III. LE SURINAME : UN DÉVELOPPEMENT ATTENDU, UN PAYS EN PROIE À D'IMPORTANTES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
Rencontre avec Mme Krishna Mathoera, ministre de la défense du Suriname, le colonel Werner Kioe A Sen, chef d'état-major des armées, et M. Sherif Abdoelrhamanla, secrétaire général du ministère des affaires étrangères
A. UN PAYS CONFRONTÉ À D'IMPORTANTES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DONT LE DÉVELOPPEMENT EST LARGEMENT CONDITIONNÉ À L'AMPLEUR DE SES RÉSERVES PÉTROLIÈRES ET À LEUR MISE EN EXPLOITATION
Ancienne colonie néerlandaise et seul pays néerlandophone d'Amérique du Sud, le Suriname a accédé à l'indépendance en 1975.
La France partage avec ce pays d'environ 600 000 habitants - ce qui en fait le pays le moins peuplé d'Amérique du Sud - une frontière de 520km.
L'économie du Suriname
L'économie du Suriname est essentiellement portée par le secteur primaire et les abondantes ressources naturelles du pays.
Elle repose sur la production d'or, de bauxite et de pétrole. L'exploitation minière englobe près de la moitié des revenus du secteur public. L'or tient pour 80 % des exportations totales du pays. Le secteur agricole (riz, canne à sucre, banane et bois) représente une faible part du PIB mais emploie près d'un quart de la population.
Est à noter également la prépondérance des importations dans l'économie surinamaise (80 % à 90 % des denrées alimentaires et biens de consommation sont notamment importés).
Concernant le secteur du tourisme, le nombre de visiteurs augmente ces dernières années. Le gouvernement revendique cette volonté d'ouverture du pays au monde extérieur notamment avec la mise en place depuis juillet 2022 d'un simple droit d'entrée à la frontière (25 €), dispensant d'un visa pour la majorité des pays étrangers.
L'évolution du marché des matières premières et l'arrêt de la production d'aluminium ont entraîné une dégradation brutale du solde budgétaire en 2017 et 2018.
Le 21 septembre 2020, le nouveau Gouvernement a réconcilié le taux de change officiel et celui du marché noir, dévaluant le dollar surinamais et entraînant une inflation de 50 % pour l'année 2020 (cette inflation est évaluée à 52,5 % en 2022).
Environ une personne sur quatre au Suriname (26 % de la population) vit avec moins de 5,50 dollars américains par jour. Le taux de pauvreté est beaucoup plus élevé dans les régions de l'intérieur où plus de la moitié de la population vit dans la précarité.
Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères
Depuis 2020, le Suriname fait face à une grave crise économique qui l'a contraint à faire défaut sur sa dette extérieure, laquelle s'élevait à près de 150 % du PIB fin 2020. Placé sous l'intervention du FMI avec un programme d'aide de 690 millions de dollars, le Suriname a obtenu l'aide du Club de Paris et le soutien de la France, avec laquelle un accord de restructuration d'une partie de sa dette a été signé en octobre 2022.
Cette crise économique est aggravée par une inflation très élevée, qui atteignait 50 % en 2022, laquelle, conjuguée à une dévaluation continue du dollar surinamais, se traduit par une érosion importante du pouvoir d'achat des ménages.
Après deux années de récession (- 15,9 % en 2020 et - 3,5 % en 2021), l'économie du Suriname semble renouer avec la croissance en 2022 (+ 1,3 %), son PIB atteignant 3 milliards de dollars (soit le plus faible montant du continent, tendance qui pourrait se confirmer en 2023 (avec une prévision de croissance s'établissant à + 2,3 %)46(*).
Pour faire face à cette situation, le Gouvernement a adopté plusieurs réformes fortement contestées par l'opinion : augmentation du prix de l'électricité et des carburants, gel des salaires des fonctionnaires, ou encore mise en place d'une TVA de 10 % depuis le 1er janvier 2023.
Une manifestation contre la vie chère a ainsi eu lieu le 17 février 2023, en marge de laquelle des actes de violence ont été commis contre le siège de la présidence et le bâtiment de l'Assemblée nationale.
En réponse à cette montée de la contestation, les autorités surinamaises ont décidé le versement d'une allocation de 1 800 dollars surinamais aux 60 000 foyers les plus défavorisés.
À ces difficultés sociales s'ajoutent en outre des tensions politiques. Le Président Chandrikapersad Santokhi, dit Chan Santokhi, élu en juillet 2020, dont le parti VHP (Vooruitsrtrevende Hervormings Partij - parti progressiste réformiste) ne dispose pas d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale, doit en effet gouverner avec l'ABOP (Algemene Bevrijdings en Ontwikkelingspartij - Parti de la libération générale et du développement) du vice-président Ronnie Brunswijk47(*), alors que le NPS (Nationale Partij Suriname - Parti national du Suriname) a quitté la coalition gouvernementale en février dernier. Malgré des rumeurs concernant une possible rupture de la coalition, les deux partis ont cependant annoncé maintenir leur collaboration jusqu'au terme de leur mandat qui doit intervenir en mai 2025. Par ailleurs, le NDP (Nationale Democratische Partij - Parti national démocratie) de l'ancien Président Désiré Delanoe Bouterse, dit Desi Bouterse, dont le procès pour des crimes politiques commis en décembre 1982 devrait s'achever en fin d'année 2023, est régulièrement dénoncé par ses adversaires pour contribuer à attiser les tensions.
L'existence de gisements pétroliers offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours d'estimation, pourrait, à moyen terme, apporter une réponse à la crise traversée par le Suriname.
Si les récentes déclarations du Président-directeur général de TotalEnergies48(*), Patrick Pouyanné, qui indiquait au début du mois de mai 2023 que « 2023 sera[it] une grande année pour le Suriname », ainsi que le renforcement de la présence du groupe français dans le pays49(*) invitent à un certain optimisme, la « décision finale d'investissement » n'est toujours pas prise, les données concernant le troisième et dernier puits d'appréciation n'étant pas encore connues.
* 46 https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Suriname.
* 47 Lequel a été condamné par contumace par les tribunaux français pour trafic de cocaïne.
* 48 Le groupe français dispose des droits d'exploration et d'opération du bloc 58 en partenariat avec le groupe américain Apache Corporation.
* 49 TotalEnergies a ainsi fait savoir par communiqué du 15 mai 2023 : « TotalEnergies et ses partenaires ont signé les contrats de partage de production des blocs 6 et 8 avec Staatsolie Maatschappij Suriname (Staatsolie), la compagnie nationale du Suriname. Les blocs 6 et 8 ont été attribués à TotalEnergies dans le cadre de l'appel d'offres offshore conventionnel 2020/2021. TotalEnergies sera opérateur des deux blocs avec une participation de 40 %, aux côtés de QatarEnergy (20 %) et Paradise Oil Company (POC) (40 %), filiale de Staatsoli ».