C. MOBILISER LES ACTEURS TIERS AU PROFIT DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC
1. Faciliter l'échange et la transmission d'informations au niveau local
La commission d'enquête a fait le constat d'une insuffisante association de certains acteurs locaux à la lutte contre le narcotrafic731(*), et notamment d'une circulation de l'information assez inégale entre ceux - maires et bailleurs sociaux notamment - qui peuvent jouer le rôle de capteurs en raison de leur proximité avec le terrain, et les forces de l'ordre.
Il existe plusieurs instances de dialogue autour de problèmes spécifiques de délinquance sur un territoire : les groupes de partenariat opérationnel, les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) présidés par le procureur de la République, les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) présidés par le maire et les plus récents, les groupes de partenariat opérationnel (GPO) créés en 2019 dans le cadre de la police de sécurité du quotidien. Ces instances ont vocation à incarner le « continuum de sécurité » au plus près des territoires en faisant dialoguer l'ensemble des acteurs impliqués - police/gendarmerie nationale et police municipale, magistrats, bailleurs sociaux, élus - sur les problèmes territoriaux spécifiques (les points de deal notamment).
Ces acteurs ont globalement dressé un bon bilan de ces instances dont le mode de fonctionnement est assez souple, même si leur animation effective dépend inévitablement de l'implication des parties prenantes. Les GLTD peuvent, notamment, contribuer à la résorption d'un point de deal732(*).
Il convient donc de mettre ces instances en valeur, y compris dans la communication publique, et de les dynamiser afin de s'assurer qu'elles tissent un réseau homogène de communication et de coordination sur le territoire.
Mais les « tiers de confiance » au sens large peuvent aussi trouver leur place dans la participation aux Cross, destinées à recueillir et centraliser le renseignement. À ce titre, le rapport a souligné certains dysfonctionnements locaux, à commencer par l'inactivité de certaines cellules, reconnue au demeurant par l'Ofast (voir supra).
Dans une réponse écrite à un questionnaire du rapporteur, l'Office pointe également l'apport potentiel d'autres acteurs comme les loueurs de voitures - les trafiquants ayant souvent recours à la location - dans la remontée du renseignement : « Les partenaires non institutionnels ou `tiers de confiance' restent de véritables capteurs de renseignements. Les bailleurs sociaux et les polices municipales peuvent être amenés à participer ponctuellement aux différentes réunions organisées par les Cross ».
De manière générale, la participation des tiers de confiance aux instances locales doit contribuer à la mobilisation de la société dans son ensemble contre le fléau du trafic de drogue, qui n'est pas la seule affaire des services répressifs. La commission d'enquête a perçu, dans ses déplacements notamment, une vraie demande d'association des partenaires locaux.
Recommandation n° 17 de la commission d'enquête : dynamiser les instances locales de coordination :
· Mettre en valeur ces instances et garantir leur pleine utilisation par l'administration ;
· Encourager leur élargissement à d'autres partenaires volontaires.
2. Renforcer les capacités de signalement des maires
Dans le même esprit de contribution à la lutte contre le narcotrafic au niveau local, renforcer le rôle de signalement des maires, notamment vis-à-vis des commerces présentant un profil anormal laissant soupçonner des activités de blanchiment - inactivité, mises en liquidation et changements de propriétaires fréquents. Comme l'a souligné Éric Piolle, maire de Grenoble733(*), « s'agissant du repérage destiné à lutter contre le blanchiment, nous disposons souvent d'indices grâce à des indiscrétions ou à des rumeurs au sujet des repreneurs de tel ou tel commerce [...] mais la démonstration du blanchiment nécessite un travail d'enquête approfondi et je ne pense pas que nous devions nous engager plus avant en la matière ».
Guillaume Valette-Valla, alors directeur de Tracfin, a en effet rappelé lors de son audition à huis clos par la commission734(*) que les maires, mais aussi les parlementaires ou toute entité publique avaient la faculté - et non l'obligation, comme les professions soumises à la réglementation LCB-FT - d'adresser des informations pertinentes sur un commerce au profil ou à l'activité suscitant des soupçons. Cette possibilité n'est pas toujours connue des élus eux-mêmes : comme l'a démontré la table ronde des maires ruraux735(*), les responsables locaux ne sont que peu informés de l'existence d'un tel outil.
Enfin, ce rôle de « vigies » pourrait être renforcé par la possibilité de demander à l'autorité préfectorale la fermeture de commerces se livrant à la vente de stupéfiants ou la facilitant, sur le modèle des dispositions existantes pour la vente de tabac illégal.
De manière plus générale, le besoin a été exprimé par les élus d'une clarification du cadre de l'échange d'informations sur le trafic de stupéfiants : Denis Mottier, chargé de mission sécurité et prévention de la délinquance à l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité736(*), a ainsi souligné que « le cadre d'échanges d'informations à portée confidentielle n'est pas suffisamment protecteur pour le service de l'État ou pour le maire », ce qui pose la question suivante : « Comment organise-t-on la communication d'informations sensibles entre l'élu, le maire et les forces de sécurité ? ».
Recommandation n° 18 de la commission d'enquête : faciliter la remontée d'informations par les maires :
· Informer systématiquement les maires, en particulier de communes rurales, de la possibilité de signaler à Tracfin les commerces de leur commune soupçonnés de servir au blanchiment du produit de trafics ;
· Leur donner la possibilité de demander à l'autorité préfectorale la fermeture de lieux permettant la vente de stupéfiants, sur le modèle des dispositions existantes en matière de vente illégale de tabac ;
· Clarifier le cadre des échanges d'informations relatives au trafic de stupéfiants entre les maires, la police et l'autorité judiciaire.
* 731 Voir la partie II-6.
* 732 Cas cité par le procureur de la République de Dijon.
* 733 Audition du mardi 6 février 2024.
* 734 Audition du 30 novembre 2023.
* 735 Table ronde du 29 février 2024.
* 736 Table ronde du 29 février 2024.