Remise du prix de la
délégation
à Valérie Bacot et Sylvie Testud
Mesdames, c'est avec beaucoup d'émotion que nous vous accueillons toutes deux aujourd'hui au Sénat.
Madame Valérie Bacot, nous vous avions reçue au sein de notre délégation le 4 novembre 2021. Vous nous aviez livré un témoignage bouleversant du calvaire que vous avez traversé et des défaillances des structures qui auraient dû vous venir en aide. Vous menez désormais un combat afin que ce qui vous est arrivé ne se reproduise plus.
Vous nous l'aviez expliqué : votre premier objectif est de faire connaître le « syndrome de la femme battue » et les phénomènes d'emprise, afin que les femmes qui les vivent en prennent conscience et que les professionnels de santé et les forces de l'ordre, comme la colonelle de gendarmerie Véronique Sandahl ici présente, sachent les reconnaître et accueillir au mieux la parole des femmes qui se tournent vers eux.
Vous vous battez également pour que les femmes vivant dans les campagnes soient mieux prises en charge. Malheureusement, dans les campagnes, même lorsque « tout le monde sait », les violences sont bien souvent tues et ignorées. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle votre livre s'intitule Tout le monde savait.
Il est donc primordial de faire venir davantage de dispositifs d'aide dans les campagnes et de les faire connaître. Vous-même nous aviez dit n'avoir découvert le 3919, numéro d'urgence pour les femmes victimes de violences, qu'au tribunal... Lors de notre travail sur femmes et ruralités, nous nous sommes rendu compte que l'on croit, parce que l'on a un smartphone à la main, que l'information circule, mais parfois cette dernière circule moins bien que si nous n'en avions pas...
Merci, chère Madame Bacot, d'être présente aujourd'hui. Je sais combien vous êtes pudique et sensible, et combien il est toujours douloureux pour vous de vous exprimer en public.
Je salue également la présence à vos côtés de celle qui vous a incarnée dans l'adaptation au théâtre de votre livre Tout le monde savait.
Madame Sylvie Testud, en décembre 2022, beaucoup de sénatrices et de sénateurs de la délégation ont assisté à une représentation de Tout le monde savait au théâtre de l'OEuvre. Je m'en souviens très bien : nous nous retrouvions pour un moment de convivialité, et nous avions choisi d'aller vous voir au théâtre.
Je reste estomaquée par le souvenir de votre performance. J'avais l'impression que vous ne formiez qu'un avec cette vie et ces souffrances, que vous incarniez totalement le personnage. À l'issue de la représentation, je me suis dit que ce travail, répété aussi régulièrement, devait être physiquement et mentalement une épreuve de haut niveau. Seule sur scène, vous avez joué tous les rôles et même fait vivre les absents : son bourreau, mais aussi tous ceux qui se sont tus, qui savaient, mais n'ont rien fait, qui auraient pu vous venir en aide, mais qui ont préféré détourner le regard. Ce silence meurtrier est lancinant tout au long de la pièce. La tension était palpable dans la salle.
Je pense que c'est la force de cette pièce : nous faire prendre conscience, à nous spectateurs, de notre rôle et de l'impérieuse nécessité d'entendre la parole des victimes, comme l'évoquait à l'instant Édouard Durand. C'est aussi cela le théâtre : ouvrir les yeux et les oreilles du public et créer des prises de conscience collectives. Je suis convaincue que votre performance y a contribué largement.
Mesdames, vous attribuer à toutes deux le prix de la délégation aux droits des femmes est une façon pour nous de signifier notre vigilance continue face aux violences conjugales et notre combat pour soutenir les femmes victimes. Madame Bacot, votre audition au Sénat a été vécue comme un moment traumatisant : la manière dont vous avez raconté votre histoire, simplement, avec vos mots et votre pudeur, nous a tous marqués, pour longtemps. Votre témoignage et votre action aident les victimes, nous vous en remercions. (Applaudissements.)