N° 1519

 

N° 868

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION EXTRAORDINAIRE 2022 - 2023

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 11 juillet 2023

 

le 11 juillet 2023

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

Les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN

sur les plans scientifiques et technologiques
ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection

PAR

M. Jean-Luc FUGIT, député, et M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Président de l'Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET

Premier vice-président de l'Office

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Pierre HENRIET, député

Premier vice-président

M. Gérard LONGUET, sénateur

Vice-présidents

M. Jean-Luc FUGIT, député Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, sénatrice M. Victor HABERT-DASSAULT, député Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice

M. Gérard LESEUL député Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

Mme Christine ARRIGHI

M. Philippe BERTA

M. Philippe BOLO

Mme Maud BREGEON

M. Hadrien CLOUET

M. Hendrik DAVI

Mme Olga GIVERNET

M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

M. Yannick NEUDER

M. Jean-François PORTARRIEU

Mme Mereana REID ARBELOT

M. Alexandre SABATOU

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Huguette TIEGNA

Mme Laure DARCOS

Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Annick JACQUEMET

M. Bernard JOMIER

Mme Florence LASSARADE

M. Ronan Le GLEUT

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Michelle MEUNIER

M. Pierre OUZOULIAS

M. Stéphane PIEDNOIR

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

___

Pages

SAISINE 7

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : ÉTAT DES LIEUX DU SYSTÈME DE CONTRÔLE 11

I. UN SYSTÈME RÉSULTANT D'UNE LONGUE ÉVOLUTION 11

1. L'émergence du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection 11

2. Le passage à l'échelle industrielle 13

3. L'impact de Three Mile Island et de Tchernobyl 15

4. La mise en place du système de contrôle actuel 15

II. PARADOXES DE LA DÉCISION ET DE L'EXPERTISE EN MATIÈRE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE 17

1. La « fabrication quotidienne » de la sûreté nucléaire 17

2. L'indispensable fluidité des relations entre les parties prenantes 18

3. Un effort de pédagogie à fournir en direction du grand public 18

4. Les caractéristiques de la prise de décision qui clôt le processus 19

III. ARTICULATION ENTRE EXPERTISE ET DÉCISION : LE FONCTIONNEMENT ACTUEL DE LA COOPÉRATION ASN-IRSN 20

1. Une présentation parfois fallacieuse de l'architecture institutionnelle 20

2. Les modalités de la coopération passée entre ASN et IRSN 21

3. La concertation permanente entre l'autorité et l'expert 22

4. Le rôle central des groupes permanents d'experts 22

DEUXIÈME PARTIE : QUELLE OPTIMISATION DU SYSTÈME EXISTANT ? 27

I. FAIRE FACE À DE NOUVEAUX DÉFIS 27

1. Les réacteurs EPR2 27

2. Les réacteurs NUWARD 27

3. Les projets de petits réacteurs innovants 28

4. L'adaptation au changement climatique 29

5. La montée des menaces cyber 30

6. La poursuite de l'exploitation du parc au-delà de 40, 50 ou 60 ans 31

7. Le stockage géologique profond 32

8. Le projet de piscine d'entreposage centralisé d'EDF 32

9. La multiplication des opérations de démantèlement 33

10. L'éventuelle augmentation de la puissance des réacteurs actuels 33

II. ATOUTS ET RISQUES POTENTIELS D'UNE RÉORGANISATION 34

1. La question centrale des ressources humaines 34

2. Les limites d'une structuration plus respectueuse du continuum entre expertise et décision 35

3. Le dialogue technique, garant de la fluidité et de la qualité des contrôles 35

4. Le maintien d'un niveau élevé de transparence 36

III. LES POINTS RESTANT À ÉCLAIRER 37

TROISIÈME PARTIE : PROPOSITIONS 39

I. CLARIFIER L'ORGANISATION 39

II. ACCROÎTRE LES MOYENS 39

III. PRÉSERVER L'INDÉPENDANCE DE L'EXPERTISE 39

IV. MAINTENIR LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE À SON HAUT NIVEAU ACTUEL 40

V. UNIFIER LA GESTION DE CRISE 40

VI. RENFORCER LA RECHERCHE 40

VII. AMÉLIORER LA TRANSPARENCE 41

VIII. RENFORCER LE RÔLE DU PARLEMENT 41

RECOMMANDATIONS 43

EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE 45

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 71

ANNEXES 75

I. CONTRIBUTION DE M. YVES BRÉCHET 75

II. CONTRIBUTION TRANSMISE PAR M. JULIEN DEWOGHÉLAËRE 79

III. CONTRIBUTION DE PNC-FRANCE 83

IV. CONTRIBUTION DE M. MATHIAS ROGER 87

V. CONTRIBUTION DES START-UP NUCLÉAIRES 95

VI. CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 16 FÉVRIER 2023 SUR LA RÉFORME DE L'ORGANISATION DU CONTRÔLE ET DE LA RECHERCHE EN SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET EN RADIOPROTECTION 99

SAISINE

INTRODUCTION

Près de vingt ans après la refondation du contrôle et du pilotage de la sûreté nucléaire en France, il convient de dire d'emblée que la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite loi TSN, a porté ses fruits. Au cours de leurs auditions, les rapporteurs ont pu apprécier la réputation élevée dont jouissent les instances françaises de contrôle dans les arènes internationales, à commencer par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Cette réputation recouvre sans conteste une réalité. Des trois grands accidents nucléaires des cinquante dernières années, aucun ne s'est produit sur notre sol : celui de Three Mile Island, en 1979, a eu lieu aux États-Unis ; celui de Tchernobyl, en 1986, s'est déroulé dans ce qui était alors la République socialiste soviétique d'Ukraine ; celui de Fukushima, en 2011, s'est produit au Japon. Alors que, depuis les années 1970, la France compte massivement sur la production nucléaire d'électricité, assurée aujourd'hui par non moins de 56 réacteurs en service, l'exploitant historique, EDF, n'a pas hésité à suspendre l'hiver dernier le fonctionnement de 25 d'entre eux au motif que certains étaient confrontés au phénomène de la corrosion sous contrainte. L'épisode a certainement fourni à tous la démonstration grandeur nature que chez l'exploitant comme au sein des organes de contrôle, et a fortiori dans l'approche gouvernementale, la considération de la sûreté des installations nucléaires passe avant toute chose.

Serait-il possible de maintenir ce haut niveau de sûreté dans un cadre institutionnel différent ? Une optimisation de l'organe du contrôle est-elle envisageable dans le contexte actuel de relance du nucléaire ? Ne recèlerait-elle pas quelque danger ? Le 16 février 2023, après qu'un projet de rapprochement entre l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a été annoncé par le Gouvernement, l'Office a organisé à bref délai une audition publique où toutes les parties prenantes ont pu s'exprimer.

Comme l'a souligné à cette occasion Michaël Mangeon, historien du nucléaire : « On a [...] souvent tendance à se focaliser sur les aspects techniques pour analyser les accidents nucléaires. Or l'histoire nous montre que le système et son fonctionnement sont une cause profonde d'accident nucléaire. Les catastrophes de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima ont ainsi des liens forts avec le fonctionnement du système en place au moment de ces accidents dans les pays concernés. En ce sens, toute décision de réforme du système a un impact, direct ou indirect, sur la sûreté nucléaire et doit être analysée en profondeur. » 1(*)

À la suite de cette audition, et dans le sillage de l'adoption de la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires2(*) - laquelle n'inclut finalement aucune disposition relative au rapprochement de l'IRSN et de l'ASN -, la commission des affaires économiques du Sénat a saisi l'Office le 25 avril 2023 pour lui demander d'étudier « les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection ».

Pour faire une analyse aussi précise que possible, les rapporteurs se sont efforcés d'entendre le cercle le plus large de personnalités, des représentants des entités concernées jusqu'aux universitaires spécialistes de la question du nucléaire en France, en passant par les exploitants, actuels ou à venir, des experts institutionnels ou non institutionnels, de personnels de l'AIEA, de l'IRSN et de l'ASN ainsi que les associations, nationales ou internationales, ayant pour objet la promotion de la transparence dans le domaine du nucléaire ou l'encouragement au développement de cette industrie. Ils se sont également rendus, le 26 juin, à la centrale de Chinon, de façon à observer sur le terrain la manière dont les équipes des différentes institutions travaillent quotidiennement ensemble. Le 28 juin, ils ont passé une matinée au siège de l'IRSN à Fontenay-aux-Roses, à l'invitation de celui-ci. Les rapporteurs ont par ailleurs adressé un questionnaire détaillé au ministère de la transition énergétique. Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, a enfin été elle-même auditionnée par les rapporteurs le 27 juin 2023.

Les rapporteurs tiennent à remercier chacune des personnes entendues pour la contribution apportée à leur réflexion. Dans un secteur où l'on se plaît pourtant parfois à déplorer, sur certains segments très spécialisés, des pertes de compétences, ils ont eu le plaisir de constater, au contraire, que les connaissances approfondies du domaine ne manquaient pas. À l'heure où l'industrie nucléaire connaît un regain d'intérêt dans notre pays, les rapporteurs entendent fonder leur diagnostic sur ce premier constat encourageant.

PREMIÈRE PARTIE :
ÉTAT DES LIEUX DU SYSTÈME DE CONTRÔLE

I. UN SYSTÈME RÉSULTANT D'UNE LONGUE ÉVOLUTION

Le système français de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection est la résultante de réorganisations successives intervenues depuis plus d'un demi-siècle, afin de prendre en compte les évolutions de la politique industrielle française, les normes internationales de sûreté et le retour d'expérience d'accidents survenus à l'étranger.

1. L'émergence du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

En 1945, sur le conseil du physicien Frédéric Joliot-Curie, le général de Gaulle décide de créer un organisme de recherche dédié aux applications civiles et militaires des sciences de l'atome : le Commissariat à l'énergie atomique (CEA).

Fort de la maîtrise scientifique acquise par la France depuis la fin du XIXe siècle, avec des personnalités telles que Henri Becquerel, Paul Villard, Marie et Pierre Curie, ou Irène et Frédéric Joliot-Curie, le CEA enchaine, sitôt installé, les réalisations et les succès, avec de 1948 à 1960 la divergence d'un premier réacteur, la pile Zoé, bientôt suivie de la construction d'un accélérateur de particules, d'usines d'extraction du plutonium, de raffinage et d'enrichissement de l'uranium, etc.

Dans les premières années, les chercheurs et ingénieurs responsables de la conception de ces nouvelles installations au caractère expérimental sont également chargés de prendre en compte leur sûreté, sans formalisme particulier. À cette époque, les préoccupations portent principalement sur la protection des personnels plutôt que sur les risques de pollution de l'environnement. Aussi, une structure dédiée à la radioprotection est créée dès 1951 au sein du CEA : le service de protection contre les radiations (SPR).

En parallèle, dans les pays anglo-saxons, des doctrines de contrôle de la sûreté des installations nucléaires sont progressivement développées. La United States Atomic Energy Commission (AEC), créée en 1946, présente en 1958 le concept de « l'accident maximal prévisible » (en anglais, « Maximum Credible Accident ») qui consiste à vérifier que les conséquences du pire accident envisageable ne dépassent pas les seuils autorisés.

Au Royaume-Uni, la United Kingdom Atomic Energy Authority (UKAEA) propose la même année une méthode pour évaluer les risques basée sur l'utilisation des probabilités, visant à définir un niveau de risque socialement acceptable.

Ces deux approches sont respectivement qualifiées de déterministe et de probabiliste.

Les deux doctrines de sûreté à la fin des années 1960 (source : Michaël Mangeon)

Au seuil des années 1960, le fonctionnement du système français de contrôle de la sûreté nucléaire est remis en cause par deux facteurs majeurs : d'une part l'internationalisation des questions de sûreté nucléaire, notamment avec la création d'instances telles que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ou l'organisation européenne Euratom ; d'autre part les premiers accidents nucléaires, notamment l'incendie de Windscale (appelé aujourd'hui Sellafield) survenu en octobre 1957 au Royaume-Uni ou la fusion, à l'automne 1956, de plusieurs kilogrammes d'uranium dans la pile française G1.

En 1960 est créée au sein du CEA, sur le modèle des organismes mis en place dans les pays anglo-saxons, une Commission de sûreté des installations atomiques (CSIA), responsable de la sûreté des installations nucléaires. Cette commission est chargée de prendre toutes les décisions relatives à la sûreté de ces installations, y compris sur le plan réglementaire. Ainsi, elle délivre des autorisations de construction ou de fonctionnement.

À cette fin, la CSIA s'appuie sur quatre sous-commissions assumant des fonctions d'expertise : sûreté des piles ; transports ; laboratoires et usines ; criticité. Cette nouvelle organisation introduit, au sein du CEA, une première distinction entre un organe de décision, la CSIA, et des organes d'expertise, les sous-commissions. Toutefois, le CEA demeure l'exploitant des installations nucléaires, ce qui représente une différence majeure avec les autorités de sûreté américaine et britannique.

Michaël Mangeon note que, tout en s'appuyant sur les méthodes américaine et britannique, mais sans développer une démarche d'évaluation des risques, « le CEA formalise petit à petit, par l'expérience, un mode de régulation où l'objectif est le développement de la technologie nucléaire tout en intégrant les enjeux de sûreté, si possible au plus proche du terrain. Ce mode de fonctionnement est favorisé par le fait que le CEA est à la fois le seul exploitant d'installation mais aussi le seul expert et contrôleur de la sûreté nucléaire. »3(*)

2. Le passage à l'échelle industrielle

Au début des années 1960, un nouvel acteur apparaît dans le paysage français du nucléaire : Électricité de France (EDF), établissement public créé en 1946 par la loi sur la nationalisation de l'électricité et du gaz4(*) qui dispose d'un monopole sur l'étude, la réalisation et l'exploitation des moyens de production d'électricité.

La collaboration entre le CEA et EDF va se concrétiser par la création de la centrale nucléaire de Chinon. En 1957 commence sur ce site la construction du premier réacteur nucléaire français destiné à la génération d'électricité : EDF1, suivie par le lancement en 1959 et 1961 de celle des réacteurs EDF2 et EDF3. Il s'agit de trois réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG), une filière initialement conçue par le CEA pour générer du plutonium à usage militaire.

En l'absence de législation ou de réglementation spécifique, aucune disposition ne définit précisément les modalités de contrôle des installations nucléaires. De ce fait, EDF se tourne naturellement vers la Commission de sûreté des installations atomiques du CEA, seul organisme français capable de mener une analyse de sûreté. Tout au long du processus d'autorisation des réacteurs, les représentants d'EDF participent aux réunions de la CSIA mais doivent se retirer pour que celle-ci puisse délibérer.

À la fin des années 1960, les tensions entre le CEA et EDF concernant l'industrialisation du programme nucléaire français conduisent à une remise à plat du système de contrôle de la sûreté. Tout au long de l'histoire du nucléaire français, les considérations technico-économiques et l'approche scientifique stricto sensu ont, à intervalles réguliers, fait naître des tensions.

En 1967, la CSIA est remplacée par un groupe ad hoc dont les membres sont désignés conjointement par le ministre de l'Industrie et le ministre délégué chargé de la Recherche scientifique, des questions atomiques et spatiales. Le CEA, EDF et des représentants du ministère de l'Industrie participent à ce groupe, qui reste toutefois présidé par un représentant du CEA.

Malgré la construction réussie des réacteurs nucléaires électrogènes de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG) sur le site de Chinon, EDF préfère se tourner, pour des raisons économiques, vers la filière des réacteurs à eau pressurisée (REP) proposée par l'américain Westinghouse. Un contrat de licence avantageux est donc signé avec l'entreprise de Pennsylvanie, leader mondial du nouveau marché des réacteurs destinés à la production d'électricité.

Après le premier choc pétrolier qui conduit à un quadruplement du prix du pétrole entre octobre 1973 et mars 1974, le Premier ministre de l'époque, Pierre Messmer, fait le choix du « tout nucléaire » pour la production électrique en France. Ce plan se concrétisera par la construction, pour l'essentiel sur quinze ans, de 1971 à 1986, d'un parc de 58 réacteurs nucléaires. La construction de ce parc représente un exploit industriel qui étonne encore aujourd'hui à l'étranger et fait l'objet d'études destinées à percer les ressorts cachés d'un tel succès.

Calendrier de construction des centrales nucléaires françaises par paliers (CC BY-SA 3.0)

L'une des explications majeures de cette réussite porte sur la souplesse du système de contrôle de la sûreté nucléaire et le caractère pragmatique de la démarche française dans ce domaine.

Pour suivre l'accélération du plan nucléaire civil français, un nouvel organisme de contrôle, rattaché au ministère de l'Industrie, est créé en 1973 : le Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN). Sa création permet un rééquilibrage du système de contrôle de la sûreté qui correspond aux attentes d'EDF et des industriels. Ce nouveau service, comprenant initialement trois ingénieurs des Mines, chargés du contrôle de la sûreté nucléaire, est notamment chargé d'élaborer une réglementation technique. Malgré un effectif initialement réduit (une dizaine d'années plus tard, en 1985, l'effectif du SCSIN atteint 170 personnes), les ingénieurs des Mines du SCSIN vont transposer au domaine nucléaire des pratiques issues des établissements classés. Il s'agit, d'une part, de la démarche de régulation souple en vigueur pour le contrôle des appareils sous pression, d'autre part, de la pratique des visites décennales.

En parallèle, le groupe ad hoc devient un « groupe permanent » dont la mission consiste à formuler des avis sur les prescriptions techniques destinées à éviter les inconvénients pouvant résulter de la création ou du fonctionnement des installations nucléaires. Le CEA, chargé de mener les études, les présente devant le groupe permanent. Du fait des moyens réduits du SCSIN au début des années 1970, le groupe permanent joue un rôle essentiel car ses avis sont suivis par le Service.

Si l'autorité de décision en matière de sûreté est désormais le SCSIN, le rôle d'expertise technique du CEA est conforté, car le SCSIN n'est pas doté de moyens d'expertise propres et doit donc faire appel aux ressources du CEA, au sein duquel un département de sûreté nucléaire (DSN), regroupant l'ensemble des compétences en matière de sûreté, a été créé en 1970.

Cette organisation reste néanmoins imparfaite, puisque le CEA assume un rôle d'expert pour la sûreté tout en étant lui-même exploitant d'installations nucléaires. Aussi, l'exécutif envisage-t-il la création d'un organisme d'expertise totalement indépendant du CEA. Toutefois, les oppositions à ce projet sont vives : en particulier les organisations syndicales y voient un début de démantèlement du CEA. Un compromis est trouvé avec la création l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) qui reste rattaché au CEA.

3. L'impact de Three Mile Island et de Tchernobyl

Si aux États-Unis l'accident de Three Mile Island a entériné l'arrêt, déjà effectif, de la construction de nouveaux réacteurs nucléaire, en France il a plutôt conforté le système de régulation national, basé sur le dialogue technique plutôt que sur une réglementation trop rigide ou pléthorique.

En effet, l'un des membres de la commission américaine chargée d'enquêter sur l'accident souligne que « l'élaboration des réglementations et l'examen des réacteurs au regard de ces règlements ont été la seule préoccupation de la NRC. Par le développement massif des réponses écrites exigées pour chaque installation vis-à-vis des règlements on a occupé l'essentiel des meilleurs talents dans l'industrie ... considérant qu'il suffisait de se soumettre à ces réglementations pour que la sûreté soit assurée »5(*).

La catastrophe de Tchernobyl, en 1986, aux impacts environnementaux considérables, rend l'opinion publique plus réticente à l'énergie nucléaire et plusieurs pays européens : l'Italie, le Danemark, la Grèce, l'Irlande et la Norvège, décident de renoncer à cette forme d'énergie.

En France, l'idée de la nécessité d'un contrôle plus indépendant fait son chemin. Elle conduit dans un premier temps, en 1991, à transformer le SCSIN, placé sous l'autorité du seul ministre chargé de l'énergie, en une direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) placée sous l'autorité conjointe des ministres chargés de l'énergie et de l'environnement.

4. La mise en place du système de contrôle actuel

En 1998, Jean-Yves Le Déaut, à l'époque président de l'OPECST, rédige à la demande du Premier ministre Michel Rocard, un rapport sur le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité nucléaire.

Ce rapport préconise la création d'une autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que d'une agence indépendante du CEA, regroupant l'IPSN et l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI). Le rapport souligne que la « condition de réussite de cette réforme est l'alignement du statut des personnels sur les statuts du CEA et la constitution de passerelles larges et solides entre cette Agence et les organismes de recherche. »

Les circonstances politiques ne permettent pas la mise en oeuvre immédiate des recommandations de ce rapport. Mais trois années plus tard, l'article 5 de la loi du 9 mai 2001 créant une agence française de sécurité sanitaire environnementale6(*) prévoit la création de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) à partir de l'IPSN et de l'OPRI. Il est finalement institué en 2002 sous la forme d'un établissement public industriel et commercial (EPIC) relevant de plusieurs tutelles ministérielles.

Au début de l'année 2006, à l'occasion des voeux de la nouvelle année, le président de la République Jacques Chirac annonce une relance de l'industrie nucléaire et déclare : « pour faire progresser encore la confiance, j'ai demandé au gouvernement de créer par la loi sur la transparence nucléaire, dès cette année, une autorité indépendante chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information »7(*).

Quelques mois plus tard, la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité transforme la DSIN en une Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ayant le statut d'autorité administrative indépendante.

II. PARADOXES DE LA DÉCISION ET DE L'EXPERTISE EN MATIÈRE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

Comme cela a été rappelé en introduction, Michaël Mangeon, historien du nucléaire, a souligné au cours de l'audition publique organisée par l'Office le 16 février 2023 que la sûreté nucléaire ne relève pas seulement d'une approche technique, mais aussi d'une approche managériale et organisationnelle. Produite par des hommes et des femmes, la sûreté nucléaire est aussi fonction de la qualité de leurs interactions. Celles-ci peuvent varier d'un pays à l'autre et il existe peut-être une spécificité française en ce domaine.

C'est pourquoi les rapporteurs ont prié deux chercheurs, Benoît Journé et Mathias Roger, de leur exposer la manière dont les experts et les décideurs de la filière collaborent pour fabriquer ce bien commun immatériel qu'est la sûreté nucléaire. M. Journé a soutenu en 1999 une thèse sur « Les organisations complexes à risques : gérer la sûreté par les ressources, étude de situations de conduite de centrales nucléaires ». Pour ce faire, il a notamment analysé le fonctionnement des salles de commande des centrales nucléaires, à une époque où IRSN et ASN n'existaient pas encore sous leur forme actuelle. Le champ de sa pratique de recherche s'étend aujourd'hui aux exploitants, à l'ASN et à l'IRSN ; il s'intéresse en particulier à la gestion de la sûreté dans un contexte de compétitivité. M. Roger a soutenu en 2020 une thèse qui s'intitule « Le séisme, la centrale et la règle : instaurer et maintenir la robustesse des installations nucléaires en France ». Il s'est intéressé au traitement du risque sismique dans les centrales nucléaires.

1. La « fabrication quotidienne » de la sûreté nucléaire

Ces deux auditions ont apporté un éclairage particulièrement utile sur la manière dont les équipes des différents organismes travaillent ensemble, le plus souvent en mode projet, « au pied du réacteur ». Loin de distinguer de manière rigide l'expertise et la décision, comme l'approche institutionnelle pourrait en induire l'idée, ils ont tous deux souligné l'existence d'un continuum entre les deux activités.

Chacun est parti du constat, parfois perdu de vue dans les discussions, que la sûreté nucléaire repose sur l'exploitant et sur nul autre8(*), dans le strict respect des décisions de l'autorité de sûreté. C'est à lui que revient en effet l'initiative technique. C'est lui qui fait des propositions à l'ASN, laquelle les fait expertiser par l'IRSN. L'analyse des dangers qui menacent potentiellement une centrale nucléaire ne saurait en effet se figer à l'instant t de sa mise en service. S'il en était besoin, l'apparition de la menace nouvelle liée à la cybersécurité se charge de le rappeler.

Le niveau de la sûreté nucléaire est donc fonction de la qualité des échanges entre la sphère de contrôle et l'exploitant, garant de la sûreté de ses installations. Cela suppose transparence et esprit de dialogue. Grâce à la confiance existant de part et d'autre, l'exploitant doit être incité à dévoiler ses pratiques et à faire part de ses propres doutes.

Dans la même optique, les arguments développés par l'IRSN au sujet de nouveaux risques ne s'enferment pas non plus dans un référentiel prédéterminé ; la dimension hypothétique des points soulevés exige d'être assumée ; en un mot, ses experts doivent eux aussi accepter de partager des doutes. À cet égard, l'expertise de l'IRSN est nourrie par ses activités de recherche, menées le plus souvent dans un cadre international, qui lui assurent les moyens d'investigation les plus performants.

« Démontrer la sûreté, c'est confronter des doutes » : la formule a particulièrement frappé les rapporteurs. Alors que l'exigence de transparence dans le domaine de l'énergie atomique est plus élevée que jamais, il leur semble qu'il serait vain de refuser d'assumer cette complexité du tableau général en matière d'appréciation de la sûreté nucléaire, pour céder à la facilité qui consisterait à affirmer des dogmes a priori.

2. L'indispensable fluidité des relations entre les parties prenantes

Mais quelles sont les conditions optimales du dialogue entre la sphère du contrôle et les exploitants ? Tous horizons confondus, les personnes entendues ont été nombreuses à mettre en garde contre une logique d'audit, parfois identifiée à la démarche de la Commission de réglementation nucléaire des États-Unis (United States Nuclear Regulatory Commission ou NRC). Les rapporteurs n'ont pu se rendre aux États-Unis dans le temps relativement court qu'ils avaient fixé à leurs investigations. Malgré les raccourcis dont elle n'est sans doute pas exempte, la description du modèle américain qui leur a été faite n'en demeure pas moins un pôle dans leur réflexion.

De manière schématique, le modèle américain de contrôle reposerait sur la mise en conformité avec une liste fermée de critères réglementaires prédéfinis, dont l'effectivité serait garantie par la conduite d'audits réguliers. Cet exercice, qui ferait jouer à la sphère de contrôle avant tout un rôle de gendarme, porte en lui le risque de paraître transférer l'obligation de sûreté, qui incombe à l'exploitant, au régulateur normalement chargé de contrôler seulement la bonne exécution de celle-ci. Les interlocuteurs des rapporteurs ont mis en garde contre cette dérive, qui rendrait l'exploitant passif, et pourrait même l'induire, par comportement stratégique, à produire des règles pour les proposer à la sphère de contrôle. En faisant d'emblée justice de tout le travail de conceptualisation de la sûreté, cette approche menacerait de déresponsabiliser l'exploitant - voire, dans une certaine mesure, la sphère de contrôle elle-même. Ce contrôle formaliste tendrait alors à se réduire à un « contrôle papier », une liste de critères figés dans un référentiel dont il suffirait de cocher machinalement la liste, si longue soit-elle.

Par-delà les questions d'organisation institutionnelle, c'est donc bien le type du contrôle qui semble primordial. Sur ce chapitre, notre pays aurait tort de céder à la tentation de l'autodénigrement de ses propres méthodes de travail. Si, malgré le nombre relativement important de ses installations, aucune faille ou brèche majeure n'y a jamais été repérée, cela est incontestablement dû non seulement à une indéniable robustesse dans la construction, mais aussi à une certaine singularité française dans la démonstration de sûreté. Or celle-ci repose sur un effort continu pour produire des connaissances et faire évoluer les référentiels, en retenant comme notion essentielle l'échange de doutes entre l'exploitant et la sphère de contrôle.

3. Un effort de pédagogie à fournir en direction du grand public

Ceci n'est pas sans conséquence sur la communication relative au fonctionnement des installations nucléaires, soumises à une obligation de transparence de l'information, non seulement en vertu d'engagements pris au niveau national, mais aussi en application des stipulations de la convention d'Aarhus. Benoît Journé n'a donc pas hésité à souligner que le mode opératoire actuel constitue un enjeu d'éducation populaire. Le grand public serait en effet loin de détenir toujours le bagage culturel scientifique nécessaire pour juger de la gravité d'un risque allégué. Dans cette perspective, l'inertie propre au débat public favorise l'image d'un contrôle analogue à un audit, celui qui confronte, de manière simple, une règle et un gendarme chargé de vérifier son application effective.

Les traits distinctifs du système de contrôle français actuel sont au contraire plus difficiles à figurer qu'un système « à l'américaine ». C'est pourtant le système français qui a prévalu et s'est largement diffusé en Europe continentale, après la chute du Mur, lorsqu'il a fallu partager avec les pays d'Europe centrale et orientale, parfois fortement nucléarisés, les acquis du contrôle tel qu'il était conduit depuis des décennies en Europe occidentale. La filiale indépendante de sûreté d'EDF gère ainsi une base de données qui recense environ 10 000 incidents par an, dont 500 sont signalés à l'ASN parce qu'ils correspondent aux critères de déclaration des incidents significatifs définis par cette dernière9(*). Pour amener les autres opérateurs européens à nourrir aussi activement leur propre base, il a fallu des années. Cas extrême, l'accident de Tchernobyl de 1986 a été longuement analysé par la littérature scientifique comme étant dû, sur le plan humain et organisationnel, avant tout à un défaut de transmission, à l'échelon supérieur, des problèmes constatés. Le contrôle de la sûreté nucléaire repose ainsi sur quelques vérités de prime abord contre-intuitives : le nombre d'incidents signalés consolide le rôle de la sûreté.

4. Les caractéristiques de la prise de décision qui clôt le processus

S'il existe un continuum de l'expertise à la décision, celle-ci représente néanmoins un moment distinct dans le processus de « fabrication » de la sûreté nucléaire, qui s'appuie sur la synthèse de toutes les données disponibles.

L'expertise est le premier maillon de ce processus. Chaque type de risque est en effet analysé pour lui-même, avant que ne soit proposée une analyse globale des différents risques. Mathias Roger en a fait la démonstration aux rapporteurs à propos du traitement du risque sismique. Contrairement au Japon, le territoire hexagonal ne connaît que peu de séismes, ce qui y rend peu prévisible l'occurrence de ce risque. Selon le chercheur, EDF a pu ainsi soutenir de façon convaincante que certaines prescriptions opérationnelles proposées, à l'occasion des examens décennaux, pour compléter la prise en compte de ce facteur menaçaient au contraire de complexifier les tâches d'exploitation au point où la fiabilité de leur exécution s'en trouverait amoindrie. Paradoxalement, des contraintes supplémentaires de sûreté peuvent ainsi entraver le fonctionnement bien huilé des installations, lequel est en soi un gage de sûreté. Dès le stade de l'expertise, les différents types de risque doivent donc être mutuellement pondérés. Le jugement de l'ingénieur se forme à partir de la prise en compte simultanée des divers facteurs.

Comme indiqué ci-après, l'ASN dispose d'ailleurs déjà aujourd'hui de moyens d'expertise propres et des compétences internes dédiées, de sorte qu'elle ne fait pas systématiquement appel aujourd'hui à des services extérieurs, qu'il s'agisse de ceux de l'IRSN ou d'autres établissements.

En effet, au sein même de l'ASN, il existe déjà une expertise dans le domaine des équipements sous pression nucléaires, qui inclut un élément clé d'une centrale nucléaire : la chaudière. Cette expertise a conduit dans le passé à des décisions de l'autorité ressenties comme sévères par les industriels. L'existence d'une mission d'expertise au sein de l'ASN pour des équipements parmi les plus critiques n'a pas appelé jusqu'à présent de commentaire des parties prenantes.

Par ailleurs, l'ASN internalise l'expertise d'un nombre important de dossiers, dans le domaine des installations de recherche ou de gestion des déchets, des usines du cycle du combustible, ou du démantèlement. Ainsi, l'instruction de 74 % des 40 réexamens de sûreté en cours est réalisée entièrement au sein de l'ASN. Là encore, la pratique et l'expérience ne conduisent pas à remettre en cause cet état de fait, au contraire.

À l'étape suivante, la décision elle-même s'analyse à son tour comme une appréciation d'ensemble des divers paramètres. Mais cette appréciation est plus large encore. Comme le soulignent les rapporteurs, la décision ne repose donc pas uniquement sur une expertise en lien avec les connaissances scientifiques, mais aussi sur des aspects réglementaires, et même sur des considérations de sécurité intérieure du pays.

Il apparaît ainsi que l'existence d'un écart entre les expertises et la décision n'est pas par elle-même problématique, tant que les premières ne forcent pas la seconde. Sur ce point encore, les rapporteurs ne peuvent que relever la pressante nécessité d'une pédagogie volontaire.

Au surplus, les rapporteurs soulignent que, si les recommandations de l'ASN au Gouvernement ont été jusqu'à ce jour systématiquement suivies par lui, ce dernier dispose lui-même d'une marge d'appréciation pour s'en démarquer y compris en prenant en compte des critères tels que le risque encouru en cas de rupture d'approvisionnement en électricité, voire, plus largement, les dommages environnementaux éventuellement induits par le recours à d'autres types d'énergie. Le cas échéant, il lui faudrait justifier de manière solide tout écart avec les recommandations de la sphère de sûreté. Si cette hypothèse était d'emblée exclue, il ne pourrait toutefois être regardé à bon droit comme le garant en dernier ressort de la sûreté.

III. ARTICULATION ENTRE EXPERTISE ET DÉCISION : LE FONCTIONNEMENT ACTUEL DE LA COOPÉRATION ASN-IRSN

À la lumière des analyses retracées ci-dessus, il convient de rappeler comment fonctionne l'organisation bipartite actuelle ASN - IRSN, marquée par une séparation fonctionnelle claire.

1. Une présentation parfois fallacieuse de l'architecture institutionnelle

C'est une évidence, mais il ne faut pas craindre de la rappeler : contrairement à l'image parfois véhiculée, les relations qu'entretiennent l'ASN et l'IRSN ne sont pas celles d'un « pouvoir » et d'un « contre-pouvoir ». Les deux organisations ont d'ailleurs trop pâti de cette présentation polémique qui ne doit rien à la réalité.

Sur le plan juridique, l'ASN est la seule autorité indépendante. Au contraire, l'IRSN est un établissement public, soumis, du fait de son champ de compétences diversifié, à la tutelle de non moins de cinq ministères. Son insertion dans une chaîne de dépendance vis-à-vis du pouvoir ministériel est donc non seulement bien établie, mais multiple.

L'indépendance requiert également de disposer des moyens matériels qui permettent de l'assurer. Sur ce point, l'IRSN paraît être à première vue l'entité la mieux dotée puisqu'elle dispose de près de 1760 équivalents temps plein travaillé (ETPT), alors que l'ASN n'en avait que 516 au 31 décembre 2022. Il convient toutefois de signaler qu'un tiers, voire seulement un quart, des activités de l'IRSN concerne la sûreté des réacteurs et la prévention des accidents majeurs dans les installations nucléaires ; l'Institut est en effet aussi compétent dans le domaine de la surveillance radiologique de l'environnement et de l'intervention en situation d'urgence radiologique, de la radioprotection de l'homme ou encore de la sûreté des usines, des laboratoires, des transports et des déchets. Le tableau est donc plus complexe qu'il y paraît.

2. Les modalités de la coopération passée entre ASN et IRSN

Au printemps 2023, la ministre de la Transition énergétique, Mme Agnès-Pannier-Runacher a rappelé à plusieurs reprises devant les parlementaires les termes d'un rapport de la Cour des comptes de juin 2014 portant sur les exercices 2007 à 2012 de l'IRSN. En page 81, ce document cite lui-même un relevé d'observations définitives de décembre 2012 portant sur l'action, le fonctionnement et la gestion de l'Autorité de sureté nucléaire (ASN). Pour être quelque peu ancien, le constat n'en est pas moins sévère :

« Les relations entre ASN et IRSN sont difficiles et nourrissent une tension permanente. Tous les rapports de la Cour de ces dernières années ont mis en exergue cette tension jusqu'à considérer qu'il serait utile de rechercher des voies pour améliorer la collaboration entre les deux organismes. Les relations entre l'ASN et l'IRSN sont fondées sur une complémentarité qui n'exclut pas tensions et dysfonctionnements. »

Dans le cadre du « printemps de l'évaluation » de la commission des finances de l'Assemblée nationale, la ministre de la transition énergétique a de nouveau donné lecture de ce passage aux membres de cette commission, le 31 mai 2023, à l'occasion de l'examen du rapport d'information de nos collègues députés Alma Dufour et Sébastien Rome sur « l'évaluation du système dual en matière de sûreté nucléaire, garanti par l'indépendance entre la fonction de régulateur assurée par l'ASN et celle d'expertise assurée par l'IRSN ».

Depuis 2014, la Cour des comptes a adopté à deux reprises des observations définitives relatives à l'ASN et à l'IRSN, en octobre 2018 et en avril 2021, qui pointent des améliorations dans les relations entre les deux organismes.

À la différence de celles de 2012 et de 2014, les dernières observations adoptées par la Cour des comptes ne sont pas publiques. Pour obtenir ces documents plus récents, les rapporteurs ont donc fait usage du paragraphe IV de l'article 6 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Il autorise en effet les rapporteurs de l'Office à demander communication de ces documents auprès de la Cour des comptes.

Dans l'attente de la transmission de ces observations, les rapporteurs ont cependant déjà pu forger leur opinion à partir des témoignages recueillis lors des nombreuses auditions. Devant eux, Mathias Roger a notamment replacé les difficultés invoquées, désormais vieilles de plus de dix ans, dans le temps long des relations entre les acteurs de la filière nucléaire, marquées depuis la fin des années 1960 par l'apparition régulière - et naturelle - de tensions. Il a attiré l'attention des rapporteurs sur le fait que ces tensions étaient, à son sens, désormais totalement résorbées.

3. La concertation permanente entre l'autorité et l'expert

Loin de ce que peut parfois laisser imaginer l'évocation d'un système dual, la concertation entre l'ASN et l'IRSN est permanente. Elle est désormais inscrite dans les textes réglementaires puisque le décret n° 2016-283 du 10 mars 2016 dispose non seulement que le président de l'ASN siège au conseil d'administration de l'IRSN, mais aussi que l'ASN rend un avis sur les programmes de recherche de l'IRSN. Il faut assurément saluer cette initiative prise par les tutelles. Elle assure qu'il n'y a pas aujourd'hui de séparation hermétique entre ASN et IRSN.

Une convention quinquennale entre les deux organismes précise les conditions dans lesquelles l'IRSN apporte son appui technique à l'ASN. La dernière convention, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, prévoit également le mode d'interaction entre l'ASN et l'IRSN pour le suivi des activités de recherche menées au plan national et international ainsi que les modalités de publication, notamment en termes de délais, des avis de l'IRSN réalisés à la demande de l'ASN.

Les personnels de l'ASN ont souligné au cours de leur audition qu'une logique collaborative de travail par projet anime les relations entre les deux organismes, au niveau des équipes opérationnelles. Les ingénieurs de l'ASN peuvent déjà coordonner de manière informelle les contributions des divers services de l'IRSN sur certains dossiers d'installations dont ils sont chargés.

Là encore, l'arbre de la séparation institutionnelle ne doit pas cacher la forêt de la coopération au quotidien.

4. Le rôle central des groupes permanents d'experts

À cet égard, il convient de souligner l'importance de l'intervention des groupes permanents d'experts dans le processus d'instruction technique, en particulier pour les sujets les plus sensibles.

Ces groupes pluralistes, placés auprès du directeur général de l'ASN et désignés par lui, sont constitués d'experts nommés en raison de leurs compétences et de leur expérience professionnelle. Ils sont issus de la société civile, des laboratoires de recherche universitaires, des bureaux de contrôle, des organismes d'expertise, des exploitants concernés par les sujets traités ainsi que des autorités de sûreté étrangères.

Les sept groupes permanents existants se consacrent aux thématiques suivantes : réacteurs nucléaires (GPR), laboratoires et usines (GPU), déchets (GPD), démantèlement (GPDEM), transports (GPT), équipements sous pression nucléaires (GPESPN) et radioprotection (GPRP). Conformément au règlement intérieur de l'ASN, ils sont consultés sur la sûreté et la radioprotection des installations et activités relevant de leur domaine de compétence. Ils disposent de rapports présentant les résultats des analyses effectuées par l'IRSN ou par l'une des directions de l'ASN et émettent un avis assorti éventuellement de recommandations.

À côté des experts de l'ASN et de l'IRSN qui apportent respectivement une perspective réglementaire ou scientifique et technique approfondie, les groupes permanents, composés d'experts externes, contribuent au processus d'expertise en apportant un regard critique et des compétences spécialisées. Ce croisement d'expertises garantit une évaluation impartiale ainsi qu'une prise de décision fondée sur les meilleures pratiques et les connaissances les plus récentes.

Le rôle de ces groupes permanents d'experts pourrait à l'avenir être renforcé et étendu à des sujets plus diversifiés. L'encouragement de la confrontation et de la diversité des expertises, ainsi que la publication ouverte de leurs résultats, pourrait significativement renforcer la confiance du public en favorisant une plus grande transparence dans le processus décisionnel.

Le cas de la corrosion sous contrainte

En octobre 2021, lors de la deuxième visite décennale du réacteur de Civaux 1, des fissures inattendues sont détectées par les experts de l'exploitant sur les circuits d'injection de sécurité (RIS) ; l'analyse révèle qu'elles sont dues à un phénomène de corrosion sous contrainte. Cet exemple montre le rôle essentiel de l'exploitant dans l'expertise. EDF a été ainsi conduit à arrêter 12 réacteurs au cours de l'année 2022 pour des examens et des réparations préventives.

La corrosion sous contrainte est due à l'influence simultanée d'une contrainte mécanique et d'un milieu chimiquement agressif sur un matériau propice. Les fissures par CSC, en plus d'être inattendues sur de l'acier inoxydable, sont, de par leur structure, très difficilement détectables par les examens non destructifs (END) d'EDF, et leur cinétique de propagation n'est pas encore clairement caractérisée.

Pendant toute la durée de gestion du phénomène, un dialogue technique se tient entre les trois entités : EDF, appuyée par son expertise des matériaux irradiés au LIDEC de Chinon ; l'ASN, notamment le département des équipements sous pression (DEP) et le groupe permanent d'experts ; enfin, par saisine de l'ASN, l'IRSN, qui mène depuis plusieurs années des recherches sur le sujet.

Dès février 2022, EDF présente à la demande de l'ASN un état des lieux du phénomène de CSC, des hypothèses sur les causes des fissures et sur leur évolution, une stratégie de contrôle à court-terme, ainsi qu'une nouvelle méthode de détection par ultrasons améliorée (Uta). L'ASN saisit immédiatement l'IRSN sur plusieurs éléments du dossier, ainsi que son groupe permanent d'experts.

En avril 2022, l'IRSN se positionne avec prudence sur les contrôles Uta, ces méthodes étant en cours d'instruction par l'ASN, ce que préconisera également le groupe d'experts en octobre 2022. En juillet 2022, grâce à ses propres outils de calcul, l'IRSN valide les conclusions d'EDF affirmant que la marge au critère de sûreté serait maintenue en cas de rupture totale de deux circuits RIS. Ceci conduit l'ASN à valider la stratégie d'EDF fin juillet 2022.

Le 14 septembre 2022, l'IRSN publie un avis concernant le volet chimique des causes de la CSC, en particulier le rôle de l'oxygène sur l'amorçage et la propagation des fissures. Il préconise un contrôle renforcé de la teneur en oxygène dans les tuyauteries, comme le fera plus tard le groupe permanent. Ce dernier, réuni à nouveau le 13 octobre à la demande de l'ASN, préconise la prudence sur la détermination par EDF de la vitesse de propagation des fissures et pointe l'éventualité de la poursuite de fissuration de CSC par fatigue thermique.

Un plan de stratégie de contrôle d'EDF pour les années 2023-2025, présenté en décembre 2022, est mis à jour sur demande de l'ASN et finalement validé par celle-ci en mars 2023.

Même si certains arrêts de réacteurs ont pu inquiéter à l'approche de l'hiver, les experts internationaux consultés par EDF ont indiqué qu'ils auraient adopté une stratégie similaire.

DEUXIÈME PARTIE :
QUELLE OPTIMISATION DU SYSTÈME EXISTANT ?

I. FAIRE FACE À DE NOUVEAUX DÉFIS

La décennie écoulée a été marquée par les suites de l'accident de Fukushima, l'absence de nouveaux projets et la perspective de mise à l'arrêt progressive d'une partie des réacteurs d'EDF. L'annonce par le Président de la République, en février 2022, d'un plan de relance du nucléaire, la prolongation des réacteurs au-delà de 50 ou 60 ans, les évolutions technologiques, les impacts du changement climatique, etc. sont autant de défis auxquels peuvent s'ajouter des difficultés inattendues, comme les problèmes de corrosion sous contrainte récemment rencontrés sur le parc. Ces évolutions conduiront à un accroissement des travaux auxquels l'ASN et l'IRSN devront faire face dans les prochaines années.

Les points développés dans la suite de ce chapitre, tout en n'étant pas exhaustifs, donnent une première idée du défi que représente cette nouvelle étape du développement de la filière nucléaire française pour les organismes chargés du contrôle de la sûreté et de la radioprotection. Bien que l'organisation actuelle ait permis de gérer de façon satisfaisante les enjeux de sûreté nucléaire et de radioprotection depuis 2006, dans un contexte de calme relatif dans le domaine de l'industrie nucléaire, elle pourrait être moins adaptée à ce nouveau contexte.

1. Les réacteurs EPR2

L'EPR2 est un projet de réacteur à eau sous pression de troisième génération d'une puissance élevée (environ 1 670 MWe), développé par EDF et Framatome depuis 2015. Il intègre le retour d'expérience des réacteurs EPR construits en France et à l'étranger, qui a notamment permis de simplifier sa conception et de réduire son coût de construction.

Le 16 juillet 2019, l'Autorité de sûreté nucléaire a rendu un avis favorable sur le dossier d'options de sûreté de ce nouveau réacteur, demandant des justifications complémentaires préalables à toute demande d'autorisation de création, en particulier sur « la démarche d'exclusion de rupture des tuyauteries primaires et secondaires principales, la démarche de prise en compte des agressions, notamment l'incendie et l'explosion, et les choix de conception de certains systèmes de sûreté ». EDF a annoncé le 29 juin 2023 avoir déposé une demande d'autorisation de création pour la construction de deux réacteurs EPR2 sur le site de la centrale de Penly.

La loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes devrait permettre le dépôt d'une demande d'autorisation de création pour une deuxième paire de réacteurs EPR2, voire une troisième, dans les deux à trois ans.

2. Les réacteurs NUWARD

NUWARD est un projet français de réacteur à eau sous pression de type « petit réacteur modulaire », en anglais « Small Modular Reactor » ou SMR. Initialement développé en partenariat entre EDF, TechnicAtome, Naval Group et le CEA, NUWARD sera constitué de deux réacteurs à eau pressurisée modulaires de 170 MWe intégrés dans un îlot nucléaire de 340 MWe, disposant d'une salle de commande unique. EDF a créé le 30 novembre 2022 une filiale du même nom chargéE de développer et de commercialiser ce réacteur.

Comme l'ASN l'indique sur son site : « Le 10 juin 2022, les autorités de sûreté française (ASN), finlandaise (STUK) et tchèque (SUJB) ont engagé, avec leurs appuis techniques respectifs [NDLR : respectivement, IRSN, VTT et SÚRO], l'examen préliminaire des principales options de sûreté de ce projet de petit réacteur (...) L'expérience et les conclusions de cet examen multilatéral d'un projet de petit réacteur modulaire de conception avancée permettront des avancées concrètes dans l'harmonisation et la convergence des processus d'autorisation applicables à de tels réacteurs. »

Cette initiative conjointe est de la plus haute importance pour la réussite du projet NUWARD, directement liée à la possibilité de trouver un marché suffisamment large pour assurer sa fabrication en un nombre suffisant d'exemplaires et générer des économies d'échelle.

Le projet NUWARD n'étant pas aussi avancé que les principaux projets étrangers concurrents, les équipes de l'ASN et de l'IRSN seront probablement soumises à une très forte pression pour assurer l'instruction des dossiers dans des délais aussi courts que possibles.

3. Les projets de petits réacteurs innovants

Le lancement en 2021 du plan « France 2030 » qui comporte un volet « réacteurs innovants » a suscité l'émergence de nombreuses startups proposant de petits réacteurs basés sur des technologies de fission sauf exception de quatrième génération : réacteurs rapides à caloporteur sodium ou plomb, à sels fondus, etc., voire de fusion.

Comme les rapporteurs ont pu le constater à l'occasion d'une de leurs auditions, les attentes de ces entreprises vis-à-vis de l'autorité de sûreté et de son appui technique sont diversifiées et diffèrent notablement de celles d'interlocuteurs industriels tels qu'EDF ou ORANO : lisibilité des processus dans la phase amont, prévisibilité et raccourcissement des temps d'instruction, co-construction des projets, adaptabilité de la réglementation, prise en compte en parallèle des aspects de sûreté et de sécurité, dématérialisation des échanges, harmonisation européenne, mise à jour des compétences, etc.

Dans le cadre du rapport sur « l'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération “Astrid” » publié en 202110(*), l'Office avait déjà souligné l'importance du rôle de l'ASN et de l'IRSN pour le développement de ces nouveaux réacteurs :

« L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et son appui technique l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) joueront un rôle important dans les applications industrielles de la recherche et développement sur les technologies nucléaires avancées.

« Ces organismes doivent disposer de moyens suffisants pour préparer l'intégration de ces futures évolutions technologiques du point de vue réglementaire, en France mais aussi en lien avec les autres pays, notamment en Europe. En amont, les objectifs de sûreté fixés par l'ASN devront guider les équipes de recherche et développement afin d'écarter le risque que des travaux soient engagés sans perspective de débouchés, faute de pouvoir recueillir une autorisation. »

Ces constats restent d'actualité. Les équipes de l'ASN et de l'IRSN devront donc trouver des réponses adaptées permettant de faire face à ces demandes spécifiques d'entreprises qui mènent des projets diversifiés avec de fortes contraintes, liées notamment aux conditions de financement.

4. L'adaptation au changement climatique

Face aux inquiétudes croissantes suscitées par le réchauffement climatique11(*), une attention particulière est accordée en Europe à son impact potentiel sur les infrastructures critiques, en particulier les centrales nucléaires. En effet, l'énergie nucléaire est la première source d'électricité décarbonée de l'Union européenne12(*).

Les rapporteurs ont pu constater à l'occasion de la visite de la centrale nucléaire de Chinon, la plus ancienne de France, que cette préoccupation était désormais considérée comme importante, même si l'impact du réchauffement climatique sur la production d'électricité d'origine nucléaire reste à ce jour modéré (pour la période 2000-2019, la perte de production des centrales nucléaires françaises en raison de la canicule a été évaluée à 12 TWh, ce qui correspond à 0,14 % de la production totale13(*)). De fait, comme l'a rappelé le président de l'ASN lors de son audition devant l'Office le 25 mai 2023, les évolutions des conditions climatiques sont systématiquement intégrées dans les réexamens de sûreté décennaux des installations nucléaires françaises, en prenant en compte les impacts à trente ans des scénarios pessimistes les plus récents du GIEC.

De fait, certaines centrales nucléaires peuvent résister, de par leur conception, à des environnements extrêmes, comme celle de Palo Verde, la plus importante des États-Unis, implantée dans le désert de l'Arizona, ou celle de Beloïarsk, en Sibérie. Aussi, compte tenu de la longue durée d'exploitation des réacteurs nucléaires, l'impact du changement climatique doit être pris en compte dès la conception d'une nouvelle installation, afin de limiter par la suite les adaptations coûteuses.

Les périodes de canicule et de sécheresse qui réduisent le niveau des rivières et élèvent la température de l'eau ont un impact direct sur le refroidissement des réacteurs. Ceci affecte l'efficacité de leur cycle de conversion (en général le cycle de Rankine), dont dépend leur capacité de production d'électricité (par exemple, une différence de la température moyenne de l'eau de 6,5 à 7,0 °C entre la mer Noire et la Méditerranée sur les côtes de la Turquie entraine une différence de production d'environ 3 %14(*)). L'impact résulte également du rôle crucial de l'eau pour évacuer la chaleur résiduelle, en cas d'arrêt planifié ou inopiné. Les conséquences en matière d'environnement et de sûreté sont prises en compte par la réglementation.

Les phénomènes météorologiques extrêmes : inondations, frasil, incendies de forêt, etc. sont un autre risque lié au réchauffement climatique. Ces événements peuvent entraîner des dommages aux infrastructures, par exemple par le transport de débris, ou des perturbations opérationnelles. Ainsi, une défaillance du réseau électrique, telle que celle intervenue en 2021 au Texas, peut conduire à l'arrêt de grandes centrales électriques. À cet égard, il ne faut pas sous-estimer la résilience intrinsèque des centrales nucléaires qui intègrent de multiples mesures de sauvegarde et de redondance. Par exemple, en cas de panne de courant, des générateurs de secours garantissent la continuité des fonctions essentielles, telles que le refroidissement du réacteur.

La résilience des centrales nucléaires face aux défis climatiques nécessitera un effort permanent d'amélioration et de planification. Les innovations dans la conception des réacteurs, l'approfondissement des recherches, l'adaptation de la réglementation et la modélisation précise du climat joueront un rôle crucial dans le renforcement de cette résilience.

Ce sujet va donc nécessiter une mobilisation importante et continue de l'ASN et de l'IRSN pour assurer le suivi de l'évolution des risques dans ce domaine et vérifier quelles modifications d'ordre technique ou réglementaire permettront d'y faire face dans des conditions de sûreté suffisantes.

5. La montée des menaces cyber

Traditionnellement, les installations nucléaires sont pilotées au moyen de systèmes d'instrumentation et de contrôle-commande rustiques, souvent encore analogiques, peu vulnérables aux cyber-attaques.

Mais l'industrie nucléaire n'échappe au mouvement généralisé de numérisation. Par exemple, les nouvelles générations de réacteurs nucléaires disposent de systèmes de contrôle-commande basés sur des automates industriels. Il s'agit de systèmes informatisés complexes, distribués et dotés d'un logiciel temps réel.

Ces systèmes sont évidemment très sécurisés. De plus, le système de contrôle-commande est en général séparé en deux parties distinctes : le contrôle-commande opérationnel, qui veille au bon fonctionnement de l'installation, et les automates de sûreté, destinés à prendre le contrôle de l'installation en cas d'anomalie.

Toutefois, la possibilité d'une cyber-attaque ne peut pas être totalement écartée. Ainsi, en 2010, le virus Stuxnet, probablement développé par des services gouvernementaux, est parvenu à s'infiltrer dans les automates Siemens de plusieurs installations nucléaires iraniennes, dont il pourrait avoir dégradé le fonctionnement.

Ce domaine n'est pas nouveau pour l'ASN et l'IRSN. En 2009, l'autorité de sûreté française a publié avec ses équivalents britannique et finlandais une déclaration soulignant le risque lié à l'absence de séparation claire entre le contrôle-commande opérationnel et les automates de sûreté des réacteurs EPR15(*).

La numérisation croissante dans le secteur nucléaire, qui apporte des avantages en termes d'efficacité et de fonctionnalités, impliquera une vigilance accrue des exploitants. Ils devront investir dans des mesures de protection appropriées et s'adapter en permanence pour faire face à l'évolution des menaces dans le domaine. Ceci affectera également les équipes de l'ASN et de l'IRSN, qui devront établir un cadre de référence de la cybersécurité nucléaire et veiller à ce que les précautions prises par les exploitants garantissent la sûreté de leurs installations.

6. La poursuite de l'exploitation du parc au-delà de 40, 50 ou 60 ans

En France, la durée de fonctionnement des installations nucléaires n'est pas définie a priori, mais son exploitant doit réaliser tous les dix ans un réexamen de la sûreté de son installation, à l'issue duquel l'Autorité de sûreté nucléaire prend position sur la poursuite de son fonctionnement.

Le réexamen périodique comprend un examen de conformité, consistant à vérifier qu'une installation respecte bien l'ensemble des règles qui lui sont applicables, et une réévaluation de sûreté, visant à améliorer son niveau de sûreté au regard des exigences applicables à des installations plus récentes, en prenant en compte l'évolution des connaissances ainsi que le retour d'expérience national et international. Ce réexamen périodique permet également de vérifier que les différents phénomènes de vieillissement des installations sont maîtrisés pendant une durée minimale de dix années supplémentaires.

Les 56 réacteurs nucléaires exploités par EDF sont répartis en grandes familles appelées « paliers » : 900 MWe, 1300 MWe, 1450 MWe. Compte tenu de la similitude des caractéristiques des réacteurs d'un même palier, le processus de réexamen débute par une phase préparatoire générique propre à tous les réacteurs d'un même palier. À la fin de cette phase, EDF remet à l'ASN un dossier d'orientation du réexamen (DOR) dit générique pour le palier concerné, qui décrit le programme de travail et les documents d'étude qui seront soumis par la suite.

Le quatrième réexamen périodique s'inscrit dans un cadre particulier à trois titres :

- quarante années de fonctionnement correspondent à l'hypothèse initiale de durée minimale de fonctionnement au moment de la conception de certains matériels et équipements des réacteurs, aussi la prolongation de leur fonctionnement au-delà de cette période nécessite une actualisation de ces études de conception prenant en compte le retour d'expérience d'exploitation ;

- le quatrième réexamen périodique est l'occasion de terminer l'intégration des modifications qui découlent des prescriptions de l'ASN émises à l'issue des études complémentaires de sûreté (ECS) réalisées à la suite de l'accident de la centrale japonaise de Fukushima-Daiichi ;

- le souhait d'EDF de prolonger significativement la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans implique de réévaluer leur sûreté au regard des exigences appliquées aux nouvelles installations, de l'état de l'art en matière de technologies nucléaires et de la durée de fonctionnement visée par EDF.

Pour le quatrième réexamen décennal du palier 900 MWe qui a débuté par le réacteur n° 1 de la centrale nucléaire de Tricastin en 2019, EDF a transmis fin 2013 le dossier d'orientation du réexamen périodique, amendé et complété jusqu'à mi-2014, présentant les contrôles et les études génériques à l'ensemble des réacteurs de 900 MWe que l'entreprise compte réaliser.

75 % des réacteurs du parc nucléaire en exploitation d'EDF ayant été construits entre 1980 et 1990, l'âge moyen d'exploitation du parc dépasse 30 ans : il se situe aux alentours de 43 ans pour les réacteurs du palier 900 MWe, 37 ans pour les réacteurs du palier 1300 MWe et 27 ans pour les réacteurs du palier N4 (1450 MWe).

De ce fait, la charge associée aux réexamens périodiques dans les prochaines années sera particulièrement élevée pour l'ASN et l'IRSN. En effet, il leur faudra instruire les quatrièmes visites décennales des réacteurs du palier de 900 MWe et entamer celles des réacteurs de 1 300 MWe.

De plus, comme le Gouvernement veut prolonger le plus possible les centrales qui peuvent l'être, le 16 juin 2006 l'ASN a demandé à EDF de justifier de manière anticipée, d'ici fin 2024, l'hypothèse d'une poursuite du fonctionnement des réacteurs actuels jusqu'à 60 ans et au-delà afin de pouvoir prendre position fin 2026.

Enfin, le réexamen de sûreté d'un certain nombre d'usines du cycle du combustible, notamment le deuxième réexamen de l'usine de La Hague et de l'usine d'enrichissement du combustible sur le site du Tricastin constitue un autre enjeu pour l'ASN et pour l'IRSN.

7. Le stockage géologique profond

La loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs prévoit que « les déchets radioactifs ultimes ne pouvant pour des raisons de sûreté nucléaire ou de radioprotection être stockés en surface ou en faible profondeur font l'objet d'un stockage en couche géologique profonde ».

Cigéo est le projet de centre de stockage de déchets radioactifs en couche géologique profonde porté par l'ANDRA. Conformément aux termes de la loi de 2006, Cigéo est conçu et dimensionné pour stocker les déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue (HA-MAVL).

Le 16 janvier 2023, l'ANDRA a déposé la demande d'autorisation de création (DAC) de Cigéo, qui devra donc être examinée par l'ASN et l'IRSN.

8. Le projet de piscine d'entreposage centralisé d'EDF

Le projet de piscine d'entreposage centralisé d'EDF s'inscrit dans la stratégie de gestion des combustibles usés. Cette stratégie conduit à un accroissement dans le temps du nombre d'assemblages combustibles entreposés, et induit à terme une saturation des capacités d'entreposage existantes.

Conformément à ses obligations, EDF a transmis à l'ASN le dossier d'options de sûreté (DOS) en 2017 et prévoit de transmettre le dossier de demande d'autorisation de création fin 2023.

Ce dossier devra être instruit dans des délais très brefs, le risque d'une saturation de l'entreposage actuel, anticipée à l'horizon 2030, ayant été accentué par les difficultés de fabrication de combustible MOX survenus ces dernières années.

9. La multiplication des opérations de démantèlement

De nombreuses installations nucléaires civiles françaises ont été construites dans les années 1960. Nombre d'entre elles arrivent ou vont arriver à la fin de leur durée de vie utile. Elles devront donc être démantelées et les sites assainis dans les prochaines années, ce qui conduira à une augmentation conséquente du nombre d'installations en démantèlement en France.

Dans son rapport annuel pour 2022, l'ASN présente pour la première fois un observatoire des projets de démantèlement, de reprise et de conditionnement des déchets pour les projets prioritaires. Comme l'a précisé Pierre Bois, directeur général adjoint de l'ASN, lors de l'audition de l'autorité de sûreté par l'OPECST le 25 mai 2023 :

« La genèse de l'outil procède du constat que les projets de démantèlement et de récupération de reprise et de conditionnement des déchets sont nombreux - beaucoup d'installations liées au nucléaire historique doivent être démantelées et assainies - et complexes, en raison d'enjeux radiologiques importants ou parce que les substances ne sont pas toujours complètement caractérisées ou se présentent sous des formes physiques difficiles à approcher. Parfois, les technologies nécessaires à la récupération de ces objets doivent être définies. Certaines filières de gestion des déchets ne sont pas encore en place. »

Par conséquent, les opérations de démantèlement à venir représentent un enjeu majeur pour les exploitants et les industriels ainsi que pour l'ASN et l'IRSN.

10. L'éventuelle augmentation de la puissance des réacteurs actuels

En attendant que soient construits les futurs réacteurs, le Gouvernement a demandé à EDF d'étudier la possibilité d'augmenter la production des centrales actuelles, comme cela a déjà été réalisé aux États-Unis ou en Belgique.

Cette augmentation de puissance, de l'ordre de 4 à 5 %, pourrait nécessiter des modifications du circuit secondaire des installations, celui des turbines et des alternateurs, mais aussi des évolutions du circuit primaire.

Si cette orientation est confirmée par EDF, l'ASN devra évaluer, le cas échéant avec l'appui de l'IRSN, l'adéquation de ces modifications et les conditions de leur réalisation.

II. ATOUTS ET RISQUES POTENTIELS D'UNE RÉORGANISATION

1. La question centrale des ressources humaines

Tant Benoît Journé que Daniel Gremillet, rapporteur du Sénat sur le projet de loi relatif relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, ont attiré l'attention sur les tensions, frictions et inquiétudes inéluctables que fait naître toute perspective de changement institutionnel. Or cette question présente ici une acuité particulière, en raison de la nature même du contrôle de la sûreté nucléaire. Loin de n'être qu'un problème ancillaire, elle apparaît comme une question centrale dans l'hypothèse d'une réforme du dispositif.

Les interlocuteurs entendus par les rapporteurs se sont tous rejoints pour dire que l'expert en sûreté nucléaire est une denrée rare. La relance de l'activité nucléaire, dans notre pays mais aussi à l'étranger, ne va pas dans le sens d'une amélioration de la situation. Un rapprochement ou une réorganisation ne peut, en tout état de cause, être couronné de succès que dans un contexte de croissance des moyens.

Il s'agit d'un point majeur : alors que pour 56 réacteurs électrogènes, l'autorité de sûreté française compte environ 550 personnes, pour 19 réacteurs, l'autorité de sûreté canadienne (Commission canadienne de sûreté nucléaire ou Canadian Nuclear Safety Commission) en compte environ 950, dont 280 affectées à l'appui technique et scientifique. Par ailleurs, pour six réacteurs électro-générateurs, l'autorité de sûreté suédoise (Strålsäkerhetsmyndigheten) en compte environ 300 et pour 5 réacteurs l'autorité de sûreté finlandaise (Stuk) environ 360, auxquelles s'ajoutent 200 experts de son organisme d'appui technique et scientifique (VTT). Enfin, pour 28 réacteurs dont 3 en construction, l'autorité de sûreté sud-coréenne (NSSC) compte environ 990 personnes auxquelles s'ajoutent plus de 600 experts de son organisme d'appui scientifique et technique (KINS).

Une éventuelle réforme du dispositif de contrôle de la sûreté sera donc jugée sur sa capacité à renforcer la mobilisation humaine dans le secteur, tant en termes quantitatifs (effectifs statutaires, ETPT, recrutements sous contrat de droit privé, etc.) qu'en termes qualitatifs (conditions offertes, gestion prévisionnelle des carrières, motivation des personnels).

Puisqu'est projetée une évolution structurelle, il faut s'attendre à ce que son appropriation par les acteurs fasse l'objet d'une courbe d'apprentissage : le risque n'est pas exclu que l'organisation ait d'abord tendance à piétiner, voire à légèrement régresser, avant de s'engager sur la voie d'un progrès global. Cette période transitoire, par nature délicate, ne saurait donc être concomitante avec la phase opérationnelle des nouveaux programmes attendus, ce qui ouvre, pour une éventuelle réorganisation, une fenêtre d'opportunité relativement étroite, sans doute d'ici fin 2024.

Pour les mêmes raisons, les rapporteurs jugent qu'un éventuel rapprochement entre l'ASN et l'IRSN ne saurait avoir lieu à effectifs constants. Soumises à de fortes tensions du fait des nombreux chantiers en cours et à venir, les ressources actuelles des deux organisations laissent toutefois espérer des gains, notamment dans les fonctions supports (informatique, gestion des ressources humaines, direction internationale) qui peuvent sembler aujourd'hui faire doublon. À cette aune, la question du poids respectif des moyens mis à disposition de l'ASN et de l'IRSN, beaucoup débattue depuis quelques mois, paraît passer au second plan.

Un éventuel rapprochement permettrait au contraire d'ouvrir davantage de perspectives de carrière, et d'abord la possibilité d'une mobilité géographique accrue, tant pour le personnel de l'ASN que pour celui de l'IRSN, aujourd'hui implanté sur sept sites différents. Ces éléments peuvent peser favorablement dans la balance pour attirer de nouveaux talents, souvent moins sédentaires.

Au surplus, comme l'a rappelé Bertrand de l'Épinois, la concentration de toutes les équipes à Fontenay-aux-Roses jusqu'à la fin des années 1990 avait pour avantage de fluidifier la circulation de l'information entre les différentes instances de l'époque. Une intégration plus poussée devrait pouvoir apporter des résultats également en ce domaine.

2. Les limites d'une structuration plus respectueuse du continuum entre expertise et décision

Les détracteurs d'une évolution des structures actuelles de contrôle de sûreté nucléaire laissent entendre que celle-ci ne permettrait plus d'assurer une séparation claire entre l'expertise et la décision. C'est d'abord méconnaître le continuum qui existe entre ces deux activités, tel qu'il a été décrit plus haut. L'ASN dispose d'ailleurs déjà aujourd'hui d'une expertise propre pour les équipements sous pression nucléaires, au sein de la DEP basée à Dijon, ainsi que d'un budget d'expertise.

En tout état de cause, un rapprochement de l'IRSN et de l'ASN aurait pour conséquence nécessaire de renforcer le cloisonnement existant aujourd'hui au sein de l'ASN entre l'instance décisionnelle et les services d'instruction. Au sein de l'autorité de sûreté américaine, le directoire (board) fonctionne de manière tout à fait autonome. Il en va déjà de même pour le collège de l'ASN, composé de cinq membres, lequel se prononce au demeurant toujours à l'unanimité jusqu'à aujourd'hui. Or l'indépendance du collège de décision est le gage de la sûreté nucléaire, ce processus décisionnel devant en tout état de cause être préservé.

Avant même une évolution éventuelle des structures, un fonctionnement plus intégré de l'ASN et de l'IRSN pourrait déjà apporter des résultats non négligeables, qu'il prépare ou non une réorganisation. Car, à l'heure actuelle, la séparation la plus importante est peut-être déjà celle qui prévaut entre le collège de l'ASN et ses services d'instruction, plutôt que celle qui existe entre ceux-ci et les experts de l'IRSN spécialisés dans la sûreté nucléaire.

3. Le dialogue technique, garant de la fluidité et de la qualité des contrôles

Sur le plan opérationnel, le succès d'un possible rapprochement aurait sans conteste pour pierre de touche le maintien, et même l'amélioration, d'un dialogue technique approfondi entre ingénieurs de l'exploitant et experts. Dans ce cadre, les efforts déjà engagés pourraient être approfondis et accélérés.

Le principal écueil consisterait à dériver vers une expertise purement juridique, de papier, en perdant le lien avec le terrain. Comme l'a souligné Benoît Journé, il s'agit « d'une question d'équilibre à trouver entre le technique et le juridique ». Conserver un dialogue technique intense évitera de basculer dans un système à l'américaine, au demeurant très différent.

Ainsi, le mouvement d'allègement de certains questionnaires préalables envoyés par l'IRSN, souvent fastidieux à renseigner, mérite d'être poursuivi pour laisser place à des séminaires techniques qui, sur l'espace d'une ou deux demi-journées, permettent de garantir un échange d'information aussi, voire davantage approfondi, puisqu'ils reposent sur des échanges en face-à-face, plus efficaces et moins coûteux en temps et en énergie. Quelle que soit la forme d'organisation retenue, cet effort est à encourager.

Dans la droite ligne des analyses recueillies par les rapporteurs, ces allègements procéduraux ciblés ne doivent pas être entendus comme un allègement des contraintes pesant sur les exploitants, mais au contraire comme le moyen de concentrer les ressources sur des points d'attention matériels nés, non d'une exigence bureaucratique, mais de l'observation concrète des installations.

Disposant de ressources plus réduites que celles de l'opérateur historique, les jeunes entrepreneurs entendus par les rapporteurs ont été les premiers à exprimer des voeux en ce sens. Ils ont, au surplus, insisté sur la nécessité de dématérialiser au maximum les échanges écrits. Là encore, il semble aux rapporteurs qu'il n'est pas nécessaire que la question d'un éventuel rapprochement soit déjà tranchée pour s'engager dès maintenant de manière plus active dans la voie de la numérisation.

4. Le maintien d'un niveau élevé de transparence

Il importe de souligner que le niveau de transparence atteint aujourd'hui apparaît à tous les interlocuteurs entendus comme un acquis intangible de sorte qu'en cas de réorganisation, les expertises devront continuer d'être publiées à destination du grand public : au lieu d'être des expertises de l'IRSN, ces études seront simplement celles des services instructeurs d'une nouvelle autorité.

Au surplus, la décision réglementaire et les analyses préparatoires ne devraient pas plus être identiques que les expertises de l'IRSN et les décisions de l'ASN ne coïncident parfaitement aujourd'hui. L'autorité des cours de justice administrative ne souffre pas du fait que les rapporteurs publics y présentent aux magistrats de la formation de jugement des analyses auxquelles ces derniers ne se rallient pas toujours dans leurs arrêts. L'ensemble de la procédure, qui repose sur un pluralisme assumé, est quant à lui transparent pour le grand public.

Actuellement, les expertises de l'IRSN doivent être publiées en concertation avec l'ASN. Plutôt que de s'interroger sur la manière dont les écarts éventuels peuvent être interprétés, il convient de rappeler que des divergences sont par essence vouées à demeurer entre expertise et décision, comme cela a été rappelé. Il semble en effet évident que la démonstration de sûreté ne serait pas une « confrontation de doutes » si la voie de la décision finalement prise se trouvait toujours indiquée sans équivoque dès les premiers constats préliminaires.

À l'avenir, même si les rapporteurs ne sauraient se prononcer sur un calendrier idéal de publication, il leur semble, dans un souci d'apaisement, que les expertises et recommandations doivent être diffusées de manière concomitante, au moment où l'autorité indépendante rend sa décision.

III. LES POINTS RESTANT À ÉCLAIRER

Le calendrier d'un éventuel rapprochement mérite d'être étudié de près. Inquiet du gonflement attendu de son activité, le personnel de l'ASN a souligné que la transition vers une nouvelle organisation pourrait être source de difficultés, compte tenu du nombre de dossiers à traiter prochainement. Dès lors, le calendrier qui sera adopté devra être compatible avec les perspectives de gestion d'un nombre très accru de dossiers. Pour les rapporteurs, compte tenu des délais inhérents à toute réorganisation, il y aurait péril à atermoyer, alors qu'une éventuelle réforme peut être engagée dès la rentrée 2023.

Le traitement de la question de la sûreté nucléaire dans le secteur de la défense doit faire l'objet d'une attention particulière. À l'issue de l'audition de l'amiral Guillaume dans les locaux mêmes de l'IRSN, le 28 juin, il apparaît que le pôle « Défense, sécurité et non-prolifération » de l'IRSN ne saurait faire partie d'une autorité administrative indépendante. Selon l'amiral Guillaume, il convient d'envisager un rattachement de ces services au ministère de la Défense, à charge pour la nouvelle autorité indépendante de conclure une convention avec cette administration pour garantir que la transparence et le suivi des questions de sûreté nucléaire militaire soient maintenus au niveau d'aujourd'hui.

Les perspectives dessinées en vue d'un rapprochement doivent prendre en compte l'évolution forcément exogène des activités commerciales de l'IRSN, qui varient selon les besoins du marché. Pour certaines activités, telles que la fourniture de dosimètres et diverses prestations de mesure pour le suivi des travailleurs exposés, déjà regroupées dans une structure propre d'environ 60 personnes, le transfert au sein d'une autorité administrative indépendante apparaît en effet délicat. Néanmoins, ces activités doivent être pérennisées, en raison de leur caractère stratégique. Une réforme devrait en tout état de cause prendre en compte le fait que l'évolution technologique imprime son propre rythme au développement des activités industrielles et commerciales assurées à l'heure actuelle. Par exemple, les recherches de haut niveau menées par l'IRSN pour exploiter en dosimétrie les capacités de captation des smartphones dont la population est largement équipée, ont déjà donné des résultats très probants.

Les rapporteurs se sont également interrogés sur le devenir de l'appui technique et scientifique aux fonctions réglementaires (TSO) fourni aujourd'hui par l'IRSN à d'autres pays. Dans sa réponse, le ministère de la Transition énergétique a indiqué que « La continuité de ces activités ne pose aucune difficulté dans la mesure où elles sont au bénéfice de pairs de l'ASN et, en tout état de cause, d'entités qu'elle n'est pas amenée à contrôler. L'ASN elle-même participe à des appels d'offre de la Commission européenne pour des missions d'appui de cette nature, souvent en consortium avec d'autres autorités ou TSO européens. »

De manière générale, toute tentative de réorganisation devrait apporter la visibilité nécessaire aux personnels alloués aux activités de l'IRSN, non liées à la sûreté nucléaire et à la radioprotection, qui ne feraient pas l'objet d'un rapprochement.

TROISIÈME PARTIE :
PROPOSITIONS

I. CLARIFIER L'ORGANISATION

Un regroupement des moyens humains et financiers actuellement alloués à la sûreté nucléaire et à la radioprotection doit permettre de mettre fin à une certaine ambivalence en la matière et de faire face aux nombreux défis qui s'annoncent.

Sous réserve de définir exactement son périmètre d'activité - en première approche, le contrôle, l'expertise et la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection -, l'entité nouvelle pourrait être constituée sous la dénomination d'Autorité indépendante en sûreté nucléaire et radioprotection, ou AISNR. La dénomination de l'autorité nouvelle tirerait la conclusion de cette réorganisation matérielle qui renforcerait de fait ses capacités d'expertise. Le rappel de sa qualité d'autorité indépendante devrait être en tout état de cause inclus dans sa dénomination.

II. ACCROÎTRE LES MOYENS

L'état des lieux effectué par les rapporteurs a mis en évidence le besoin d'augmenter les effectifs alloués aux activités de la sûreté nucléaire civile, tant en matière de sûreté et de radioprotection que de recherche. Cette augmentation des effectifs doit être réalisée en grande partie dès 2024, concomitamment à l'évolution de la gouvernance envisagée, pour tenir compte des délais nécessaires à la montée en compétence des personnels. Une acculturation sera nécessaire et prendra donc du temps.

L'augmentation des effectifs doit aller de pair avec un renforcement de l'attractivité des métiers concernés, y compris sur le plan des rémunérations. Leur fixation doit tenir compte non seulement des conditions offertes dans d'autres établissements publics, tel le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), mais aussi de celles qui sont proposées dans les entreprises du secteur privé recrutant dans le même secteur.

III. PRÉSERVER L'INDÉPENDANCE DE L'EXPERTISE

L'indépendance de l'expertise en matière de sûreté nucléaire doit être préservée quelle que soit l'organisation envisagée. À cet égard, il convient de maintenir une publication des rapports d'expertise, en particulier ceux sur lesquels s'appuient actuellement les décisions de l'ASN. De surcroît, il apparait nécessaire de rendre cette publication concomitante avec celle des décisions de l'Autorité indépendante de sûreté nucléaire.

Par ailleurs, un renforcement du rôle des groupes permanents d'experts, à la fois en termes de composition et de fréquence de leurs réunions, pourrait consolider à la fois l'indépendance de l'expertise, en explicitant la confrontation de la diversité des avis, et la confiance du public, en favorisant une plus grande transparence dans le processus en amont de la décision.

IV. MAINTENIR LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE À SON HAUT NIVEAU ACTUEL

La prévention des accidents nucléaires en France doit demeurer au niveau qui est le sien depuis quatre décennies. Toute réorganisation structurelle doit être préparée de façon à garantir le suivi ininterrompu des procédures ouvertes ainsi que la continuité des flux de traitement de l'information régulièrement recueillie auprès des opérateurs.

Sur un plan managérial, une telle réorganisation doit impérativement s'appuyer sur une gestion anticipée des défis liés aux rapprochements à opérer au sein des équipes concernées, en dégageant des moyens spécifiquement dédiés à cette conduite du changement.

V. UNIFIER LA GESTION DE CRISE

Les rapporteurs préconisent de reprendre la recommandation n° 4 du rapport présenté par Alma Dufour et Sébastien Rome le 31 mai 2023 au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur l'évaluation du système dual en matière de sûreté nucléaire, garanti par l'indépendance entre la fonction de régulateur assurée par l'Autorité de sûreté nucléaire et celle d'expertise assurée par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire :

« Clarifier la répartition des compétences en matière de gestion de crise entre l'ASN et l'IRSN, et étudier la mise en place d'un centre de crise commun entre les deux organismes. Les modalités d'organisation de ce centre devront faire l'objet d'échanges entre le Gouvernement, l'ASN et l'IRSN afin de disposer de la structure la plus efficace pour clarifier la chaîne de réponse en cas de situation d'urgence. »

VI. RENFORCER LA RECHERCHE

Plusieurs des interlocuteurs entendus par les rapporteurs ont souligné la qualité des travaux de recherche menés par l'IRSN, qui bénéficie d'une réelle reconnaissance au niveau européen et international dans son domaine.

C'est ce que confirme le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) dans son dernier rapport d'évaluation de l'IRSN, en date du 17 mars 2023 :

« L'IRSN assume au meilleur niveau ses missions en liaison avec l'État dans un secteur stratégique pour la France et dans un contexte géopolitique en mutation. Son modèle couple expertise et recherche, ce qui lui a permis d'acquérir des compétences reconnues aux niveaux français, européen et international. »

La nouvelle entité devra inclure un département dédié à la recherche, capable de renforcer cette position de pôle d'excellence internationale dans le domaine de la recherche en sûreté nucléaire et radioprotection.

À cette fin, il conviendra de prendre en compte les recommandations formulées par le Hcéres dans son récent rapport, en particulier sur le renforcement des partenariats académiques en France et en Europe et la nécessité d'établir un modèle économique assurant le maintien du parc de plateformes expérimentales et logicielles de l'IRSN.

Bien entendu, les relations nouées par l'actuelle autorité de sûreté avec des instituts ou laboratoires de recherche devront être maintenues.

Le Hcéres pourrait continuer à expertiser tous les quatre ans les structures de recherche adossées à la nouvelle entité.

À ce titre, la nouvelle autorité devra être incluse dans la liste des établissements publics et organismes de recherche et se conformer aux dispositions correspondantes du code de la recherche. En tant que de besoin, ces dispositions pourront être modifiées pour lever toute difficulté liée au statut d'autorité administrative indépendante.

VII. AMÉLIORER LA TRANSPARENCE

Il faudra, dans la future structure, garantir des modes d'information et d'association du public pour lui permettre de suivre les questions techniques les plus importantes tout au long de leur traitement.

Une information « à froid » sur les grands dossiers de sûreté nucléaire et de radioprotection doit notamment être proposée, comme c'est le cas aujourd'hui au travers des concertations numériques systématiquement mises en place par l'ASN en amont d'une décision du collège de l'ASN ayant une incidence sur l'environnement.

En tout état de cause, un rapprochement devra maintenir le même niveau élevé d'information et de transparence. Pour ce faire, l'éventuelle nouvelle entité devra reprendre les moyens cumulés de l'ASN et de l'IRSN pour mieux diffuser l'information relative au nucléaire, en exploitant tous les canaux les plus efficaces, notamment numériques, pour toucher les couches les plus larges possibles du grand public.

VIII. RENFORCER LE RÔLE DU PARLEMENT

Le rapprochement de l'ASN et de l'IRSN au sein d'une nouvelle autorité administrative indépendante représenterait une nouvelle étape essentielle pour assurer la sûreté nucléaire du XXIe siècle, dix-sept ans après le vote de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, ainsi que de la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, deux lois qui avaient fait à l'époque l'objet d'un large consensus politique.

Les contours exacts de cette réorganisation restent encore à préciser, notamment pour définir le calendrier de la réforme, traiter la question de la sûreté nucléaire dans la défense, de l'évolution des activités commerciales de l'IRSN, etc. Il apparaît donc indispensable d'inscrire une telle réforme dans un cadre législatif fort, en donnant le temps nécessaire à un vaste débat parlementaire afin de faire émerger un consensus aussi large que possible.

De plus, les questions relatives à la sûreté nucléaire devront faire l'objet d'un suivi plus resserré.

Depuis sa création en 1983, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a joué un rôle central dans le développement de l'énergie nucléaire en France. Les rapports de l'Office ont souvent influé sur la politique nationale, dans des domaines tels que la sûreté nucléaire, la gestion des déchets, la recherche ou encore l'acceptation sociale de l'énergie nucléaire.

En effet, la diversité de ses membres et de ses compétences dans les domaines scientifiques et technologiques lui permettent de traiter de façon transverse les questions relatives à la filière nucléaire. De plus, il assure un suivi continu des questions nucléaires au travers des auditions annuelles de l'ASN, de l'IRSN et de la CNE2.

De ce fait, l'Office apparaît aujourd'hui comme l'instance la mieux à même de traiter les nouveaux enjeux du nucléaire dans leur globalité et d'assurer un suivi de ces questions pour le Parlement.

Aussi, les rapporteurs recommandent-ils que l'Office reçoive explicitement la mission de suivre de manière rapprochée les questions nucléaires, en particulier celles de la sûreté, de la radioprotection et de la réorganisation envisagée dans ce domaine.

Par ailleurs, le Conseil scientifique qui appuie les activités de l'Office devrait recevoir le renfort de scientifiques de haut niveau dont l'expertise en matière nucléaire est reconnue.

RECOMMANDATIONS

· Regrouper les moyens humains et financiers actuellement alloués au contrôle, à l'expertise et à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection, afin que ceux-ci relèvent à l'avenir d'une structure unique et indépendante.

· Donner à la nouvelle autorité administrative un nom rappelant son caractère indépendant, par exemple : « Autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection », ou AISNR.

· Augmenter significativement, dès 2024, les effectifs affectés aux activités de la sûreté nucléaire civile et de radioprotection, tant en matière de contrôle, d'expertise que de recherche.

· Renforcer l'attractivité des métiers, en particulier en veillant à rendre les rémunérations concurrentielles avec celles offertes par d'autres établissements publics et les entreprises du même secteur.

· Maintenir une publication distincte des rapports d'expertise sur lesquels s'appuient les décisions du collège de l'autorité indépendante issue de la réorganisation.

· Rendre concomitante la publication des décisions de la future autorité indépendante avec la publication de l'ensemble des rapports d'expertise sur lesquels elle s'est appuyée pour rendre sa décision.

· Renforcer les groupes permanents d'experts sur lesquels s'appuiera l'autorité indépendante de contrôle.

· Maintenir la sûreté nucléaire à son niveau actuel, en préparant la réorganisation de façon à garantir le suivi ininterrompu des procédures ouvertes ainsi que la continuité des flux de traitement de l'information régulièrement recueillie auprès des opérateurs.

· Améliorer la gestion de crise, en engageant la mise en place d'un centre de crise unique au sein de la nouvelle entité indépendante.

· Renforcer la recherche, en créant un département dédié à la recherche, capable de consolider la position de pôle d'excellence internationale dans le domaine de la recherche en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection acquise par l'IRSN.

· Améliorer la transparence et l'information du public, en cumulant les moyens de l'ASN et de l'IRSN affectés à ces missions.

· Veiller à ménager des perspectives de reclassement attractives pour les personnels de l'IRSN dont le service ne serait pas concerné par la réorganisation débouchant sur la création de la nouvelle autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection.

· Dans la perspective de la montée en charge des besoins induits par la relance de la production d'énergie nucléaire, veiller à respecter un calendrier resserré de mise en oeuvre de la réforme, qui devrait idéalement avoir abouti d'ici fin 2024.

· Concevoir une organisation en veillant à la spécificité des moyens de contrôle dévolus à la sûreté des installations nucléaires militaires, tout en prenant en compte l'importance croissante de la coordination entre sûreté et sécurité pour les installations civiles et les transports.

· Créer les conditions d'un dialogue approfondi avec les nouveaux opérateurs du nucléaire, en adaptant si nécessaire les procédures et en lien avec les autorités de sûreté étrangères, sans pour autant renoncer au plus haut niveau de sûreté qui devra s'appliquer à leurs installations.

· Renforcer le rôle du Parlement, en chargeant expressément l'Office d'un suivi annuel de la filière nucléaire, en particulier des questions de sûreté et de radioprotection, et en complétant la composition de son Conseil scientifique par des experts du domaine.

· S'appuyer sur un texte législatif dûment débattu au Parlement pour engager toute réforme de l'organisation actuelle.

EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'est réuni le 11 juillet 2023 pour examiner le rapport sur « les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection » présenté par M. Jean-Luc Fugit, député, et M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Chers collègues, avant d'aborder notre ordre du jour, je souhaite vous entretenir de deux sujets.

Tout d'abord, je me réjouis de l'excellente tenue du quarantième anniversaire de l'Office, qui s'est déroulé la semaine dernière et qui continue cette semaine avec une exposition dans la Galerie des fêtes de l'Assemblée nationale. J'invite ceux d'entre vous qui n'ont pas encore eu l'occasion de la voir à la visiter. Je remercie les services de l'Office pour la réussite de cet événement. En termes de notoriété, mais aussi de coopération avec l'ensemble de nos collègues parlementaires, ainsi qu'avec les organismes de recherche, la science a pu véritablement s'exprimer au Parlement, notamment grâce aux tables rondes qui se sont tenues à l'Assemblée et au Sénat. De nombreux retours émanant de nos collègues ont montré que l'Office est un organe tout à fait essentiel pour la bonne compréhension par le Parlement des enjeux scientifiques.

En second lieu, je souhaite vous rappeler que lorsque les versions provisoires des rapports sont distribuées aux membres de l'Office, ces documents ne sont pas diffusables tant que nous ne les avons pas débattus et adoptés ; cette exigence est d'ailleurs rappelée sur chacune des pages. Vous n'êtes pas sans savoir que le projet de rapport que nous devons examiner ce matin a déjà été diffusé à l'extérieur de l'Office. Nous ferons évidemment preuve d'une transparence totale sur ce rapport, mais il faut attendre le vote définitif de l'Office avant de le diffuser. Il ne s'écoule que quelques heures entre le moment où il vous est distribué et le moment où nous le votons.

J'ajoute que cette pratique me paraît tout à fait irrespectueuse, notamment envers le travail réalisé par les rapporteurs. Je souhaite une réelle prise de conscience de l'ensemble des membres de l'Office afin d'éviter à l'avenir une telle diffusion de nos travaux avant l'heure, par respect pour le travail des rapporteurs et pour leur engagement ainsi que par respect pour nos débats qui peuvent conduire à modifier certains aspects du rapport.

Sans plus tarder, je laisse la parole à nos deux collègues, Jean-Luc Fugit et Stéphane Piednoir, pour ce rapport sur les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur les plans scientifiques et technologiques, ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection. Ce rapport fait suite à une saisine de la commission des affaires économiques du Sénat. Il s'inscrit dans la droite ligne de la loi sur les procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, votée au Parlement, et dans le cadre de la conjoncture actuelle, que nos deux rapporteurs nous rappelleront.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. L'Office s'était réuni le 16 février dernier pour une audition publique qui avait rassemblé toutes les parties prenantes, afin de débattre d'une éventuelle réorganisation du contrôle de la sûreté nucléaire dans notre pays. Dans le cadre de la discussion du texte qui est depuis devenu la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, le Gouvernement avait proposé, par voie d'amendement, une réorganisation de notre système de contrôle qui impliquait un rapprochement entre l'IRSN et l'ASN.

Comme cette mesure ne faisait pas partie du projet de loi initial, elle n'avait pas été soumise au Conseil d'État lorsqu'il s'était prononcé sur l'avant-projet de loi. Elle n'avait bien évidemment pas non plus fait l'objet d'une étude d'impact. C'est cette étude d'impact que voudrait être le rapport que nous vous présentons aujourd'hui. En effet, si la loi du 22 juin 2023 n'inclut finalement aucune disposition relative au rapprochement de l'IRSN et de l'ASN, les conditions qui ont fait naître une réflexion sur l'opportunité d'une telle réorganisation sont toujours réunies.

Jean-Luc Fugit et moi n'avons pas ménagé notre peine pour recueillir le plus largement possible les avis de toutes les parties concernées, comme en témoigne la liste des personnes auditionnées, annexée, comme il se doit, à la fin de notre rapport. Une réorganisation aurait, nous en sommes conscients, des conséquences sociales non négligeables. Nous avons jugé qu'il ne serait pas responsable de prolonger inutilement ce qui est une période d'incertitude pour les personnels de l'ASN et de l'IRSN. C'est pourquoi nous avons mis les bouchées doubles, si vous me permettez l'expression, pour vous présenter ce rapport avant la suspension estivale des travaux.

Nous avons travaillé jusqu'à très tard hier soir pour finaliser le document que vous avez reçu ce matin. Nous vous remercions de votre compréhension, de votre patience, eu égard au cadre très contraint dans lequel nous avons dû travailler - et vous aussi - ce qui n'a hélas pas empêché cette diffusion à la presse qu'a évoquée Pierre Henriet. Une telle diffusion contrevient à l'embargo auquel ce rapport était soumis avant son examen, comme c'est l'usage pour l'ensemble de nos travaux parlementaires.

Dans ce rapport, nous attirons l'attention du Gouvernement sur la dimension sociale d'une réorganisation, en insistant sur la nécessité de trouver des solutions adaptées à chaque organisme mais, comme nous y invitait la lettre de saisine de Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, et comme c'est le rôle de l'Office, nous nous sommes principalement concentrés sur la sûreté nucléaire.

La lettre de saisine nous invitait à nous pencher sur « les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifique et technologique ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection. » Or, la législation qui régit actuellement ce domaine a été conçue, imaginée au sein de notre Office dès la fin des années 1990, avant l'adoption des textes au début des années 2000. Nous avons donc eu à coeur de capitaliser sur cette expertise propre à l'Office pour dresser un bilan sans complaisance, mais sans fausse humilité, par rapport au travail déjà accompli.

M. Jean-Luc Fugit, député, rapporteur. Le contrôle de la sûreté nucléaire en France a désormais une longue histoire et, au regard de celle-ci, les structures actuelles sont relativement récentes. Elles ont une vingtaine d'années. Nous avons retracé dans le rapport l'évolution qui a abouti à leur mise en place au début des années 2000 : en 2001 pour l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) placé sous l'autorité de plusieurs ministères, et en 2006 pour l'ASN, autorité indépendante du gouvernement.

Pour le dire de manière schématique, l'exploitant est responsable de la sûreté de ses installations, conformément d'ailleurs à l'article 9 de la Convention internationale sur la sûreté nucléaire. L'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, définit la réglementation s'appliquant aux installations et accorde l'autorisation de les mettre en service ou de prolonger leur utilisation. Pour ce faire, l'ASN s'appuie à la fois sur ses propres équipes d'expertise et sur les services d'expertise de l'IRSN, qui y consacre une partie de ses ressources.

En effet, nous tenons à rappeler que l'IRSN est également chargé du suivi de la radioprotection des personnels navigants de l'aviation civile, du contrôle des appareils utilisés par les cabinets de radiologie et que ses attributions s'étendent jusqu'à la mise en oeuvre par la France de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Voici quelques exemples des activités de l'IRSN, en complément de son travail sur la sûreté nucléaire.

Pour en revenir à la sûreté nucléaire, le triptyque exploitant - autorité de contrôle - institut d'expertise a plutôt bien fonctionné depuis 2006, date de la création de l'ASN. La législation alors adoptée a porté ses fruits.

Dix-sept ans plus tard, le paysage industriel nucléaire français est cependant au seuil d'un bouleversement puisque, après de longues années de simple gestion du parc existant, de nouveaux et nombreux défis se dressent devant nous tels que la poursuite de l'exploitation du parc existant, son adaptation aux impacts du changement climatique mais aussi le déploiement d'une filière EPR 2 et l'apparition de nombreuses innovations autour des petits réacteurs comme les SMR (small modular reactor). Ces projets ne sont d'ailleurs pas seulement le fait d'EDF, l'exploitant historique comme on l'appelle parfois. Le tissu très dense des start-up se révèle aussi particulièrement actif en ce domaine. Demain, la sphère de contrôle devrait donc se trouver confrontée à une multitude d'acteurs privés.

Une optimisation de l'organe de contrôle est-elle envisageable dans ce contexte de relance du nucléaire ? Serait-il possible de maintenir ce haut niveau de sûreté dans un cadre institutionnel différent ? Telles sont les questions que nous nous sommes posées.

Michaël Mangeon, historien du nucléaire, nous avait déclaré au mois de février dernier : « Toute décision de réforme du système a un impact direct ou indirect sur la sûreté nucléaire et doit être analysée en profondeur. » Nous nous sommes donc efforcés d'aller au fond des choses pour comprendre de manière approfondie le fonctionnement concret de la sûreté nucléaire.

Nous avons ainsi pu revenir sur quelques idées reçues. La présentation schématique que je vous faisais à l'instant ne se réduit justement pas à une distinction entre l'ASN et l'IRSN. Dans la gestion ordinaire de la sûreté nucléaire, les liens de travail sont très forts entre l'ASN et l'IRSN. Les équipes des deux organismes travaillent ensemble, le plus souvent en mode projet, au pied du réacteur comme on dit parfois. Nous avons pu nous en rendre compte lors d'une visite de la centrale de Chinon. Loin de distinguer de manière rigide l'expertise et la décision, comme l'approche institutionnelle pourrait en induire l'idée, nos interlocuteurs ont quasi unanimement souligné l'existence d'un continuum entre ces deux activités. On pourrait le résumer en disant que l'arbre de la séparation structurelle ne doit pas cacher la forêt de la coopération quotidienne.

Il faut aussi tordre le cou à une autre idée reçue, celle qui voudrait qu'en rapprochant l'ASN et l'IRSN l'expertise préalable à la décision ne serait plus visible du grand public, en un mot que la transparence de l'information en matière de sûreté nucléaire ne serait plus aussi élevée. Sur ce point, toutes les personnes auditionnées ont été très claires : il convient de maintenir une publication des rapports d'expertise, en particulier ceux sur lesquels s'appuient actuellement les décisions de l'ASN, autorité indépendante. C'est aussi notre avis. Émanant de deux institutions différentes, cette publication a pu donner lieu, par le passé, à quelques cafouillages de communication. La réorganisation envisagée éviterait probablement la survenance de ces problèmes.

Dans le cadre d'une éventuelle réorganisation, la séquence expertise - recommandation de l'autorité indépendante - décision politique continuerait d'être parfaitement respectée et serait toujours aussi lisible pour les observateurs avertis comme pour le grand public. Nous rappelons qu'au sein de l'ASN le collège décisionnaire fonctionne déjà de manière autonome par rapport aux services d'expertise internes. Le cloisonnement entre expertise et décision est donc déjà garanti au sein de l'ASN actuelle.

La réorganisation n'aurait cependant pas de sens si elle revenait à ériger une nouvelle muraille de Chine, en faisant de ce cloisonnement quelque chose de trop rigide. Au contraire, à l'aube d'un renouveau nucléaire dans notre pays, c'est une longue marche vers la fluidification qui nous paraît nécessaire. À nos yeux, le processus s'enclencherait de lui-même si une entité unique et indépendante de sûreté nucléaire regroupant le contrôle et l'expertise devait voir le jour. C'est une conviction que nous partageons tous les deux.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. En effet, nous avons identifié dans ce travail approfondi un certain nombre de propositions et nous en énonçons huit dans le rapport qui vous a été transmis ce matin.

La première proposition est de clarifier l'organisation, ce qui est le point de départ de notre analyse. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'un regroupement des moyens financiers et humains actuellement alloués à la sûreté nucléaire et à la radioprotection permettrait de mettre fin à ce que l'on peut appeler une certaine forme d'ambivalence et de faire face aux nombreux défis qui s'annoncent, pointés à l'instant par Jean-Luc Fugit, face à la diversité des projets qui sont devant nous.

Sous réserve de définir exactement son périmètre d'activité - je cite en première approche le contrôle, l'expertise et la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection -, l'entité nouvelle pourrait être constituée sous la dénomination d'Autorité indépendante en sûreté nucléaire et radioprotection, avec l'acronyme AISNR. La dénomination de l'autorité nouvelle tirerait les conséquences de cette réorganisation matérielle qui renforcerait de fait ses capacités d'expertise. Le rappel de sa qualité d'autorité indépendante, parfois oubliée, devrait être en tout état de cause inclus dans sa dénomination.

La deuxième proposition est d'accroître les moyens. J'en ai dit un mot tout à l'heure : l'état des lieux a mis en évidence le besoin d'augmenter les effectifs dédiés aux activités de la sûreté nucléaire civile, tant en matière de sûreté et de radioprotection que de recherche. Cette augmentation des effectifs doit être réalisée sans tarder et en grande partie dès 2024, concomitamment à l'évolution envisagée de la gouvernance, pour tenir compte des délais nécessaires à la montée en compétence des personnels. Nous n'ignorons pas qu'une acculturation sera nécessaire et prendra du temps.

La troisième recommandation est de préserver l'indépendance de l'expertise. Cette indépendance de l'expertise en matière de sûreté nucléaire doit être préservée quelle que soit l'organisation envisagée. À cet égard, il convient de maintenir une publication des rapports d'expertise, en particulier ceux sur lesquels s'appuient actuellement les décisions de l'ASN. Il apparaît également nécessaire de rendre concomitantes cette publication et celle des décisions de l'Autorité indépendante de sûreté nucléaire.

Par ailleurs, un renforcement du rôle assez largement méconnu des groupes permanents d'experts, à la fois en termes de composition et de fréquence de réunion, pourrait consolider d'une part l'indépendance de l'expertise, en explicitant la confrontation de la diversité des avis, d'autre part la confiance du public, en favorisant une plus grande transparence dans le processus en amont de la décision.

La quatrième proposition est de maintenir la sûreté nucléaire à son haut niveau actuel. La prévention des accidents nucléaires en France doit demeurer au niveau qu'elle connaît depuis maintenant plus de quatre décennies. Toute réorganisation structurelle doit être préparée de façon à garantir le suivi ininterrompu des procédures ouvertes ainsi que la continuité des flux de traitement de l'information régulièrement recueillie auprès des opérateurs.

La cinquième proposition est d'unifier la gestion de crise. À ce titre, nous avons consulté le rapport présenté par nos collègues députés Alma Dufour et Sébastien Rome le 31 mai 2023, au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, sur l'évaluation du système dual en matière de sûreté nucléaire, fondé sur l'indépendance entre la fonction de régulateur assurée par l'ASN et la fonction d'expertise assurée par l'IRSN. Nous préconisons de reprendre leur quatrième recommandation : « Clarifier la répartition des compétences en matière de gestion de crise entre l'ASN et l'IRSN et étudier la mise en place d'un centre de crise commun entre les deux organismes. Les modalités d'organisation de ce centre devront faire l'objet d'échanges entre le gouvernement, l'ASN et l'IRSN afin de disposer de la structure la plus efficace pour clarifier la chaîne de réponse en cas de situation d'urgence. »

Notre sixième proposition est de renforcer la recherche. Plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné la qualité des travaux de recherche menés à l'IRSN, qui bénéficie d'une réelle reconnaissance européenne et internationale dans son domaine. C'est d'ailleurs ce que confirme le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) dans son dernier rapport d'évaluation en date du 17 mars 2023. La nouvelle entité devra donc impérativement inclure un département entièrement dédié à la recherche, capable de renforcer cette position de pôle international d'excellence dans le domaine de la sûreté nucléaire et radioprotection.

La septième proposition est d'améliorer la transparence. À notre sens, il faudra garantir dans la future structure des modes d'information et d'association du public, pour lui permettre de suivre les questions techniques les plus importantes tout au long de leur traitement. Une information à froid sur les grands dossiers de sûreté nucléaire et de radioprotection doit notamment être proposée, comme c'est le cas aujourd'hui au travers des concertations numériques systématiquement mises en place par l'ASN, en amont d'une décision du collège ayant une incidence sur l'environnement.

La huitième et dernière proposition concerne les parlementaires et l'OPECST. Je rappelle que, depuis sa création en 1983, l'Office a joué un rôle central dans les évolutions de l'industrie nucléaire en France. Les rapports de l'Office ont souvent influé sur la politique nationale dans des domaines tels que la sûreté nucléaire, la gestion des déchets, la recherche ou encore l'acceptation sociale de l'énergie nucléaire. De ce fait, nous pensons que l'Office apparaît aujourd'hui comme l'instance la mieux à même de traiter les nouveaux enjeux du nucléaire dans leur globalité et d'assurer un suivi de ces questions pour le Parlement.

Nous vous recommandons donc que l'Office reçoive explicitement la mission de suivre de manière rapprochée les questions nucléaires, en particulier celles de la sûreté, de la radioprotection et de la réorganisation envisagée dans ce domaine. Par ailleurs, nous souhaitons que le conseil scientifique qui appuie les activités de l'Office bénéficie du renfort de scientifiques de haut niveau dont l'expertise en matière nucléaire est reconnue.

M. Jean-Luc Fugit, député, rapporteur. Pour terminer cette présentation, je voudrais préciser les 17 recommandations opérationnelles que nous formulons, de manière à donner corps aux propositions que Stéphane Piednoir vient d'énoncer.

Sur la première recommandation (« regrouper les moyens humains et financiers actuellement alloués au contrôle, à l'expertise et à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection, afin que ceux-ci relèvent à l'avenir d'une structure unique et indépendante »), nous insistons sur le mot « indépendante ». Pour donner à la nouvelle autorité administrative un nom rappelant son caractère indépendant, nous proposons par exemple : « Autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection ».

Les troisième et quatrième recommandations sont : « augmenter significativement dès 2024 les effectifs affectés aux activités de la sûreté nucléaire, civile et de radioprotection, tant en matière de contrôle, d'expertise que de recherche » et « renforcer l'attractivité des métiers, en particulier en veillant à rendre les rémunérations concurrentielles avec celles offertes par d'autres établissements publics et aussi les entreprises du même secteur ».

Notre cinquième recommandation est : « maintenir une publication distincte des rapports d'expertise sur lesquels s'appuient les décisions du collège de l'autorité indépendante issue de la réorganisation. »

Les recommandations suivantes sont liées à la précédente : « rendre concomitante la publication des décisions de la future autorité indépendante avec la publication de l'ensemble des rapports d'expertise sur lesquels elle s'est appuyée pour rendre sa décision », « renforcer les groupes permanents d'experts sur lesquels s'appuiera l'autorité indépendante de contrôle » et « maintenir la sûreté nucléaire à son niveau actuel en préparant la réorganisation de façon à garantir le suivi ininterrompu des procédures ouvertes ainsi que la continuité des flux de traitement de l'information régulièrement recueillie auprès des opérateurs. »

Nous recommandons également d'« améliorer la gestion de crise en engageant la mise en place d'un centre de crise unique au sein de la nouvelle entité indépendante. »

Sur la recherche, nous proposons de « renforcer la recherche en créant un département dédié à la recherche capable de consolider la position de pôle d'excellence internationale dans le domaine de la recherche en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection acquise par l'IRSN. » Il faut que cette recommandation que nous faisons se retrouve dans la potentielle nouvelle autorité indépendante.

Nous suggérons aussi d'« améliorer la transparence de l'information du public en cumulant les moyens actuels de l'ASN et de l'IRSN affectés à ces missions. »

Les six recommandations suivantes sont, en premier lieu, « veiller à ménager des perspectives de reclassement attractive pour les personnels de l'IRSN dont le service ne serait pas concerné par la réorganisation débouchant sur la création de la nouvelle autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection » ; en deuxième lieu, « dans la perspective de la montée en charge des besoins induits par la relance de la production d'énergie nucléaire, veiller à respecter un calendrier resserré de mise en oeuvre de la réforme, qui devrait idéalement avoir abouti d'ici fin 2024 », ce qui est à mettre en parallèle avec la montée en puissance de l'activité que j'ai décrite dans la première partie de mon intervention ; en troisième lieu « concevoir une organisation en tenant compte de la spécificité des moyens de contrôle dévolus à la sûreté des installations nucléaires militaires, tout en favorisant la coordination entre ceux-ci et ceux de la sûreté et de la sécurité pour les installations civiles et les transports » ; en quatrième lieu « créer les conditions d'un dialogue approfondi avec les nouveaux opérateurs du nucléaire, en adaptant si nécessaire les procédures et en lien avec les autorités de sûreté étrangères, sans pour autant renoncer au plus haut niveau de sûreté qui devra s'appliquer à leurs installations » ; en cinquième lieu, « renforcer le rôle du Parlement en chargeant expressément notre Office d'un suivi annuel de la filière nucléaire, en particulier des questions de sûreté et de radioprotection, et en complétant la composition de son conseil scientifique par des experts du domaine » ; enfin, « s'appuyer sur un texte législatif dûment débattu au Parlement pour engager toute réforme de l'organisation actuelle ».

Pour finir, je voudrais aller dans le sens de ce qu'ont dit notre président et Stéphane Piednoir. J'ai été surpris de recevoir un communiqué de l'Agence France-Presse décrivant les recommandations que nous allions présenter aujourd'hui. Le rapport était sous embargo, cela paraissait évident. Nous vous l'avons envoyé un peu tard, j'en conviens ; nous avons fini sa rédaction à une heure du matin et nous avons encore fait des relectures ce matin à huit heures. J'ai été surpris et je me suis demandé si l'Office devait basculer dans le monde de Twitter. En sommes-nous à trois ou quatre heures près, en regard des vingt ou trente années qui viennent de s'écouler sur la sûreté nucléaire ? Était-il vraiment si difficile d'attendre avant de le diffuser ? Cela m'interroge beaucoup.

Voilà, monsieur le président et monsieur le premier vice-président, nous sommes maintenant à l'écoute de l'ensemble des collègues pour échanger sur ce rapport que vous avez découvert ce matin et dont la presse parle déjà tant.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Tout d'abord, je voudrais vous remercier, ainsi évidemment que l'ensemble des services. Vous avez fait un travail remarquable, à la fois construit et complet, comme ce doit être le cas pour nos rapports, et ceci dans un temps effectivement assez contraint. Je sais que vous avez consacré énormément de temps, au regard de la liste des personnes que vous avez entendues, à la phase de réflexion en amont de la rédaction de ce rapport.

Un élément doit être central dans les débats que nous allons avoir. C'est, comme vous l'indiquez à la page 18, l'indispensable fluidité des relations entre les parties prenantes. Vous rappelez bien, dans une perspective de comparaisons internationales, qu'en France la responsabilité en matière de sûreté nucléaire est, d'abord et avant tout, celle de l'exploitant, l'autorité de sûreté intervenant pour le contrôle. Ce n'est pas le format adopté dans tous les pays qui ont mis en place des systèmes de régulation et de contrôle.

Cela doit être la dimension centrale de l'amélioration de la sûreté, notamment - comme vous l'avez dit - dans la perspective de l'accroissement des décisions que devra prendre l'ASN. Pour mémoire, entre 1 500 et 2 000 décisions sont prises chaque année par l'ASN. On peut penser qu'un doublement, voire un triplement de ce nombre aura lieu dans les dix ou vingt prochaines années, compte tenu de l'évolution des objectifs de politique nucléaire dont nous avons par ailleurs débattu et qui seront maintenant mis en application.

Je sais que tous les membres de l'Office sont animés par la volonté de faire en sorte que la sûreté nucléaire soit garantie au meilleur niveau possible à l'ensemble de nos concitoyens dans le contexte actuel. Même si certains ne sont pas d'accord avec la manière dont les objectifs ont été définis, le Parlement, dans sa globalité, en a décidé ainsi.

Je vous invite également, mes chers collègues, à considérer cette question fondamentale du renforcement de la sûreté nucléaire du point de vue de l'exploitant, en termes de compétences, parce que c'est avant tout de sa responsabilité. C'est en lui donnant tous les outils nécessaires que nous pourrons garantir à nos concitoyens une sûreté optimale. J'insiste sur ce point. Nous aborderons certainement le sujet de la dualité, mais essayons aussi d'avoir une réflexion nuancée, non binaire qui permette de saisir la complexité de la sûreté nucléaire telle qu'elle est mise en oeuvre en France.

M. Gérard Longuet, premier vice-président de l'Office. Je m'associe à Pierre Henriet pour féliciter nos deux rapporteurs. Ils ont fait un travail formidable. Vous êtes parlementaires, je le suis aussi, j'ai le privilège de l'ancienneté et il est quand même très réjouissant de voir que des sujets majeurs sont traités d'une façon totalement responsable, avec le maximum d'objectivité. Il ne sera jamais satisfaisant pour tous les parlementaires, mais c'est un travail en profondeur, réalisé dans des délais qui sont tout à fait exceptionnels.

Au moment où la Cour des comptes rappelle, à juste titre, que l'État a une tendance quelque peu excessive à mobiliser des talents extérieurs, c'est-à-dire des cabinets d'études généralement anglo-saxons, afin de pouvoir dire : « j'ai le label et on ne pourra jamais me reprocher d'avoir pris cette décision puisque je l'ai prise sur le conseil d'un groupe international », nous avons fait le choix de travailler avec les parlementaires élus du peuple qui ont oeuvré en toute responsabilité et en toute transparence. Je voudrais les remercier franchement pour leur travail et j'espère que, dans notre débat, nous maintiendrons cette qualité du travail parlementaire qui est un facteur de sérénité pour nos compatriotes.

Nous avons le droit - pas seulement le droit mais même le devoir - d'avoir des points de vue différents et de les exprimer. Nous avons également le devoir de respecter le travail lorsqu'il est aussi bien fait.

M. Hendrik Davi, député. Nous examinons aujourd'hui un rapport très important concernant la sûreté nucléaire. Je voudrais effectivement remercier les deux rapporteurs, mais je voudrais aussi dire ma déception sur la forme qu'a prise cet examen.

L'Office est une institution respectable dont nous fêtons d'ailleurs les quarante ans et le moment que nous avons eu la semaine dernière était vraiment bien. Hélas, nous voudrions décrédibiliser l'Office - je pèse mes mots, vous savez que je ne suis pas porté à la surenchère - nous ne nous y prendrions pas autrement, parce que la fusion hâtive entre l'IRSN et l'ASN est critiquée par l'ensemble des salariés de l'IRSN et que l'Assemblée nationale s'est déjà prononcée contre. De nombreux acteurs avaient dit ici leurs doutes sur cette fusion ; instrumentaliser l'Office pour remettre ce projet à l'ordre du jour n'est une bonne idée ni pour le projet en question, ni pour l'Office.

Je pense, mais peut-être me direz-vous le contraire, qu'il s'agit bien d'une instrumentalisation. Pourquoi ? Car les conditions d'examen du rapport ne sont pas satisfaisantes et je vais vous le démontrer. Les membres de l'Office n'ont pas pu assister aux auditions. Je sais que c'est commun, néanmoins je n'ai reçu aucune convocation pour les auditions. J'ai cherché à savoir quand elles avaient lieu. Le rapport a été porté à notre connaissance à dix heures vingt ce matin pour un examen à treize heures trente. Effectivement, vous avez beaucoup travaillé mais, quand on est dans ces conditions... me forger une opinion sur ce rapport quand je le reçois à dix heures vingt est extrêmement problématique.

J'en viens au fond du rapport parce que, en trois heures, je suis quand même parvenu à le lire. Il n'est pas à la hauteur des enjeux. Les enjeux des deux approches, déterministe et probabiliste, de la sûreté nucléaire sont selon moi insuffisamment décrits.

La première partie, sur l'état des lieux, n'apporte aucun élément de réponse à la question qui était posée : quelles sont les forces et faiblesses du système dual ASN/IRSN actuel ? On ne peut que déplorer cette absence de diagnostic du système dual. Le rapport comporte finalement peu de critiques du système actuel.

Certaines assertions importantes, comme celle qui explique en page 14 que le succès du programme nucléaire est dû à la souplesse du système contrôle, sont insuffisamment démontrées. Ce sont des assertions extrêmement importantes. Nous aurions voulu savoir qui avait formulé ces assertions, qui sont peut-être justes, mais insuffisamment démontrées.

Les rapporteurs reconnaissent d'ailleurs qu'ils n'ont pas pu se rendre aux États-Unis pour examiner sérieusement le système de sûreté américain. Il s'agit quand même d'un point important, même si je sais que c'est difficile.

Le rapport contient des remarques inquiétantes, comme celle qui suggère qu'EDF pense qu'il faudrait assouplir, si j'ai bien compris, la prise en compte du risque de séisme et faire confiance, concernant la sûreté nucléaire, aux rapports de la Cour des comptes plutôt qu'aux agents. C'est pour moi assez questionnable.

Les relations entre l'ASN et l'IRSN sont un sujet. C'est un élément du rapport mais, selon les agents eux-mêmes, ces problèmes de relations sont plutôt derrière nous.

Enfin, je remarque beaucoup de manques. Les activités de l'IRSN autres que l'expertise des installations, telles que la surveillance radiologique des travailleurs, le secteur médical, les impacts environnementaux, le traitement de l'héritage nucléaire ne sont pas mentionnées. La question des différences de statut au sein d'une même autorité - puisqu'il s'y trouve des fonctionnaires et des contractuels de droit public et de droit privé - n'est pas mentionnée. À aucun moment le rapport n'aborde les activités du pôle défense et sécurité de l'IRSN autres que celles liées à la sûreté défense. La sûreté des installations de défense est en outre plus effleurée que vraiment évoquée et aucune personne impliquée dans le contrôle de la sûreté défense ne semble avoir été auditionnée. Enfin, les conséquences sociales d'une éventuelle fusion sont mentionnées, mais rien n'est de nature à rassurer les personnels.

En définitive, très peu d'extraits d'auditions sont cités. Elles ont pourtant été nombreuses et on voudrait savoir quelles ont été les opinions exprimées réellement en faveur ou en défaveur d'une fusion et quels points de vigilance ont été soulevés. Le rapport ne les mentionne pas.

Selon la France insoumise, à ce stade, le rapport qui préconise donc la fusion de l'IRSN et l'ASN - c'est votre première recommandation - ne peut pas et ne doit pas être adopté par l'Office. Quelles que soient nos positions sur la relance du nucléaire, le débat sur la sûreté mérite mieux qu'un examen tronqué et un rapport trop hâtif, même si le travail que vous avez fait est de qualité.

Je vous propose donc, en mon nom, que nous ayons un débat plus collégial, avec de nouvelles auditions publiques, avant de rendre un rapport définitif qui fasse vraiment l'unanimité entre nous. Rappelons quand même que le système dual actuel procède d'une proposition d'un ancien président de l'Office, qui s'était exprimé ici même. Je pense que cette question extrêmement importante et extrêmement technique mérite mieux que l'adoption d'un rapport rendu en si peu de temps. Cela m'a quelque peu irrité.

M. Philippe Bolo, député. Je me réjouis que l'Office puisse se saisir de ce sujet. En effet, souvenons-nous qu'il avait été traité d'une façon déplorable par voie d'amendements examinés à l'Assemblée nationale et pas au Sénat. Nous avions débattu avec ardeur et un amendement avait été déposé pour que l'Office puisse s'emparer du sujet. Donc, c'est une bonne chose que cela puisse être étudié aujourd'hui. J'insiste sur le démarrage manqué de cette réforme, un point d'ailleurs repris dans la lettre de saisine puisque la présidente de la commission des affaires économiques du Sénat évoque une réforme « mal évaluée, mal concertée et mal anticipée ».

Heureusement, vous avez un peu remis le train sur les bons rails, avec un travail de fond qui commence par un rappel sur l'histoire de l'expertise et du contrôle que je trouve utile. Cela permet de savoir d'où l'on vient et le parcours suivi pour arriver au système actuel. Il n'est jamais inutile d'interroger les aspects que l'on veut faire évoluer à la lumière de l'histoire qui les a façonnés.

Ensuite, vous faites l'état des lieux du système actuel. Je ferai aussi la remarque que, parfois, des informations sont fournies ou des propos sont tenus sans que l'on sache véritablement leur provenance. Parfois - c'est un ressenti personnel et non une critique à l'égard de votre travail - cela donne l'impression que davantage d'éléments proviennent de l'ASN que de l'IRSN, alors que le fait de citer aurait peut-être permis un dénombrement permettant de mieux juger de l'équilibre. Vous regardez ensuite les atouts et les risques d'une éventuelle réorganisation.

Je regrette moi aussi la transmission tardive du rapport. J'aurais aimé m'y plonger plus longuement. Je voudrais faire une remarque sur les fuites, parce que nous en sommes les premières victimes - du moins, nous en sommes également victimes - pour la simple et bonne raison que, parfois, cela peut conduire à une communication tardive des documents. Ce n'est pas votre cas, vous avez travaillé tard, jusqu'au dernier moment, mais on peut se demander quand transmettre le document si la fuite devient une stratégie. Nous en sommes donc les victimes, parce que nous n'avons pas le temps de travailler suffisamment les sujets. C'est même dramatique du point de vue des conférences de presse organisées par la suite, parce que c'est le moment où l'on espère que les journalistes seront présents, pour répondre à leurs questions et échanger. Cela peut se diluer en cas de fuite. Des journalistes peuvent renoncer à venir, ce qui nuit aussi à la visibilité de l'Office.

Sur le fond, je voudrais revenir sur trois points en résonance avec des éléments de votre rapport et en vous posant les questions correspondantes. Premier point, vous évoquez l'expertise de l'IRSN, nourrie par ses activités de recherche, menées le plus souvent dans un cadre international, ce qui lui assure les moyens d'investigation les plus performants. Vous dites également qu'un tiers, voire seulement un quart, des activités de l'IRSN concerne la sûreté des réacteurs et la prévention des accidents majeurs dans les installations nucléaires, l'Institut étant également compétent dans des domaines de la radiologie que vous énumérez précisément. Je regrette que cette dernière dimension ne soit pas traitée dans le rapport. Il est axé sur la sûreté des installations nucléaires mais, finalement, on ne voit pas véritablement ce que deviendront ces métiers annexes ou connexes en cas de regroupement des deux organisations.

Pourtant, c'est très important, parce que ces activités sont loin d'être négligeables pour le pays, compte tenu des enjeux qu'elles représentent et aussi parce qu'elles nourrissent parfois la connaissance du chercheur ou de l'expert. En effet, au travers des confrontations avec des collègues qui travaillent sur ces activités périphériques, l'expert peut avoir un autre éclairage de son métier, des disciplines qu'il doit pratiquer et des conséquences que peut avoir l'usage du nucléaire. C'est un point important qui, selon moi, aurait mérité de figurer dans l'étude d'impact. Stéphane Piednoir a dit tout à l'heure que cela serait étudié du point de vue de l'emploi, pour ceux qui ne seraient pas compris dans le rapprochement, mais je pense qu'au-delà de la question de l'emploi, la valeur apportée par ces activités ne doit pas être oubliée.

Mon deuxième point porte sur la temporalité. Je m'appuie sur trois citations de votre rapport. La première citation est : « Il y aurait péril à atermoyer alors qu'une éventuelle réforme peut être engagée dès la rentrée 2023. ». Vous attirez aussi « l'attention sur les tensions, les frictions et les inquiétudes inéluctables que peut faire naître toute perspective de changement institutionnel ». La troisième citation est : « La sûreté nucléaire ne relève pas seulement d'une approche technique mais aussi d'une approche managériale et organisationnelle. » Dans ce cadre, comment voyez-vous l'intégration des équipes qui doivent s'adapter à ce changement ?

De plus, vous mettez vraiment l'accent sur la nécessité d'avoir des moyens additionnels. Vous insistez également sur le sujet de l'attractivité, donc il s'agit vraiment d'un sujet de méthode. Conduire une évolution de l'organisation et du fonctionnement, c'est une chose. Mais comment s'y prendre ? Je trouve qu'il manque des recommandations pour passer de votre plaidoyer en faveur d'un changement à sa mise en oeuvre opérationnelle.

Ma dernière remarque porte sur la suite de votre travail. Comment tout ceci sera-t-il orchestré maintenant ? Je rappelle que ce travail de l'Office a été motivé par les amendements déposés à l'Assemblée nationale, le débat dans l'hémicycle et le renforcement souhaité du rôle du Parlement. Comme nous n'y arrivions pas, nous avions présenté l'Office comme un moyen de renforcer le rôle du Parlement. Vous y êtes parvenus et vous formulez une dernière recommandation importante, qui est de « s'appuyer sur un texte législatif dûment débattu au Parlement pour engager toute réforme de l'organisation actuelle ». J'ai presque envie d'amender votre dernière recommandation en ajoutant après « débattu » les mots « et voté ». Il ne faudrait pas que, partant d'une méthode déplorable au départ, on arrive sur une méthode déplorable à l'arrivée. Vous voyez à quoi je fais référence.

Vous parlez d'un texte législatif. Je ne vois aucun espace dans le calendrier d'ici la fin de l'année autre que le projet de loi de finances (PLF). Il faudrait éviter que cette question soit réduite à un amendement au PLF, avec une éventuelle application de l'article 49.3 qui pourrait encore empêcher un débat. Certes, le débat aura lieu, mais le vote aura-t-il lieu ? Je n'en sais rien. Ce point me semble important à signaler.

Mme Christine Arrighi, députée. Je ne reviendrai pas sur la question de la méthode. Cela a été dit à deux reprises : la méthode utilisée précédemment devant la représentation nationale n'était ni adéquate, ni démocratique, ni correcte. Nous nous en étions d'ailleurs déjà entretenus et j'apprécie que, finalement, la décision ait été retirée et que nous soyons dans un dispositif de débat entre nous.

Vous excuserez mon intervention un peu brouillonne. Je n'ai pu prendre connaissance du rapport que depuis quelques minutes. Je pense que la meilleure recommandation de ce rapport est la dernière, à savoir s'appuyer sur un texte législatif dûment débattu et voté - cet ajout serait vraiment très pertinent - au Parlement pour engager toute réforme de l'organisation actuelle.

Bien entendu, je ne peux pas vous donner la position du groupe écologiste, mais uniquement la mienne, en tant que membre de l'Office, puisque je n'ai pas eu suffisamment de temps pour prendre connaissance de toutes les subtilités de ce rapport, qui me paraît quand même très complet. Je tenais à en remercier sincèrement les deux co-rapporteurs, parce que le temps était contraint. Même si j'avais fait une demande écrite, puis orale, pour en disposer plus tôt, je conçois qu'il n'ait pu nous être communiqué avant. Vous comprendrez donc que je ne puisse me positionner.

Cela me permet de vous demander, au cas où vous voudriez organiser une conférence de presse, de le faire en tant que rapporteurs et non au titre de l'Office ; le groupe écologiste ne pourrait s'y associer, puisque nous n'avons pas eu suffisamment de temps pour avoir une parole critique, claire et précise sur ce rapport.

Pour autant, à la lecture du rapport et des recommandations, j'ai quand même relevé quelques éléments sur lesquels je voudrais vous interroger. À la page 22, vous dites que la Cour des comptes a adopté des observations définitives relatives à l'ASN et l'IRSN, en octobre 2018 et en avril 2021, qui pointent des améliorations dans les relations entre les deux organismes. Ces observations contrastent apparemment avec les conclusions du rapport publié par la Cour en 2014, sur lequel le Gouvernement s'est fondé pour justifier la fusion. Vous précisez qu'à la différence de celles de 2014, ces dernières observations ne sont pas publiques.

Je serais quand même très désireuse que vous nous communiquiez ces observations qui semblent indiquer une amélioration de ces relations, ce qui pourrait finalement remettre en cause la pertinence du souhait de fusion. Si les relations se sont améliorées, il n'y a peut-être pas besoin de fusionner. Mais il est possible que ce soit une conclusion hâtive, puisque je n'ai pas lu de façon suffisamment précise la suite du rapport. Il semble qu'en tant que rapporteurs de l'Office vous n'ayez pas eu communication de ces éléments, ce qui me paraît un peu curieux.

À la page 36, vous écrivez : « Des expertises de l'IRSN doivent être publiées en concertation avec l'ASN et, à l'avenir, même si les rapporteurs ne sauraient se prononcer sur un calendrier idéal de publication, il semble dans un souci d'apaisement que les expertises et recommandations doivent être diffusées de façon concomitante, une fois que potentiellement la fusion aurait eu lieu. » Si des expertises sont publiées de façon concomitante au sein d'une structure unique, à quoi cela sert-il de créer une structure unique, puisqu'il subsisterait de toute façon deux types d'expertises, l'une qui serait issue de l'ex-IRSN, l'autre issue de l'ex-ASN ? N'ai-je pas bien compris la proposition ? Je ne vois pas vraiment l'intérêt de fusionner ou, à tout le moins, cela ne ferait que renforcer l'idée que la dualité actuelle des avis de l'IRSN et de l'ASN conserverait une pertinence au sein d'une structure unique. Dans ce cas, pourquoi avoir une structure unique si, de plus, la Cour des Comptes dit que les relations se sont améliorées ?

Ma troisième interrogation concerne la défense. Sans aller au-delà de ce qui est indiqué dans le rapport et sans avoir besoin de beaucoup plus d'expertise, je pense que les écologistes ne seront pas vraiment favorables à la proposition faite par l'amiral Guillaume de sortir tout ce qui est relatif à la défense d'une future structure, fusionnée ou non, au terme d'une simple convention avec cette administration pour garantir la transparence et le suivi des questions de sûreté nucléaire. Je pense que la sûreté civile et la sûreté défense ne peuvent pas être distinctes et je suis donc quasiment sûre que nous n'y serons pas favorables.

Ensuite, et cela me parait très important, comment expliquez-vous qu'il reste encore tant de points à clarifier sur le calendrier, sur le système de défense, sur les activités commerciales ? Vous ne citez pas non plus la radioprotection, ou alors je ne l'ai pas vu, mais, enfin, elle existe. Comment concevoir qu'un déploiement de la réforme soit envisagé en 2023 alors que, comme vous le dites, la question de la visibilité pour les personnels non liés à la sûreté nucléaire et à la radioprotection et qui ne feraient pas l'objet d'un rapprochement n'est pas traitée ? Nous sommes en juillet 2023, vous parlez de septembre 2023 et pourtant il faut deux pages pour recenser les points à éclairer. Ces points me paraissent nécessiter un peu de temps pour être résolus.

Vos propositions sur le manque de personnel, même dans l'éventualité d'une fusion, sont intéressantes. On ne peut pas travailler sur l'idée que la fusion permettrait « d'économiser » du personnel dans le domaine de la sûreté. Avoir du personnel supplémentaire dépend de la loi de finances qui, en septembre 2023, ne sera pas encore adoptée, qu'il y ait ou non recours à l'article 49.3.

Mme Laure Darcos, sénatrice. Permettez-moi de féliciter nos deux rapporteurs qui ont fait un travail très intéressant et pas évident sur le plan politique. Je déplore moi aussi la diffusion anticipée du rapport, parce qu'il est effectivement très important que nous puissions continuer à travailler tous en confiance.

Je pose une question brève car je voudrais que vous ayez le temps de répondre. Pourriez-vous revenir sur les commissions locales d'information (CLI) ? J'avais été assez rassurée par le discours mesuré du président de l'association des CLI lors de la table ronde du 16 février dernier. Quel serait leur rôle dans le cadre de cette fusion potentielle ?

Je préside la CLI Paris-Saclay et je voudrais savoir si nous pourrions continuer à développer ce tiers-lieu, en le rendant peut-être plus ouvert, avec des rapports plus réguliers. Actuellement, l'ASN et l'IRSN viennent présenter leurs rapports tous les six mois. Nous pourrions en profiter pour essayer d'améliorer le fonctionnement des CLI, qui permettent à des associations d'usagers et d'experts de terrain d'être peut-être plus rassurées et plus vigilantes.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Sur l'intervention de Monsieur Davi, si je voulais être relativement mesuré, je dirais qu'il y a une forme de méconnaissance du fonctionnement de l'Office. Si j'étais moins mesuré, je dirais qu'il y a une forme de mépris à l'égard du travail des parlementaires.

La méconnaissance concerne les auditions des rapporteurs, qui ne sont en aucun cas publiques. J'en suis à mon quatrième rapport pour l'Office en six ans ; on n'invite pas les collègues aux auditions. Quel que soit le sujet, ces auditions ne sont pas publiques.

À la suite des annonces de l'exécutif, nous avons organisé, le 16 février dernier, une audition publique qui était filmée et diffusée. Cela fait partie des auditions publiques de l'Office, organisées soit sur des sujets d'actualité brûlants, comme c'était le cas, soit sur des sujets moins sensibles. Il m'est arrivé, par le passé, d'organiser des auditions publiques mais, vous l'apprendrez peut-être dans votre travail parlementaire, on n'invite pas les collègues à assister aux auditions de rapporteurs. Ce n'est pas une obstruction de notre part, mais simplement un usage constant. On verra s'il y a matière à s'en départir mais, pour l'instant, c'est ainsi.

Je vais redire un mot sur le délai dans lequel nous vous avons fourni le rapport. Nous en sommes vraiment désolés. Ce n'est pas une plaisanterie : hier soir à minuit, voire à une heure, nous étions encore en train de faire des corrections. Il ne s'agissait pas de modifications majeures du rapport, mais il est indispensable de vous fournir un rapport mis en forme et rédigé, si possible, sans coquilles, sans fautes d'orthographe, etc. Ce travail incombe bien sûr aux rapporteurs mais aussi aux administrateurs, aux quatre personnes ici présentes qui ont fait des relectures acharnées, jusqu'au petit matin et encore ce matin.

Il ne s'agit vraiment pas d'une volonté de retenir l'information, pour éviter des fuites que nous n'avons, de toute façon, pas réussi à éviter. C'est la preuve qu'un délai, même contraint, ne permet pas d'éviter ce genre de désagrément. Je le regrette, parce qu'après avoir présenté quatre rapports devant l'Office, c'est la première fois que j'observe des fuites sur un sujet que l'on sait suivi et attendu.

Je trouve que ce n'est pas honnête : ce rapport est provisoire. En réalité, on donne à publier à l'Agence France-Presse un communiqué qui pourrait ne pas refléter le rapport qui sera adopté. C'est un biais dont il faut prendre conscience et je m'adresse à celle ou celui qui a pu délivrer ces informations.

Le terme « instrumentalisation » que vous avez utilisé traduit un mépris pour le travail des parlementaires. Nous pouvons nous faire tous les procès d'intention que nous voulons. Jean-Luc Fugit et moi sommes tous deux scientifiques, ce n'est pas un gage d'objectivité, mais nous avons vraiment agi avec la rigueur qui nous semblait nécessaire pour aborder ce sujet.

Nous n'avions pas d'idée préconçue et, à titre personnel, j'ai appris beaucoup de choses sur ce qu'on appelle la dualité. Un paragraphe de notre rapport s'intitule « la présentation fallacieuse du système dual ». Nous avons découvert que ce n'est en réalité pas un système dual ; il existe des cellules d'expertise au sein de l'ASN elle-même et - je crois que c'est le président qui l'a rappelé -  400 décisions sur les 2 000 délivrées chaque année par l'ASN relèvent de l'IRSN.

L'IRSN est donc l'un des acteurs, mais l'ASN a sa propre expertise et EDF a son propre pôle d'expertise. Les groupes permanents d'experts existent et sont là pour confronter les doutes ce qui, pour tout scientifique, est un gage absolu d'objectivité, le B-A-BA. En fait, le système n'est pas dual. On ne trouve pas totalement séparées l'expertise d'un côté et la décision de l'autre. Cela ne fonctionne pas comme ça et nous avons essayé de le mettre en lumière dans ce rapport.

Deuxième point, nous ne victimisons personne et nous n'incriminons personne dans sa pratique. Nous sommes les premiers à dire que l'IRSN fournit un travail remarquable, notamment sur la recherche et dans ses rapports d'expertise. Toutefois, qu'on l'accepte ou non, cela correspondait à un temps où l'activité dans le domaine nucléaire était relativement modeste. Nous avons devant nous un mur d'activité du fait du nombre de réacteurs dont il faut réexaminer le fonctionnement lors des visites décennales, de la variété et de la diversité des sujets relatifs aux nouveaux réacteurs, de la construction de nouveaux réacteurs de type EPR2, etc.

Cela n'a jamais été le cas, même en 1973 lors du lancement du plan Messmer. Il s'agissait, j'allais dire « juste », de la construction de réacteurs d'un certain type, à raison de six par an. Le plan Messmer était très ambitieux, je ne dis pas le contraire, mais ne concernait qu'un seul type de réacteur, à eau pressurisée. Actuellement, nous devons faire face à une diversité des technologies qui, de notre point de vue - nous pouvons nous tromper - nécessite une réorganisation.

Pour rester sur ce point, le rapport que nous vous présentons n'est pas un rapport législatif. Nous ne sommes pas une commission permanente, nous avons été saisis par la commission des affaires économiques du Sénat qui nous pose une question : quelles sont les conséquences éventuelles d'une réorganisation, etc. ? Nous répondons, mais ce n'est pas un rapport législatif.

Vous avez demandé quelle serait la suite à donner. Nous pouvons les uns et les autres décider de porter un certain nombre de ces préconisations dans le cadre d'un texte législatif. Cela ne pose pas de problème. Peut-être que le Gouvernement le fera. Nous disons très clairement en conclusion qu'il faut un texte législatif qui doit être débattu par le Parlement. Je ne peux pas m'engager sur le fait qu'il soit voté par le Parlement. Qu'il soit « soumis au vote » ne serait pas mal.

Nous sommes évidemment dans le même état d'esprit qu'il y a quelques semaines : le sujet ne peut pas revenir par la fenêtre alors qu'il est sorti par la porte, ou le contraire, puisqu'il avait été examiné par voie d'amendement et seulement à l'Assemblée nationale. Quand vous dites que cela a été refusé par le Parlement, je voudrais juste rectifier : cela a été refusé par l'Assemblée nationale. Le Parlement français dispose d'une deuxième chambre. C'est ce qui nous a heurtés, nous sénateurs, parce que ces amendements ne faisaient pas partie du texte initial. Il ne nous semblait pas normal d'aller dans ce sens. C'est pour cela que le Sénat a saisi l'Office, donc ne portons pas de pas de jugement de valeur sur les uns ou les autres. En tout cas, nous avons abordé ce sujet de la façon la plus rigoureuse possible.

En ce qui concerne les observations de la Cour des comptes, nous attendons d'en prendre connaissance. Nous avons usé des dispositions en notre pouvoir, mais pour l'instant nous n'avons pas obtenu ces rapports. En tout cas, nous savons que le rapport de 2014 dit qu'il existait des tensions, et nous savons aussi que les plus récents disent que cela s'améliore. Ce n'est pas un scandale qu'il se produise des tensions, cela existe.

M. Jean-Luc Fugit, député, rapporteur. Je sais que ce n'est pas un exercice facile mais je pense très sincèrement qu'il faut voir ce travail et ce rapport en essayant, non d'oublier le passé, mais de sortir de la période de débat à l'Assemblée nationale autour du projet de fusion.

La commission des affaires économiques du Sénat a saisi notre Office, nos trente-six membres. Je pense qu'il faut s'en tenir à cela. Nous avons travaillé en essayant de bien comprendre le sujet et nous sommes arrivés à ces propositions.

Par ailleurs, je voudrais vraiment rappeler qu'il a existé un « avant ASN/IRSN » puisque l'un a été créé en 2001 et l'autre en 2006, tandis que le plan Messmer date de 1973-1974 et que le programme nucléaire a commencé encore avant. La première construction à Chinon a été lancée en 1957, le premier réacteur en 1963-64. Il a donc existé un « avant ».

Ce n'est pas que nous voulions à tout prix qu'il existe un « après ». Nous pensons qu'à partir du moment où un choix politique fort a été fait dans le pays - qu'on peut ne pas partager - consistant à s'appuyer sur les énergies renouvelables et nucléaire pour sortir progressivement des énergies fossiles, l'activité autour du nucléaire prendra de l'ampleur.

Pensons à tous les enjeux, au mur des défis que nous avons devant nous. Nous en avons rappelé une dizaine dans le rapport et nous en avons probablement oublié. J'en ai rappelé quelques-uns dans mon intervention, comme l'adaptation au changement climatique, la prolongation des centrales actuelles, le nouveau nucléaire, le nombre d'exploitants qui évoluera, etc. On ne peut pas passer sous silence ce contexte. Il n'est plus le même qu'avant. Il faut l'accepter.

Je voulais aussi rappeler - j'ai parlé de « tordre le cou à des idées reçues » -qu'à l'époque du débat nous étions tous un peu tombés dans la caricature lorsqu'on nous disait que l'ASN est l'autorité indépendante et que l'IRSN est l'organisme qui fait les expertises pour l'ASN. C'est à la fois vrai et faux ; l'autorité indépendante est bien l'ASN mais elle a aussi 200 experts qui alimentent ses propres décisions. Il existe donc déjà des experts travaillant, au sein d'une autorité indépendante, avec le collège qui rend des décisions.

Il n'est pas faux non plus de dire que seule une partie du travail de l'IRSN est orientée vers la sûreté nucléaire. En disant cela, on ne dit pas que tout va bien à l'ASN et tout va mal à l'IRSN, pas du tout. Nous posons simplement des éléments de réflexion.

Il nous semble que, face aux défis qui se présentent, il faudrait faire évoluer ce système ternaire : exploitant - ASN - IRSN. Un système ternaire est un système de trois systèmes binaires. Nous pensons qu'il vaut mieux avoir un système binaire unique entre l'exploitant principal et une autorité indépendante où l'on retrouve les experts, le contrôle, etc. d'autant plus que, face à cette autorité, d'autres exploitants apparaîtront bientôt, à côté d'EDF.

Dire tout cela, ce n'est pas montrer du doigt certaines personnes qui travaillent à l'IRSN ou ailleurs, en disant qu'elles font mal leur travail. Nous avons simplement acquis la conviction qu'il fallait aller vers une nouvelle organisation. Ce rapport ne répond pas au Gouvernement, il répond à la commission des affaires économiques du Sénat. C'est au sein du Parlement que ce rapport vous est présenté.

J'ai beaucoup discuté avec mon collègue et ami Stéphane Piednoir. Nous avons acquis tous deux la conviction, que nous n'affirmons peut-être pas de manière suffisamment claire, qu'il faut une réorganisation. Sur la temporalité, c'est maintenant et non dans dix ans. Nous pensons que cette réorganisation doit débuter assez rapidement, justement parce qu'elle ne se fera pas en claquant des doigts.

Comme je le disais tout à l'heure, il faut sortir du monde Twitter. Nous ne sommes pas dans un monde Twitter mais dans un monde où il faudra du temps, plusieurs mois. Nous pensons que, si quelque chose doit être fait, il ne faut pas tarder à le lancer. Il faut se donner une perspective et, ensuite, imaginer la montée en puissance et l'organisation.

Se posent à la fois une question de gouvernance et une question de transparence. Nous pensons que notre rapport, modestement, participe de cette transparence et que tout ceci doit se faire en transparence. La dernière recommandation, au sujet du texte « débattu », est claire. C'est un message que nous envoyons en particulier au Gouvernement. Oui, nous pensons qu'il faut un texte dédié à ce sujet. Nous l'assumons.

J'ai noté ce que disait tout à l'heure Laure Darcos au sujet des CLI. Les CLI bénéficient aujourd'hui d'un financement au travers de l'ASN. Si nous avons une autorité indépendante encore plus forte, il n'y a aucune raison qu'elle ne continue pas à bien travailler avec les CLI. J'ai noté qu'il faut de l'information grand public et, comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, nous pensons qu'il faut beaucoup de transparence, parce qu'encore une fois il faut tordre le cou à certaines idées reçues sur ces sujets.

J'insiste sur le fait que l'IRSN n'est actuellement pas un organisme indépendant. Il dépend de cinq ministères ! Au contraire, le rapprochement que nous proposons d'une partie de l'IRSN avec l'ASN, pour créer une nouvelle entité, est plutôt une bonne chose en matière d'indépendance, puisque cette autorité ne serait pas directement dépendante d'un ministère.

Sur les CLI, comme je le disais, je pense qu'il n'y a aucune raison que cela ne fonctionne pas à l'avenir aussi bien et encore mieux. Je rêve peut-être un peu mais, après tout, quand on est à la fois scientifique et membre de l'Office, on a le droit de rêver en se disant que si on explique sincèrement tous ces sujets à nos concitoyens, ils seront plus nombreux à les comprendre, ce qui permettra peut-être de tordre le cou à certaines idées reçues, voire à des fake news, comme on dit.

D'une manière générale, je pense que la plupart de nos concitoyens comprennent les sujets quand on les leur explique. C'est comme nous : quand on nous explique, nous comprenons. Sur les enjeux de l'énergie en général et du nucléaire en particulier, de la sûreté et de la sécurité, il est vraiment important de donner beaucoup d'explications, de faire la lumière.

Par rapport à ce que disait Philippe Bolo, nous pensons en effet qu'il faudra augmenter l'effectif des personnes dédiées aux activités de la sûreté nucléaire civile, concomitamment à l'évolution de la gouvernance. Cela signifie que nous pensons qu'il faut progresser.

Je ne sais pas si vous avez eu le temps de lire le rapport. L'Agence France-Presse ne l'a pas indiqué dans son communiqué, mais il n'est pas inintéressant de noter que le nombre de personnes dédiées à la sûreté nucléaire, ramené au nombre de réacteurs, est dans d'autres pays largement supérieur au nôtre. Nous avons donné des exemples très précis, ce qui permet de constater qu'il n'y a pas pléthore de personnels travaillant sur la sûreté nucléaire en France.

Peut-être une réorganisation permettra-t-elle de faire mieux par rapport à tout ce qui se prépare. Imaginez un instant la charge de travail qui va arriver. Nous pensons qu'il faut une réorganisation transparente, claire, sans montrer du doigt les gens et, probablement, avoir plus de personnes dédiées à la sûreté nucléaire. Nous n'avons aucune intention de nuire à qui que ce soit avec ce rapport.

Vous nous dites que nous n'avons pas examiné toutes les conséquences, c'est vrai mais ce n'était pas l'objet de la demande de la commission des affaires économiques du Sénat. En revanche, un éventuel projet de loi devra évidemment s'accompagner d'une étude d'impact qui regardera ces aspects. Je crois que nous serions unanimes autour de la table pour dire que ce serait largement nécessaire. C'est ce qui nous a manqué à l'époque du dépôt d'un amendement par le Gouvernement.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. Je voudrais moi aussi saluer ce travail, effectué dans des délais très contraints, sur un sujet très délicat. Je déplore comme vous tous la diffusion d'éléments sur les réseaux sociaux.

Je partage quasiment 90 % de ce qui est écrit dans votre rapport. Je partage complètement certains constats, mais je voudrais redire que je crois profondément que le système existant a largement fait ses preuves. Il est reconnu internationalement. Nous avons des organismes robustes, qui ont prouvé leur efficacité puisque, après tout, nous n'avons jamais eu d'accident nucléaire, alors qu'il s'en est produit trois dans des pays similaires, et alors que nous sommes plus nucléarisés.

J'ai relu la saisine je ne sais combien de fois, comme au lycée lorsqu'on fait une rédaction, pour savoir si on est bien dans le cadre et le sujet. Je partage tout, notamment ce qui a été mentionné dans les dernières recommandations - que j'aurais personnellement placées au début - sur la loi, sur le renforcement du rôle du Parlement. Par contre, je ne comprends pas la première recommandation parce qu'en fait, elle acte déjà la fusion. Les deux premières recommandations me gênent, alors que je partage complètement tout le reste.

Je voulais également insister, à la page 36, sur les points qui restent à éclairer. Il me semble - vous n'en avez peut-être pas eu le temps - qu'il aurait fallu développer plus. Ce sont des arguments à regarder de plus près concernant cette fusion, parce que ce seront très clairement des problèmes à gérer : sur la défense, avec une seule sûreté nucléaire ou non, il faudra aussi discuter des activités de l'IRSN sur la radioprotection, de ce que l'on enlèvera forcément du champ de ses missions, ainsi que des activités commerciales de l'IRSN, qui constituent un volet important. Se posera aussi la question des sources radioactives que possède l'IRSN et qui sont contrôlées par l'ASN. Pour moi, il faut absolument que ce soit séparé, car il n'est pas possible qu'un même organisme soit juge et partie. C'est quand même très délicat.

Pour résumer, j'aurais bien vu les dernières recommandations placées en premier et j'aurais peut-être enlevé les premières, parce que la saisine porte sur les conséquences d'une éventuelle fusion, alors que la recommandation première acte la chose. Je suis un peu gênée.

Mme Maud Bregeon, députée. Merci, chers collègues, à tous les deux pour ce travail certainement remarquable mais que, pour être parfaitement honnête, je n'ai eu le temps de lire qu'en diagonale.

Je souhaite revenir sur quelques points. Ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, le fait que l'Assemblée se soit prononcée contre l'amendement du Gouvernement, a été un peu évoqué et, en tant que rapporteur du texte sur lequel portaient ces amendements, je voudrais insister sur le fait que nombre de parlementaires rejetaient la méthode sans rejeter le fond. Il y a eu un consensus, quels que soient les votes pour ou contre, pour dire qu'on aimerait pouvoir se poser davantage sur le sujet, échanger dessus, creuser les problématiques induites. Nombre de collègues qui se sont opposés à cette fusion dans l'hémicycle s'opposaient en fait à la méthode, au timing extrêmement serré, mais ils n'avaient pas nécessairement de réticence, en tout cas pas de point bloquant majeur sur un éventuel rapprochement. C'est encore une fois un sujet de méthode, bien davantage qu'un sujet de fond.

Vous l'avez dit, ce rapport n'est pas une fin en soi. C'est pour cela que je pense qu'on aurait tort de bondir. Peu importe ce qu'on pense de ses conclusions. Il reste encore du travail à faire avant que cette réforme aboutisse, si elle doit aboutir. Pour ma part, je souhaite vraiment que nous puissions avancer dans cette direction.

Comme Jean-Luc Fugit l'a très bien dit sur le délai de mise en oeuvre de la réforme - je ne sais pas si vous en parlez dans le rapport - nous entrons dans une nouvelle ère nucléaire, avec la suite du grand carénage, la construction des EPR2, la question de Bure, éventuellement une forme de grand carénage de La Hague qui devrait être agrandie. Cela créera une charge de travail très élevée et, à mon avis, il serait important de souligner que, si avancée il doit y avoir, elle doit être faite suffisamment rapidement pour que le système soit en ordre de marche. J'ai envie de dire que, quelle que soit la décision prise, fusion ou non, il faut que le système soit stabilisé quand le gros de la charge arrivera - elle arrivera vite - et que les équipes aient conscience de ce vers quoi tendront leurs organisations

J'ai eu le plaisir de rencontrer les équipes de l'ASN et de l'IRSN dans leurs locaux voici une quinzaine de jours. On sent bien une attente de décision de la part des pouvoirs publics et c'est tout à fait légitime. Je regrette d'ailleurs la méthode employée lors de la présentation à l'Assemblée nationale, qui à mon avis a fait beaucoup plus de mal aux relations entre l'ASN et l'IRSN que l'inverse. Aujourd'hui, on voit malgré tout une fébrilité, voire certains points de tension, a minima au niveau des directions de ces organisations.

Tant pour être en capacité d'absorber la charge sur les grands projets du nucléaire qui arriveront que par respect pour les salariés qui ont besoin de visibilité, je pense que nous devons avancer sur cette réforme et le faire rapidement.

M. Jean-Philippe Tanguy, député. En tant que parlementaire, je n'aime pas faire l'arbitre des élégances, mais c'est vraiment un excellent rapport qui, de plus, ce qui n'a pas encore été dit, est très accessible à nos compatriotes. Il est très important que les documents scientifiques et techniques que nous produisons soient accessibles à tous ceux que cela intéresse, quel que soit leur niveau d'études ou de connaissances du secteur. On entre vraiment très facilement dans ce rapport. Je ne suis pas scientifique donc je suis parfois le baromètre de l'accessibilité des documents. Celui-ci est parfait.

Je remarque aussi la densité du travail que vous avez réalisé et des consultations. Je ne veux pas polémiquer, mais je ne me sens pas du tout instrumentalisé et je ne pense pas du tout que notre institution soit instrumentalisée, bien au contraire. Vous avez fait la preuve que, dans un temps très court, vous pouviez répondre à la demande du Sénat. Je partage avec Maud Bregeon le fait que, si une décision doit être prise, il faut le faire le plus rapidement possible, puisque trop de temps a été perdu, tandis que des chantiers immenses nous attendent pour relever les défis climatique et énergétique, ainsi que ceux du pouvoir d'achat et de la réindustrialisation. Je suis donc d'avis qu'on avance très vite et vous aurez le soutien du groupe Rassemblement national pour avancer très vite dans ce domaine, sans aucune ambiguïté ou processus dilatoire destiné à faire semblant de demander quelque chose qui n'a aucun intérêt.

Pour ce qui est de la fuite, je partage votre indignation. Pour une commission d'enquête qui relevait de ma responsabilité, j'ai porté plainte. Il faut que le Parlement se fasse respecter. C'est une pratique qui n'est pas nouvelle. Peut-être cela n'a-t-il pas été le cas pour vous mais j'ai participé à trois commissions d'enquête et il y a eu trois fuites. Pour celle-ci, ce n'est pas moi ! Il pourrait y avoir un soupçon puisqu'une fuite a eu lieu à chaque fois, mais j'ai suffisamment confiance dans mon innocence... Pour avoir porté plainte, je pense qu'il arrive un moment où c'est la seule solution, faire rattraper certains par l'autorité de l'État qui, même ici, n'est pas respectée. Cela se passe de commentaire.

Je pense aussi que l'AFP étant un service parapublic, il serait peut-être bon de leur faire savoir, Monsieur le président, qu'il existe une éthique scientifique et une éthique journalistique. Le fait qu'un média de second ordre, désireux de générer des « clics », donne suite à de telles fuites est une chose. Le fait que l'AFP et son autorité donnent suite à ce genre de fuites, ce qui met en cause l'information comme vous l'avez très bien dit, interroge l'éthique de l'AFP et la bonne information de nos concitoyens, au-delà de la pratique immorale que cela démontre.

Sur le fond, je ne vois pas de problème dans la présentation. Ce sont des recommandations. Que certaines soient en premier ou en dernier ne me pose pas de problème.

Je vous remercie d'avoir eu le courage de tordre le cou à cette espèce de mensonge sur la dualité, pas vraiment un mensonge mais une présentation fallacieuse de cette dualité. Cela fait des années que j'essaie de l'expliquer. Je pense que je l'ai déjà dit ici ou ailleurs : tout ce qui est moulin à prières que l'on doit agiter avant de prendre la parole tue la pensée. Dès qu'on parle de sûreté nucléaire, il faut, avant de dire quoi que ce soit, saluer Monsieur Machin ou Madame Machine, mais tous ces processus verrouillent la pensée et aboutissent à toujours répéter la même chose, parce qu'il faut le dire par convenance ou pour ne vexer personne. On en vient à créer des légendes parascientifiques, comme il existe des légendes urbaines. Il a donc fallu presque vingt ans pour arrêter de dire quelque chose de faux, que tous ceux qui s'intéressaient au sujet savaient être faux. Je pense que c'en est un exemple caractérisé.

Votre rapport apporte beaucoup de réponses et ouvre à mon avis une grande question sur le chantier que nous avons devant nous. En suivant l'historique, que vous avez retracé avec efficacité, de la complexification de la sûreté nucléaire, je n'arrive finalement pas à savoir pourquoi on a autant complexifié et pourquoi nous en sommes arrivés à cette situation, puisqu'il n'est jamais apparu de problème dans l'organisation, même souple, qui a permis d'accompagner le plan Messmer.

Même si corrélation n'est évidemment pas causalité et si je ne veux pas polémiquer, je remarque quand même que, depuis que le système de surveillance du nucléaire est soi-disant parfait, le nucléaire ne fonctionne plus. Oui, je sais que je suis dur, mais c'est aussi dans le but de provoquer.

Je voudrais enfin évoquer le sujet de l'indépendance. L'indépendance en elle-même n'est pas une vache sacrée, puisqu'elle veut aussi dire irresponsabilité. Notamment, le fait que le pouvoir politique se défausse systématiquement sur des agences, qui ont certes leur expertise, pose un problème de responsabilité. Nous l'avons vu dans la commission d'enquête sur la souveraineté et l'indépendance énergétique. Peut-être que le fait que des ministres en exercice n'étaient au courant de rien et n'avaient visiblement aucun problème moral à dire sous serment qu'ils n'étaient au courant de rien est-il lié au fait que le pouvoir politique s'est entièrement déresponsabilisé.

Je ne dis pas qu'il faut remettre le système entièrement sous contrôle, mais le pouvoir s'est déresponsabilisé sur des agences qui, parce qu'elles sont indépendantes, seraient responsables de tout et de rien. À force de ne pas s'impliquer, il ne répond de rien. Or, devant qui sommes-nous responsables ? Devant le peuple, et le problème des commissions ou des agences indépendantes dans une démocratie est qu'on critique la responsabilité populaire, ce qui est quand même problématique, à la fin du raisonnement.

M. Philippe Berta, député. Je serai très bref pour montrer les limites de mes compétences ; j'ai du mal à parler de choses sur lesquelles je ne suis pas compétent. Même si je me souviens avoir été durant deux étés décontamineur à Marcoule, cela ne me donne pas une compétence suffisante pour aborder ces problèmes.

Plus sérieusement, comme je viens du monde de la recherche en biologie-santé, je suis plutôt enclin à essayer de réduire les objets. La biologie-santé est l'archétype du domaine où il existe tellement de structures de recherche qu'on ne sait aujourd'hui plus vraiment qui fait de la recherche en santé dans ce pays. Je crois que je ne serai pas contredit sur ce point. Par contre, je partage aussi, en tant que scientifique, la culture du doute et, pour l'instant, je suis dans un état de doute, car je n'ai pas lu le rapport que j'ai reçu tout à l'heure.

J'ai quand même un vrai problème de fond sur le rythme de la marche, une marche forcée, que l'on veut instituer pour travailler sur des questions aussi importantes. Je ne comprends toujours pas l'urgence. Je comprends peut-être - et il faut que j'achève de me convaincre - la nécessité, mais je ne vois pas l'urgence. Il me semble qu'il s'agit d'un champ de décision suffisamment important pour que l'on se donne un peu de temps, justement pour comprendre en cas de doute et se faire expliquer.

Je reviendrai uniquement sur le champ de la santé. J'ai posé une question très précise lors du débat à l'Assemblée sur le projet de loi qui avait vocation à intégrer la réforme : que deviendront toutes les activités - qui sont les activités majoritaires de l'IRSN - dans le champ de la santé, de notre santé, pour le contrôle des appareils de radiographie ou de curiethérapie ? C'est vraiment essentiel.

Votre rapport me pose un autre problème. J'ai regardé la liste des personnes auditionnées. Il en manque une à mon avis, car je suis allé voir l'IRSN à Cadarache voici maintenant deux ans, ce qui m'a d'ailleurs favorablement impressionné quant à leur activité de recherche. Leur travail concerne l'interface rayon ou l'interface contamination biologie, essentiellement végétale - en l'occurrence à Cadarache - ou animale. J'y ai retrouvé un travail très similaire à celui de la direction des sciences de la vie du CEA. Je suis surpris de ne pas voir la direction des sciences de la vie du CEA interrogée dans votre rapport ; il serait intéressant de savoir qui fait quoi exactement sur cette interface entre radioactivité et sciences de la vie.

Mme Olga Givernet, députée. Je remercie les rapporteurs pour leur travail très rapide. On sait que le délai a été contraint pour ce rapport, ce qui est peut-être aussi dû à l'embouteillage de tous les sujets sur lesquels travaille l'Office, puisque nous avons également dû finir le rapport sur la sobriété dans un délai qui permettait à mon corapporteur, Stéphane Piednoir, de travailler sur ce rapport-ci. On peut se réjouir que l'Office soit saisi de plus en plus, du fait de son expertise, sur un certain nombre de sujets, mais c'est peut-être la raison qui fait que nous sommes contraints de statuer rapidement.

Je pense néanmoins important d'être réactif ; puisque le sujet est apparu dans l'actualité, il faut que la représentation nationale ait de la part de l'Office un éclairage qui reste dans le temps du débat public. Cela me semble essentiel. On peut se souvenir de sujets qui nous ont complètement échappé et sur lesquels nous avons statué bien tardivement, notamment l'arrêt du projet ASTRID (advanced sodium technological reactor for industrial demonstration). Il faut que nous puissions nous insérer dans ces délais.

J'ai parcouru rapidement le rapport. Un peu moins de vingt ans après que le Parlement a organisé la transparence sur la sûreté en matière nucléaire, je ne trouve pas complètement aberrant qu'il statue à nouveau sur ce sujet. Sauf erreur de ma part, aucune évaluation de cette politique publique n'a eu lieu depuis.

C'est aussi le moyen d'évaluer la question de la sûreté nucléaire. Ce sujet arrive dans un contexte aujourd'hui très dépendant de l'avenir que nous voulons donner au nucléaire. Si d'autres orientations avaient été données au nucléaire civil en France, l'étude aurait-elle conduit à d'autres conclusions concernant cette fusion entre ASN et IRSN ? Cette question que je vous pose s'inscrit évidemment dans l'actualité des décisions et des orientations sur le nucléaire civil.

Mme Huguette Tiegna, députée. Tout d'abord, j'aimerais moi aussi féliciter nos deux rapporteurs pour ce travail immense qu'ils ont dû faire en un temps record et dans un contexte un peu tendu, puisque je me souviens bien d'un amendement que nous avons dû examiner à la va-vite, mais qui n'a finalement pas abouti.

Aujourd'hui, vous avez présenté, en réponse à la saisine du Sénat, un rapport qui permet d'être mieux éclairé sur la situation. Au regard des recommandations, je dirais qu'il faut peut-être une entrée en matière plus douce, c'est-à-dire que la première recommandation doit dire ce que les rapporteurs pensent du regroupement, tandis que la rédaction proposée donne l'impression que, pour nous, la fusion est actée.

Cela amène une question : l'Office donnerait à la nouvelle instance un nom qui, pour moi, est difficile à prononcer. Cette dénomination a-t-elle été discutée avec les personnes auditionnées ou, a minima, avec les deux structures, ASN et IRSN ? Je le dis parce qu'il y a eu déjà eu assez de polémiques et il ne faut peut-être pas continuer à crisper les deux entités concernées.

Vous avez parlé du fait que, si une réforme est engagée, il faut qu'elle le soit rapidement. Or cette réforme, comme vous l'avez rappelé, nécessite de recruter, ce qui a des répercussions financières. Nous pouvons agir dans le cadre du projet de loi de finances, mais à condition que les deux entités s'accordent. Attendre un projet de loi que nous n'analyserons pas avant le mois de décembre prochain ne peut, je pense, que rallonger les délais face à l'urgence à développer le nucléaire et les EPR2 attendus.

Pour finir, je reviens sur la fuite. Je n'ai pas souvenir d'une fuite sur des pré-rapports de l'Office. Pour moi, c'est une « première ». Je pense que cela vaut le coup de rappeler les règles de l'Office à tous les parlementaires et à leurs collaborateurs. Il est important pour nous que l'Office soit indépendant et en mesure de dire ce qu'il a envie de dire à la presse. Sans cette indépendance et cette capacité à dire ce que nous pensons, on aura toujours une forme de dépréciation, alors qu'on connaît le rôle clé que nous avons aujourd'hui dans l'opinion publique par rapport aux sujets scientifiques que nous traitons.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. Je remercie le président Pierre Henriet de me donner la parole maintenant car je dois regagner la commission des finances du Sénat pour y présenter un rapport sur la formation continue des enseignants. Je ne peux pas manquer à cette obligation.

Ce que je vais dire est très bref. D'abord, l'urgence du texte à venir est le respect que nous devons aux salariés des organisations concernées, de l'IRSN et de l'ASN, ainsi que le respect que nous devons aux entrepreneurs, au sens large, du nucléaire. Il se trouve que le Gouvernement - sur ce point je le soutiens - a décidé de relancer le nucléaire, qui ne se réduira plus à un face-à-face entre, par exemple, EDF et le CEA, mais conduira à un débat très large, avec un exploitant national qui bénéficie d'une expérience considérable, mais aussi des acteurs nouveaux qui sont soit des techniciens, soit des scientifiques, soit des industriels, soit des investisseurs. Ils ont besoin de savoir dans quelles conditions ils peuvent présenter des projets et qui sera l'évaluateur de leur projet, celui qui donnera le bon à tirer.

Dans les deux cas, respect des salariés et respect des investisseurs, on ne peut pas faire traîner indéfiniment une affaire qui date de 1973 - excusez du peu ! - si nous ne voulons pas prendre du retard dans la compétition pour l'énergie décarbonée et si nous voulons préserver le moral des troupes.

Votre rapport est très utile parce qu'il tord le cou d'un canard qui survit depuis 50 ans. C'est en 1973, en réalité d'ailleurs en mars 1974, un mois avant la mort du président Pompidou, que Pierre Messmer présente un projet d'énergie nucléaire en l'adossant sur un processus technique commercialement éprouvé. Il ne le choisit que pour des raisons commerciales. Le réacteur Westinghouse à eau pressurisée n'est pas un choix technologique spectaculaire, il n'est pas innovant. Il est simplement sécurisant, à un prix déterminé.

La France s'était déjà engagée dans la construction de réacteurs - vous avez cité Chinon - avec des réacteurs graphite-gaz. La filière graphite-gaz reposait sur une technologie extrêmement astucieuse, parfaitement maîtrisée par EDF et par le CEA, mais qui était déraisonnable sur le plan économique. EDF a donc choisi une filière - imaginez le contexte des années 1970 - parfaitement américaine, parfaitement internationale, en théorie non française mais en réalité très largement francisée, contre la volonté du CEA qui a toujours été une maison aux convictions très fortes.

Pour l'anecdote, c'est quand même la seule structure comportant à la fois un Haut-Commissaire et un administrateur général, les deux étant différents parce que - je le dis à notre jeune collègue qui a des convictions affichées et affirmées - notre nucléaire est né d'une alliance objective entre les communistes et les gaullistes : les communistes parce qu'il se trouve que les physiciens, Joliot-Curie par exemple, étaient plutôt de cette orientation dès 1939, et la dimension militaire se méfiait évidemment du monde soviétique.

Je ferme cette parenthèse pour dire que vous tordez le cou à ce vieux canard qui a abouti à faire coexister deux systèmes d'analyse pour la seule raison qu'il fallait sauver l'image du CEA, alors que les ingénieurs des Mines qui structurent le ministère de l'industrie avaient la ferme intention de contrôler le dispositif industriel, ce qui n'est pas complètement anormal, et non pas un dispositif scientifique, puisque la technologie retenue était complètement évaluée sur les plans technique et industriel.

Je trouve que votre valeur ajoutée la plus forte est l'idée de concomitance. C'est une idée extrêmement judicieuse. Les autorités ne sont pas irresponsables : le collège prendra une décision et aura l'obligation, sous le contrôle du Parlement à travers l'Office, de la justifier d'une façon concomitante, par toutes les informations dont il bénéficiera, qu'elles proviennent de l'expertise interne du nouvel organisme, de l'expertise externe nationale ou de l'expertise externe internationale.

On imagine bien, par exemple, que les tenants des réacteurs à neutrons rapides et à sels fondus défendront leur acte de foi. Ils n'ont simplement aucune expérience à faire valoir. Il faudra que l'autorité de sûreté dise, compte tenu de ces différentes expertises : « Voilà la décision que je prends. » La décision sera peut-être d'autoriser, sous réserve de...

La compétence publique sera rassemblée sous une seule voix. Les compétences extérieures seront sollicitées et le collège décidera, en mettant à côté de sa décision les expertises dont il s'est nourri. Je trouve cela assez intelligent.

L'urgence est donc le respect du personnel et l'obligation de ne pas rater l'essor du nouveau nucléaire. Personnellement, je vais essayer de ne pas rater mon dernier rapport budgétaire sur la formation continue des enseignants, sujet sur lequel je suis intarissable.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Nous avons déjà pu répondre à plusieurs questions, mais nous n'avons pas totalement répondu sur la défense. Aujourd'hui, l'expertise de sûreté pour la défense n'est rattachée ni à l'IRSN ni à l'ASN. C'est un fonctionnement totalement à part. Certaines fonctions support dépendent de l'IRSN mais, en réalité, l'amiral Guillaume est totalement indépendant, mis à part le fait qu'il bénéficie des fonctions support. Dès qu'il s'agit d'expertise de sûreté nucléaire militaire, le dossier échappe à l'autorité de l'IRSN.

Mme Catherine Arrighi, députée. Lors de la présentation du rapport 2022 de l'IRSN, la semaine dernière, l'amiral Guillaume était présent et il a présenté son rapport en même temps que l'IRSN. Au contraire, dans un cadre tel que celui envisagé - je n'en sais rien, vous n'avez pas vraiment exploré la piste - il ne serait pas présent.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteur. Je répète qu'il est hébergé dans les locaux de l'IRSN et qu'il bénéficie des fonctions support de l'IRSN pour le fonctionnement usuel, mais dès lors qu'il s'agit d'expertise sûreté défense, il n'a aucun compte à rendre à la présidente ou au directeur général de l'IRSN. Voilà comment cela se passe de manière opérationnelle.

Maintenant, même s'il est totalement en dehors de toute autorité indépendante, rien n'interdit qu'il présente un rapport d'activité. Nous ne l'excluons pas formellement. Nous disons simplement que c'est une spécificité dont il faut absolument tenir compte. Nous avons utilisé dans le rapport cette expression de « spécificité de la sûreté nucléaire militaire ». Le fonctionnement est totalement à part et, évidemment, tous les avis sont classés secret défense et ne sont pas publiés. Nous n'avions pas abordé ce point.

Sur l'urgence, j'ai entendu tout à l'heure : « il faut que ce soit fait en septembre ». Non, c'est le démarrage d'un nouveau processus qui, pour nous, doit se faire à la rentrée 2023. Nous ne disons à aucun moment dans notre rapport qu'il faut le terminer en septembre 2023. Ce serait de toute façon intenable. Tout le monde l'a bien compris.

Il s'agit de lancer un éventuel processus qu'il faudrait mener à son terme avant la fin de l'année 2024. Pourquoi 2024 ? Parce que les premiers sujets nouveaux commenceront à arriver en 2025, avec ce mur qui est devant nous et que j'évoquais tout à l'heure. Voilà l'urgence.

Certains disent que ce n'est pas le moment de faire cette réforme. En réalité, nous avons ce questionnement depuis février, donc depuis bientôt six mois. Cela fait bientôt six mois que le sujet a été évoqué en conseil de politique nucléaire et que les parlementaires s'interrogent. Un débat a eu lieu à l'Assemblée nationale et cela a suscité suffisamment de remous, me semble-t-il, pour que chacun puisse en fait avancer. Dire que le sujet n'est pas mûr, qu'il faut encore attendre... Pourquoi ne pas attendre jusqu'à ce que ce ne soit plus le moment de le faire ? Au contraire, comme nous le disons dans ce rapport, c'est le bon moment pour le faire s'il faut le faire. En tout cas, c'est maintenant ; dans un an, il sera sans doute trop tard, vu les sujets qui sont devant nous.

Plusieurs personnes ont évoqué les autres activités de l'IRSN. C'est un sujet important dont nous avons bien conscience. Encore une fois, ce rapport doit permettre de pointer les éventuelles conséquences d'une réorganisation. Parmi ces éventuelles conséquences se trouvent le devenir des activités commerciales et la radioprotection. La radioprotection est maintenue par définition dans le périmètre de la réforme, car elle fait partie des activités qui dépendent de cette réorganisation. Il n'y a donc pas de raison de s'inquiéter pour le secteur médical.

En revanche, les activités commerciales constituent bien un sujet, que nous mettons dans les « points à éclairer », parce que ce n'est pas à nous d'y répondre. Il reviendra à celui ou celle, un ministre peut-être, qui déposera un projet de loi, de clarifier le devenir de ces activités qui ne dépendent pas de la sûreté et de la radioprotection, seul sujet de notre saisine. Pour répondre à la commande, nous avons essayé de ne pas trop nous écarter du cadre, même si j'entends que la première recommandation peut effectivement poser question.

Toutefois, nous ne nous voyions pas faire des recommandations sans celle-ci. En effet, c'est elle qui conditionne le reste et nous nous appuyons dessus pour formuler les autres recommandations.

M. Jean-Luc Fugit, député, rapporteur, vice-président de l'Office. L'OPECST est l'Office parlementaire d'évaluation des choix - j'insiste sur le mot « choix » - scientifiques et technologiques. Par rapport au libellé de la saisine et au mot « choix », nous faisons des recommandations et des propositions.

Cela me permet d'ailleurs d'attirer l'attention d'Huguette Tiegna sur le fait que les recommandations paraissent peut-être assez directes dans leur formulation, car elles sont opérationnelles par rapport aux propositions. Dans les propositions, nous explicitons un peu mieux les choses, mais j'entends la remarque. En prenant les recommandations toutes seules, telles qu'on les trouvait dans la dépêche AFP, sans l'explication qui éclaire chacune, c'est un peu frustrant en effet.

D'ailleurs, pourquoi nous sommes-nous autorisés à proposer un nom pour la future autorité indépendante ? Nous nous sommes dit qu'aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, le mot « indépendant » n'apparaît pas dans ASN et IRSN. D'ailleurs, lorsque nous avons débattu de la question à l'Assemblée nationale voici quelques mois, celui qui aurait regardé le débat de façon objective, sans connaître le sujet, aurait dit : « tiens, visiblement, celui qui est indépendant, c'est l'IRSN et celui qui n'est pas indépendant, c'est l'ASN », alors que c'est l'inverse. C'est peut-être mon défaut de scientifique, j'aime bien que les choses soient carrées. C'est la raison pour laquelle nous avons fait cette proposition.

En parlant de rigueur, je reviens sur la remarque de notre collègue Hendrik Davi, qui disait que les auditions n'étaient pas ouvertes à tous. Je me permets une petite remarque : la liste de toutes les personnes auditionnées étant dans le rapport, avec le jour et l'heure où nous les avons entendues, libre à vous de toutes les rencontrer si vous voulez savoir exactement qui a dit quoi.

Je crois que beaucoup sont favorables à ce que les choses évoluent. Encore une fois, évoluer n'est pas casser, c'est faire différemment pour faire face au mur qui nous attend.

En réponse à ce que disait Jean-Philippe Tanguy à propos de l'accessibilité de notre rapport pour nos concitoyens, je pense sincèrement que cela devrait être une caractéristique distinctive de tous les travaux de l'Office. En effet, il n'est pas toujours facile de rendre compréhensibles certaines données scientifiques pour nos concitoyens. Il faut leur donner les éléments nécessaires pour comprendre les sujets et je soutiens que, chaque fois que nous le faisons, nos concitoyens comprennent bien. Je pourrais dire la même chose des sujets sur lesquels travaille Philippe Berta. Je pense que s'il me les expliquait, je serais capable de comprendre. Il faut faire cet effort de pédagogie, y compris dans nos rapports.

Olga Givernet a évoqué la question du suivi. Je voulais simplement dire que, chaque année, l'ASN vient devant l'Office présenter son rapport d'activité de manière « obligatoire », bien qu'autorité indépendante. L'IRSN le fait plutôt à sa demande et c'est devenu une tradition, même s'il n'existe pas d'obligation. Si la situation évolue, il existera une obligation et rien ne nous empêcherait de nous saisir du suivi de ce que deviendrait la partie de l'IRSN qui ne serait pas dans la nouvelle organisation.

S'agissant d'ailleurs de cette partie de l'IRSN, il ne s'agit pas pour nous de ne pas penser à ces personnes et au travail qu'elles font, qui est essentiel. On parle de recherches sur la radioprotection, sur la santé et les rayonnements. Jamais mon collègue et moi-même, scientifiques, nous n'avons pensé un seul instant négliger les travaux de ces personnes. Si l'organisation est différente, leur place est différente, mais ce n'est pas pour autant que leur place n'existe plus dans l'ensemble de ce dont a besoin le pays pour avancer sur ces sujets majeurs. Ce serait irresponsable de notre part et cela ne nous a pas traversé l'esprit, je vous rassure.

Je n'en dirai pas beaucoup plus. Je pense que nous avons eu un long échange. J'espère que ce rapport ne sera pas un point d'arrivée mais un point de départ, pour essayer de construire ensemble un chemin vers cet avenir énergétique, différent de l'existant, avec l'idée qu'il faut sortir progressivement des énergies fossiles. À côté de tout ce que l'on fait sur les énergies renouvelables, auquel je tiens particulièrement en tant que président du Conseil supérieur de l'énergie, le nucléaire contribue à nous faire atteindre la fameuse neutralité carbone en 2050. Finalement, notre rapport est une étape sur ce chemin que, j'espère, nous arriverons à construire ensemble, au Parlement, avec l'objectif de faire face aux problématiques climatiques, malgré les divergences que nous pouvons avoir sur des questions d'ordre social ou autre.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. J'ai parlé tout à l'heure de la saisine qui mentionne les conséquences d'une éventuelle réorganisation : je dis bien « éventuelle ».

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Nous avions déjà mis en avant ce point lors des premières conclusions que nous avions adoptées au mois d'avril.

Je voudrais à nouveau remercier, comme cela a été fait unanimement, nos deux rapporteurs pour l'excellent travail qu'ils ont réalisé, avec des contraintes difficiles, notamment un calendrier serré et assez chargé après le rapport sobriété et les quarante ans de l'Office.

L'Office adopte le rapport sur « les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection » et autorise sa publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

Mardi 30 mai 2023

15 heures : ANCCLI

· M. Jean-Claude Delalonde, président

· M. Yves Lheureux, directeur

16 heures : AIEA

· Mme Lydie Evrard, directrice générale adjointe chargée de la sûreté et de la sécurité nucléaires

16 heures 45 :

· M. Daniel Gremillet, sénateur, rapporteur de la loi relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes

17 heures :

· M. Yves Bréchet, ancien Haut-Commissaire à l'énergie atomique

18 heures :

· M. Jean-Yves Le Déaut, ancien président de l'OPECST

Mardi 6 juin 2023

14 heures 30 : Cérémé et PNC-France

· M. François Goulard, vice-président, PNC-France

· M. Jean-Pierre Pervès, président du collège des experts, PNC-France

· M. Xavier Moreno, président, Cérémé

· M. Hervé Machenaud, administrateur, Cérémé

15 heures 30 : Représentants syndicaux de l'IRSN

· Philippe Bourachot, CGT

· Mme Névéna Latil Querrec CGT

· M. Luc Codron, CE-CGC

· M. Pascal Cuendet, CE-CGC

· M. François Jeffroy, CFDT

· Mme Tatiana Taurines CFDT

16 heures 30 : Représentants du personnel de l'ASN

· Mme Charlotte Guénault

· M. Matthias Farges

17 heures 30 : Nuclear Transparency Watch

· M. Julien Dewoghélaëre, expert qualifié

Jeudi 8 juin 2023

8 heures 30 : IMT-Atlantique - Institut Mines-Télécom

· M. Mathias Roger, chercheur en histoire et sociologie des sciences et des techniques

9 heures 30 : IAE Nantes - Économie et Management

· M. Benoît Journé, Professeur des universités en sciences de gestion, responsable du département gestion et conseil (GESCO)

10 heures 30 : Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN)

· Mme Christine Noiville, présidente

· M. Claude Birraux, vice-président, ancien président de l'OPECST

· M. Benoit Bettinelli, Chef de la mission sûreté nucléaire et radioprotection, ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

Mercredi 14 juin 2023

14 heures 30 : Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

· M. Jean-Christophe Niel, directeur général

· Mme Karine Herviou, directrice générale adjointe en charge de la sûreté nucléaire

· M. Patrice Deschamps, directeur adjoint de la stratégie

· Mme Emmanuelle Mur, responsable des relations institutionnelles

15 heures 30 : Institut négaWatt

· M. Yves Marignac, chef du pôle expertise nucléaire et fossiles

16 heures 30 : Autorité de sûreté nucléaire (ASN)

· M. Bernard Doroszczuk, président

· M. Olivier Gupta, directeur général

17 heures 30 : Groupe EDF

· M. Bernard Salha, directeur technique groupe, directeur de la R&D

· Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques

Jeudi 15 juin 2023

17 heures :

· M. Antoine Guyot, président, Jimmy

· M. Sylvain Nizzou, président, Hexana

· M. Paul Gauthé, CTO, Hexana

· M. Jean-Maillard, président, NEEXT Engineering, projet Sparta

· M. Xavier Pitoiset, ingénieur en chef, Westinghouse, projet Sparta

· M. Olivier Le Galudec, responsable assurance technique, GE Power, projet Sparta

· M. Guillaume Campioni, fondateur, Stellaria

· M. Bruno Desbrière, responsable sûreté nucléaire, Stellaria

Lundi 19 juin 2023

18 heures : ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

· M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques

· Mme Anne-Cécile Rigail, cheffe du service des risques technologiques, DGPR

Mercredi 21 juin 2023

14 heures 15 : AREVA S.A.

· M. Yannick d'Escatha, président

Lundi 26 juin 2023

14 heures : visite du CNPE de Chinon

· M. Stéphane Rivas, directeur du CNPE de Chinon

· Mme Nadine Thiélin-Poiraud, cheffe de mission communication, CNPE de Chinon

· M. Frédéric Ravel Sibillot, délégué développement durable territorial, CNPE de Chinon

· M. Stéphane Lelong, directeur délégué maintenance, CNPE de Chinon

· M. Philippe Fièvre, chef du département matériaux et chimie DI, LIDEC

· M. Didier Blanchard, délégué technique département matériaux et chimie DI, LIDEC

· M. Frédéric Renaud, expert département matériaux et chimie DI, LIDEC

· M. Bertrand Le-Thiec, directeur des affaires publiques, EDF

· M. Régis Clément, directeur adjoint DPN, EDF

· Hubert Catalette, directeur délégué maintenance et projet corrosion sous contrainte, EDF

· M. Julien COLLET, directeur adjoint, ASN

· M. Adrien Thibault, direction des équipements sous pression, ASN

· M. Christian Ron, chef du pôle REP de la division d'Orléans, ASN

· M. Thierry Sollier, ingénieur-chercheur, spécialité CND, IRSN

· M. Olivier Dubois, inspecteur, IRSN

Mardi 27 juin 2023

8 heures 30 : Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France

· M. Antoine Armand, député, rapporteur

· M. Raphaël Schellenberger, député, rapporteur

9 heures  :

· Mme Maud Bregeon, députée, rapporteure de la loi relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes

9 heures 30 : Société française d'énergie nucléaire (SFEN)

· M. Bertrand de Buchère de l'Épinois, président de la section technique n°4 (sûreté et protection de l'environnement)

· Mme Valérie Faudon, déléguée générale

· M. Thomas Jaquemet, responsable affaires publiques

10 heures 30 :

· Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique

Mercredi 28 juin 2023

9 heures : Visite du site IRSN de Fontenay-aux-Roses

· M. Jean-Christophe Niel, directeur général

· Mme Karine Herviou, directrice générale adjointe en charge du pôle sûreté nucléaire

· M. Louis-Michel Guillaume, directeur général adjoint délégué pour les missions relevant de la défense et chargé du Pôle Défense, Sécurité et non-prolifération

· M. Alexandre Dauzères, chef du laboratoire d'étude et de recherche sur les transferts et les interactions dans les sous-sols

· Marc Benderitter, adjoint au directeur de la santé

· M. Alain Chapel, chercheur-expert

· Mme Carmen Villagrasa, cheffe du laboratoire de dosimétrie des rayonnements ionisants

· M. Yoann Ristic, technicien au laboratoire de dosimétrie des rayonnements ionisants

· M. Marc Gleizes, adjoint au directeur de l'environnement

· M. Éric Cogez, chef du service d'Intervention radiologique et de surveillance de l'environnement

· Mme Patricia Dupuy, cheffe du service des situations d'urgence et d'organisation de crise

14  heures : Autorité de sûreté nucléaire

· M. André-Claude Lacoste, ancien président de l'ASN (2006-2012)

· M. Pierre-Frank Chevet, ancien président de l'ASN (2012-2018)

ANNEXES

I. CONTRIBUTION DE M. YVES BRÉCHET

À propos du rapprochement ASN/IRSN

Note de Yves Bréchet, ancien Haut commissaire à l'énergie atomique, auditionné le 30 mai 2023

La question d'un rapprochement entre l'ASN et l'IRSN a été abordée de la pire façon possible sous la forme d'une « injonction venue d'en haut » sans que l'explication nécessaire ait été fournie. De telle sorte qu'une décision allant dans le bon sens, à savoir vers une plus grande efficacité et une plus grande indépendance de l'autorité de sûreté, a pu apparaître comme une tentative maladroite et autoritaire de la contrôler.

C'est d'autant plus dommageable que la relance affichée du nucléaire va faire peser sur les autorités de sûreté une charge de travail considérable aussi bien pour garantir la prolongation du parc dans de bonnes conditions, pour construire les nouveaux réacteurs EPR, pour examiner les options proposées pour le nouveau nucléaire (divers SMR) et enfin pour relancer la question de la fermeture du cycle du combustible via les réacteurs à neutrons rapides. Avoir une autorité de sureté compétente et indépendante est une garantie de la sureté du programme nucléaire. Avoir une autorité de sûreté efficace est une condition indispensable pour mener à bien un programme de « reconstruction de la filière électronucléaire » indispensable au pays, indispensable pour remplir ses objectifs environnementaux et pour assurer sa compétitivité industrielle.

C'est dire que cette question mérite mieux que le traitement pour le moins maladroit qui en a été fait, et mieux que les réactions épidermiques qu'il a suscitées. Il est heureux que l'OPECST, dans la fonction de conseil sur les questions scientifiques et techniques ait été saisi pour donner un avis solidement étayé sur cette question.

Maintenant il ne faut pas que cette effervescence médiatique générée autour d'une décision gouvernementale plutôt intelligente, masque les vraies questions :

· Il faut une autorité de sûreté indépendante et compétente. L'ASN est par construction indépendante du pouvoir, et elle en réfère au parlement (via l'OPECST). L'IRSN est son « bras armé » en terme de compétences, et elle en réfère au gouvernement (ministère de la transition écologique, ministère de la défense), ce qui lui donne une indépendance moindre et de facto l'inscrit comme un contre-pouvoir. Il n'y a aucune raison objective que l'IRSN soit moins indépendante que l'ASN, il n'y a aucune raison qu'elle en soit séparée. Cette spécificité française (voir mon article dans Commentaire sur les autorités de sûreté) n'a pas lieu d'être. Le rattachement de l'IRSN à l'ASN, les deux rapportant annuellement au parlement assurerait à la fois l'indépendance totale de la sureté, et éviterait les querelles de préséance qui ont trop souvent empoisonné les relations entre les deux institutions.

· Un tel rapprochement permettrait de corriger une anomalie de fonctionnement. L'IRSN tire une partie de ses ressources des contrats passés avec EDF qu'elle est censée contrôler...en termes d'indépendance on peut imaginer mieux ! Il serait beaucoup plus sain qu'une entité unique soit financée par l'état avec les deniers publics augmentés d'une contribution de l'exploitant proportionnée à son activité16(*). Les économies budgétaires sur le financement de la sûreté sont un mauvais calcul, y compris sur le plan industriel. Un financement dynamique en fonction des projets, avec participation des industriels par des fonds transitant par l'état serait hautement préférable.

· Un tel rapprochement à l'évidence devrait être sous une autorité unique, celle qui est responsable des décisions prises, à savoir l'ASN. Une gouvernance duale ne peut mener qu'à la confusion, et la confusion ne peut mener qu'à l'inefficacité. Notez que l'intégration de l'expertise a l'ASN n'est pas une nouveauté révolutionnaire, c'est déjà le cas avec la DEP qui s'occupe des instruments sous pression, et cela depuis des années, en donnant entière satisfaction.

· L'autorité unique ainsi constituée aurait en son sein même une capacité d'expertise et de recherche, mais elle pourrait de surcroit faire appel à des compétences extérieures (universités, centres de recherche...) pour compléter ses compétences au meilleur niveau17(*).

· La question des statuts des personnels (qui a créé beaucoup d'inquiétude) doit évidemment être traitée correctement, mais le gouvernement a déjà légiféré en ce sens en autorisant l'ASN à recruter sur les statuts autres que les siens (contrats de droit privé)

La multiplication des instances, ASN, IRSN, CNE (pour les déchets nucléaires), HCTISN (Haut conseil pour la transparence et l'Information sur la Sureté Nucléaire, a le triple effet de rendre confus le paysage, de déresponsabiliser l'exploitant, de multiplier les rapports administratifs, et in fine de remplacer une « sureté effective » par une « sureté de papier ». Cette dérive est patente depuis vingt ans et rappelle une situation dans les années 1980 aux Etats-Unis, situation de blocage à laquelle le Sénat avait mis bon ordre pour conserver une autorité de sureté indépendante, compétente et efficace, qui est celle qui donne aujourd'hui pleine satisfaction.

Une telle autorité de sureté unissant l'ASN et l'IRSN, financée de façon indépendante des exploitants (option qui avait d'ailleurs été évoquée dans les années 2000 précisément par le parlement français), et légitime à mobiliser les expertises en quelque endroit qu'elles se trouvent serait une avancée majeure pour la qualité de la sureté nucléaire. Elle permettrait de plus que soit confiée à cette autorité de sûreté une analyse « systémique » des conséquences des décisions prises en termes de sureté au sens large, incluant donc aussi la stabilité du réseau, dangereusement mise à mal, malgré les avis répétés de l'ASN, par la perte de nos capacités pilotables.

Reste à garantir que la remise annuelle du rapport de cette institution au parlement ne soit pas une pure formalité. Pour ce faire, il est indispensable que l'OPECST qui a la légitimité politique à recevoir ce rapport annuel, ait aussi la capacité technique de l'analyser. Il importe donc de gréer l'OPECST d'un comité d'experts, reconnus pour leurs compétences18(*). L'OPECST pourrait se constituer un tel collège en choisissant à partir d'une liste de propositions validée par les académies des sciences, les académies des technologies et les académies de médecine. Ce collège d'experts aurait pour unique fonction de donner aux parlementaires une lecture scientifique et technique des décisions prises par l'ASN et des justifications qui leurs sont données.

Une telle évolution de la sureté vers une seule autorité suivant les lignes esquissées ci-dessus me semble propre à accroitre à la fois l'indépendance, la compétence et l'efficacité.

II. CONTRIBUTION TRANSMISE PAR M. JULIEN DEWOGHÉLAËRE

Le réseau européen Nuclear Transparency Watch (NTW) a été créé en 2013 à la suite d'un appel « pour une vigilance sur la transparence nucléaire » lancé par un groupe d'une vingtaine de membres du Parlement européen issus de différentes sensibilités politiques. Le réseau NTW rassemble plus d'une cinquantaine de membres (individus et organisations) originaires de vingt pays européens et promeut une veille citoyenne sur la sûreté et la transparence autour des questions nucléaires.

Dans l'esprit des principes de la Convention d'Aarhus d'un accès à l'information, d'une participation du public au processus décisionnel et d'un accès à la justice en matière d'environnement, le réseau NTW cherche à :

· Accroître la contribution de la société civile à la gouvernance des activités nucléaires (incluant la participation à des projets de recherche européens) dans la perspective d'une amélioration de la sûreté,

· Sensibiliser les décideurs politiques et la société européenne à la nécessité de la transparence sur les processus de prise de décision en matière nucléaire aux niveaux local, national et européen.

Les actions de Nuclear Transparency Watch portent sur l'ensemble des différentes activités du cycle nucléaire : les questions relatives à la sûreté et à la sécurité nucléaire, les problématiques liées au vieillissement et à la prolongation de la durée de vie des installations nucléaires, la question des nouvelles constructions et celle du démantèlement des anciennes installations, la gestion des déchets radioactifs, la préparation aux situations d'urgence et la gestion post-accidentelle, etc. Le réseau est impliqué notamment dans des projets de recherche européens sur les sujets mentionnés ainsi que dans des partenariats avec la Commission Européenne autour de réflexion sur la transparence dans le domaine du nucléaire en Europe (rapport BEPPER) et l'accès à l'information et la participation du public (processus de tables rondes multi-acteurs « Aarhus Convention & Nuclear - ACN).

Du fait de ses activités et de ses missions, NTW a suivi avec attention le projet de réforme du système d'expertise et de contrôle de la sûreté nucléaire française et plus particulièrement le projet de rapprochement de l'ASN et de l'IRSN. Le 16 mars 2023, le réseau NTW, avec le soutien de 12 associations européennes et de 23 eurodéputé·e·s, a écrit une lettre ouverte à la Ministre de la Transition énergétique, Mme Agnès Pannier-Runacher, pour indiquer son inquiétude face à l'urgence avec laquelle la réforme était conduite, cette réforme n'étant basée alors ni sur une étude d'impact ni sur un dialogue avec les parties prenantes. NTW apportait donc dans ce courrier son soutien à la position de l'ANCCLI invitant le Gouvernement à ne pas se précipiter, à ne pas bouleverser le système actuel de la gouvernance de la sûreté nucléaire en France sans étude préalable. Cette position rejoignait en cela l'une des recommandations de l'OPECST indiquant que la « réforme ne [pouvait] pas faire l'économie de la plus grande transparence quant aux forces et aux faiblesses du système de contrôle actuel et d'un diagnostic préalable complet, rigoureux et rapidement rendu public avec la plus grande transparence, sur les forces et les faiblesses du système de contrôle actuel »

De ce fait, nous avons accueilli avec un certain soulagement l'abandon de cette stratégie de l'urgence et la volonté de prendre le temps d'évaluer au préalable le système actuel et les conséquences d'une potentielle restructuration des institutions d'expertise et de contrôle. Nous répondons donc aujourd'hui favorablement à la demande d'audition de l'OPECST pour transmettre l'avis du réseau NTW sur les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN.

Notre positionnement sur cette question tourne autour de quatre axes qui soulignent les qualités du système français actuel:

· L'exemplarité du système de contrôle français reconnu comme modèle au niveau européen et l'importance d'institutions d'expertise strictement indépendante,

· La capacité du système de contrôle et d'expertise français à maintenir un lien entre recherche et expertise ainsi qu'un pluralisme de l'expertise, garant de la qualité de cette dernière,

· La préservation d'un haut niveau d'engagement dans les échanges et la recherche menée au niveau européen sur les différents enjeux techniques et socio-techniques lié au domaine nucléaire,

· Le maintien du développement d'une culture de sûreté partagée et d'une ouverture à la société civile dans l'esprit de la Convention d'Aarhus.

Axe 1 - L'exemplarité du système de contrôle français reconnu comme modèle au niveau européen et l'importance d'institutions d'expertise et de contrôle indépendante

En 2011, l'accident de Fukushima a rappelé au monde l'importance d'une bonne gouvernance du système de sûreté, le dispositif dual français ASN-IRSN apparaissant alors comme un modèle à suivre en matière de gouvernance des risques. Encore aujourd'hui, dans le cadre de notre participation à différents projets de recherche européen dont les projets liés à la plateforme EURAD qui traite de la question de la gestion des déchets radioactifs et du stockage géologique, le modèle français de l'indépendance de l'institut d'expertise vis-à-vis du régulateur est cité en exemple et perçu comme l'un des modèles les plus robustes, permettant de garantir un haut niveau de sûreté et de transparence. Ce constat est souligné par les membres de la société civile (dont certains témoignent a contrario des difficultés rencontrées en matière de transparence dans leurs contextes nationaux) mais également par les autres acteurs impliqués (opérateurs, instituts d'expertise, organismes de recherche).

Les points forts reconnus au modèle français sont les suivants :

· Une rigoureuse indépendance de l'expertise à la fois vis-à-vis de l'industrie (ou d'organismes privés) et vis-à-vis des organes de décisions (le poids de la décision ne pesant pas sur l'institut qui est en charge de l'expertise et de la recherche associée à la décision). Cette stricte indépendance permet de délivrer des avis en fonction des connaissances scientifiques et des enjeux socio-techniques, sans influence ou pression économique ou politique.

· Un autre point fort reconnu est la transparence de l'information, facteur de renforcement de la sûreté,

· Un pluralisme de l'expertise et une ouverture à la société civile.

Ces trois facteurs constituent autant de piliers garantissant la qualité de la décision et la construction de la confiance auprès de l'ensemble des acteurs concernés, dont la société. A rebours, un nouveau système de gouvernance qui reculerait en matière de pluralisme et d'indépendance dans l'expertise serait perçue par le public comme une raison suffisante de défiance.

En résumé, selon l'expérience de NTW, les systèmes étrangers considèrent la France comme un modèle. C'est elle qui tire la qualité de la sûreté vers le haut au niveau européen. Ne pas garantir les points forts du système actuel serait un mauvais signal envoyé à nos voisins.

Axe 2 - La capacité du système de contrôle et d'expertise français à maintenir un lien entre recherche et expertise ainsi qu'un pluralisme de l'expertise

A l'heure actuelle, l'IRSN regroupe des services de recherche et d'expertise qui travaillent en étroite collaboration. Face à la complexité des enjeux et des sujets du domaine nucléaire (qui imbrique différentes dimensions techniques et socio-techniques), cette collaboration au quotidien est nécessaire à la qualité de l'expertise. Il conviendrait de maintenir voire de renforcer cette synergie.

Par ailleurs, la multiplication des sources d'expertise (ASN, IRSN, expertise non-institutionnelle impliquée via les groupes permanents ou les dispositifs mis en place par les deux institutions) est une garantie de la qualité de la sûreté dans la mesure où elle permet la mise en oeuvre d'un dispositif de sûreté en profondeur.

Axe 3 - La préservation d'un haut niveau d'engagement dans les échanges et la recherche menée au niveau européen sur les différents enjeux techniques et socio-techniques liés au domaine nucléaire

Les échanges et la recherche au niveau européen sont d'une importance fondamentale pour la qualité de l'expertise des différents pays nationaux. Étant donné la technicité et les spécificités des questions à traiter, le transfert de connaissances et la mise en commun de certaines recherches sont indispensables. Par ailleurs, les compétences techniques de l'IRSN reposent sur ces programmes de recherche avec des partenaires européens et internationaux. Les recherches expérimentales permettent de développer des outils indispensables à l'expertise, y compris en situation de crise.

L'annonce de la réforme a suscité ainsi un certain remous parmi l'ensemble des acteurs de la recherche européenne (au sein d'EURAD entre autres) qui s'interrogent sur les impacts négatifs qu'elle pourrait avoir sur la recherche européenne, étant donné la qualité et le haut niveau d'engagement de l'IRSN à ce niveau. A titre d'exemple, l'IRSN joue un rôle moteur dans le cadre du réseau européen SITEX qui permet des échanges fructueux au niveau européen entre les différents instituts d'expertise et des représentants de la société civile.

Selon l'avis du réseau NTW, cette dimension de recherche européenne doit impérativement être maintenue à un haut niveau dans le système d'expertise français.

Axe 4 - Le maintien du développement d'une culture de sûreté partagée et d'une ouverture à la société civile dans l'esprit de la Convention d'Aarhus

Enfin, le système d'expertise actuel par le biais de l'IRSN permet une implication de la société civile dans l'esprit de la Convention d'Aarhus. En étant « un institut public au service des pouvoirs publics mais aussi du public » il assure la montée en compétence des citoyens via des systèmes de dialogue en continu, complémentaire indispensable aux consultations ponctuelles du public. Ces démarches initiées par l'IRSN au niveau national et européen, dans lesquelles les membres de NTW ont pu se retrouver impliqués (dans le domaine de la radioprotection par exemple avec Open Radiation ou dans le domaine des déchets nucléaires avec la création de l'outil de dialogue pluraliste sous la forme d'un jeu sérieux Pathway Evaluation Process ou PEP dans le cadre du projet de recherche SITEX-II) permettent le déploiement d'une culture de sûreté partagée qui vient renforcer la sûreté, en en faisant un enjeu de préoccupation commune.

III. CONTRIBUTION DE PNC-FRANCE

Organisation ASN/IRSN - Présentation PNC-France

PNC-France (Association de défense du Patrimoine nucléaire et du climat) est une ONG indépendante, trans-partisane, ne recevant aucune subvention des pouvoirs publics ou des industriels du nucléaire.

La loi « transparence et sécurité nucléaire » (TSN) de 2006 a conforté le rôle d'une Autorité de sûreté unique indépendante et compétente, s'appuyant entre autres, sur l'expertise technique de l'IRSN. Cet acquis doit être préservé sans faire l'économie, 17 ans après le vote de la loi, d'une analyse critique constructive de l'efficacité globale du système, face aux enjeux qui se profilent.

Par comparaison avec l'international, l'industrie nucléaire française souffre d'une lourdeur des processus décisionnels (d'où la nouvelle loi d'accélération sur le nucléaire), d'une vision pointilliste et chronophage de l'analyse de sûreté, de demandes excessives compliquant inutilement la tâche de l'exploitant sans accroître objectivement la sûreté réelle en exploitation. Ce n'est pas une question de compétences, mais plutôt d'équilibre entre les rôles des exploitants, responsables du terrain, et des instances en charge des expertises et du contrôle. En d'autres termes, il s'agit, dans un monde contraint, de garantir de façon pertinente l'équilibre coût/bénéfice des exigences de sûreté, sans transiger sur la sûreté réelle.

1/ Les objectifs

Nous sommes à un tournant de la politique énergétique française, mais les objectifs à moyen terme sont à peine esquissés, qu'il s'agisse de la prolongation du parc (le gouvernement japonais vient de porter à 60 ans l'exploitation de ses PWR, comme les américains !), du déploiement de la 3ème génération (6 EPR ou 14, ou plus ?) ou du développement de réacteurs SMR innovants (dont certains de 4ème génération avec leur cycle du combustible) alors que les enjeux climatiques et de souveraineté impliquent une vision à long terme. Le rôle de l'électricité dans le futur impose une vision à 50-75 ans, apanage de l'État, et doit s'accompagner de décisions fortes concernant toutes les activités du cycle nucléaire, dans une perspective d'approvisionnement durable et d'économie des ressources.

Le calibrage de l'organisation de la sûreté nucléaire en France, quelle que soit sa configuration future, doit prendre en compte tous ces horizons. A bien des égards, c'est une situation nouvelle pour l'ASN et l'IRSN dont les analyses de sûreté vont porter simultanément sur 3 aspects :

a) Les réacteurs PWR et les installations actuelles du cycle du combustible : ce sont des technologies connues et améliorées depuis 50 ans, avec une réglementation stabilisée, qui ne devraient pas exiger de moyens supplémentaires, au contraire. L'exemple du phénomène de corrosion sous contrainte montre qu'EDF agit de manière responsable et a les compétences nécessaires.

b) La prolongation du parc et de toutes les installations du cycle entraînera une croissance modérée des moyens car ces sujets sont traités depuis très longtemps, y compris à l'international.

c) Les réacteurs innovants (SMR, MMR) et les nouveaux cycles du combustible généreront une croissance des besoins et sans doute un changement de paradigme : l'industrialisation de concepts innovants, dont les référentiels de sûreté restent à définir, et l'apparition de start-ups innovantes, qui n'ont ni l'expérience ni les capacités d'ingénierie d'EDF, nécessiteront une prise en compte spécifique par l'ASN.

PNC considère qu'une politique énergétique et climatique « sans regret » implique une configuration et un financement de l'organisation de la sûreté nucléaire répondant à une forte ambition dans ces 3 domaines.

2/ Les responsabilités : organisation duale ou non ?

a) La responsabilité de l'État vis-à-vis de la vision à long terme d'une filière nucléaire durable, intégrant la 4ème génération. Le développement des nouvelles compétences à acquérir par L'ASN et tous ses experts doit être soutenu par l'État, porteur de cette stratégie long terme.

b) La responsabilité du collège de l'ASN est un acquis précieux issu de la loi de 2006 et doit être préservé. L'ASN a la légitimité et la compétence pour proposer une évolution de l'organisation de la sûreté nucléaire, imposée par l'évolution du contexte et la nécessité d'efficacité.

c) La responsabilité première de l'exploitant qui présente à l'ASN ses concepts, technologies et référentiels de sûreté, dans le respect des exigences de l'ASN (FFS, guides, ...). Il est responsable de l'ensemble des impacts internes ou externes de ses installations.

d) L'IRSN qui joue deux rôles distincts : un rôle d'appui technique de l'ASN pour lesquels il émet des recommandations, et des missions spécifiques, qui lui sont propres, dont il est responsable vis-à-vis de ses tutelles (radioprotection hors installations nucléaires, surveillance radiologique de l'environnement, situations accidentelles dans le monde, R&D sûreté, etc...). Le rôle d'appui technique n'est pas exclusif, l'ASN pouvant avoir recours à des expertises multiples. L'IRSN lui- même peut être amené à faire appel à des expertises externes. L'IRSN n'est ni concepteur ni exploitant d'installations nucléaires industrielles, mais dispose de compétences méthodologiques fortes en analyse de sûreté, adossée à une R&D dédiée.

Dans le débat sur l'organisation actuelle il est fréquemment fait référence à une organisation duale ASN/IRSN (voire à une co-conception de celle-ci). PNC-France estime que cette dénomination est trompeuse et qu'en termes de responsabilités il ne peut y avoir d'organisation duale car seule l'ASN porte légalement cette responsabilité, libre à elle de solliciter les meilleures expertises pour prendre ses décisions en pleine conscience, avec une appréciation globale des sujets qu'elle traite.

3/ Efficacité et compétitivité

L'ASN comme l'IRSN font face à un défi majeur : retenir leurs experts, parfois attirés par des activités de terrain, redistribuer leurs personnels expérimentés vers les nouveaux projets et surtout former les nouveaux arrivants. Pour PNC-France, l'équilibre de l'analyse de sûreté mérite d'être réévalué et recalibré entre : (i) les instances d'expertises, dont l'IRSN, (ii) les Groupes Permanents (GP), qui mobilisent des personnalités expérimentées, françaises et étrangères, en charge d'examiner les analyses et les recommandations des experts puis de transmettre leurs avis à l'ASN, et enfin (iii) la Direction Opérationnelle de l'ASN qui transmet ses propositions au Collège, seul décideur.

L'IRSN, dont l'expertise n'est pas remise en cause, doit cependant se remettre en question, ce qui est normal après 17 ans. Il a évolué par suite de la décroissance du nucléaire en France (en 1990 il y avait un parc opérationnel, des constructions en cours, deux réacteurs de 4ème génération, de nombreuses INB de recherche de natures diverses). Ses effectifs, croissants, se sont concentrés sur les installations en fonctionnement, avec un interventionnisme accru, des demandes multiples créant un stress sur le terrain de l'exploitant. Compte-tenu d'un certain niveau de liberté d'interprétation des règles, il en a résulté des demandes parfois excessives, pouvant conduire à un ratio coût/bénéfice contestable, à une complexification des installations susceptibles, in fine, de les fragiliser et à des délais importants. D'autre anomalies doivent être examinées telles que la sous-traitance par des exploitants d'études de sûreté à un IRSN juge et partie (les financements sont-ils au bon endroit ?) et la volonté de l'Institut de communiquer largement sur les expertises qu'elle réalise pour l'ASN, ce qui est très inhabituel. Les experts réservent généralement leurs avis aux commanditaires qui sont seuls à décider, une fois réunis toutes les informations et les éléments de contexte. Cette volonté d'indépendance de communication n'est pas constatée ailleurs dans les pays nucléaires et elle fragilise les recommandations des GP et les décisions de l'ASN, l'IRSN s'érigeant ainsi « super expert », voire autorité indépendante.

Les GPs devraient être renouvelés et leur rôle renforcé dans la perspective des nouveaux programmes nucléaires. L'IRSN y a pris un poids trop considérable.

Globalement le fonctionnement des trois instances est devenu pesant et chronophage, et, dans la perspective d'une volonté gouvernementale d'accélérer le déploiement du programme nucléaire, il est logique que le collège de l'ASN et son Président se soient emparés de la question.

PNC-France insiste par ailleurs sur l'importance du rôle du maitre d'ouvrage et de l'exploitant : il a la responsabilité de la conception des installations, de la qualification de l'ensemble des moyens à mettre en oeuvre pour assurer la sûreté, de l'élaboration des règles d'exploitation. Il connait les contraintes du terrain. Les incertitudes qui pèsent sur la filière nucléaire depuis plus d'une décennie ont entraîné une baisse significative des budgets de R&D consacrés à la sûreté et à mettre hors service nombre d'installations de recherche essentielles (il n'y a plus de réacteurs de recherche et le RJH, alourdi par des contraintes de sûreté sans doute inadaptées, est menacé). Il y a donc urgence à redonner aux exploitants industriels et au CEA les moyens humains et financiers nécessaires, mais également à leur restituer une capacité d'initiative dans un cadre réglementaire mieux adapté.

Conclusion : quelques points clés

L'organisation de la sûreté en France doit-être réévaluée en cohérence avec une vision long-terme de la filière nucléaire, de la responsabilité de l'État. Cette organisation et cette vision doivent être précisées en urgence.

Les processus d'autorisation et d'évaluation de l'ASN doivent, au-delà des contrôles décennaux, porter sur 20 ans au moins, ce qui serait cohérent avec la programmation du renouvellement du parc et le temps long propre au domaine.

L'ASN doit se préparer à traiter la quatrième génération et son cycle, durable et économe en ressources (l'U appauvri ne doit absolument pas être requalifié en déchets), et faire face à des concepts très innovants et à une évolution potentielle de l'industrie avec l'émergence de start-ups dont l'ingénierie n'est pas comparable à celle d'EDF. Elles seront en particulier responsables de l'usage qu'elles feront d'études antérieures, parfois considérables (filière sodium), voire d'origines étrangères.

Les moyens à mettre en oeuvre tant humains que matériels sont importants et les compétences actuelles de l'ASN comme de l'IRSN vont devoir être redistribuées et s'adapter pour accompagner les nouveaux programmes.

L'équilibre des relations entre l'exploitant, qui s'engage, et un IRSN dont l'expérience de terrain est forcément limitée, doit être revu pour fluidifier les processus et les rendre plus efficaces.

L'expérience du secteur aérien, très exigeant également en matière de sûreté/sécurité, mériterait d'être examinée, de même celle de pays majeurs du nucléaire.

PNC-France est conscient de la difficulté qu'il va y avoir à mener parallèlement une consolidation du secteur industriel, une relance d'un CEA qui s'est éloigné de son coeur de métier, et un renforcement de la sûreté nucléaire face à une diversification des sujets à traiter. Mais PNC-France estime que c'est une nécessité si la France veut se réindustrialiser, respecter ses engagements climatiques à long terme et préparer un futur durable et compétitif pour les générations futures.

IV. CONTRIBUTION DE M. MATHIAS ROGER

M. Mathias Roger, docteur en sociologie des sciences et des techniques et auteur d'une thèse19(*) et d'un ouvrage20(*) traitant de la fabrique de l'expertise en sûreté nucléaire en France, a déposé une contribution écrite reprenant, et complétant, sa présentation devant les rapporteurs, lors de son audition du 8 juin 2023. Ses travaux reposent sur six années d'immersion au sein d'une communauté d'experts de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire spécialisée dans la prise en compte du risque sismique, ainsi qu'une étude de leurs archives qui couvre la période 1958-2020.

La sûreté nucléaire vue du terrain

L'originalité de la perspective proposée est de défendre un point de vue qui n'est pas celui des grands directeurs des organismes impliqués dans la gestion des risques nucléaires ni de haut-commissaire ou de personnalités politiques, mais celui des experts de plus bas niveau qui ont la charge de fabriquer la sûreté au quotidien. Ce sont eux qui auront à supporter les conséquences d'une éventuelle fusion IRSN-ASN et à s'y adapter s'ils veulent défendre leurs convictions et leurs valeurs dans un système en évolution.

L'histoire de l'organisation de la sûreté

Il y a une relative discontinuité entre les pratiques d'expertise et l'organisation de la sûreté. Pour illustrer cela, il suffit de penser que l'IRSN existe depuis 2002 tandis que l'histoire de la communauté de ses experts débute en 1958. Cette communauté a donc vécu plusieurs évènements, dont des mutations organisationnelles, au cours de son histoire.

À l'origine, dans la décennie 1960, cette communauté d'expert est disséminée dans plusieurs organismes, entreprises ou instituts, liés directement au programme nucléaire ou non. Dans le cas de la problématique posée par le risque sismique à la sûreté nucléaire, l'histoire peut pratiquement se résumer à quatre personnes : Jean-Pierre Rothé (sismologues à la tête de l'Institut de physique du globe de Strasbourg), Claude Plichon (ingénieur du corps des ponts et chaussé d'EDF), André Barbreau (géologue et membre du Groupe de travail sur la sûreté des piles atomiques du CEA) et Didier Costes (polytechnicien et membre du Groupe de travail sur la sûreté des piles atomiques du CEA). Chacun se partage une partie de la problématique (évaluation de l'aléa, modélisation du comportement de l'installation à cet aléa, conception d'un modèle de réacteur robuste). La logique d'interaction est dominée par la collaboration des experts au service du développement d'un modèle de réacteur sûr et rentable. À noter que, dans l'absolu, c'est le CEA qui prend les décisions autour de la Commission de sûreté des installations atomiques (CSIA). En pratique, toutefois, les experts s'arrangent le plus souvent directement entre eux. La sûreté est alors avant tout le résultat d'une multitude de petites décisions et de choix techniques qui sont effectués directement entre les experts21(*).

Dans la décennie 1970, la situation change. La technologie française maîtrisée par le CEA est abandonnée au profit d'une filière américaine et il ne s'agit plus de concevoir une installation nouvelle, mais de répliquer un modèle standardisé de réacteur sur de nombreux sites à un rythme très soutenu. Dans ce contexte, l'organisation de la sûreté nucléaire évolue grandement. D'abord, le CEA développe, en interne et dès 1970, un département de sûreté nucléaire (300 personnes), qui deviendra l'IPSN en 1976 (1700 personnes), puis l'IRSN en 2002 (1700 personnes)22(*). Cet ancêtre de l'IRSN se donne pour objectif de superviser le traitement des problématiques de sûreté posées par le transfert de technologie ainsi que l'évaluation des rapports de sûreté produits par les exploitants (ces rapports et leur validation sont une étape conditionnant la réalisation et la mise en service des installations nucléaires en France). Ensuite, un embryon d'autorité de sûreté est créé au sein du ministère de l'Industrie pour traiter les aspects réglementaires liés au déploiement du programme nucléaire (décret d'autorisation de création, décret d'autorisation de mise en service, etc.) ainsi que les relations avec le gouvernement. Dans les faits, ce service ne compte que cinq personnes et ses décisions sont entièrement dépendantes de l'expertise du département de sûreté du CEA. Au début des années 1970, la commission de sûreté du CEA se transforme en Groupe permanent d'expert (GP), sorte de conseil des sages, qui confronte et régule les avis des experts des différents organismes impliqués dans le programme nucléaire (experts du CEA, constructeur, exploitants, etc.). À la différence de l'ancienne commission de sûreté, ce GP est constitué d'expert du CEA, mais compte aussi des représentants d'EDF, des membres du corps des ponts et du corps des mines ainsi que des représentants du ministère de l'Industrie. Toutefois, la présidence et la vice-présidence du GP sont occupées respectivement par le directeur et le directeur adjoint du département de sûreté du CEA.

Factuellement, dans cette période, l'autorité de sûreté est intimement liée et dépendante de l'ancêtre de l'IRSN et du GP. Du fait de sa dépendance à l'expertise et aux avis des experts du CEA, l'autorité de sûreté n'est pas capable de défendre une position différente. Cette organisation va rencontrer certaines difficultés. En particulier, en 1974, au lancement des chantiers du plan Messmer, les experts de l'ancêtre de l'IRSN et d'EDF sont en profonds désaccords. En l'absence d'un tiers pouvoir, le conflit ne parvient pas à être résolu par le système de contrôle de la sûreté et chaque partie s'en remet directement au gouvernement lors des réunions de la Commission interministérielle des installations nucléaires de base (CIINB). Pendant près d'un an, la situation est extrêmement tendue, les experts de l'ancêtre de l'IRSN et du GP menaçant de bloquer la validation des rapports préliminaires de sûreté indispensable à la signature des décrets d'autorisation de création et EDF poursuivant, dans l'attente d'une décision gouvernementale, ses chantiers sans tenir compte d'aucune remarque des experts du CEA. La résolution de conflit est finalement venue, non pas d'une conciliation gouvernementale, mais de la constitution d'un petit groupe de travail mixte au niveau des experts : mixte entre les experts d'EDF et de l'ancêtre de l'IRSN ; mixte entre les sismologues qui évaluent l'aléa et les ingénieurs qui évaluent le comportement des installations à ces aléas ; mixte entre les enjeux scientifiques (assurer la validité scientifique de la démonstration de sûreté), industriels (assurer le respect du calendrier et des coûts de construction, mais aussi garantir la fiabilité des outils techniques) et politiques (assurer la protection des populations) de la sûreté. Cette mise à plat de la problématique et ce travail en commun vont rapidement désamorcer la situation. Entre 1975 et 1985, ce groupe de travail d'une quinzaine de personnes va traiter l'ensemble des questions de sûreté posée par le séisme : à la fois l'évaluation de l'aléa sismique à proximité des sites nucléaires, la validation de la sûreté des installations face à ces aléas et même les options de conception des nouveaux paliers standardisés de réacteur (palier 1300 MWe en particulier).

Dans les années 2000, concrétisant un mouvement initié après Tchernobyl, un IRSN indépendant du CEA ainsi qu'une autorité de sûreté indépendante de toute tutelle ministérielle sont créés. Ces évolutions répondent à des enjeux de transparence et d'indépendance de l'expertise des questions de sûreté nucléaire imposés par les déboires de la communication autour du nuage de Tchernobyl23(*), mais qui s'ancrent également dans un mouvement plus général faisant suite aux crises sanitaires des années 1990 (vache folle en particulier)24(*). Au même moment, sous la pression de Bruxelles EDF devient une société anonyme et son fonctionnement est indexé à l'économie de marché. Dans le quotidien des experts, ces évolutions institutionnelles vont accélérer la bureaucratisation25(*) du fonctionnement de la sûreté nucléaire, elle-même responsable d'une euphémisation des rapports de sûreté. Concrètement, la taille des rapports enfle d'un ordre de grandeur entre 1990 et 2010 (de quelques dizaines de pages à plusieurs centaines de pages avec des annexes de plusieurs milliers de pages) et la formulation devient plus allusive (par exemple, au lieu de dire « le séisme réévalué selon la méthode préconisée par l'IRSN est de nature à remettre en cause la démonstration de sûreté du bâtiment électrique de la centrale de Fessenheim. Son utilisation conduirait EDF à mettre en oeuvre de nombreuses études de vérification du comportement de l'installation. Au vu des incertitudes et du caractère exploratoire de la méthodologie proposée par l'IRSN, EDF estime sa prise en compte trop précoce » il est désormais écrit « conformément à la note N5783-C en référence [9], EDF estime la mise au référentiel de la méthode préconisée par l'IRSN dans l'étude en référence [10], conformément à l'étude d'impact C-20151990-1, trop précoce »). Ce changement sémantique, imposé par le besoin de transparence, complexifie la compréhension des enjeux et le croisement des thématiques de sûreté, y compris et avant tout pour les experts eux-mêmes.

Les pratiques de sûreté varient en fonction de la phase du programme nucléaire dans laquelle on se trouve

La conception d'un réacteur sûr et rentable dans les années 1960, la conception de l'EPR 2 récemment, ou encore la conception du Noyau dur après Fukushima partage des traits communs. L'activité de conception en tant que telle offre une certaine liberté d'action, confère des marges de manoeuvre aux experts qui autorisent et facilitent le croisement entre des connaissances scientifiques, des pratiques d'ingénieur et la définition d'objectifs de sûreté. Les relations entre acteurs s'en trouvent fluidifiées : les experts se partagent les tâches et collaborent à la construction d'un modèle qui satisfait plus ou moins tout le monde.

La gestion d'un parc en fonctionnement est très différente puisque les centrales sont déjà réalisées et en fonctionnement. Il faut alors composer avec leur état réel et avec le caractère faisable, à coût raisonnable, des modifications éventuelles. Dans ce cadre, la mise en relation d'alertes scientifiques et de gages de fiabilité est difficile. Les relations entre acteurs se dégradent. Ils ne travaillent plus ensemble, les experts de l'IRSN étant préoccupés par la validité scientifique du référentiel de sûreté et les experts d'EDF étant préoccupés par la rentabilité et la fiabilité d'exploitation au quotidien des installations. Ils n'interagissent plus selon une dynamique de collaboration, mais de lutte où tous les moyens sont bons pour faire valoir leurs points de vue devant une autorité extérieure (le GP et l'ASN).

Entre ces deux états se trouve la période relative à la réalisation d'un parc électronucléaire fondé sur la réplication d'un modèle standard sur différents sites. Ce type d'activité a marqué les années 1970 et 1980 et devrait marquer en partie la période contemporaine. Dans les années 1970, le démarrage de cette phase a engendré un éclatement de l'expertise et des conflits sans précédent. Le passage à l'action par le lancement des chantiers met brusquement un terme aux relations d'expertise fluides qui caractérise la phase de conception. Ce qui était possible avant ne l'est plus. Le poids des enjeux industriels dans les choix de sûreté devient plus important et certains experts, attachés à l'évaluation scientifique de la sûreté, ont le sentiment que la sûreté est cyniquement manipulée. Dans les années 1970, la création d'un groupe de travail mixte entre les experts au plus bas niveau avait permis aux différents experts d'exprimer leurs enjeux propres (validité scientifique de la démonstration de sûreté pour les uns, réussite du programme industriel pour les autres) et de travailler à la construction de choix optimaux.

L'efficacité du traitement des problématiques de sûreté

La réussite de l'expertise des problématiques de sûreté dépend historiquement de la capacité à construire un avis consensuel entre les experts de l'IRSN qui ont une approche scientifique de la sûreté, les experts des industriels qui ont une approche technique de la fiabilité de leurs installations. Le dialogue technique entre les experts de deux camps et les Groupes permanents d'experts ont un rôle premier dans le travail de mise en relation de ces deux perspectives de la sûreté indispensable à l'élaboration d'une décision consensuelle. L'ASN intervient dans un second temps, quand le travail du GP n'a pas été concluant26(*).

Selon cette perspective, il est utile d'avoir un système organisé de telle sorte que chaque approche de la sûreté (scientifique, technique et politique) soit incarnée et défendue par des acteurs séparés (respectivement IRSN, industriels et ASN/GP). Dans l'hypothèse d'une fusion ASN-IRSN, le mélange des genres risque de poser question : que va faire l'ASN dans son travail politique de création d'un avis de sûreté commun entre tous les experts sachant qu'une partie serait désormais en son sein ? Il y a, en effet, nombre de dérives possibles : l'ASN pourrait prioriser toujours la vision scientifique défendue par ses experts par effet de proximité, par infusion et colonisation de la décision par l'expertise scientifique de la sûreté. À l'inverse, elle pourrait systématiquement introduire les enjeux industriels en rognant les résultats de l'expertise scientifique qu'elle contrôle. Les deux visions de la sûreté ne seraient plus alors articulées finement. Il est à prévoir que l'approche scientifique tend à volontairement surévaluer les risques par anticipation d'un rognement quand la perspective industrielle sera introduite ; et de l'autre côté, la perspective industrielle aura tout intérêt à maximiser les conséquences de l'approche scientifique et à ne pas chercher de solutions pratiques pour augmenter la proportion du rognement. Enfin, troisième dérive possible : avec une fusion IRSN-ASN, le dialogue entre experts pourrait être entravé. Sur ce dernier aspect, il faut préciser que l'avis des experts de l'IRSN est l'aboutissement d'un long processus d'instruction au cours duquel les experts des industriels et de l'IRSN se rencontrent à de nombreuses reprises et échanges longuement. Ensuite, l'avis de l'IRSN et le dossier des industriels sont confrontés et discutés devant les GP qui émet lui-même un avis. Enfin, les deux avis et le dossier des industriels sont utilisés dans la prise de décision de l'ASN. Avec une fusion expertise-décision, on perd potentiellement deux avis. Il n'y aurait plus qu'un processus d'instruction duquel découlera directement la décision. Dans ce contexte, il est probable que la position et l'expression des experts des industriels au cours de l'instruction changent. Puisque l'instruction ne sert plus seulement à la formulation des avis de l'IRSN et du GP, mais directement à la décision, ils pourraient être davantage tentés de ne pas dévoiler à leurs homologues l'entièreté des données du problème qu'ils maîtrisent.

Réponse à la question : la capacité de décision de l'ASN est-elle entravée par la publication des avis IRSN

De mon point de vue, ce phénomène fait référence à une période très restreinte de l'histoire, la période 2011-2018, marquée par Fukushima, par un climat européen de recul et d'opposition au nucléaire et par la Présidence de l'État par François Hollande et celle de l'ASN par Pierre-Franck Chevet. Il est vrai que, dans cette période, l'ASN a largement suivi l'avis de l'IRSN, souvent contre l'avis des experts industriels et parfois même contre celui des Groupes permanents d'experts.

En revanche, avant 2011 et après 2018, l'ASN a fréquemment, pour ne pas dire systématiquement, pris des avis indépendants, tierce. Le plus souvent en suivant l'avis des GP. Parfois, en tranchant au milieu une opposition insoluble entre les niveaux préconisés par les experts de l'IRSN d'un côté et ceux de l'exploitant, de l'autre. Parfois, aussi, elle a agi en formulant une doctrine et une décision propre. Il me semble ainsi que l'ASN possède déjà toute la latitude nécessaire pour prendre des décisions propres.

De plus, il me semble que l'ASN a tout à gagner à assumer et à valoriser publiquement les arguments des industriels dans un souci de transparence et de formation du grand public. En effet, masquer la variété des arguments impliqués dans la gestion d'une industrie à risque derrière l'illusion d'un mode de règlement uniquement fondée sur la science diffuse, même parmi les experts, une image tronquée de la réalité. La sûreté nucléaire n'est pas qu'une question de science, c'est aussi et, peut-être avant tout, une question de performance et de fiabilité des outils industriels et de leur exploitation.

Réponse à la question : faut-il copier le modèle de l'US-NRC (UNITED STATES NUCLEAR REGULATORY COMMISSION)

Le fonctionnent dual de la NRC (décision et expertise au sein du même organisme) s'ancre dans un contexte particulier27(*) :

Il y a une multiplicité des exploitants et des modèles de réacteurs à contrôler ;

Le programme de construction de centrales nucléaires de production d'électricité est à l'arrêt depuis 1979 ;

Les enjeux de sûreté portent alors essentiellement sur la prolongation de fonctionnement des centrales existantes et sur le soutien à des projets très innovants de petit réacteur.

La NRC est toute puissante aux États-Unis. Elle édicte les règles et décide seule des conditions acceptables de fonctionnement des installations nucléaires. Ce qui n'est pas le cas en France où la compétence et le pouvoir sont partagés entre l'ASN, l'IRSN et les exploitants (voir maintenant l'HCTISN, l'ANCLI, les GP, etc.) ;

La sûreté aux États-Unis est régie par une réglementation très détaillée et coercitive ;

Les règles établissent des objectifs de sûreté de façon quantitative, aussi bien concernant les niveaux d'aléa, les probabilités d'accident et les conséquences potentielles (nombre de morts notamment) avec un niveau de risque assumé publiquement ;

La pratique des experts dans ce système consiste à élaborer ces règles ainsi qu'à contrôler leurs respects par les exploitants ; l'avis de la NRC se fonde sur ce respect et les conséquences en cas de manquement sont établies à l'avance ;

Le système est fondé sur un niveau de transparence très élevé (tous les mails et réunions sont publics) et donne lieu à de nombreux recours en justice. Il y a, en outre, des conditions d'exercice très strictes : les experts et les décideurs de la NRC n'ont pas le droit de se connaître, de se voir ou d'échanger par exemple.

La dualité de la NRC n'a de sens que dans le contexte et l'histoire singulière du programme nucléaire aux USA. L'importation d'une partie de ce modèle me semble inadéquate face à la pratique française fondée sur le dialogue technique et la rationalité d'ingénieur. À noter d'ailleurs que la question de l'importation du modèle de la NRC a été largement débattue au moment du transfert de technologie et du lancement du plan Messmer. Les acteurs de l'époque ont alors estimé le modèle américain trop lourd et trop réglementé et l'ont même jugé responsable des difficultés rencontrées aux USA à cette époque (du fait notamment des lourdeurs administratives et de l'intervention d'enquête publique, les centrales nucléaires mettent en moyenne 40 % plus de temps à être mises en service aux USA qu'en France dans la décennie 1970).

Plus encore, le modèle américain semble incompatible avec la tradition française. En effet, la pratique de l'expertise en France repose sur un échange constant et une co-construction au fil de l'eau de la sûreté entre autorité, IRSN et exploitants plutôt que sur le recours à une réglementation coercitive. Cette co-construction privilégie l'utilisation du jugement d'ingénieur ou jugement d'expert sur les problèmes complexes contre un mode de décision fondée sur le chiffre et qui ne peut donc prendre en compte que les aspects réductibles en variables quantitatives.

De mon point de vue, la référence à un modèle étranger est exactement ce qu'il faut éviter en ce qu'elle prolonge une tendance néfaste. En effet, la création de l'IRSN et de l'ASN comme des entités autonomes, indépendantes et transparentes, la transformation d'EDF en société anonyme et par-dessus tout le développement d'une réglementation autour de la loi TSN, de l'arrêté INB et de l'arrêté ESPN28(*) sont autant d'action qui ont été motivés moins par l'amélioration concrète de la sûreté des installations nucléaires que par le souci de répondre à des standards internationaux. Ces évolutions ont rendu plus complexe la pratique de l'expertise en éloignant les acteurs les uns des autres, en rendant plus abscons les échanges et en masquant le fond des questions de sûreté derrière des exigences réglementaires souvent floues. Finalement, la transformation progressive du système de régulation et de contrôle de la sûreté vers le modèle anglo-saxon, niant au passage toute la culture d'ingénieur française, conduit progressivement à modifier le quotidien du règlement des questions de sûreté : de la recherche commune de solutions optimales entre la réussite industrielle et la sûreté des installations, on pousse le système vers un jeu cynique où tous les coups sont bons pour faire valoir ses intérêts.

Réponse à la question : faut-il réformer l'organisation de la sûreté nucléaire en France ?

De mon point de vue, la proposition de réforme de février 2023 n'était pas nécessaire dans la mesure où la situation contemporaine est plutôt fluide et meilleure que celles des 20 dernières années. Le besoin de fluidité et la critique de capacité contrainte du jugement de l'ASN par les avis IRSN répondent à une situation qui n'existe plus et qui a concerné une période finalement courte de l'histoire (2011-2018). On peut se demander en outre, s'il n'a pas finalement fallu 15-20 ans au nouveau système de régulation imposé par les changements organisationnels des années 2000 pour arriver à un stade de maturité. Le projet de réforme conduirait ainsi à changer un système tout juste arrivé à un stade opérant pour repartir potentiellement sur plusieurs décennies de tâtonnement ?

L'histoire nous apprend que le règlement des problématiques nouvelles imposées par le lancement du plan Messmer en 1974 n'est pas passé par un ajustement de l'organisation de la sûreté, mais par des initiatives locales, au niveau des experts eux-mêmes et visant à fournir les moyens d'engager une discussion libre, équilibrée et durable. Ce sont ces conditions qui ont permis à l'époque de faire émerger par l'entremise continuelle des avis de chacun, une solution consensuelle et raisonnable de la sûreté des installations nucléaires en France.

Toutefois, il me semble que le projet de réforme avorté de février n'a pas été sans conséquence. Les experts de l'IRSN ont eu une forte réaction qui a entraîné à la fois une désaffection de certains et une unification des autres, ainsi que l'émergence d'une volonté renforcée d'affirmer et d'imposer par tous les moyens la position propre de l'IRSN. Il y a un risque, me semble-t-il, de « radicalisation » de l'expertise, notamment si le projet de fusion est réactivé, au moment même où elle commençait enfin à trouver une mesure et où la réalisation d'un nouveau parc électronucléaire demande l'union des forces et des compétences. Pour désamorcer la situation et retrouver les conditions d'une bonne réalisation de l'expertise de la sûreté nucléaire, une action me semble requise. Sans présager de sa nature exacte, il me semble qu'en laissant la capacité aux différents experts des différents organismes, et pas que des grands directeurs, d'exprimer les conditions qui garantissent l'exercice sain de leur fonction, peut-être que de ce recensement émergerait une série de caractéristiques de l'expertise à sanctuariser et une série de points à améliorer.

Parmi les grands pays nucléarisés, la France est le seul qui n'a pas connu d'accident majeur. Peut-être serait-il temps de prendre la mesure de ce constat et de saisir d'où lui vient cette exceptionnalité. La sûreté nucléaire à la française se distingue selon moi par le souci toujours présent d'aborder les questions de sûreté sous tous les angles (scientifique, technique, industriel, économique, etc.) et d'élaborer des décisions optimales par le croisement des sujets et des points de vue. Ce travail passe nécessairement par une proximité forte entre tous les experts de tous les organismes impliqués dans le domaine nucléaire ; proximité qui ne peut être garantie que par le maintien d'un dialogue technique ouvert et continue. C'est cette essence qu'il faut, à mon sens, préserver et nourrir à l'amorce d'un nouveau programme électronucléaire.

V. CONTRIBUTION DES START-UP NUCLÉAIRES

Retour de l'audition du 15 juin 2023 dans le cadre de l'OPECST

Par : Les représentants des start-up nucléaires du 15 juin 2023.

Date : Le 05 Juillet 2023

Objet :

Résumé des retours et propositions des responsables des Start-up lors de l'audition du 15 juin 2023 faits à M. le député Jean-Luc Fugit et M. le sénateur Stéphane Piednoir dans le cadre de l'OPECST.

Contexte de l'audition du 15 juin 2023 :

Audition réalisée dans le cadre de l'OPECST par M. le député Jean-Luc Fugit et M. le sénateur Stéphane Piednoir (chargé de mission Assemblée nationale : Mihael Krauth) sur « Les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection ».

Diffusion à :

- M. le député Jean-Luc Fugit (OPECST),

- M. le sénateur Stéphane Piednoir (OPECST),

- Mihael Krauth, chargé de mission Assemblée nationale,

- Des députés et sénateurs des différents groupes parlementaires à l'Assemblée Nationale et au Sénat.

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Propos et propositions des Start-Ups présentes :

1- Sur la fusion ASN et IRSN :

À l'unanimité, les responsables des start-up ne voient pas l'intérêt, à date, de mener une fusion ASN - IRSN. Elles motivent cela par plusieurs points :

1.1 Le besoin de conserver une spécificité propre aux interlocuteurs : l'ASN garant des procédures, et l'IRSN garant de l'expertise technique. L'indépendance des deux organismes garantit l'indépendance et l'entièreté des deux postures et des deux approches. La séparation entre ces deux postures est une garantie de la sûreté nucléaire du pays et du bon traitement des dossiers. La fusion en un seul organisme sous prétexte d'accélération du traitement des dossiers (cf. point suivant) risquerait d'amener de la confusion entre les deux approches, réduisant de facto le niveau de sûreté nucléaire. Or cette distinction participe de la réputation internationale de la France en matière de sûreté nucléaire.

1.2 Le temps de traitement des dossiers (aujourd'hui lent) liés à la sûreté nucléaire tient dans le manque d'effectif de l'IRSN et de l'ASN ; non dans le fait qu'il y ait deux organismes distincts. Le manque d'effectif actuel ne permet pas d'avoir des interlocuteurs « experts » dans les technologies concernées et ne permet pas un traitement rapide (trop peu de personnes pour traiter les dossiers). Ce manque de moyens entrave le développement des initiatives nucléaires portées par l'Etat (notamment à travers l'AAP France2030). La fusion ne résoudrait pas ce problème de fonds.

1.3 Le problème des ressources n'est pas l'unique problème. Les méthodes d'instruction doivent être revues. Par exemple les courriers sont longs par rapport à des échanges en direct retranscris par un compte-rendu des conclusions de l'échange. À ceci s'ajoute probablement une mauvaise priorisation des dossiers avec beaucoup de temps passés dans des groupes de travaux théoriques plutôt que du travail d'instruction sur des cas concrets. La fusion ne résoudrait pas ces problèmes de fonds.

2- Sur les moyens humains (ie disposer d 'une expertise permettant la rapidité de traitement des dossiers) nécessaires à la réactivité nécessaire à la réussite des start-up nucléaires innovantes :

2.1 Pour l'IRSN :

Chaque technologie de réacteur (REP, RNR-Na, HTR, REB, MSR-thermique, MSR-RNR, etc.) doit disposer d'un nombre suffisant d'experts pour traiter les dossiers ayant trait à des technologies différentes. Un expert ne peut construire sa compétence sur une technologie spécifique (et donc répondre pleinement à sa mission) qu'à la condition de disposer de temps pour se consacrer à cette technologie. Fragmenter le temps de travail d'une personne sur des dossiers de technologie différentes ne lui permet pas de créer une expertise, donc nuit à sa mission et induit des lenteurs dans le traitement des dossiers.

Il est estimé que pour chacune des technologies spécifiques des start-up innovantes (ie. en dehors des REP), l'IRSN doit disposer de 3 à 5 personnes dédiées à temps plein ; c'est- à-dire ne couvrant pas d'autres technologies. Dans le contexte actuel, cela conduit à un besoin immédiat de 12 à 20 personnes supplémentaires pour trouver un rythme de travail garantissant le double objectif de réactivité et d'efficacité dans le traitement des dossiers des start-up.

2.2 Pour l'ASN :

Pour les mêmes raisons, il est estimé 3 personnes sur chacune des technologies/dossier, soit environ 12 personnes.

2.3 Produire une échelle proportionnant les efforts déployés pour traiter un dossier à son « enjeu radiologique » comme cela est déjà indiqué dans la loi (cf. par exemple dans l'arrêté INB) :

Dans les faits, les dossiers sont très souvent instruits avec le même niveau d'exigences et les mêmes moyens humains, financiers et temporels (à savoir : niveau maximum) quel que soit son enjeu radiologique. Et ceci alors que l'ASN, l'IRSN et les exploitants disposent de moyens limités. Cette situation de non-discernement entraine :

1- Un gaspillage de moyens (humains, financiers) ;

2- Un retard considérable dans les traitements (dans un contexte où l'on cherche au contraire la réactivité dans le traitement des dossiers pour des questions de dynamisme économique, d'innovation et de compétitivité internationale) ;

3- Et a, certainement, des conséquences délétères sur les relations avec une sûreté nucléaire ne faisant pas de distinction sur les enjeux radiologiques des dossiers alors que les exploitants, les politiques et la société civile s'attendraient, à l'inverse, à ce que la sûreté nucléaire soit précisément porteuse, et garante, de cette distinction qui est par ailleurs explicite dans la loi.

Il est proposé de mettre en place une échelle de correspondance entre « l'enjeu radiologique » d'un dossier, et les moyens et le temps de traitement du dit dossier.

À la condition que l'ASN et l'IRSN disposent les moyens humains et expertises adéquates (cf. § 2.1 et 2.2), une telle échelle de correspondance permettrait un gain de temps important puisque les dossiers sans enjeu radiologique réel ne seraient plus traités à l'identique des dossiers comportant un enjeu radiologique grave comme c'est hélas le cas aujourd'hui.

L'ASN pourrait proposer à l'un de ses groupes de travail (composés d'exploitants, d'experts, de personnes de la société civile, etc.) de produire une telle échelle de correspondance.

3- Autres leviers à actionner en parallèle pour accompagner l'innovation nucléaire :

3.1 Digitalisation des processus :

Un effort tout à fait consensuel peut être entrepris pour mettre en oeuvre une transformation digitale ambitieuse de l'ensemble des procédures et processus inhérents aux missions des 2 organismes.

La mise en oeuvre conjointe et coordonnée de cette ambition pourrait produire des effets bien plus mesurables et efficients qu'une fusion ASN - IRSN.

3.2 Internationalisation de la démarche :

Le marché des SMR que nous voyons se dessiner est un marché éminemment international. Si nous construisons des usines de production de SMR, celles-ci vendront le même produit dans plusieurs pays. Il est donc indispensable d'avoir une harmonisation des approches des autorités de tous pays à même d'accueillir des SMR. Par ailleurs, le marché des SMR se situe aussi dans des pays non nucléarisés, et donc sans autorité compétente, qu'il va falloir accompagner par une offre de service, comme nous avons pu le voir en Afrique du Sud notamment.

Pour ces deux points, nous préconisons de poser des cadres formels pour que les autorités françaises collaborent à l'internationale sur cette question

VI. CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 16 FÉVRIER 2023 SUR LA RÉFORME DE L'ORGANISATION DU CONTRÔLE ET DE LA RECHERCHE EN SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET EN RADIOPROTECTION

Le 16 février 2023, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a organisé une audition publique sur « la réforme de l'organisation du contrôle et de la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection ». Le 28 février 2023, il a adopté les conclusions élaborées par MM. Pierre Henriet, député, président, et Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président, et a autorisé la publication du rapport correspondant. Ces conclusions sont reproduites ci-dessous.

Le 8 février dernier, le ministère de la Transition énergétique a publié un communiqué annonçant une « évolution de l'organisation du contrôle et de la recherche en radioprotection et sûreté nucléaire ». Ce communiqué indique que « les compétences techniques de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) seront réunies avec celles de l'ASN, en étant vigilant à prendre en compte les synergies, avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense (DSND) ».

Pour clarifier les enjeux de la réorganisation annoncée, expliciter les conditions de sa bonne mise en oeuvre et éclairer les conséquences possibles, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a décidé d'organiser dans les plus brefs délais une audition publique pour réunir les principales parties prenantes à cette réorganisation, en particulier l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), représentée par son président M. Bernard Doroszczuk et son directeur général M. Olivier Gupta, l'IRSN, représenté par son directeur général M. Jean-Christophe Niel et sa directrice générale adjointe chargée du Pôle sûreté nucléaire Mme Karine Herviou, le CEA, représenté par son administrateur général M. François Jacq, le groupe EDF, représenté par son directeur recherche et développement et directeur technique groupe M. Bernard Salha, enfin le groupe Orano, représenté par sa directrice sûreté, santé, sécurité et environnement, Mme Laurence Gazagnes.

L'Office a également tenu à entendre des représentants de deux acteurs institutionnels ayant pour mission d'oeuvrer pour la transparence et la participation de la société civile : M. Claude Birraux, ancien député et président de l'Office, membre du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), ainsi que MM. Jean-Claude Delalonde, président, et Yves Lheureux, directeur de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI).

Enfin, l'Office a jugé nécessaire d'apporter au débat l'éclairage des sciences humaines et sociales, en sollicitant M. Michaël Mangeon, historien du nucléaire et chercheur associé au laboratoire Environnement Ville et Société (EVS) de l'Université de Lyon.

A. Continuité et opportunités

Lors de l'audition du 16 février, plusieurs intervenants ont identifié diverses opportunités liées à la réforme de l'organisation du contrôle et de la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection annoncée par le Gouvernement.

En ouverture de l'audition, M. Bernard Doroszczuk a souligné que les évolutions structurantes du système de contrôle de la sûreté et de la radioprotection ont accompagné les décisions majeures prises par les pouvoirs publics sur le développement de la filière nucléaire. Il a placé la réforme envisagée dans cette perspective.

M. Doroszczuk a contesté l'idée que la réforme affaiblirait l'indispensable séparation entre décision et expertise. Il a en effet noté, d'une part, que le dispositif actuel d'expertise est pluriel, car l'ASN dispose déjà d'une expertise interne pour les équipements sous pression nucléaires ainsi que de groupes permanents d'experts sollicités sur les sujets les plus sensibles pour émettre un avis avant la prise de décision, et d'autre part, que la décision est le seul fait du collège de l'ASN, organe totalement séparé des services impliqués dans le processus d'expertise.

Pour le président de l'ASN, la réforme n'aura pas de conséquences négatives sur la transparence en matière de sûreté nucléaire. En effet, l'ASN et l'IRSN ont toujours travaillé en contact étroit avec le réseau des CLI, l'ANCCLI, le HCTISN ainsi que les associations environnementales. La communication avec le public et les échanges techniques seraient en tout état de cause préservés, voire renforcés.

Interrogé sur les avantages de l'organisation envisagée par rapport à la situation actuelle, le président de l'ASN a mis en avant la meilleure réactivité en situation de crise que permettrait le rapprochement de la décision et de l'expertise au sein d'une même instance.

M. François Jacq a rappelé que la sûreté « vient de la connaissance acquise, des éléments de recherche qui permettent de fonder les évaluations » et que la recherche en sûreté ne peut exister sans l'apport de la recherche en physique, chimie, etc. réalisée dans les universités, au CEA et au CNRS. En conséquence, le CEA souhaite contribuer à l'amélioration du système de contrôle de la sûreté, en assumant, dans une dynamique internationale, la mission de recherche qu'il porte en tant qu'établissement public.

Après avoir relevé, comme M. François Jacq, qu'il ne revenait pas aux organismes assujettis au contrôle de se prononcer sur son évolution, M. Bernard Salha a indiqué qu'EDF souhaite que le dialogue technique puisse se poursuivre avec une autorité de contrôle disposant de moyens d'expertise propres et exerçant le rôle de maître d'ouvrage des recherches à mener pour son compte en matière de sûreté nucléaire, celles-ci étant préférentiellement réalisées par le CEA, qui devra veiller à les séparer des activités de recherche et développement conduites pour le compte des exploitants. Il a par ailleurs souhaité qu'une nouvelle organisation permette de faire face aux nombreux travaux en cours ou à venir sur le parc électronucléaire et intègre plus aisément les innovations, notamment en matière de règles et techniques de contrôle avancées.

Mme Laurence Gazagnes a rappelé le principe fondamental de la responsabilité de l'exploitant en termes de sûreté et de radioprotection. Celui-ci doit donc être en ordre de marche pour assumer cette responsabilité, quel que soit le schéma retenu pour l'organisation du dispositif de contrôle mis en place par les pouvoirs publics.

B. Interrogations et inquiétudes

Plusieurs intervenants ont formulé des points de vigilance qu'appellerait la mise en oeuvre du projet de réforme, ou exprimé les interrogations, voire les inquiétudes, que celui-ci suscite à leurs yeux.

M. Jean-Christophe Niel a indiqué que l'appui technique à l'autorité de sûreté nucléaire ne représente que 25 % de l'activité de l'IRSN. Celui-ci met aussi ses compétences au service de nombreuses autorités et opérateurs, et la réforme devrait donc veiller à garantir la continuité du service qui leur est rendu.

M. Niel a insisté sur l'absolue nécessité de maintenir une séparation claire entre expertise et décision dans la nouvelle organisation et a souligné qu'une telle séparation est mise en oeuvre au sein de l'autorité de sûreté américaine. Il a jugé tout aussi indispensable de conserver le principe de la publication des avis techniques actuellement inscrit dans la loi.

Le directeur général de l'IRSN a aussi souligné la complexité d'une séparation des activités d'expertise et de recherche, parfois assumées par les mêmes personnes, et la nécessité de veiller à ce que les crédits consacrés à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection continuent d'être pilotés en soutien de l'expertise.

Enfin, il a fait part des inquiétudes des salariés de l'Institut et a exprimé sa crainte que, dans un marché de l'emploi tendu, la réforme fasse peser sur le dispositif public de contrôle de la sûreté nucléaire le risque d'une perte de compétences.

S'appuyant sur l'histoire du nucléaire français, Michaël Mangeon s'est interrogé sur plusieurs autres risques susceptibles de découler du projet de réforme : il est délicat de scinder recherche et expertise, car l'acquisition de connaissances dans un cadre propre à l'expert est facteur de sûreté ; la séparation entre expertise et décision ne doit pas être remise en cause, il s'agit d'une « bonne pratique internationalement reconnue » qui est elle aussi gage de sûreté ; engager la filière dans un nouveau programme nucléaire alors que le système de contrôle vit une transition majeure peut placer les acteurs, exploitants comme autorité de sûreté, dans un cadre incertain ; s'il est insuffisamment justifié, le projet de réforme risque d'affaiblir la légitimité du système de sûreté auprès des citoyens.

L'ancien président de l'Office Claude Birraux a estimé que l'organisation prévue traduit « une méconnaissance grave de l'organisation de la sûreté », qui « se nourrit de la confrontation entre l'expertise, la recherche et l'autorité de sûreté nucléaire ». Le système actuel « fonctionne bien, avec fluidité », en changer serait un retour en arrière de 30 ans. M. Birraux a appelé à ne pas rompre brutalement la confiance qui, au fil du temps, s'est nouée sur l'organisation actuelle.

M. Jean-Claude Delalonde s'est interrogé sur le risque de « fermeture de l'accès aux informations pour la société civile » qui résulterait d'un transfert de la recherche en sûreté nucléaire au CEA. Comme Claude Birraux, il a considéré que « l'ouverture de l'IRSN à la société civile est un axe majeur pour renforcer la cohésion des acteurs et co-construire les décisions ». Il a également indiqué que « l'ANCCLI craint la fragilisation du socle d'une sûreté nucléaire de qualité, indépendante et robuste, qui est notre bien commun. » Il a posé ce que devrait être aux yeux de l'ANCCLI, la méthode à suivre pour une éventuelle réforme : « si une évolution doit se faire, elle doit se faire sereinement, en posant les arguments positifs et négatifs, et en examinant toutes les conséquences d'un changement, et ceci sous le contrôle du Parlement ».

Les questions posées dans la suite de l'audition ont montré que ces interrogations et inquiétudes exprimées par les intervenants étaient largement partagées par les parlementaires présents, membres ou non de l'Office, et par la quasi-totalité des internautes s'étant exprimés sur la plateforme informatique ouverte à cet effet, ce qui n'est pas habituel.

C. Conclusion et recommandations

La réforme annoncée de la gouvernance du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection se donne des objectifs ambitieux, dont fait état le communiqué de presse du ministère de la Transition énergétique du 8 février dernier.

Elle suppose des ajustements législatifs que le Gouvernement a proposés par amendement au projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, en instance à l'Assemblée nationale. En ayant permis aux parties prenantes de s'exprimer publiquement, l'Office a assumé sa mission d'information du Parlement sur les conséquences des choix en matière scientifique et technologique. Peut-être même a-t-il contribué, ce faisant, à faire émerger plus clairement les trois grands principes qui doivent désormais guider la poursuite du projet.

À la lumière de l'audition publique du 16 février 2023, l'Office formule les recommandations suivantes :

1. l'Office insiste sur les trois grands principes que sont le maintien des compétences dans la structure unifiée proposée, la séparation entre les « rôles exécutifs » du contrôle et de l'expertise et les rôles de décision et de pilotage stratégique, et les garanties sur l'information, la transparence et le dialogue technique avec la société ; il considère que ces principes répondent de façon appropriée à diverses interrogations et inquiétudes exprimées lors de l'audition publique ; il estime que la réforme ne peut pas faire l'économie de la plus grande transparence quant aux forces et aux faiblesses du système de contrôle actuel ; faute d'un diagnostic préalable complet, rigoureux et rapidement rendu public, le risque est de faire apparaître ce projet, au mieux comme un simple « meccano administratif », au pire comme un moyen de ne pas faire obstacle aux objectifs fixés à la filière pour le renouveau du programme électronucléaire national ;

2. l'Office souhaite que les ajustements juridiques nécessaires à la mise en oeuvre du projet de réforme se conforment rigoureusement aux trois principes précités, notamment pour garantir l'autonomie de l'expertise par rapport à la décision ; il propose qu'un contrôle du Parlement, en particulier de l'Office, soit effectif lors de la mise en place de la réforme ;

3. l'Office estime que, puisque le projet de réforme vise à mettre en place un système de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection intégrant l'expertise, celui-ci doit être organisé en tirant tous les enseignements possibles des systèmes « intégrés » étrangers et en retenant les « meilleures pratiques » disponibles ;

4. l'Office attire l'attention sur la nécessité de ne pas dégrader le fonctionnement du système de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pendant la phase de transition entre le dispositif actuel et le dispositif annoncé ; il estime que le maintien « en bloc » des compétences en matière de recherche et d'expertise au sein de l'autorité de sûreté dans sa possible future configuration est susceptible de contribuer à cet objectif ;

5. l'Office considère que l'intégration dans l'ASN des compétences d'expertise présentes au sein de l'IRSN ne doit pas conduire à créer au profit de l'autorité de sûreté un monopole de l'expertise nucléaire ; les pouvoirs publics et l'Autorité de sûreté, dans le respect du principe d'indépendance applicable à cette dernière, doivent ainsi veiller à développer dans d'autres organismes - y compris non institutionnels - les compétences nécessaires au fonctionnement d'un système de contrôle ouvert et transparent ;

6. L'Office estime indispensable qu'une telle réforme s'inscrive dans une vision plus large et permette d'anticiper les évolutions futures, notamment celle d'un monde où les acteurs de la filière nucléaire deviendraient plus nombreux et diversifiés qu'aujourd'hui et celle d'un accroissement de la complexité du contrôle qui nécessiterait une parfaite coordination s'appuyant sur les capacités de la recherche.


* 1 Pierre Henriet, député, et Gérard Longuet, sénateur, Rapport sur la réforme du contrôle et de la recherche en sûreté nucléaire et radioprotection, Compte rendu de l'audition publique du 16 février 2023 et de la présentation des conclusions du 28 février 2023, Assemblée nationale n° 904 (16e législature) - Sénat n° 374 (2022-2023).

* 2 Loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

* 3 M. Mangeon, Conception et évolution du régime français de régulation de la sûreté nucléaire (1945-2017) à la lumière de ses instruments : une approche par le travail de régulation. Gestion et management. Université Paris sciences et lettres, 2018.

* 4 Loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz.

* 5 F. Cogné, (1984). « Évolution de la sûreté nucléaire », Revue Générale Nucléaire, n° 1, 1984.

* 6 Loi n° 2001-398 du 9 mai 2001 créant une Agence française de sécurité sanitaire environnementale

* 7 « Jacques Chirac plaide pour un développement du nucléaire dans l'ère de "l'après-pétrole" », 5 janvier 2006, Le Monde.

* 8 Le principe de responsabilité de l'exploitant, « défini à l'article 9 de la Convention sur la sûreté nucléaire, est le premier des principes fondamentaux de sûreté de l'AIEA. Il prévoit que la responsabilité en matière de sûreté des activités nucléaires à risques incombe à ceux qui les entreprennent ou les exercent » (cité dans Les principes et les acteurs du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ASN, 2015).

* 9 Ces critères sont définis dans le Guide relatif aux modalités de déclaration des événements significatifs dans les domaines des installations nucléaires consultable sur le site de l'ASN.

* 10 Thomas Gassilloud, député, et Stéphane Piednoir, sénateur, Rapport sur l'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération « Astrid », Assemblée nationale n° 4331 (15e législature) - Sénat n° 758 (2020-2021).

* 11 Dans son sixième rapport, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) indique que les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine sont d'ores et déjà la cause d'une hausse de la fréquence ou de l'intensité de certains évènements climatiques extrêmes, une évolution qui devrait se poursuivre et s'amplifier. En particulier, les vagues de chaleur devraient devenir plus fréquentes, plus longues ou plus sévères.

* 12 L'énergie nucléaire a fourni 25 % de la production totale d'électricité dans l'Union européenne en 2021, devant l'éolien (13,7 %), l'hydraulique (13,3 %) et le solaire (5,8 %), d'après Electricity production, consumption and market overview, février 2023, EUROSTAT.

* 13 Climate Change:Assessment of the Vulnerability of Nuclear Power Plants and Approaches for their Adaptation, 2021, Agence de l'énergie nucléaire (AEN), OCDE, p. 108.

* 14 K. Linnerud et G.S Eskeland., « The Impact of Climate Change on Nuclear Power Supply », Energy Journal, décembre 2021.

* 15 Déclaration commune des trois autorités de sûreté britannique, finlandaise et française sur la conception du système de contrôle-commande du réacteur EPR, 2 novembre 2009

* 16 Rappelant en cela la tradition de la médecine classique en chine ou le patient paye son médecin quand il est en bonne santé, et ne le paye plus quand il est malade, preuve que le travail de prévention n'a pas été correctement fait

* 17 La situation actuelle fait que toute tentative de l'ASN d'aller chercher des compétences en dehors de l'IRSN est perçue comme une façon de la contourner, ce qui a pour double effet de se priver des compétences externes, mais aussi de laisser l'IRSN dans une situation de monopole de fait qui n'est en aucune façon propice à l'amélioration des compétences

* 18 Ce qui exclut les « experts autoproclamés » qui n'ont de compétence que leur audience auprès des médias

* 19 « Le séisme, la centrale et la règle : instaurer et maintenir la robustesse des installations nucléaires en France » soutenue en 2020 sous la direction de Soraya Boudia.

* 20 « Les experts de la sûreté nucléaire : une histoire en actes de la robustesse des centrales électronucléaires » Presse de l'IRSN, à paraître

* 21 Voir notamment Foasso, C. (2003). « Histoire de la sûreté de l'énergie nucléaire civile en France (1945-2000) : technique d'ingénieur, processus d'expertise, question de société » et Mangeon, M. (2018). « Conception et évolution du régime français de régulation de la sûreté nucléaire (1945-2017) à la lumière de ses instruments : une approche par le travail de régulation ».

* 22 De 4 personnes impliquées dans la gestion du risque sismique, on passe progressivement à 10 puis à une trentaine.

* 23 Rausch, J.-M., & Pouille, R. (1987). « Conséquences de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl et organisation de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires ».

* 24 Demortain, D. (2006). « Mettre les risques sous surveillance. L'outillage de la sécurité sanitaire des médicaments et des aliments en Europe ».

* 25 À noter que les phénomènes de bureaucratisation ne sont pas propres au nucléaire et touchent de nombreux domaines, en particulier ceux liés à la gestion des risques (voir notamment : Benamouzig, D. (2008). « Les agences sanitaires : entre réformes et technocratie » et Borraz, O. (2008). « Les politiques du risque ».

* 26 Rolina, G. (2009). « Sûreté nucléaire et facteurs humains. La fabrique française de l'expertise ».

* 27 Walker, J. S. and T. R. Wellock (2010). A Short History of Nuclear Regulation, 1946-2009. NUREG, USNRC.

* 28 Loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire ; arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux INB ; Arrêté du 30 décembre 2015 relatif aux équipements sous pression nucléaires

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