafiquants et assécher leurs capacités financières ; développer le renseignement fiscal pourrait donc permettre de donner un nouvel élan à cette approche. Or, il est précisé que la cellule de renseignement fiscal ne travaillera que pour le compte de la DGFiP, ce qui implique logiquement, mais de manière assez surprenante, qu'elle ne pourra pas travailler avec la police et la gendarmerie en tant que de besoin, ni avec l'Ofast. Pire encore : ses relations avec les douanes elles-mêmes ne sont pas claires, et la commission d'enquête n'a pas obtenu d'éléments précis quant à la possibilité pour cette structure (théoriquement limitée à intervenir « pour le compte de la DGFiP », aux termes de son arrêté de création) d'interagir avec les services douaniers en charge de la lutte contre les stupéfiants...
Aucun de ces points n'a été clarifié par le Gouvernement.
c) Le renseignement maritime, un atout à ne pas négliger
Tout travail de renseignement n'a pas vocation à déboucher sur un dossier judiciaire : c'est particulièrement le cas pour le renseignement maritime767(*). Comme on l'a vu, la France ne dispose pas toujours de la compétence territoriale pour intervenir mais peut partager ses informations avec des autorités et des agences étrangères, par exemple dans le cadre du MAOC-N ou du CeCLAD, donnant lieu à des interceptions par les pays compétents.
L'Ofast aurait ainsi participé, de par son activité de renseignement, à l'interception de près de 12 tonnes de cocaïne en mer en 2023768(*).
2. Inverser la dynamique entre le judiciaire et le renseignement
a) Mettre les services de renseignement au service des services d'enquête
En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, la finalité du renseignement doit principalement être la judiciarisation, pour parvenir à démanteler les réseaux et à mettre hors d'état de nuire les trafiquants, que ce soit pénalement ou financièrement. C'est là d'ailleurs une différence de taille avec la lutte contre le terrorisme, pour lequel d'autres modes d'entrave que l'action judiciaire peuvent être envisagés : à l'inverse, pour le narcotrafic (qui constitue par définition une infraction pénale dès la réalisation des premiers actes préparatoires), il n'est pas possible d'envisager le recours à une entrave autre que judiciaire in fine (voir supra).
Cette différence suppose que les services de renseignement se mettent, en matière de narcotrafic, « au service des services d'enquête ». Les renseignements obtenus doivent permettre d'alimenter l'enquête judiciaire conduite sous l'autorité du parquet ou d'un juge d'instruction tandis que la judiciarisation doit intervenir suffisamment tôt pour ne pas entraver le travail d'enquête. Pour ce faire, et ainsi que l'explique Damien Brunet, les services doivent d'emblée s'inscrire « dans une logique d'exploitation judiciaire ultérieure » et respecter « certains principes d'administration de la preuve, tels que l'absence de provocation à la commission de l'infraction »769(*). Pourrait être ajouté le soin à apporter au suivi des dossiers pour éviter tout dépérissement des preuves ou pour rédiger correctement les procès-verbaux770(*). Cela nécessite un effort de formation et une sensibilisation de l'ensemble des services, à l'instar de la démarche qu'avait engagée Tracfin à cet effet par le passé.
De fait, il est impératif que l'ensemble des services de renseignement concernés échangent le plus en amont possible avec l'autorité judiciaire, et notamment avec les Jirs et la Junalco, pour l'informer de certains éléments qui donneront lieu à l'ouverture d'une enquête ou pour qu'ils échangent ensemble sur les dossiers qui pourraient donner lieu à une judiciarisation. Cela implique de dépasser des différences culturelles ancrées de longue date, notamment au sein des services de renseignement.
Si la commission d'enquête a bien conscience que cela peut constituer une petite révolution pour ces services, attachés à leurs prérogatives et à la culture du secret, elle rappelle que certains d'entre eux, au niveau local ou central, ont déjà entamé de telles démarches, et que c'est un impératif pour fiabiliser les dossiers judiciaires et donc, à terme, pour parvenir à démanteler les filières du narcotrafic.
Il importe, à cet égard, de donner aux magistrats la capacité juridique d'être destinataires des informations, même classifiées, que détiennent les services de renseignement. La commission d'enquête se rallie à la proposition faite sur ce sujet par François Molins771(*), qui suggérait de « conférer l'habilitation “confidentiel défense” à tous les magistrats du ministère public travaillant dans les juridictions interrégionales spécialisées », ce qui leur permettrait d'« accéder à l'ensemble des notes de renseignement régulièrement émises par la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) » mais aussi, voire surtout, de « discuter avec les membres de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) lorsque des problématiques de délimitation entre le judiciaire et le renseignement émergent », la bonne gestion de cette délimitation étant - comme on l'aura compris - essentielle aux yeux de la commission.
b) Exploiter davantage les informations collectées en judiciaire
(1) Potentialiser les éléments recueillis dans les dossiers judiciaires
Si la judiciarisation du renseignement est primordiale en matière de lutte contre le narcotrafic, symétriquement, et pour reprendre le néologisme employé par Guillaume Valette-Valla, alors directeur de Tracfin, « “renseignariser” le judiciaire » doit également devenir un nouveau réflexe772(*). Cette approche repose sur le constat que les dossiers d'enquêtes judiciaires peuvent contenir de nombreuses informations dont ne disposent pas les services de renseignement ou de nombreux « signaux faibles » qui n'ont pas été exploités en procédure mais qui peuvent se révéler précieux pour ces services.
La commission d'enquête entrevoit deux niveaux d'action.
Le premier est informel, dans le sens où il dérive d'initiatives locales, basées sur la coordination entre les acteurs d'un même ressort. À titre d'exemple, la DNRED a mené une démarche proactive auprès de la Jirs de Marseille pour exploiter les informations recueillies dans le cadre d'enquêtes judiciaires liées à la criminalité portuaire773(*). L'objectif est ne plus laisser aucune information remontante non exploitée et de créer un maillage de renseignements indirects pour lever les doutes, y compris sur d'éventuelles complicités internes au milieu portuaire. La même chose a été mise en place avec la Jirs de Fort-de-France, où les services de la DNRED sont en contact hebdomadaire avec le parquet pour pouvoir échanger de manière informelle sur les sujets susceptibles d'émerger774(*), ainsi qu'avec la Jirs de Lille, où les échanges permettent au parquet de faire des arbitrages plus pertinents quant au cadre à privilégier et à la temporalité de la judiciarisation775(*).
Le second est formel et consisterait à répliquer à la criminalité organisée les dispositions applicables en matière de terrorisme. L'article 706-25-2 du code de procédure pénale a en effet mis en place une sorte de dispositif de feed-back de renseignements judiciaires aux services de renseignement, par dérogation au principe du secret des procédures judiciaires776(*).
Ce dispositif serait préférable à celui qui existe aujourd'hui pour la criminalité organisée à l'article 706-105-1 du code de procédure pénale et qui présente, ainsi que l'a souligné Damien Brunet777(*), bien trop de fragilités juridiques pour pouvoir être pleinement mobilisé puisqu'il :
· est réservé à la Junalco ;
· exclut certaines infractions dont le meurtre en bande organisée, les tortures et actes de barbarie en bande organisée ou encore l'enlèvement et séquestration en bande organisée ;
· autorise la transmission de ces informations aux services du second cercle de renseignement. Or, contrairement aux dispositions prévues pour le terrorisme, il n'interdit pas que ces informations soient ensuite retransmises aux autres services n'appartenant pas à la communauté du renseignement.
La commission d'enquête et estime que le champ des destinataires pourrait être restreint afin de rendre le dispositif plus attractif et plus rassurant pour les services concernés. À tout le moins, les services du second cercle pourraient devoir justifier de la nécessité de disposer de ces informations pour leurs missions exclusives de celles des services du premier cercle.
La « renseignarisation » du judiciaire ne doit enfin pas conduire à ce qu'un service de renseignement interfère avec une autre procédure judiciaire. Un mécanisme de suivi sera donc indispensable et, là encore, l'échange d'informations sera primordial778(*).
(2) Développer l'intelligence artificielle
À l'instar de ce qui a déjà pu être présenté pour les services d'enquête, l'intelligence artificielle est devenue une innovation clé pour les services de renseignement : les systèmes d'intelligence artificielle sont désormais incontournables pour le prétraitement de la très grande quantité de données produites par les capteurs du renseignement.
Les volumes interceptés ne permettent plus un traitement seulement « humain » : l'intelligence artificielle vient donc appuyer le travail des services de renseignement en triant les données pour mettre en évidence celles qui sont le plus susceptibles d'être utiles. Deux logiques sont poursuivies : la mise en évidence d'éléments qui ont de fortes probabilités de correspondre à un modèle connu et l'identification d'anomalies ou de groupes comportementaux779(*).
Enfin, sur un sujet connexe, le rapporteur s'est intéressé aux potentialités du renseignement algorithmique, aujourd'hui réservé à la lutte contre le terrorisme.
La technique de renseignement algorithmique
Autorisée par l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, la technique de renseignement algorithmique consiste à installer des traitements automatisés sur les réseaux des opérateurs dans le but de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Les données de connexion concernent autant les données de téléphonique que celles de navigation sur internet.
Cette technique de renseignement fonctionne en deux temps : 1° le traitement algorithmique analyse des flux de données en fonction de critères préétablis, mais sans qu'il soit possible pour les agents d'accéder à ces données ; 2° si le traitement algorithmique a détecté une anomalie, les agents doivent demander au Premier ministre l'autorisation d'accéder aux données, autorisation donnée après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
La durée de l'autorisation de procéder à l'analyse des données de connexion ne peut excéder deux mois et la CNCTR doit avoir un accès complet et permanent aux traitements et données traitée. Elle doit également être informée de toute modification apportée aux traitements et peut émettre des recommandations. Si ces dernières ne sont pas suivies d'effets, elle peut saisir le Conseil d'État.780(*)
Si l'extension d'une telle technique de renseignement à la lutte contre le narcotrafic, donc hors du champ de la prévention du terrorisme auquel elle est actuellement limitée, venait à être envisagée par le législateur, elle supposerait un encadrement très strict, éventuellement ciblé sur des modalités particulières de trafic de stupéfiants. La perspective d'un déploiement pour lutter contre le phénomène « Uber shit » apparaît beaucoup plus sujette à caution, puisqu'elle nécessiterait l'accès et l'analyse de l'ensemble des données de connexion. La technique de l'algorithme est en effet particulièrement invasive et s'apparente à une surveillance de masse puisque l'ensemble des données sont analysées, de manière automatisée ; elle risque au surplus de poser de lourdes difficultés opérationnelles si elle est appliquée à la lutte contre le trafic de stupéfiants, plusieurs « comportements » observés chez les trafiquants ou leurs « petites mains » n'étant pas particulièrement distinctifs (à l'instar des livraisons à domicile après commande sur Internet, qui ne se différencient pas substantiellement de certains usages légaux sur le plan technique).
Si une telle piste devait être poursuivie et aboutir à une réforme législative, elle supposerait que le Parlement (a minima par le biais de sa Délégation au renseignement) soit informé des modalités de déploiement de cette technique et, surtout, qu'un cadre ad hoc soit fixé pour préciser les cas dans lesquels elle peut être utilisée, la notion générique de « criminalité organisée » figurant dans le code de la sécurité intérieure apparaissant trop large pour justifier une telle atteinte aux libertés : il conviendra ainsi de ne pas opter pour une simple extension à la criminalité organisée du dispositif existant en matière de prévention du terrorisme et, plus largement, d'éviter toute disproportion entre l'usage de cet outil et les objectifs poursuivis.
* 760 Audition de Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office antistupéfiants, 18 mars 2024.
* 761 Audition de Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office anti-stupéfiants, 18 mars 2024.
* 762 Audition de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, 18 mars 2024.
* 763 Audition du 10 avril 2024. On relèvera au surplus que ces propos paraissent paradoxaux dans la mesure où ils sont tenus par un membre du Gouvernement qui, dans le même temps, fait état de liens (certes non avérés, comme on l'a vu en première partie) entre narcotrafic et terrorisme : en toute logique, un tel argument devrait plaider pour un renforcement du rôle de la DGSI en matière de lutte contre le narcotrafic...
* 764 Audition à huis clos de Céline Berthon, directrice générale de la sécurité intérieure, 14 mars 2024.
* 765 Arrêté du 8 mars 2024 modifiant l'arrêté du 29 octobre 2007 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ».
* 766 La lutte contre la fraude fiscale grave et son blanchiment ne font partie d'aucune des finalités prévues dans le code de la sécurité intérieure.
* 767 Audition de Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office anti-stupéfiants, 18 mars 2024.
* 768 Office anti-stupéfiants, bilan annuel d'activité 2023.
* 769 « Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée », sous la direction de Damien Brunet, avril 2024.
* 770 Contribution du tribunal judiciaire de Lille aux travaux de la commission d'enquête.
* 771 Audition du 27 mars 2024.
* 772 Audition en format rapporteur de Guillaume Valette-Valla, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin), 26 février 2024.
* 773 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Activités portuaires en Méditerranée - Parquet général Aix-en-Provence », mai 2022.
* 774 Selon les éléments transmis par la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France en réponse au questionnaire du rapporteur.
* 775 Selon les éléments transmis par la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Lille en réponse au questionnaire du rapporteur.
* 776 « Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée », sous la direction de Damien Brunet, avril 2024.
* 777 Ibid.
* 778 Ibid.
* 779 Direction du renseignement militaire, « Intelligence artificielle et renseignement militaire », Revue défense nationale, 2019/5, n° 820.
* 780 Source : Alexandre Labbay, « La surveillance algorithmique des données de connexion dans le cadre de la lutte contre le terrorisme », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 21/ 2023, 17 octobre 2023