B. À CHAQUE GOUVERNEMENT SON PROGRAMME IMMOBILIER, À CHAQUE PROGRAMME, SES RÉSULTATS DÉCEVANTS POUR L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE DÉTENTION
1. La gestion du parc immobilier pénitentiaire, un équilibre à trouver entre des bâtiments d'âge, d'usage et de configuration très différents
Le parc immobilier pénitentiaire présente plusieurs particularités qu'il faut parvenir à prendre en compte dans un contexte contraint, la population des établissements pénitentiaires n'étant par définition pas mobile.
L'une des caractéristiques les plus importantes et les plus contraignantes du parc immobilier pénitentiaire réside dans son hétérogénéité : des bâtiments neufs côtoient des bâtiments vétustes, des centres construits sur un modèle « traditionnel » côtoient des centres innovants, axés sur une meilleure prise en charge de la réinsertion, et des centres de détention côtoient des maisons d'arrêt, des maisons centrales ou encore des structures d'accompagnement vers la sortie. Cette diversité du bâti implique des arbitrages sur les opérations à mener sur le parc, et donc des renoncements. Or, le contexte de surpopulation carcérale ne fait qu'accélérer le vieillissement et la dégradation des établissements, même pour les plus récents d'entre eux.
Ainsi, pour ne pas fragiliser les opérations d'entretien lourd et de rénovation sur le parc existant, la réalisation de programmes immobiliers de grande ampleur tels que le plan 15 000 ne doit pas conduire à une captation de l'ensemble des crédits alloués aux dépenses immobilières de l'administration pénitentiaire. En effet, plus ces travaux d'entretien sont décalés dans le temps, plus ils deviennent onéreux et complexes à mener.
Il est à cet égard positif, mais insuffisant, que le budget alloué à l'entretien des établissements pénitentiaires existants ait doublé depuis 2018, pour atteindre 142 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2023 et 140 millions d'euros demandés dans le projet de loi de finances 202411(*). Selon le rapport annexé au projet de loi d'orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027, et concernant plus particulièrement les enjeux de rénovation énergétique du patrimoine pénitentiaire, 25 établissements ont été ciblés en priorité pour bénéficier des crédits qui seraient ouverts par le projet de loi de finances pour 2024. Conçus dans le cadre du « plan 13 000 »12(*) et mis en service entre 1990 et 1992, ces établissements n'ont pas encore fait l'objet de travaux de gros entretien ou de renouvellement.
Le montant alloué à ces dépenses immobilières « courantes », plus élevé que la moyenne de 110 millions d'euros par an observée sur la période 2018-2022, est salué par le rapporteur : la sous-dotation de cette action jusqu'en 2016 (40 à 60 millions d'euros) n'a conduit qu'à accroître la vétusté des établissements pénitentiaires, au détriment des conditions de vie des détenus, des relations avec les surveillants pénitentiaires et, in fine, de l'État, condamné à plusieurs reprises à cause de conditions de détention indignes.
2. Les programmes immobiliers pénitentiaires, une course après le temps
Quatre programmes immobiliers pénitentiaires ont été lancés depuis la fin des années 198013(*). Tous ont connu des retards d'exécution ainsi qu'une révision à la baisse du nombre de places nettes créées :
- en 1986, alors que le ministre de la justice Albin Chalandon avait souhaité obtenir la création de 25 000 places de prison supplémentaires « privées »14(*), le Premier ministre Jacques Chirac ramena cet objectif à 15 000 places, puis à 13 000 (« plan 13 000 ») et 11 000 places furent finalement créées entre 1990 et 1992, soit moins de la moitié de l'objectif initial ;
- lancé en 1995, le plan « 4 000 » a permis la construction d'un peu plus de 3 600 places, réparties dans six établissements livrés entre 2003 et 2005 ;
- la loi de programmation et d'orientation pour la justice du 9 septembre 200215(*) comprenait le lancement d'un plan de création de 13 200 nouvelles places. En 2012, quatre opérations n'étaient pas encore achevées et ont été intégrées au programme « 63 500 » ;
- enfin, le nouveau programme immobilier (NPI), présenté en 2010, prévoyait la construction de 26 établissements, l'extension de sept centres existants et la rénovation de 15 sites. Il a été largement modifié en 2012, avec des abandons d'opérations, un financement non assuré et deux phases : le programme « 63 500 », avec la construction de six établissements, l'extension de deux sites et la rénovation de deux centres pénitentiaires d'ici 2017, et le programme « 3 200 », avec la construction de 13 établissements et la rénovation de deux centres à horizon 2027. Les objectifs avaient donc été nettement revus à la baisse.
Au final, sur la période 1988-2016, ce sont 33 300 places qui ont été livrées, mais seulement 28 000 places nettes créées, du fait de la fermeture concomitante des établissements les plus vétustes.
De fait, comme l'a très récemment rappelé la Cour des comptes, en reprenant un constat régulièrement présenté par le rapporteur dans ses travaux budgétaires sur la mission » Justice », « la construction de nouveaux établissements n'a jamais permis de faire face à un besoin qui dépasse rapidement les capacités nouvelles »16(*). Entre 1990 et 2020, le nombre de places en établissement pénitentiaire et le nombre de détenus ont évolué au même rythme (+ 25 000). Le comité des États généraux de la justice a lui aussi souligné les limites des programmes immobiliers, en rappelant que si le nombre de places avait augmenté de 4,3 % entre 2015 et 2021, la population carcérale avait, elle, augmenté de 4,4 %17(*).
Les États généraux de la Justice
Lancés le 18 octobre 2021 par le président de la République, les États généraux de la Justice se sont traduits par l'organisation pendant deux mois de consultations en ligne et sur le terrain ainsi que par la constitution d'ateliers thématiques placés sous l'égide de professionnels de la justice et chargés de formuler des propositions d'évolution. Le comité des États généraux de la Justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, a réalisé une synthèse de ces contributions qu'il a ensuite remise au ministre de la justice.
* 11 Ces crédits sont ouverts sur le programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».
* 12 Programme immobilier lancé par le ministre de la justice Albin Chalandon en 1986.
* 13 D'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice ainsi que les rapports de la Cour des comptes sur la politique immobilière de la justice (décembre 2017) et sur la surpopulation carcérale (octobre 2023).
* 14 Ce programme avait également pour objectif de confier une partie de la gestion des établissements pénitentiaires à des prestataires privés, concernant par exemple la restauration, la blanchisserie, la maintenance de l'établissement ou la formation des détenus.
* 15 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.
* 16 Cour des comptes, « Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question », octobre 2023.
* 17 Comité des États généraux de la justice, rapport du groupe de travail sur la justice pénitentiaire et de réinsertion, avril 2022.