II. RENFORCER LA RESPONSABILITÉ DU POLITIQUE AU SEIN DE LA GOUVERNANCE
A. LA GOUVERNANCE OPÉRATIONNELLE : UNE - IRRÉDUCTIBLE ? - DIVERSITÉ
1. La promotion et la mise en oeuvre de l'ouverture des données : la Plateforme des données de santé, ou Health Data Hub
Le Health Data Hub a été créé en remplacement de l'INDS non plus seulement pour servir d'intermédiaire entre le demandeur de données et les gestionnaires des bases mais pour agir comme un offreur de données à part entière. Censé disposer de copies des bases de données existantes et en centraliser le plus grand nombre possible, il devait donner accès aux demandeurs et proposer lui-même des jeux de données thématiques voire des études, en faisant usage, le cas échéant, d'outils d'intelligence artificielle. D'importants moyens lui sont donnés à cette fin, son budget étant environ trente fois supérieur à celui de l'IDS dans les années 2000, et son personnel dix fois plus nombreux.
Au plan de la gouvernance, le HDH innove d'abord par la présence des industriels à son bord. La mission de préfiguration déjà, était composée, sur 17 membres, de cinq chercheurs, quatre industriels, et six des représentants des pouvoirs publics13(*).
Les parties prenantes du GIP sont au nombre de 56, ce qui porte le nombre de membres de son conseil d'administration à près d'une centaine. Celui-ci n'ayant toutefois pas de pouvoir opérationnel puisque le contrôle des accès a été maintenu dans les mains de la Cesrees et de la Cnil, ni sur la gouvernance stratégique de la politique relative aux données de santé, il s'apparente plutôt à un forum des parties prenantes, à l'instar du rôle que joue, toutes choses égales par ailleurs, le conseil de la CNSA dans la politique de soutien à l'autonomie.
Les écueils rencontrés par le HDH tenant à l'hébergement des données, sur lesquels le présent rapport reviendra ultérieurement, expliquent une partie des difficultés rencontrées avec les autres acteurs de la politique sanitaire, déçus que les espoirs placés dans la création de la plateforme n'aient pas été concrétisés. Début 2023, il semblerait que les établissements de santé aient mis un terme à leur contribution à l'activité de la plateforme.
2. Les autres producteurs de données : une diversité difficilement réductible
Le système de gouvernance des données nationales coexiste avec d'autres modes de gestion de données d'intérêt, elles aussi, national, qui mettent en lumière le caractère nécessairement polycentrique du paysage des données de santé.
· Les registres épidémiologiques, même relatifs à une même pathologie comme les registres des cancers, forment un ensemble encore hétérogène.
Le rapport de Bernard Bégaud, Dominique Polton, et Franck von Lennep de 2017 sur les données de vie réelle relevait déjà que « la gouvernance des cohortes et registres et leur accessibilité pour des organismes extérieurs sont variables. En principe, toutes les grandes cohortes [...] devraient être conçues pour être accessibles à des tiers, mais dans la pratique les situations semblent hétérogènes, avec des exigences financières élevées dans certains cas pour une qualité inégale. »14(*)
Leur gouvernance n'est pas encore venue à bout de cette hétérogénéité. La gouvernance des registres a été refondue en 2015 avec la suppression du comité national des registres créé en 1996 et son remplacement par deux comités : un comité d'évaluation des registres, chargé de l'évaluation scientifique quinquennale des registres et un comité stratégique des registres, copiloté par le directeur général de la santé et le directeur général de la recherche et de l'innovation et auquel participent l'Inserm, l'INCa, la DGOS, Santé publique France et l'ANSM, dont l'objet est de réfléchir aux orientations nationales que l'ensemble des tutelles souhaite donner aux registres dans les prochaines années, par exemple en matière de priorité de couverture ou de financement.
Cette situation a conduit la direction générale de la santé à saisir en juin 2019 le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) d'une demande de réflexion sur la politique nationale des registres, à l'horizon de la fin 202015(*), et à plusieurs études invitant à une centralisation plus franche de la gestion de ces données16(*).
Des débats législatifs récents ont souligné le caractère encore inabouti d'une telle gouvernance, même dans le cas particulier des registres des cancers dans lequel un début de centralisation a été engagé par leur regroupement au sein du réseau Francim, qui travaille à harmoniser les pratiques selon les standards internationaux17(*). Si les grands registres sont bien informatisés, d'autres fonctionnent avec des moyens moins modernes et ont poussé moins loin la dématérialisation. Ce défaut d'homogénéité pose des problèmes de complémentarité et d'articulation avec les bases de données médico-administratives.
· La plateforme de données en cancérologie de l'INCa
L'Institut national du cancer (INCa) poursuit depuis 201918(*) le développement d'une plateforme de données en cancérologie, qui intégrera à terme des données cliniques issues des comptes rendus des réunions de concertation pluridisciplinaires, secondairement des programmes personnalisés de soins et des comptes rendus issus des plateformes de génétique moléculaire, lesquels permettront des études et des estimations au niveau moléculaire et donc potentiellement l'étude de prédispositions.
L'association des données issues de la plateforme à celles des registres des cancers devrait améliorer la capacité des registres à identifier tous les cas de cancers, et plus particulièrement ceux qui ne suivent pas les trajectoires de soins classiques ou qui sont traités dans des structures au-delà du département couvert par le registre. Ces données servent alors de source secondaire de signalement.
La gouvernance de la plateforme est assurée par deux comités : le conseil stratégique et le comité scientifique et éthique, dont la composition et les missions sont définies dans le règlement intérieur de l'Institut.
· Le législateur a en outre confié la gestion de nouvelles bases de données d'intérêt public majeur à différents acteurs, ainsi du dossier pharmaceutique au Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop).
La gouvernance du dossier pharmaceutique, ouvert par défaut depuis la loi « ASAP » du 7 décembre 202019(*), est ainsi assurée par quatre comités de pilotage structurés par métiers sous l'autorité de la présidence du Cnop : un comité de pilotage du numérique en officine, un comité de pilotage du numérique en industrie de santé et distribution en gros, un comité de pilotage du numérique en biologie médicale, et un comité de pilotage du numérique en établissement de santé.
Un comité de suivi rend des avis sur les évolutions du dossier pharmaceutique. Il est composé de représentants des directions du ministère chargé de la santé, d'autorités indépendantes, d'organisations professionnelles du secteur de la santé, de l'Assurance maladie et d'associations de patients.
Le rapport de préfiguration du Health Data Hub jugeait ces données, à maturité « forte », « nécessaires pour avoir des informations sur les prescriptions de médicaments non remboursés ». Différents travaux y voyaient en outre un moyen de recueillir des informations utiles sur « l'adhésion au traitement, sur les raisons de la non-observance ou de l'arrêt de traitement », ou bien un moyen de recueil « de données de base telles que l'IMC ou le tabagisme, dont l'absence dans le Sniiram est particulièrement problématique pour les études pharmaco-épidémiologiques »20(*).
La Cour des comptes, en 2020, a en outre regretté que certains pans du dossier pharmaceutique, tel le DP-suivi sanitaire, soient sous-exploités à des fins de santé publique : « L'utilisation de cette base reste d'autant plus limitée que seul le Cnop y a accès, malgré la loi du 29 décembre 2011 autorisant le ministère de la santé, l'ANSM et l'Institut national de veille sanitaire à l'exploiter. La question de l'intermédiation, payante, par le Cnop se pose d'autant plus que l'accès aux autres bases médico-administratives a été facilité [...] De plus, les pouvoirs publics n'ont pas défini les modalités d'articulation entre cette base de données anonymes et les autres bases médico-administratives. »21(*)
· Plus largement, les équipes de recherche, sur le terrain, expriment une réticence compréhensible à la centralisation de la gestion des données qu'ils produisent.
Les chercheurs auditionnés par la mission ont majoritairement plaidé pour la recherche d'une solution de coordination, de fédération de tous les acteurs autour d'un dispositif décentralisé, davantage que pour un lieu unique centralisant l'ensemble des données produites. Comme l'a indiqué Marie Zins, une base de données exige de l'entretien, et qui mieux que l'équipe de chercheurs l'ayant créée peut y pourvoir ?
Certains membres du comité de préfiguration du Health Data Hub ont d'ailleurs fini par s'opposer au projet finalement retenu, pour créer des solutions alternatives, tel le Ouest Data Hub, plateforme interrégionale des données de santé des hôpitaux universitaires du Grand Ouest, créé par le Pr Marc Cuggia pour assurer le partage des données inter-régionales provenant des différents entrepôts de données de santé.
À rebours des discours politiques ayant entretenu une certaine ambiguïté facilitée par l'usage du terme intraduisible de hub, défini initialement comme « structure partenariale entre producteurs et utilisateurs des données, qui pilotera l'enrichissement continu mais aussi la valorisation du système national de données de santé, pour y inclure, à terme, l'ensemble des données remboursées par l'assurance maladie, en ajoutant les données cliniques des hôpitaux, les données de la médecine de ville, ainsi que les données de grande qualité, scientifique et médicale »22(*), la mission estime que la politique sanitaire exige d'abord de renforcer les efforts de production des données, puis de fédération et d'interconnexion, davantage que de centralisation.
* 13 Voir le tableau réalisé par Chloé Bérut, dans l'étude précitée.
* 14 Bernard Bégaud, Dominique Polton, Franck von Lennep, Les données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la régulation du système de santé - L'exemple du médicament, mai 2017.
* 15 Voir HCSP, Registres et données de santé - utilité et perspectives en santé publique, 14 septembre 2021.
* 16 Voir par exemple F. Guilhot, R. Villet , J. Rouëssé , H. Sancho-Garnier , G. Dubois , J.P. Triboulet, Les cancers en France : vers un registre national de fonctionnement centralisé, rapport fait au nom du groupe de travail sur les registres français du cancer de la commission III (Cancérologie) de l'Académie nationale de médecine, adopté en décembre 2021.
* 17 Voir Proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers, rapport n° 703 (2022-2023) de Mme Nadia Sollogoub, déposé le 7 juin 2023.
* 18 Délibération n° 2019-082 du 20 juin 2019 autorisant l'Institut national du cancer (INCa) à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité la constitution d'un entrepôt de données de santé visant à étudier les trajectoires des personnes atteintes d'un cancer, intitulé : « Plateforme de données en cancérologie ».
* 19 Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.
* 20 Bernard Bégaud, Dominique Polton, Franck von Lennep, Les données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la régulation du système de santé. L'exemple du médicament, mai 2017.
* 21 Cour des comptes, Le dossier pharmaceutique : un outil au service de la santé publique, rapport public annuel, février 2020.
* 22 Discours du Président de la République au Collège de France, le 28 mars 2018.