IV. UNE VOLONTÉ PARTAGÉE DE RELANCE DES RELATIONS BILATÉRALES QU'IL CONVIENT DÉSORMAIS DE CONCRÉTISER

A. LE BRÉSIL, PARTENAIRE MAJEUR DE LA FRANCE EN AMÉRIQUE LATINE

L'amitié entre la France et le Brésil est profonde et ancienne. Dans un discours d'octobre 1985, François Mitterrand35(*) résumait ainsi cette relation : « en me rendant chez vous, je me demandais : à quoi donc est due, et de quoi est faite cette sorte de connivence entre Brésiliens et Français ? La réponse me paraissait tenir en deux mots et vous venez de les confirmer dans votre toast il y a un instant : langue et culture. Cinq siècles de relations et en tous cas plus de 200 ans d'amitié : voilà qui résume, me semble-t-il, l'histoire de nos pays. Vous avez vous-même, monsieur le président, rappelé l'attirance exercée sur votre pays par les écoles littéraires, artistiques, philosophiques de la France. Vous avez cité plusieurs noms fameux : Benjamin Constant, Auguste Comte, dont la devise figure sur votre drapeau, mais j'ajouterai quand même aussi quelque chose. Sait-on que l'Empereur Don Pedro II s'entretenait avec Hugo de l'esclavage, avec Renan des langues sémitiques, avec Pasteur de l'extinction de la fièvre jaune ? Etrange et forte histoire que celle qui relie l'homme et la terre. La terre, un paysage, un cours d'eau, une ville inspirent le poète ou bien le romancier. Et voilà que ce qu'écrit ou chante le romancier, ou le poète, devient un autre paysage, un autre fleuve, une autre ville pour ceux qui gagnent, pour ceux qui suivent, et ce dialogue recommence sans cesse : l'homme et la terre. Voilà pourquoi l'homme du Brésil et la terre du Brésil exercent aussi sur nous la même attirance. Les preuves de cette attirance sont multiples tout le long de ces derniers siècles. Vous avez cité Montaigne. On peut aller jusqu'à le Corbusier, jusqu'à Louis Jouvet, à Sainte-Beuve, notant l'influence de la littérature du Minas Gerais sur le romantisme français, Blaise Cendrars qui vous appartient à vous et à nous exaltant la magie du Sertao ; Claudel écrivant à Rio la “ Messe de là-bas ” et glissant dans le “ Soulier de satin ” une touche de Macumba ; Duhamel prônant le métissage des civilisations, Manet ravivant sa palette après un bref voyage ; Darius Milhaud nous donnant les “ Saudades du Brésil ”, Anatole France devenant la première personnalité étrangère membre de l'Académie brésilienne des lettres ; Bernanos, encore un fois, qui avait fait du Brésil et de Barbacena sa seconde patrie. Devais-je parler de Santos Dumont dont on ne sait s'il fut le plus français des Brésiliens ou le plus brésilien des Français ! Enfin, ne sont ce pas également des professeurs français dont le plus éminent peut-être a bien voulu m'accompagner ici Claude Lévi-Strauss, qui ont contribué, dès 1934, à faire de l'Université de Saint-Paul ce qu'elle est aujourd'hui ».

Concrétisant ce lien historique, culturel et diplomatique entre nos deux pays, un ambitieux partenariat stratégique a été lancé en mai 2006 par les Présidents Lula et Chirac.

Le partenariat stratégique lancé 2006

Lancé en 2006 par les Présidents Jacques Chirac et Luiz Inácio Lula da Silva, le partenariat stratégique reconnaît le Brésil comme un acteur global et un candidat légitime à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Il engage un partage de savoir-faire et d'expertise par des initiatives conjointes, s'appuyant sur la mise en commun de ressources matérielles, technologiques, humaines ou naturelles. Il touche tous les domaines : militaire, spatial, énergétique, économique, éducatif, transfrontalier, aide au développement en pays tiers, coopération transfrontalière entre la Guyane française et l'État de l'Amapá.

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

La France et le Brésil ont ainsi développé d'importantes coopérations dans des domaines variés.

En matière scientifique, le Brésil est ainsi le principal partenaire de la France en Amérique latine. Cette coopération se concentre sur la recherche et l'innovation technologique, et la France et est soutenue par des programmes de formation d'excellence entre universités et des partenariats de haut niveau entre les organismes de recherche des deux pays. Les domaines de collaboration incluent les mathématiques fondamentales et appliquées, les changements climatiques, ainsi que les sciences sociales et humaines. Des programmes de technologies innovantes, tels que le programme CAPES-COFECUB, ont connu un développement significatif. Ce partenariat scientifique a permis de former près de 2 000 docteurs brésiliens depuis son lancement en 1978.

La France est en outre le principal partenaire européen du Brésil dans le domaine universitaire. Dès les années 1930, des intellectuels éminents tels que Fernand Braudel ou Claude Lévi-Strauss ont contribué à établir des liens entre les deux pays en participant à la fondation de l'Université de São Paulo, qui est aujourd'hui la première université d'Amérique latine. Plus de 750 accords lient par ailleurs des universités françaises à des universités brésiliennes et la France est la 3e destination des étudiants boursiers brésiliens après les États-Unis et le Portugal.

La promotion de la langue française et des échanges culturels occupe une place importante dans la coopération franco-brésilienne. Trois lycées français situés à São Paulo, Rio de Janeiro et Brasilia accueillent plus de 2 500 élèves. Les Alliances françaises présentes au Brésil forment en outre le réseau le plus ancien et le plus dense du monde.

Enfin, le traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle signé le 22 janvier 2019 prévoit l'implantation d'un institut culturel franco-allemand à Rio de Janeiro. Cet institut doit s'installer dans les locaux de la Casa Europa, qui abrite les services consulaires français, allemands et finlandais.

La vente de ce bâtiment emblématique semble pourtant avoir été envisagée par l'État. À cet égard, la réponse du ministère à notre collègue Ronan Le Gleut qui l'interrogeait sur ce sujet ne laisse pas d'inquiéter : » néanmoins, nos réflexions doivent également intégrer les réalités locales : plusieurs occupants de la “ Maison de France ” ont d'ores et déjà quitté cet immeuble de 13 étages, et le quartier du Centro a perdu en attractivité au cours des dernières années »36(*).

Si aucune décision formelle n'a été prise à ce stade, la mission considère que la vente de cet immeuble constituerait une grave erreur qui témoignerait d'un recul de l'influence française dans ce pays. Elle appelle par conséquent le ministère à maintenir son implantation dans la Casa Europa et à développer des partenariats, notamment avec des entreprises françaises implantées au Brésil, pour contribuer au financement des travaux nécessaires à sa rénovation.

Recommandation : maintenir la présence française dans la Casa Europa à Rio de Janeiro et développer des partenariats avec des entreprises françaises pour contribuer au financement des travaux nécessaires à sa rénovation.

Au niveau économique, le Brésil est également un partenaire majeur de la France au sein de la sphère émergente.

D'après la Banque de France37(*), le stock d'investissement direct (IDE) français au Brésil atteignait ainsi 28,3 milliards d'euros en 2021, ce qui en fait la 12e destination des IDE français dans le monde (1,7 % du total du stock) et la 1ère en Amérique latine (65,6 % du total français dans la région). Ce stock se concentre essentiellement dans les secteurs des services (38,8 %), de l'industrie manufacturière (20,2 %), de l'industrie extractive (19,1 %) et de l'électricité (18,2 %).

En termes de flux, avec 734 millions d'euros en 2021, le Brésil représente la 10e destination des IDE français et le 1er grand pays émergent.

Le nombre d'implantations françaises dans le pays38(*) s'élevait à 1 113 en 2020. La quasi-totalité des sociétés du CAC 40 (39 sur 4039(*)) dispose au moins d'une filiale au Brésil.

Les multinationales françaises employaient 475 000 personnes au Brésil en 2020, positionnant le Brésil comme la 2e plus grande présence française en termes d'effectifs salariés après les États-Unis. Le Brésil représente le 9e plus important chiffre d'affaires des multinationales françaises à l'étranger (50,7 milliards d'euros, 3,2 % du total).

Plusieurs de ces entreprises occupent des positions clé sur le marché brésilien. À titre d'exemple, Carrefour est le 1er acteur de la grande distribution au Brésil, pays qui représente son 2e marché après la France (Casino et Carrefour réunis ont 25 % de parts de marché dans la grande distribution au Brésil).

Comme l'a constaté la mission lors de sa visite du salon LAAD à Rio de Janeiro, les entreprises du secteur de la défense ou duales sont bien implantées dans le pays. Ainsi que l'a rappelé, le commissaire en chef François Escarras, attaché de défense, à la différence de leurs concurrentes, les entreprises de défense françaises sont implantées au Brésil depuis 30 ans. Il s'agit d'un point auquel les autorités brésiliennes sont sensibles dans un contexte de volonté de réindustrialiser le pays.

Visite du pavillon France sur le salon de défense LAAD

Les relations franco-brésiliennes en matière d'investissements laissent cependant apparaître un important déséquilibre. Le stock d'IDE brésilien en France ne s'élevait ainsi qu'à 1,8 milliard de dollars, pour un total de 97 filiales implantées dans l'hexagone en 2020. D'autre part, les flux d'IDE sortants du Brésil vers la France ont diminué significativement, passant de 209 millions de dollars annuels entre 2010 et 2015 à 72 millions de dollars par an entre 2016 et 2021.

La mission estime qu'un certain rééquilibrage des flux d'investissements devrait être recherché pour les années à venir. À cet effet, il pourrait être utile de mettre en place un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France.

Recommandation : afin de rééquilibrer les flux d'investissement, mettre en place un accompagnement renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s'implanter en France.

Ce sujet, comme l'ensemble des aspects de la relation économique franco-brésilienne, pourrait être utilement abordé au sein d'une instance permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers, qu'il conviendrait de créer.

Recommandation : créer un conseil franco-brésilien permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets économiques et financiers.

En termes d'échanges commerciaux, en 2022, le volume des échanges entre la France et le Brésil s'est élevé à 8,4 milliards d'euros, soit une augmentation de 35% par rapport à l'année précédente. Les exportations françaises ont augmenté de 24% et les importations françaises de 48%. Le Brésil est ainsi devenu notre premier partenaire commercial dans la région et notre 29e partenaire mondial. Cependant, en raison de la hausse des cours des produits alimentaires et pétroliers, la France a enregistré un déficit commercial pour la première fois en 2022, s'élevant à -216 millions d'euros.

Commerce de biens

(en milliards d'euros)

 

Rang

2019

2020

2021

2022

Exportations françaises vers le Brésil

28e client

4,1

2,9

3,3

4,1

Importations françaises d'origine du Brésil

34e fournisseur

3,1

2,4

2,9

4,3

Solde commercial pour la France

 

1,1

0,5

0,4

-0,2

Source : direction générale du Trésor, réponse au questionnaire des rapporteurs

Les matériels de transport représentent le principal poste d'exportation français vers le Brésil, avec une part de 29% des ventes françaises. Après avoir subi les conséquences négatives de la pandémie en 2020 et 2021, ce secteur a retrouvé son dynamisme en 2022. La vente d'aéronefs a notamment été impactée, entraînant une perte annuelle d'environ 800 millions d'euros. Les autres postes d'exportation importants sont les produits chimiques, parfums et cosmétiques (26 %), les produits pharmaceutiques (11 %), et les machines industrielles, agricoles et diverses (9 %).

Les importations françaises en provenance du Brésil sont principalement constituées de matières premières telles que les produits agroalimentaires, le bois, les hydrocarbures et les minerais de fer.

S'agissant des « concurrents » de la France, comme le rappelle la direction générale du Trésor dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, il convient de distinguer les États-Unis, pour qui le Brésil constitue un marché de « proximité », de la Chine, premier partenaire commercial du Brésil, dont les parts de marché sont essentiellement dues à son offre à bas coût et à sa place dans les chaînes de valeur des matières premières. Les entreprises allemandes ont quant à elles privilégié l'exportation là où les entreprises françaises ont davantage opté pour une stratégie d'implantation, qui s'est traduite par un volume moins importants d'exportations (le stock d'IDE français au Brésil est ainsi 50 % supérieur au stock d'IDE allemand).


* 35 Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations culturelles franco-brésiliennes et l'aide au développement, à l'occasion du dîner offert par M. le Président de la République du Brésil et Mme Sarney, au Palais de l'Itamaraty à Brasilia, lundi 14 octobre 1985.

* 36 Question écrite n° 00439 - 16e législature.

* 37 Statistiques de la Banque de France : https://www.banque-france.fr/statistiques/balance-des-paiements-et-statistiques-bancaires-internationales/les-investissements-directs/investissements-directs-series-annuelles

* 38 Le dernier recensement de la BCB de 2020 indique pour sa part 861 entreprises.

* 39 Seul le groupe Vivendi n'a pas d'opération au Brésil.