B. LES INSTITUTIONS POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES ISSUES DES ACCORDS SOUFFRENT AUJOURD'HUI DE DÉFAUTS SOULIGNÉS PAR L'ENSEMBLE DES PARTIES
Les auditions menées par les rapporteurs ont révélé les fragilités du système institutionnel institué par les accords de Matignon et de Nouméa, détaillé par la loi organique du 19 mars 1999 précitée. Les institutions créées par l'accord de Nouméa font en effet l'objet de critiques nourries de la part tant des acteurs politiques que des représentants des acteurs économiques, sociaux, culturels, environnementaux, et de services de l'État en Nouvelle-Calédonie, illustrant la nécessité de réformes institutionnelles.
Trois types de critiques ont ainsi été systématiquement évoqués au cours des auditions.
Le premier concerne la répartition des compétences entre les institutions de Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas jugée aujourd'hui pleinement satisfaisante.
Ainsi, l'ensemble des acteurs auditionnés a déploré l'enchevêtrement des compétences telles que réparties entre les différentes institutions de Nouvelle-Calédonie par la loi organique de 1999, source d'inefficacité des politiques publiques, de surcoûts et d'un défaut de lisibilité tant pour les citoyens que les acteurs politiques et économiques.
Il en va ainsi en particulier de la compétence urbanisme qui est répartie entre l'échelon communal et l'échelon provincial, de telle sorte que toute modification des documents d'urbanisme à un niveau communal doit être approuvée par la province dans laquelle il se situe. Particulièrement critiqué par Sonia Lagarde, maire de Nouméa, un tel enchevêtrement des compétences aboutit non seulement à un sentiment de dessaisissement de leur compétence par les maires mais également à une inefficacité de la politique de l'urbanisme et, par suite, du logement et de l'aménagement, dont les procédures sont particulièrement longues et coûteuses.
De la même manière, les difficultés rencontrées dans l'exercice par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de certaines compétences transférées, en particulier le droit civil et le droit commercial, sont reconnues par de nombreux acteurs politiques comme économiques.
Des difficultés d'appropriation des compétences juridiques rendant complexe l'émergence d'un corpus juridique comparable à celui de l'hexagone
S'il est indéniable que la procédure d'adoption de lois du pays par les institutions de la Nouvelle-Calédonie fonctionne puisque 15 codes ont été publiés et 273 lois de pays adoptées, il n'en demeure pas moins que, comme l'ont révélé les auditions des rapporteurs, de nombreux corpus juridiques transférés à la Nouvelle-Calédonie ne sont ni actualisés au regard des avancées juridiques existantes dans l'hexagone, ni adaptés aux spécificités du territoire calédonien comme l'exercice local de ces compétences l'y invite.
Ainsi, comme le relève le bilan de l'accord de Nouméa, cela s'illustre sur trois champs normatifs spécifiques :
- « en matière de procédure civile, la dématérialisation des notifications des actes n'est pas possible. Les mécanismes de saisie automatique sur salaire ou sur compte bancaire pour la mise en oeuvre de décisions (paiement de pension par un parent par exemple) sont également inexistants » ;
- « en droit du travail : la rupture conventionnelle (ou une adaptation) est absente du code du travail » ;
- « en matière d'aviation civile, certains référentiels normatifs n'ont pas évolué depuis le transfert. Le référentiel réglementaire est ainsi différent pour les pompiers de l'aéroport de Tontouta (État) et pour ceux de l'aéroport de Magenta (Nouvelle-Calédonie), pouvant créer incohérences et inefficience (les formations sont différenciées) »32(*).
Par ailleurs, la répartition actuelle des compétences entre les institutions calédoniennes est, selon certains acteurs auditionnés, source d'inefficacité et de difficultés concrètes pour les citoyens.
À titre d'exemple, les organisations syndicales ont unanimement dénoncé les difficultés à instituer une plateforme unique d'offres d'emplois publics abondée par l'ensemble des collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie, alors même que le territoire recense moins de 8 000 demandeurs d'emplois. Les acteurs économiques réunis dans le consortium NC Eco ont particulièrement insisté sur le morcellement du droit de l'environnement en Nouvelle-Calédonie qui, relevant d'une compétence provinciale, varie d'une province à l'autre et complexifie les activités économiques.
La deuxième série de critiques porte sur
les difficultés
rencontrées dans le fonctionnement
quotidien des institutions de la Nouvelle-Calédonie, et en
particulier l'inertie résultant du principe de
collégialité présidant au processus
décisionnel calédonien.
Un consensus semble exister localement sur la nécessité de leur rénovation afin, notamment, de garantir la continuité des institutions de la Nouvelle-Calédonie et de faciliter l'adoption de réformes visant à redresser la situation budgétaire et financière du territoire et de renforcer l'efficacité des dépenses publiques.
Il est, à cet égard, particulièrement éclairant de noter que la Nouvelle-Calédonie a connu, depuis 1999, dix-sept gouvernements et dix présidents de gouvernement alors que seules cinq élections provinciales et au Congrès ont été organisées. Aussi l'année 2011 est-elle l'exemple paroxystique de l'instabilité gouvernementale en Nouvelle-Calédonie : pas moins de cinq gouvernements se sont succédé en une seule année, notamment du fait de la faculté ouverte à toute liste issue d'un seul groupe au Congrès de faire tomber le gouvernement sous l'effet de démissions collectives.
De surcroit, la Nouvelle-Calédonie a connu plusieurs périodes significatives - entre trois et six mois - sans gouvernement et sans président élu du Congrès, tant après une victoire électorale des indépendantistes (entre le 17 février 2021, date des élections provinciales, et le 16 juillet 2021, date de la formation du gouvernement) qu'une victoire des non-indépendantistes (entre le 31 août 2017 et le 1er décembre 2017).
Enfin, comme l'avait déjà souligné une précédente mission de la commission des lois du Sénat en 2015, « les réformes appelées de ses voeux par la population n'aboutissent toutefois que difficilement au terme d'un marathon procédural en raison de la multiplication des oppositions et de l'absence d'accord permettant de dégager une majorité33(*) ». L'alternance politique qu'a représenté l'accession à la présidence du Congrès comme du gouvernement du FLNKS, n'a pas permis d'endiguer ces difficultés procédurales comme politiques résultant des règles, en particulier de collégialité et de majorités qualifiées, enserrant les décisions du Congrès.
En effet, l'exercice quotidien du processus collégial de décision, dans un contexte où l'exercice de compétences dévolues par l'État à la Nouvelle-Calédonie en vue de son autonomisation revêt des enjeux symboliques forts et est apprécié à l'aune d'un clivage politique plus large quant à l'avenir du territoire, est particulièrement source d'inertie, y compris sur des sujets techniques. Chaque projet de réforme, même technique, peut être source de désaccord tant il est apprécié politiquement à l'aune des conséquences réelles ou théoriques sur la nature du futur lien entre le territoire et la République.
À titre d'exemple, en application de la convention de transfert du droit civil et commercial à la Nouvelle-Calédonie, deux magistrats judiciaires ont été mis à la disposition des institutions calédoniennes afin de les accompagner, notamment, dans l'actualisation des corpus juridiques calédoniens. Si ces travaux ont abouti à des recommandations techniques d'actualisation et d'amélioration rédactionnelle du corpus juridique calédonien, aucun n'a été effectivement traduit dans ce corpus juridique, les débats au Congrès ayant été paralysés par des discussions politiques sur la pertinence de conserver l'exercice de ces compétences au niveau du territoire, entre les élus indépendantistes désireux de maintenir l'irréversibilité du transfert de ces compétences et les élus non-indépendantistes prônant une remontée de celles-ci au niveau national.
Enfin, la dernière série de critiques portait sur les faiblesses de l'institution communale, grande oubliée des accords de Matignon et de Nouméa.
Outre l'exemple de la compétence urbanisme, exercée en lien avec une autre collectivité, les maires rencontrés par la mission ont unanimement déploré leur manque de moyens pour exercer les compétences de proximité et du quotidien qu'ils sont pourtant les seuls capables d'exercer efficacement et en lien avec les besoins des citoyens.
Ils ont, à ce titre, particulièrement insisté sur le manque de moyens financiers et singulièrement fiscaux, à leur main, contrairement aux deux autres types de collectivités calédoniennes. Ainsi, les deux associations des maires présentes en Nouvelle-Calédonie ont convergé dans leur souhait de doter les communes de Nouvelle-Calédonie d'une autonomie financière mais aussi d'outils d'intercommunalité similaires à ceux dont peuvent bénéficier les communes de l'hexagone.
Dès lors, les rapporteurs constatent que, loin d'être des difficultés conjoncturelles ou imputables à une seule élection ou une seule majorité, les institutions issues de l'accord de Nouméa souffrent aujourd'hui de défauts soulignés par l'ensemble des parties qu'il conviendra de corriger dans un prochain statut.
* 32 Source : bilan de l'accord de Nouméa (mai 2023), p. 30.
* 33 Rapport de la commission des lois précité, p. 26.