C. DES INDICATEURS SOCIO-ÉCONOMIQUES ET BUDGÉTAIRES DÉGRADÉS
Au cours des auditions menées en Nouvelle-Calédonie, la quasi-totalité des personnes entendues ont évoqué l'évolution institutionnelle. Les rapporteurs ont cependant été frappés de constater à quel point la question institutionnelle et les controverses qu'elle suscite au coeur du débat public pouvaient occulter d'autres enjeux tels que le développement économique et social du territoire et la mise en place des conditions pour aboutir au destin commun qu'appelle de ses voeux le préambule de l'accord de Nouméa.
Lors de leur audition, les acteurs issus du monde économique comme les principaux syndicats ont unanimement estimé que la focalisation excessive sur les questions institutionnelles s'opérait au détriment du traitement des questions économiques et sociales.
Les rapporteurs ont donc souhaité s'arrêter sur les trois principales difficultés socio-économiques à l'échelle du territoire qui, quel que soit le futur statut institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, doivent trouver des solutions politiques efficaces afin de maintenir la paix civile et favoriser le développement économique sur le territoire calédonien.
1. La baisse démographique et les départs volontaires de citoyens calédoniens
La mission a été, à plusieurs reprises, alertée par les acteurs politiques mais aussi économiques et sociaux sur l'inquiétante atonie de la croissance démographique sur le territoire calédonien et, en particulier, sur l'augmentation du nombre de départs volontaires de résidents ou citoyens calédoniens.
Ainsi, si au 1er septembre 2019, 271 407 personnes vivaient en Nouvelle-Calédonie, celle-ci a connu une diminution historique au 1er janvier 2022, s'établissant à niveau inférieur à 270 000 habitants, le plus bas niveau depuis 201534(*).
Depuis 2014, le nombre d'habitants augmente en moyenne de 0,2 % par an en Nouvelle-Calédonie. La Nouvelle-Calédonie enregistre ainsi son taux de croissance de population le plus bas depuis plus de cinquante ans et, plus préoccupant encore, celui-ci est plus faible qu'en France métropolitaine (une progression de 0,4 % par an entre 2012 et 2017), que dans les départements d'outre-mer ou qu'en Polynésie française (avec des progressions de 0,6 %).
Comme l'illustre le graphique ci-dessous, cette atonie de la croissance démographique calédonienne s'explique, à titre principal, par la conjonction de deux phénomènes : d'une part, la diminution du nombre de naissances pesant, à la baisse, sur le solde naturel et, d'autre part, un solde migratoire apparent devenu négatif depuis plusieurs années.
Évolution de la croissance
démographique
et de ses différentes composantes en
Nouvelle-Calédonie entre 1969 et 2019
Source : INSEE35(*)
En effet, depuis 2020, le nombre annuel de naissances s'est établi sous le seuil des 4 000 naissances par an, pour la première fois depuis trente-cinq ans. Il s'est établi à, respectivement, 3 339 et 3 930 naissances en 2020 et en 2021. Comme le notait l'institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie, « la baisse tendancielle du nombre de naissances, observée depuis une dizaine d'années, se confirme [depuis 2020] et s'accentue »36(*).
En outre, le net fléchissement démographique s'explique par un solde migratoire apparent devenu négatif pour la première fois depuis près de quarante ans en 2014. Comme le souligne l'Insee dans son dernier recensement, « entre 2014 et 2019, 27 600 personnes qui vivaient en Nouvelle-Calédonie en 2014 ont quitté l'archipel, soit un habitant sur dix. Les trois quarts des départs concernent des personnes qui ne sont pas nées en Nouvelle-Calédonie, les autres correspondant souvent à des étudiants. Les départs sont deux fois plus nombreux qu'au cours des cinq années précédentes. Inversement, 17 300 personnes qui ne vivaient pas en Nouvelle-Calédonie en 2014 sont arrivées depuis »37(*). Ainsi, le solde migratoire apparent est déficitaire de 10 300 personnes entre 2014 et 2019, ce qui représente 2 000 départs nets par an.
Cette situation particulièrement inquiétante aux yeux des rapporteurs semble trouver une explication multifactorielle mais dont le contexte institutionnel revêt un part significative. Ainsi, d'un constat partagé avec l'Insee, il apparaît que « trois principaux motifs peuvent expliquer ce déficit migratoire : le faible dynamisme économique observé depuis la chute des prix du nickel en 2015 et la fin des phases de construction d'usines de transformation de nickel, les appréhensions suscitées par l'incertitude institutionnelle durant la période des trois référendums d'auto-détermination et la mise en place concrète de la loi sur la protection de l'emploi local attirant moins de main-d'oeuvre extérieure »38(*).
2. L'incertitude économique et le ralentissement de l'activité économique locale
Autre sujet d'inquiétude pour les acteurs rencontrés par les rapporteurs, le ralentissement de l'activité économique depuis plusieurs années en Nouvelle-Calédonie, couplé à l'incertitude liée aux discussions politiques relatives à l'avenir institutionnel.
En effet, comme l'avait fait valoir le consortium d'acteurs économiques NC Eco dès 2021, « à une croissance atone, installée sur un régime au ralenti, s'ajoute la fin d'un cycle politique : l'échéance des « Accords ». Les résultats du deuxième référendum ont plongé l'ensemble du monde économique calédonien dans un état de profonde inquiétude. L'inextricable clivage politique est aujourd'hui vécu comme un poids supplémentaire qui compromet toute reprise économique. L'attentisme lié à l'incertitude institutionnelle mine l'économie »39(*).
Cela se traduit directement par une forte volatilité de l'indicateur du climat des affaires qui ne s'est établi, depuis 2016, qu'une seule fois à hauteur de son niveau moyen entre 1999 et 2021, et ce, en 2022, à l'issue du cycle référendaire des accords. Toutefois, après cette embellie en 2022, le climat des affaires semble déjà, au premier trimestre de l'année 2023, s'essouffler et annoncer une nouvelle dégradation de ce dernier.
Évolution de l'indicateur du climat des
affaires entre 2019 et 2023
(100 = moyenne de longue période, 1999 -
2021)
Source : IEOM40(*)
En parallèle, l'incertitude planant sur le monde économique a pour effet direct de limiter les investissements des entreprises privées, en particulier s'ils sont lourds et pluriannuels. Ainsi, comme le révélait l'IEOM, « en 2022, la majorité des entreprises reste toutefois très prudente sur les prévisions d'investissement à 12 mois. Ce solde d'opinion diminue au dernier trimestre de l'année pour la quatrième fois consécutive et se maintient sous sa moyenne de longue période »41(*).
3. La situation budgétaire et financière très dégradée de la Nouvelle-Calédonie et des comptes sociaux
Enfin, les rapporteurs ont été alertés par l'ensemble des acteurs de la classe politique comme de la société civile sur la situation budgétaire et financière particulièrement dégradée de la Nouvelle-Calédonie et des comptes sociaux calédoniens.
Comme le rappelle la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, « la situation critique des comptes des régimes de protection sociale et de la collectivité de Nouvelle-Calédonie n'est pas récente »42(*) et remonte au moins à l'année 2017.
Toutefois, dans un récent rapport d'observations définitives, la chambre territoriale des comptes a relevé un nombre critique de difficultés budgétaires rencontrées par la Nouvelle-Calédonie et la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) qui agrège l'ensemble des régimes de protection sociale calédoniens.
Sans être exhaustifs, les rapporteurs relèvent que :
- en dépit d'un fonds de roulement global de l'ordre de 15 MdF CFP, la collectivité connaît en permanence des difficultés de trésorerie ;
- les dépenses sanitaires et sociales portées par le budget principal de la Nouvelle-Calédonie ont atteint 25,2 MdF CPF en 2020 et 2021, puis 11,6 Mdf CPF en 2022 ;
- le taux d'endettement de la Nouvelle-Calédonie est de 255 % et celle-ci doit faire prochainement face à d'importantes échéances de remboursement des deux prêts qu'elle a contractés auprès de l'Agence française de développement (AFD) et qui ont été garantis par l'État en 2020 puis 2022 ;
- le déficit global des comptes sociaux a été multiplié par 5,2 entre 2017 et 2020 ;
- certains régimes de protection sociale calédoniens sont proches de la rupture de paiement, notamment le Ruamm dont le déficit a dépassé les 11 MdF CPF en 202243(*).
* 34 Source : dernier recensement de l'Insee, 2019, consultable dans son intégralité à l'adresse suivante : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4924021#titre-bloc-4.
* 35 Op. cit.
* 36 Insee, « Bilan démographique 2020-2021: une dynamique démographique en berne dans un contexte atypique », étude annuelle de 2021 consultable à l'adresse suivante : https://www.isee.nc/population/demographie.
* 37 Op. cit.
* 38 Ibidem.
* 39 NC Eco, « la contribution des acteurs économiques de Nouvelle-Calédonie aux débats institutionnels », avril 2021. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/7875/61358/file/Contribution%20NC%20eco.pdf
*
40 IEOM, étude annuelle de 2022,
consultable à l'adresse :
https://www.ieom.fr/IMG/pdf/synthese_annuelle_nc_2022_etudes.pdf.
* 41 Ibidem.
* 42 « La collectivité de Nouvelle-Calédonie », Rapport d'observations définitives, Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, p. 9.
* 43 Sources : rapport précité de la chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie.