III. DES ÉCHECS QUI FREINENT LE DÉVELOPPEMENT POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DU TERRITOIRE
Alors qu'un cycle politique de trente-quatre ans semble se clore, les rapporteurs ne peuvent que constater qu'il n'aura pas apporté toutes les réponses espérées.
S'il est loin d'avoir été vain, en ce qu'il a contribué à apporter à ce territoire une paix civile dont la nécessité ne saurait jamais être rappelée avec suffisamment de force, ce cycle n'a cependant pas permis de résoudre les difficultés politiques, économiques et sociales, qui ont justifié son engagement.
A. L'ABSENCE DE FIN CONSENSUELLE AU TERME D'UN PROCESSUS OUVERT IL Y A 34 ANS
Long de plus de trente ans, le processus enclenché par les accords de Matignon et de Nouméa n'a pas connu une fin consensuelle.
Comme l'avait déjà relevé la mission dans son rapport d'étape : « malgré d'incontestables avancées, ce processus n'a pas permis de dégager de solution politique consensuelle et définitive quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Les rapporteurs n'ont pu que le constater, les différents mécanismes mis en place par l'accord de Nouméa n'ont pas fait émerger une vision pleinement partagée au sein de la population calédonienne quant à l'avenir institutionnel de l'archipel »27(*).
Extraits du rapport d'étape de la mission, p. 18-22
«Premièrement, l'organisation de trois consultations relatives à l'autodétermination n'a pas permis de sortir d'un vote qualifié d'« identitaire » par les chercheurs. En effet, pour Alain Christnacht, « l'espoir exprimé dès les accords de Matignon et renouvelé avec l'accord de Nouméa, c'était précisément de sortir d'un déterminisme ethnique opposant les Kanaks, pour l'indépendance, et tous les autres, contre »28(*). Or, pour Sylvain Brouard et Samuel Gorohouna, chercheurs au CEVIPOF et au LARJE, « le premier déterminant du vote pour le « oui » est l'appartenance communautaire et singulièrement à la communauté Kanak puis Océanienne », et ce lors des trois consultations29(*).
Ainsi, comme le conclut Alain Christnacht, « au terme des trois référendums, le pari initial - à savoir sortir à terme du clivage ethnique - n'a pas vraiment été tenu ».
Plus encore, ce processus n'a pas épuisé les revendications de chacune des parties, et singulièrement celles des partis politiques indépendantistes en faveur de l'accession à la pleine souveraineté.
À l'issue du dernier scrutin, Roch Wamytan, président du congrès de la Nouvelle-Calédonie a déclaré que « les deux groupes sont renvoyés dos à dos » et confirmé sa vision politique selon laquelle « la Nouvelle-Calédonie conserve sa vocation à être indépendante, un jour »30(*).
À l'inverse, du côté non-indépendantiste, Sonia Backès, présidente de la province Sud, réagissait en affirmant que « la question de l'appartenance à la République ne se pose plus. Ce qui va se poser, c'est la construction d'un projet de société et il nous appartient de le construire tous ensemble »31(*).
(...)
Deuxièmement, l'organisation politique calédonienne demeure largement déterminée par les débats institutionnels. Le débat politique est ainsi polarisé par le positionnement vis-à-vis de l'indépendance, qui demeure un critère d'identification fort pour l'ensemble des formations et du personnel politiques calédoniens. Les principaux responsables politiques continuent de porter des visions antagonistes de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie au cours des campagnes électorales locales mais également nationales.
Ainsi, toutes les strates de l'organisation politique calédonienne sont organisées selon ce clivage :
- les maires de Nouvelle-Calédonie sont représentés par deux associations, l'association des maires de Nouvelle-Calédonie et l'association des maires français de Nouvelle-Calédonie, auxquels ils adhérent en fonction, à une exception près, de leur positionnement quant au maintien ou non de la Nouvelle-Calédonie dans la République française ;
- aucune des trois provinces de Nouvelle-Calédonie, qui ont été découpées afin de permettre une répartition du pouvoir politique entre les partis indépendantistes au Nord et dans les Iles Loyauté et non-indépendantistes au Sud de la Nouvelle-Calédonie, n'a connu d'alternance politique au cours des trente dernières années ;
- le congrès de la Nouvelle-Calédonie est structuré autour de groupes politiques classés selon leur positionnement par rapport à la question de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, à l'exception du parti de l'Éveil Océanien. Ce dernier, bien que refusant de se positionner sur cette question, ne s'extrait toutefois pas de cette summa divisio puisque, par la voix de son président, Milakulo Tukumuli, auditionné par les rapporteurs, il « prône un équilibre entre les deux forces qui ne peut se réaliser que par la répartition du pouvoir politique » entre les partis indépendantistes et non-indépendantistes au sein du congrès et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;
- le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, bien qu'il repose sur un fonctionnement collégial, est structuré selon les mêmes forces politiques.
(...)
Troisièmement, si la société civile aspire à ce que de nouveaux thèmes, principalement économiques, éducatifs et sociaux, prennent la place qui leur revient dans le débat politique calédonien, force est de constater que n'a pas émergé de celle-ci une solution spontanée - et indépendante des formations et du personnel politiques - aux divisions que connaît ce territoire. La période ouverte par les accords de Matignon et prolongée par l'accord de Nouméa n'a ainsi pas permis de dégager par elle-même une vision politique partagée au sein de la société calédonienne qui s'imposerait, le temps aidant, avec la force de l'évidence.
* 27 Rapport d'étape de la mission précité, p. 24.
* 28 Audition par la commission des lois du Sénat le 7 juin 2022, le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220613/lois.html#toc5.
* 29 Sylvain Brouard et Samuel Gorohouna, « Comportements référendaires en Nouvelle-Calédonie : Régularités et changements lors des scrutins des 4 novembre 2018 et 4 octobre 2020 », Cahiers du LARJE, n° 2021-2, décembre 2021. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://larje.unc.nc/wp-content/uploads/sites/2/2021/12/2021-2-S-Gorouhan-et-S-Brouard-B.pdf.
* 30 Op. cit., p. 11.
* 31 Réactions recueillies par NC la 1ère, « les loyalistes se félicitent de la victoire du non et les indépendantistes restent discrets mais contestent le scrutin », 13 décembre 2021. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/référendum-les-loyalistes-se-felicitent-de-la-victoire-du-non-les-independantistes-restent-discrets-mais-contestent-le-scrutin-1179166.html