EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 18 octobre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, sur les plans de construction de quinze mille places de détention supplémentaires et de vingt centres éducatifs fermés.

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à la communication de notre collègue Antoine Lefèvre sur les plans de construction de 15 000 places de détention supplémentaires et de 20 centres éducatifs fermés (CEF).

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Je commencerai la présentation de mes travaux de contrôle par une citation de Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté : « C'est triste à dire, mais surnage de ces constats le sentiment d'un abandon par l'État des captifs, mais aussi de ses fonctionnaires chargés de les garder ou des équipes qui les soignent, ou les accompagnent. » Ces mots résument un positionnement que j'ai toujours défendu devant vous : la surpopulation carcérale et la dégradation du parc immobilier pénitentiaire conduisent non seulement à des conditions indignes de détention, pour lesquelles la France est régulièrement condamnée, mais également à des conditions de travail très dégradées pour le personnel pénitentiaire.

En réponse à ces difficultés, la France s'est lancée depuis quarante ans dans une course contre le temps : les programmes immobiliers se sont succédé pour tenter de remédier à la surpopulation carcérale et pour proposer des modes de prise en charge plus adaptés aux profils des détenus. Le dernier plan en date, présenté par le Gouvernement le 11 septembre 2018, vise à créer 15 000 places de détention supplémentaires.

On pourrait bien entendu débattre du calendrier : alors que le candidat Macron avait laissé entendre que ces places seraient créées en cinq ans, le président Macron a précisé qu'une première tranche de 7 000 places serait livrée en 2022, suivie d'une seconde de 8 000 places en 2027. Soyons réalistes, aucun gouvernement n'aurait pu livrer 15 000 places en cinq ans compte tenu des difficultés que rencontre ce type de programme de grande ampleur.

Un mois plus tard, le Gouvernement, par l'intermédiaire de la garde des sceaux Nicole Belloubet, présentait un plan de création de 20 centres éducatifs fermés, dits « de deuxième génération ». Destinés à l'accueil de mineurs récidivistes ou réitérants, ces centres sont une alternative aux quartiers pour mineurs en établissement pénitentiaire ; ils offrent un accompagnement éducatif et médico psychologique renforcé et adapté à la personnalité des jeunes qui y sont placés. Les 20 nouveaux CEF devaient être livrés à compter de 2021 et à l'horizon de 2027.

L'année 2022 apparaît donc, pour ces deux programmes immobiliers, comme une année pivot. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité consacrer mes travaux de contrôle budgétaire à un bilan à mi-parcours du plan 15 000 et du plan CEF. Si l'ampleur de ces programmes avait de quoi nous rendre optimistes, leur exécution laisse un goût d'inachevé, avec d'importants écarts calendaires et budgétaires. De fait, la probabilité que 20 CEF et 15 000 places de détention soient créés d'ici à 2027 apparaît très faible.

Toutefois, il ne s'agit pas de distribuer les bons ou les mauvais points, mais de comprendre les raisons de ces écarts et, dans la mesure du possible, de proposer des pistes pour faire en sorte que ces deux plans s'achèvent correctement, sans revenir sur leurs objectifs initiaux. Il serait illusoire de croire que nous pouvons rattraper les dizaines de mois de retard accumulés sur certains projets ou économiser les centaines de millions d'euros de surcoût liés aux évolutions techniques des projets et aux aléas conjoncturels. À défaut de pouvoir faire plus, veillons à faire bien.

Le plan 15 000 comporte 50 opérations réparties en France métropolitaine et en outre-mer. Il doit conduire à la création de 15 856 places nettes exactement, pour un coût initialement estimé à 4,3 milliards d'euros. Quelque 1 700 places environ devraient être créées en maisons d'arrêt, c'est-à-dire dans le type d'établissement qui connaît les niveaux de surpopulation carcérale les plus importants. Le taux d'occupation de certaines maisons d'arrêt dépasse les 200 %, ce qui correspond à trois personnes pour des cellules d'une surface moyenne de 9 mètres carrés, avec un matelas au sol.

Toutefois, car c'était aussi bien là l'objectif du plan 15 000, une part importante des nouvelles places doit être créée dans des structures innovantes et plus adaptées aux profils des détenus, selon leur peine, leur profil et leur projet de réinsertion. Quelque 142 places devaient ainsi être livrées dans deux nouveaux quartiers de semi-liberté, 1 800 places dans 14 structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et 380 places dans 3 structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi, dans le cadre du projet dit « InSERRE ». J'ai moi-même eu l'occasion de visiter, au sein du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, le premier quartier de confiance de France, inspiré des modules de respect espagnols.

Le plan de création de 20 CEF de deuxième génération répondait, quant à lui, moins à une situation de saturation des capacités d'accueil - puisque le taux d'occupation moyen est de 60 % à 70 % sur les cinq dernières années - qu'à la volonté de rénover le cadre de cette modalité de prise en charge des mineurs. Le cahier des charges architectural a été entièrement révisé, avec un aménagement des chambres, la création de maisons familiales, davantage d'espaces collectifs et extérieurs, ainsi qu'une localisation plus proche des villes, donc des services publics tels que l'éducation, la santé, la culture ou encore le sport.

Le plan comprend la création de 20 établissements de 12 places, dont 5 relèvent du secteur public et 15 du secteur associatif habilité. L'investissement initial, estimé à 30 millions d'euros, a rapidement été réévalué à 76,5 millions d'euros.

Où en est-on dans la mise en oeuvre du plan 15 000 ? Au 1er juillet 2023, 14 projets et 2 771 places nettes ont été livrés, soit 2,5 fois moins que ce qui était prévu pour 2022. D'ailleurs, le Gouvernement ne parle plus, dans sa communication, de 7 000 places « livrées » en 2022, mais de 7 000 places dont les travaux sont « bien avancés ». J'ajoute que, sur ces 2 771 places, certaines correspondent à des travaux débutés bien avant l'annonce du plan 15 000. Les travaux sur les centres pénitentiaires des Baumettes 2 et de Papéari ont, par exemple, été lancés en 2013, et ceux de la rénovation de la maison d'arrêt de la Santé en 2006.

Premier constat, nous n'avons pas le nombre de places annoncées à mi-parcours. Les données obtenues montrent en outre qu'au fur et à mesure que l'on avance dans le temps, le calendrier de livraison des projets se décale. Ainsi, le calendrier révisé prévoit la livraison de 19 projets et de près de 9 115 places en 2027, alors qu'il était initialement prévu que 11 opérations s'achèvent en 2027, pour un peu plus de 5 900 places. On observe donc un net report vers 2027, ce qui ne laisse absolument plus aucune marge de manoeuvre pour achever le plan 15 000 dans le délai annoncé. Certains retards s'apparentent à de véritables dérapages : ainsi, la maison d'arrêt de Basse-Terre devrait être livrée avec sept ans de retard. Sur les 36 opérations restantes, 13 sont encore en phase d'études préalables.

En matière budgétaire, des écarts sont également à attendre. En effet, entre le dossier de presse du plan 15 000 et la détermination de l'enveloppe budgétaire votée par le Parlement, on observe une augmentation de près de 800 millions d'euros pour atteindre un budget total initial de 4,3 milliards d'euros. En juin 2022, la direction du budget a révisé cette évaluation à 5,4 milliards d'euros. Les données analysées dans mon rapport montrent que le coût prévisionnel révisé atteignait même 5,55 milliards d'euros en juin 2023. Si l'on suit un rythme de 200 millions d'euros supplémentaires chaque année, la barre des 6 milliards d'euros pourrait être largement dépassée d'ici à 2027. Le plus inquiétant est la révision des coûts des projets qui sont encore en phase d'études préalables. À titre d'exemple, l'estimation du budget alloué au futur centre pénitentiaire de Trélazé, près d'Angers, a été doublée. De fait, avant de créer plus de places d'ici à 2027, nous devons achever ce qui a été annoncé et le faire mieux.

S'agissant des centres éducatifs fermés, les constats sont similaires, même si les enjeux budgétaires sont moindres. Il y a eu une première révision du budget total alloué au projet, particulièrement sous-évalué à l'origine : de 30 millions d'euros, l'enveloppe est ainsi passée à 76,5 millions d'euros. Les données obtenues montrent que le coût prévisionnel du plan serait désormais plutôt de l'ordre de 110 millions d'euros, c'est-à-dire quasiment trois fois plus que le budget initialement prévu.

Pour les délais de livraison, la situation est, si j'ose dire, encore plus préoccupante. Au 1er juillet 2023, seulement 3 CEF sur les 20 prévus ont été livrés, et 3 autres sont en phase de projets.

Deux facteurs structurels et deux aléas conjoncturels expliquent cette situation.

La première difficulté a trait au pilotage du plan 15 000. Le Gouvernement a voulu aller vite et avancer avant d'avoir fiabilisé les cahiers des charges techniques et les coûts. Les opérations sont quant à elles placées sous l'égide de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), qui doit composer avec les nombreuses modifications des spécifications techniques. La volonté de multiplier les modalités de prise en charge des détenus est louable et essentielle, mais elle se traduit en réalité par une absence de standardisation des constructions, même s'il existe des programmes-cadres. L'évolution constante des caractéristiques techniques des projets est la principale explication aux écarts calendaires et budgétaires constatés dans l'exécution du plan 15 000.

Il en va de même pour les CEF, les surcoûts s'expliquant principalement par la révision des critères de sécurisation des projets. Cela peut s'avérer nécessaire : ainsi, dans un centre que j'ai visité, les boutons de sécurité incendie qui permettent d'ouvrir toutes les portes étaient accessibles à toutes les personnes présentes, tout le temps, sans sécurisation.

À l'inverse, il ne faut pas non plus que l'APIJ, maître d'ouvrage, fasse preuve d'une trop grande rigueur dans ses programmes-cadres. La construction des centres pénitentiaires a parfois conduit à des aberrations, qui ne sont d'ailleurs pas imputables à l'agence et qu'il est impératif de corriger le plus en amont possible, pour éviter des travaux d'aménagement trop lourds et, partant, des coûts encore plus élevés.

J'ai pu en observer quelques exemples lors de mes déplacements aux centres pénitentiaires de Bordeaux-Gradignan et de Mulhouse-Lutterbach : une isolation par l'intérieur et non par l'extérieur, alors que les détenus peuvent se servir de l'isolation intérieure pour des caches de produits illicites ; l'absence de barreaux aux fenêtres des parloirs réservés aux avocats donnant directement sur le toit-terrasse du premier étage ; des châssis de fenêtres pouvant être démontés avec un coupe-ongles ; l'absence de filet de sécurité entre deux étages ou encore des boîtiers de sécurité de commande extérieure qui gèlent sous une certaine température et ne fonctionnent plus en cas de surchauffe. Certes, ces anecdotes peuvent prêter à sourire, mais pour les fenêtres, par exemple, la facture s'élève à 600 000 euros, un an et demi après la livraison du centre pénitentiaire.

Je recommande le modèle mis en place à Bordeaux, où une petite équipe de deux ou trois personnes, appartenant à l'administration pénitentiaire, se rend tous les jours sur le chantier pour observer ses avancées et signaler très en amont les défauts de conception qu'elles repèrent. Cela permet de réagir plus vite, donc de limiter les coûts. Ce modèle doit être reproduit et les professionnels davantage associés aux chantiers. S'il est parfaitement concevable que le maître d'oeuvre ne puisse pas avoir en tête l'ensemble des impératifs du monde pénitentiaire, il est en revanche inconcevable de se priver des connaissances de terrain de l'ensemble des personnels.

La deuxième difficulté structurelle porte sur la mise à disposition du foncier. La recherche de terrains est à la fois longue et complexe. En effet, au-delà de la disponibilité du foncier, il faut tenir compte de sa qualité dans le respect d'un cahier des charges exigeant : surface et topographie du terrain, proximité des réseaux de distribution, accessibilité, absence de surplomb, etc. Il ne s'agit pas, comme cela a pu être le cas, de proposer un terrain à proximité d'une décharge publique.

Pour l'un des projets de structure d'accompagnement vers la sortie, les travaux ont déjà pris trois ans de retard parce que la ville refuse de procéder aux travaux de voirie convenus avec l'administration pénitentiaire avant les élections de 2020. Pas moins de 5 projets de CEF se voient bloqués par manque de terrain disponible dans les villes qui devaient les accueillir.

Aux circonstances politiques et géographiques s'ajoutent les craintes des riverains. En effet, l'on peut nourrir des inquiétudes à l'idée d'avoir une prison à côté de chez soi. Toutefois, l'implantation d'un établissement pénitentiaire représente une population supplémentaire, un renforcement de la sécurité grâce à davantage de patrouilles de police, l'installation des personnels à proximité, l'inscription de leurs enfants à l'école, le développement d'emplois pour leurs conjoints, ainsi que des accords avec les entreprises et les commerces locaux. À titre d'exemple, à Mulhouse-Lutterbach, un contrat a été passé avec un bar-tabac de proximité, qui a désormais un chiffre d'affaires de 200 000 euros à 300 000 euros.

Ainsi, plutôt que de contraindre, il me semble qu'il faut convaincre les élus locaux et les populations locales, en évaluant les gains socioéconomiques des projets.

Quant aux deux aléas conjoncturels que sont l'inflation et la pénurie des matériaux en 2022, ils n'ont fait qu'accentuer les fragilités structurelles du plan 15 000 et du plan CEF. Toutefois, en dépit de mes demandes, je n'ai pas pu évaluer le surcoût lié à l'inflation. Il y a eu des révisions de prix dans les contrats et des indemnisations exceptionnelles octroyées à certains maîtres d'oeuvre. Je crois toutefois qu'il faut nous féliciter que ces deux aléas n'aient pas conduit à revoir à la baisse les ambitions de ces deux programmes immobiliers.

Au total, l'ensemble de ces facteurs tend à montrer qu'il faut mieux anticiper ces plans de grande ampleur. Le prochain ne devrait en effet pas tarder : alors que le plan 15 000 a été conçu pour accueillir une population de 75 000 détenus en 2027, ce niveau est quasiment atteint en 2023. À titre d'exemple, un an et demi après la livraison du centre de Mulhouse-Lutterbach, le taux d'occupation atteint déjà 131 % et il y a même eu un pic à 180 %, ce qui ne fait qu'accélérer la dégradation des bâtiments et nuire aux projets de réinsertion. En tant que parlementaires, nous devons également prendre conscience que la politique publique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière.

Je conclurai comme j'ai commencé, en revenant sur la situation du personnel pénitentiaire, en particulier celle des surveillants. Les taux de vacance sur les postes demeurent élevés, autour de 10 %, tandis que de 20 % à 30 % des places offertes aux concours ne sont pas pourvues.

Je soutiens à cet égard les mesures de valorisation mises en place par le ministère de la justice, telles que l'octroi d'une prime de fidélisation, le passage de la catégorie C à la catégorie B des surveillants, ou encore le recrutement d'agents pénitentiaires sous le statut de contractuels pour soutenir le travail des surveillants. Une telle mesure est de nature à faciliter, au niveau local, le recrutement de profils qui n'auraient sans doute pas passé le concours autrement.

On ne peut pas envisager de continuer à créer des places de prison supplémentaires sans disposer du personnel adéquat et sans remédier au déficit d'attractivité des métiers de la pénitentiaire, qui permettent pourtant de belles progressions de carrière.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre rapport mentionne la volonté du ministère de la justice de privilégier l'implantation des centres de détention et des centres éducatifs fermés près des centres urbains. Dans mon département, j'ai visité un CEF que le ministère souhaiterait rapprocher de la ville alors qu'il n'en est éloigné que de quinze à vingt minutes en voiture. Trouvez-vous cela justifié ? Ne faudrait-il pas plutôt améliorer la desserte et prendre en compte des critères plus variés comme la possibilité de réemployer d'anciens bâtiments de qualité, par exemple ? On répondrait ainsi aux besoins d'accessibilité et de maîtrise des coûts.

M. Claude Raynal, président. - À vous entendre, rien ne change, on a toujours ces décalages entre les effets d'annonce et la réalisation. La construction des bâtiments publics, quels qu'ils soient, pose un problème. Il faudrait toujours multiplier le temps et les finances par deux. Le raisonnement est lassant.

Mme Nathalie Goulet. - Qu'en est-il du développement des quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR), annoncés depuis 2018 par le gouvernement d'Édouard Philippe ? Hormis le quartier de la prison des femmes, à Rennes, où se trouvent 29 femmes radicalisées, on a très peu parlé des autres structures, alors que l'actualité nous rappelle tristement qu'elles sont indispensables.

M. Dominique de Legge. - Nous sommes nombreux à dénoncer la tendance de l'État à vouloir se démembrer en créant des agences. L'APIJ en est un exemple, avec un taux de réalisation des objectifs n'atteignant pas 50 %. De quels moyens dispose réellement le ministère de la justice pour faire en sorte que les objectifs assignés à cette agence soient respectés ?

M. Pascal Savoldelli. - Vous concluez en disant que la politique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière. La prison de Fresnes se trouve dans mon département et je ne souscris pas à l'avis de la Cour des comptes selon lequel la population carcérale évolue au même rythme que la création de places nettes dans les établissements pénitentiaires. L'approche quantitative est tout à fait inadéquate.

Il faudrait revoir la relation entre l'État et les collectivités territoriales sur cette question. En effet, les établissements carcéraux représentent un enjeu en matière d'immobilier, de foncier et d'urbanisme.

En outre, je veux attirer votre attention sur la standardisation des constructions, dont le rapport défend le principe et à laquelle il me semble que nous devons prendre garde. Par exemple, à la prison de Fresnes, je suis favorable au maintien d'une unité médicale de psychiatrie carcérale, et ce pour la sécurité de tous. Tout ne peut pas être standardisé.

Mme Christine Lavarde. - Il y a une vingtaine d'années, la construction des prisons se faisait dans le cadre de partenariats public-privé (PPP), ce qui devait favoriser une vision de long terme des dépenses d'investissement et de fonctionnement. Le coût unitaire de la place de prison en investissement me semble très élevé. Comment le ministère de la justice peut-il ensuite provisionner le fonctionnement ? Ces centres dégagent-ils des « recettes » grâce au travail des prisonniers ou par des missions d'intérêt général ? On risque de créer des charges considérables pour l'avenir.

M. Emmanuel Capus. - À Angers, nous attendons avec impatience la construction du centre pénitentiaire de Trélazé, même si j'ai bien compris que son coût avait doublé.

Vous indiquez dans votre rapport que le taux d'encellulement individuel est plus élevé dans les établissements pour peines que dans les maisons d'arrêt. Avez-vous le détail de ce qui sera construit ? En effet, la maison d'arrêt d'Angers doit être remplacée par un établissement pour peines. Dans la mesure où le taux d'occupation dans les maisons d'arrêt atteint 200 % d'occupation, dans quelle mesure est-ce raisonnable de les remplacer par des centres pour peines ?

M. Marc Laménie. - Les douze recommandations de ce rapport montrent que le dossier est sensible. On constate une explosion des coûts financiers ainsi qu'un problème d'attractivité et de foncier pour la localisation des centres pénitentiaires. Qu'en est-il des moyens humains et de l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire, qui sont difficiles ? Comment améliorer la politique de recrutement ?

M. Christian Bilhac. - Merci à notre rapporteur spécial pour ce dossier complet, qui est aussi le dossier des échecs. Rien n'est respecté, ni les coûts ni les délais. C'est à se demander pourquoi le Parlement vote des mesures. Le rapporteur explique qu'on ne peut pas se limiter à une politique immobilière. En effet, l'emprisonnement, c'est l'échec.

Autrefois, la prison avait deux buts, à savoir punir et réinsérer. Désormais, au lieu de punir, elle donne un diplôme et c'est celui de l'école du crime. La surpopulation explique cette évolution. Mieux vaudrait sanctionner préalablement. Par exemple, on parle du refus d'obtempérer en voiture, mais rien n'est dit sur le refus d'obtempérer à mobylette ou à vélo. Si l'on veut que les individus changent, il faut les sanctionner au préalable, sans attendre le quinzième délit pour les envoyer en prison. Pourquoi ne pas développer les sanctions graduées et les travaux d'intérêt général, pour peu qu'ils soient surveillés par le personnel pénitentiaire, car les maires ne sont pas des spécialistes de la délinquance.

Les éducateurs spécialisés me disent qu'en rapprochant les CEF des centres urbains pour que ceux qui s'y trouvent soient plus proches de leur famille, on rapproche aussi les prisonniers de leurs copains de délinquance, ce qui ne favorise pas leur réinsertion.

J'ai connu des centres où il y avait entre 40 et 50 jeunes et autant d'encadrants. Cette force de l'encadrement a disparu. Je m'interroge sur la manière dont on réfléchit, au ministère, sans doute un peu trop loin du terrain.

M. Christopher Szczurek. - Nous sommes d'accord sur le constat : les agents qui constituent le personnel pénitentiaire souffrent en général de leurs difficultés de travail et sont en nombre trop faible. Toutefois, je reste sceptique sur le recrutement d'agents pénitentiaires contractuels. Dans ce type de filière, il ne peut pas y avoir deux niveaux d'agents. Le poste est tellement sensible qu'il faut renforcer la formation des titulaires. En outre, les milieux de sécurité sont assez facilement noyautés par des fondamentalistes.

Mme Marie-Carole Ciuntu. - Dans le Val-de-Marne, nous avons toujours milité pour que la prison de Fresnes ne reste pas dans l'état où elle se trouve. Le fiasco calendaire et financier tient sans doute aux choix initiaux qui ont été faits, donc à la relation instaurée entre l'État et les collectivités locales. Les 47 communes du département ont dit non au lieu choisi pour l'implantation d'un nouveau centre carcéral tout comme la région, le département et la métropole, et les élus ont finalement appris la décision du ministère par voie de presse. Comment s'étonner ensuite que tout prenne du temps ?

En outre, le foncier n'est pas forcément adapté. La garde des sceaux, lorsqu'elle s'était déplacée, au début du projet, a semblé découvrir l'absence de RER dans la ville où le centre de détention devait être construit, alors même que nous avions fait remonter l'information. Plus grave encore, même si l'on ne peut pas contester le phénomène de surpopulation carcérale et que l'on est favorable à la construction de nouveaux centres de détention, on ne peut pas effacer l'aspect environnemental. Or, la plupart du temps, on veut construire des prisons sur des terres agricoles.

À l'évidence, il ne peut y avoir que des résistances et une série d'obstacles à ce type de projet. L'absence de desserte, l'impossibilité de circuler, l'engagement d'un projet sur du foncier inadapté entraînent forcément un dérapage du calendrier et des conditions financières catastrophiques.

Gardons en tête qu'il y a pourtant plus de villes qui veulent des prisons que de prisons dont on envisage la construction. Il y a donc des endroits disponibles. Si nous ne tenons pas compte de cette donnée, le fiasco est annoncé.

M. Laurent Somon. - Lundi dernier, j'ai rencontré le directeur de la maison d'arrêt d'Amiens, qui est en surpopulation, puisque l'on y compte deux fois plus de personnes incarcérées que de places disponibles. Le côté immobilier pose manifestement problème. Le plan prévisionnel d'investissement, même s'il est retardé, est en cours de mise en oeuvre. Qu'en est-il de la gestion des ressources humaines ? Le directeur me précisait, en effet, qu'il existait un problème non seulement de recrutement, mais aussi de formation du personnel, dans la mesure où celle-ci a été réduite en temps.

M. Bruno Belin. - Quelles sont les modalités de prise en charge des places de prison pour les femmes enceintes et pour celles qui ont des enfants de moins de 18 mois ? Le financement est-il assuré par l'État, s'agissant du domaine régalien de la justice, ou cela relève-t-il du département, au titre de la protection de l'enfance ? Faut-il le rappeler, les conseils départementaux sont exsangues.

M. Jean-Marie Mizzon. - La mise en oeuvre de ce programme est un véritable fiasco et je me réjouis, au vu de tels dérapages, que l'État ne s'occupe plus de la construction des collèges et lycées. L'État communique trop et les réalisations dérapent partout. Nous l'avions déjà constaté au sujet de l'emploi des crédits du fonds Marianne, même si le montant était bien évidemment beaucoup plus modeste.

Dans les CEF, qui conjuguent enfermement et enseignement, le personnel relève de l'éducation nationale. Or cette institution a déjà du mal à recruter pour sa mission première. Comment envisage-t-elle l'emploi des enseignants dans les CEF ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Il me semble en effet que les CEF doivent être situés près des centres urbains. S'il s'agit de petites villes, il faut vérifier la présence d'infrastructures sanitaires et d'éducation. Rien ne sert de créer ce genre d'établissement dans de grandes métropoles, mais la proximité minimale d'un certain nombre de services s'impose.

Les quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR)  ont bien été mis en place. Quelque 49 millions d'euros ont été programmés depuis 2016. Ils ne sont pas saturés, puisque, au 1er juillet 2023, 37 places sur 60 sont occupées à Paris ; les 30 places disponibles à Marseille sont occupées ; à Lyon, 11 places sur 30 sont occupées et à Lille 13 places sur 30 sont occupées.

Je souscris au questionnement de notre collègue Dominique de Legge sur les agences. Toutefois, l'APIJ a plus de 20 ans d'expérience et a démontré sa capacité à conduire des projets de grande ampleur - la difficulté provient des commandes contradictoires qui lui sont adressées. Elle doit en revanche pouvoir davantage s'appuyer sur l'ensemble des personnels qui gèrent les établissements et une capacité d'audit doit être développée.

La relation de l'État avec les collectivités territoriales pose en effet problème. Certaines villes sont demandeuses de ce type d'établissement, mais l'État les impose à d'autres collectivités. Dans le Val-de-Marne, les problématiques de desserte n'ont pas été suffisamment prises en compte. Ce n'est pas en cabrant les élus que l'on parviendra à mener à bien des projets, mais en engageant un dialogue très en amont. Si l'on veut progresser sur le respect du calendrier, sans doute faudrait-il changer la méthode de concertation et de consultation pour l'implantation des établissements pénitentiaires.

En ce qui concerne la standardisation, je voulais simplement suggérer qu'elle était susceptible de faire gagner du temps dans la conception et la réalisation - c'est du moins ce qu'a montré le plan Chalandon. Néanmoins, les unités psychiatriques sont indispensables dans les établissements, et il faut en tenir compte. La standardisation ne signifie pas la disparition des quartiers adaptés aux profils des détenus.

Dans le plan 15 000, la mise en place des PPP a été complètement abandonnée, car l'on a constaté qu'ils avaient donné lieu à des surcoûts importants et à des difficultés dans la gestion des établissements.

Le plan 15 000 doit conduire à la création de 1 700 places en maisons d'arrêt, 2 500 places en structures d'insertion et 10 000 places en établissements pénitentiaires, qui comprennent au moins deux types de quartiers. Dans l'établissement que j'ai visité, à Mulhouse, on trouve un quartier pour les femmes, un quartier de détention, deux quartiers de maisons d'arrêt, un quartier d'insertion pour les jeunes et un quartier expérimental de confiance.

La prison est faite non seulement pour punir et réinsérer, mais aussi pour protéger les victimes. Pas moins de 40 000 téléphones portables sont saisis chaque année dans les cellules, qui permettent aux prisonniers de continuer de harceler leurs victimes.

J'ai visité le CEF d'Épernay, situé en centre-ville, qui a été réaménagé et qui est géré par le secteur associatif habilité, grâce à un engagement de grande qualité de la part des éducateurs. Une jeune femme a fait une demande pour y séjourner plus longtemps afin de pouvoir terminer son parcours de formation sans être gênée par un environnement familial toxique. Cela témoigne d'une prise en charge importante qui contribue efficacement à la réinsertion de certains jeunes.

Le recours aux contractuels devient une nécessité. Ils ne pourront intervenir qu'en complément et en soutien des surveillants et il faut bien entendu assurer leur formation. Certaines personnes qui travaillent déjà dans le domaine de la sécurité peuvent être intéressées par les métiers de l'administration pénitentiaire. Dans les prochaines années, nous risquons d'être confrontés à de grandes difficultés pour recruter. Les campagnes de communication ne suffiront pas. Le garde des sceaux a octroyé aux surveillants pénitentiaires d'accéder à la catégorie B. Il faut continuer de travailler sur le statut des agents.

Je renvoie à la lecture de mon rapport d'information sur l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP). En effet, celle-ci a été remaniée en deux formations, dont une en stage pratique dans les établissements, pour absorber le volume important de surveillants pénitentiaires à former. Nous avons besoin d'agents en nombre suffisant pour faire fonctionner les nouveaux établissements qui verront le jour.

J'ai visité les établissements dont vous parlez, monsieur Belin. Par définition, la prison est gérée par l'État, qui doit organiser sa relation financière avec les départements pour soulager ces derniers.

Certes, il y a un fiasco ou du moins un dérapage. Plutôt que de communiquer, il faut des résultats. Je souhaite que ce rapport serve à interpeller le garde des sceaux sur ce sujet qu'il connaît bien.

M. Claude Raynal, président. - Nous remercions le rapporteur spécial pour son travail

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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