INTRODUCTION
Traduisant une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron en 2017, le Gouvernement a présenté à l'automne 2018 un plan de création de 15 000 places supplémentaires en établissements pénitentiaires (« plan 15 000 »). Au même moment, il annonçait également le lancement d'un plan de création de 20 centres éducatifs fermés (CEF) dits de « deuxième génération », destinés à la prise en charge des mineurs. Cinq ans plus tard, à mi-parcours, le rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice » a estimé nécessaire de dresser un premier bilan de la mise en oeuvre de ces deux plans d'investissement, majeurs pour le ministère de la justice.
I. LES PROGRAMMES IMMOBILIERS, UN PALLIATIF POUR LA PRISE EN CHARGE DES DÉTENUS ET DES MINEURS
A. L'ÉVOLUTION DU PARC IMMOBILIER PÉNITENTIAIRE, UNE RÉPONSE D'URGENCE À LA SURPOPULATION CARCÉRALE
Au 31 janvier 2022, selon les statistiques pénales annuelles publiées par le Conseil de l'Europe, la France comptait 107 détenus pour 100 000 personnes, un taux inférieur à la moyenne européenne (117), à l'Espagne (118) ou au Royaume-Uni (132), mais supérieur à l'Italie (90) et l'Allemagne (67)4(*). La mobilisation de statistiques, si elle ne peut suffire à appréhender les débats autour de la politique publique pénitentiaire, permet néanmoins de prendre la mesure du niveau et de l'évolution de la population carcérale en France.
1. La population carcérale a atteint un niveau inédit en 2023
La question de l'état et de l'extension du parc immobilier pénitentiaire se pose avec d'autant plus d'acuité que la population carcérale a atteint un niveau inédit en 2023, trois ans après l'actionnement de mécanismes exceptionnels de régulation carcérale en réponse à l'épidémie de covid-19 et à la crise sanitaire qui en a résulté. Les réductions de peine, les autorisations de sortie sous escorte et les permissions de sortir ont pu être ordonnées sans consultation de la commission de l'application des peines lorsque le parquet y était favorable tandis que les mécanismes de fractionnement et de suspension de peine ont été simplifiés et que de nouvelles mesures ont été créées (réductions de peines pour circonstances exceptionnelles, assignation à domicile avec suivi par le service pénitentiaire d'insertion et de probation)5(*).
Ainsi, si la nette diminution du nombre de personnes détenues en 2020 avait pu sembler reléguer au second rang des priorités la mise en oeuvre du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires, depuis, la hausse constante de la population carcérale et les niveaux de surpopulation qui en ont découlé dans plusieurs établissements pénitentiaires ont conduit à une multiplication des alertes sur la dégradation des conditions de détention. Au 1er juillet 2023, 74 513 personnes étaient écrouées et détenues en France, soit plus de deux fois plus qu'il y a quarante ans et 20 % de plus qu'au 1er janvier 2021.
Évolution du nombre de personnes détenues en France
(au 1er janvier de chaque année)
Source : commission des finances, d'après les données transmises par le ministère de la justice
Au 31 janvier 2022, le taux de densité carcérale6(*) de la France - c'est-à-dire le nombre de détenus pour 100 places de détention - s'élevait à 115 %, plaçant la France au troisième rang des pays membres du Conseil de l'Europe, derrière Chypre et la Roumanie, mais devant la Belgique, la Turquie et la Grèce.
Taux de densité carcérale au 31 janvier 2022
(en %)
Source : commission des finances, d'après les statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe
Le ratio de personnes prévenues, c'est-à-dire non encore condamnées, sur le total des personnes détenues est resté stable ces dernières années, les prévenus représentant environ 30 % des personnes incarcérées en France, un niveau proche de la moyenne européenne. Les maisons d'arrêt, qui accueillent les prévenus, sont de fait davantage confrontées à la problématique de la surpopulation carcérale, avec des taux d'occupation dépassant parfois 200 %, ce qui signifie concrètement que des cellules individuelles accueillent trois personnes, avec un matelas au sol.
En 2022, le taux d'occupation moyen des places en centre de détention et quartiers7(*) centre de détention a atteint 93 %, avec une projection à 95 % en 2024, tandis qu'il a atteint 137,7 % pour les places en maison d'arrêt et quartiers maison d'arrêt, avec une projection de 141,1 % en 20248(*).
2. 150 ans de dérogation au principe d'encellulement individuel
Le principe de l'encellulement individuel, inscrit dans le code pénal depuis 1875, n'a jamais été respecté. Lors de l'examen de la loi de finances pour 2023, l'obligation d'atteindre un taux d'encellulement individuel de 80 % en 2022 a une nouvelle fois été repoussé, à 20279(*). La clause dérogatoire au droit à l'encellulement individuel, introduite à titre temporaire « lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application » (article L. 213-4 du code pénitentiaire), est devenue la norme. Il convient toutefois de noter que ce principe est globalement respecté pour les centres de détention, la situation dans les maisons d'arrêt ayant un effet très défavorable sur le taux moyen d'encellulement individuel dans l'ensemble des établissements pénitentiaires.
Évolution du taux d'encellulement
individuel
depuis le 1er janvier 2018
(en %)
Source : commission des finances, d'après les données transmises par le ministère de la justice
La pertinence de l'objectif de 80 % d'encellulement individuel comme seul horizon de la politique pénitentiaire fait cependant l'objet d'interrogations. Comme l'ont relevé les personnes entendues par le rapporteur, ce « sésame » ne correspond pas nécessairement au souhait de l'ensemble des personnes détenues, dont certaines peuvent privilégier une détention à deux, dans une cellule adaptée. Critiquer les programmes de construction à l'aune de cet objectif n'apparait donc pas pleinement satisfaisant : le système carcéral doit être en mesure de proposer aux personnes détenues qui le souhaitent une cellule individuelle et aux autres des cellules adaptées à la cohabitation de deux personnes.
Il est en revanche inadmissible et difficilement concevable que des maisons d'arrêt ne soient aujourd'hui plus en mesure de proposer de solution d'encellulement individuel. Ainsi, les maisons d'arrêt de Rochefort, Saintes, Montbéliard, Arras, Dunkerque, Aurillac, Privas, Coutances, La Roche-sur-Yon, Vannes, Carcassonne, Uturoa et Saint-Pierre présentaient au 1er juillet 2023 un taux d'encellulement individuel de moins de 2 %10(*).
* 4 Conseil de l'Europe, Statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe (SPACE).
* 5 Éléments transmis par le ministère de la justice et repris dans le rapport de la Cour des comptes, « Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question » (octobre 2023).
* 6 Selon les statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe.
* 7 Un centre pénitentiaire peut regrouper plusieurs quartiers caractérisés par des régimes de détention différents : quartier centre de détention, quartier maison d'arrêt, quartier mineur, quartier femmes, etc.
* 8 D'après les données transmises dans le projet annuel de performances de la mission « Justice », s'agissant des cibles de l'indicateur de performance 2.1 « Taux d'occupation des établissements pénitentiaires » du programme 107 « Administration pénitentiaire ».
* 9 Article 190 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
* 10 D'après les données transmises au rapporteur.