II. UN PROCESSUS QUI A PERMIS LE RETOUR DE LA PAIX SUR LE TERRITOIRE ET LA CONSTRUCTION D'UN SYSTÈME INSTITUTIONNEL ORIGINAL

Les rapporteurs saluent le respect des engagements pris par l'État et les acteurs locaux lors de l'accord de Nouméa qui a permis d'aboutir, au terme d'un processus politique complexe, à de nombreuses réussites pour la Nouvelle-Calédonie et l'ensemble des Calédoniens.

A. LE RETOUR ET LE MAINTIEN DURABLE DE LA PAIX

Au premier rang de ces réussites se trouvent le retour et le maintien durable de la paix sur le territoire après quatre années de guerre civile (1984-1988), conditions nécessaires à l'émergence d'une identité calédonienne unique et au développement économique et social du territoire.

Les craintes d'une résurgence de la violence au lendemain des trois consultations d'autodétermination se sont avérées infondées. Les élus locaux, de toutes formations politiques, n'ont jamais appelé à l'action violente et l'État a cherché, à chaque occasion, à sécuriser les processus électoraux et à favoriser le dialogue.

À titre d'exemple, les élus indépendantistes, s'ils ont contesté l'organisation de la troisième consultation d'autodétermination du 12 décembre 2021, ont privilégié sur la violence les appels à la non-participation au scrutin et multiplié les actions légales en déposant deux recours devant le Conseil d'État, tous deux rejetés13(*).

B. UNE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE ÉPROUVÉE

1. La réussite tardive mais confirmée de l'alternance politique dans les institutions de la Nouvelle-Calédonie

La réussite de l'alternance politique est à mettre au crédit du processus de Nouméa.

Les provinces comme les communes sont dirigées de façon stable et équilibrée par toutes les sensibilités politiques également présentes au Congrès. Cette représentation politique diversifiée n'avait permis aux indépendantistes de présider ni le Congrès ni le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie après les quatre premières élections provinciales.

Néanmoins, l'élection de l'actuel président du gouvernement, Louis Mapou, en 2021, et du président du Congrès, Roch Wamytan, en 2019, ont permis de consacrer l'alternance politique comme l'un des acquis de l'accord de Nouméa et ont donné corps au principe de partage des pouvoirs à l'échelle de la Nouvelle-Calédonie.

2. L'affirmation des provinces comme échelon territorial de base de l'architecture institutionnelle calédonienne

La seconde innovation institutionnelle de ce processus politique inédit est la création d'un nouvel échelon territorial : les provinces, créées à la suite des accords de Matignon-Oudinot, devenues la pierre angulaire du système politique calédonien et incarnant le principe de partage du pouvoir.

Les provinces, élevées au rang de « collectivités territoriales de la République »14(*), disposent en effet d'une compétence de droit commun, les compétences dévolues à l'État et la Nouvelle-Calédonie et les communes étant limitativement énumérées par la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Elles interviennent dans de nombreux domaines tels que l'enseignement primaire, la protection de l'environnement et le développement économique. Les provinces jouent donc un rôle central dans l'administration du territoire, d'une part, et dans le jeu institutionnel, d'autre part, puisque les élections provinciales, organisées tous les cinq ans, permettent d'élire les membres du Congrès parmi les 76 conseillers de province.

À l'origine, le découpage du territoire calédonien en provinces devait permettre de définir l'échelon institutionnel pertinent pour mettre en oeuvre le rééquilibrage, le Nord et les Iles étant moins peuplés et moins développés que le Sud, et permettre aux responsables indépendantistes d'accéder à l'exercice du pouvoir politique. Si le succès du rééquilibrage reste à parfaire - les déséquilibres démographiques ont eu tendance à s'accroître au profit du Sud qui compte désormais 65 % de la population15(*) -, il ne fait aucun doute que la création des provinces a permis à l'ensemble des sensibilités politiques calédoniennes de participer à la vie démocratique du territoire et de donner corps au principe de partage du pouvoir.

3. Une gestion des crises politiques et sanitaires qui démontre les imperfections mais aussi la solidité du processus de Nouméa

La Nouvelle-Calédonie a été traversée par de nombreuses crises politiques depuis la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa, dont aucune n'a abouti à la paralysie complète et durable du territoire. Cette situation de fait démontre à la fois les fragilités d'un système politique qui favorise la collégialité au détriment du principe majoritaire mais aussi sa résilience et la capacité des responsables politiques locaux à dialoguer pour résoudre les difficultés de manière consensuelle. Depuis 2009, le président du gouvernement a été remplacé par trois fois au cours de la mandature (en 2011, 2015 et 2021) du fait des changements de majorité au sein de cette institution collégiale.

Afin de limiter les périodes de blocage qui ont conduit, à quatre reprises16(*), à l'absence de gouvernement ou de président élu, pour des périodes de plusieurs mois, le législateur a modifié, par la loi organique n° 2011-870 du 25 juillet 2011, l'article 121 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Cette modification, qui n'a pas totalement résolu le problème de l'instabilité gouvernementale, a toutefois permis d'empêcher que le gouvernement ne soit renversé par des démissions collectives successives et démontré la résilience et la capacité d'adaptation des institutions calédoniennes.

En complément, la gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a démontré, d'une part, la capacité des institutions calédoniennes et de l'État de travailler ensemble, chacun dans le respect de ses compétences, à la résolution efficace d'une crise, et, d'autre part, la force des institutions calédoniennes pour résoudre les problèmes résultant de cette crise au niveau pertinent et en déployant des mesures adaptées des spécificités du territoire.

La gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19

Grâce à l'action volontariste du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et au soutien de l'État, le territoire a réussi à se prémunir de l'arrivée durable du virus de la covid-19 durant dix-neuf mois. Considérant que ces mesures relevaient de la politique de la santé, transférée à la Nouvelle-Calédonie, et non des libertés publiques, de la responsabilité de l'État , le gouvernement a mis en place, dès le début de la pandémie, un sas sanitaire très strict qui a tari le flux de personnes entrant sur le territoire.

L'entrée en Nouvelle-Calédonie n'était possible que dans des cas extrêmement limités et à la condition d'effectuer un isolement obligatoire de quinze jours dans un lieu d'hébergement réquisitionné, la sortie définitive n'étant autorisée que sur présentation de tests sérologiques négatifs.

Ce dispositif, financé à hauteur de 82 millions d'euros par l'État, a permis de limiter considérablement l'impact du virus - qui ne s'est propagé sur le territoire qu'à partir de septembre 2021 - sur la population calédonienne pourtant frappée par une prévalence importante de facteurs aggravants (obésité, comorbidités, etc.). Le taux de mortalité lié à la covid-19 s'est ainsi élevé à 0,1 % en Nouvelle Calédonie soit deux fois moins que le taux constaté à l'échelle nationale.

La gestion de la crise sanitaire a démontré l'esprit de responsabilité des élus calédoniens et la capacité de l'État à accompagner les décisions prises localement.


* 13 Conseil d'État, 10 novembre 2021, req. n° 456139 et Conseil d'État, 3 juin 2022, req. n°s 459711, 459753.

* 14 Article 3 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

* 15  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4464927?sommaire=2122859

* 16 En 2011, 2015, 2017 et 2021.