B. ADAPTER LES MODALITÉS D'USAGE ET DE DISPENSATION AUX ENJEUX D'APPROVISIONNEMENT

La question des volumes de consommation et de l'encadrement des prescriptions est apparue centrale dans la réflexion du Gouvernement sur la régulation des produits de santé, comme l'a montré l'insistance des personnalités qualifiées de la « mission interministérielle sur les mécanismes de régulation et de financement des produits de santé », lors de leur audition, sur le levier de la « régulation par les volumes », et notamment sur la « maîtrise médicalisée » des dépenses de santé530(*). Magali Léo, membre de cette mission installée par la Première ministre le 25 janvier 2023, a ainsi évoqué « un vrai sujet [...] autour des volumes de médicaments consommés », de la « sobriété des prescriptions » et de la « culture du médicament dans notre pays »531(*), rappelant par exemple que 23 % des ordonnances étaient en France des « ordonnances de non-prescription »532(*), contre 70 % en Suède.

Parmi les cinq principaux marchés européens (France, Royaume-Uni, Espagne, Allemagne, Italie), la France est en effet le plus important consommateur de paracétamol et d'amoxicilline, qu'il s'agisse du marché global ou des dosages pédiatriques533(*). Et les rapports « Charges et produits » remis chaque année par l'assurance maladie permettent d'établir le niveau important de prescription de certains médicaments, dans notre pays, par rapport à la moyenne de l'OCDE534(*) - citons les antibiotiques, les corticoïdes ou les antiasthmatiques.

La France enregistre toutefois, depuis près de deux décennies, des progrès notables, après avoir longtemps été, en ce domaine, « leader » mondial.

Selon l'Académie nationale de pharmacie, la consommation de médicaments diminue en France - seul pays européen dont la consommation médicamenteuse a diminué depuis 2004 - d'environ 1 % par an depuis cette date, en dépit de l'augmentation et du vieillissement de la population535(*). Des rapports récents536(*) font état par exemple d'une diminution « régulière et modérée » de la consommation d'antibiotiques ces dernières années dans notre pays, celle-ci restant néanmoins supérieure à la consommation globale moyenne observée en Europe. Santé publique France évoque à ce propos des évolutions « encourageantes », indiquant que « la vigilance doit être maintenue et les efforts pour réduire les prescriptions d'antibiotiques inutiles ou appropriées poursuivis »537(*). La France reste toutefois le quatrième pays européen en matière de consommation d'antibiotiques, la moitié des antibiothérapies étant inutiles ou inappropriées, selon des chiffres repris dans le document de référence de la stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l'antibiorésistance538(*).

Concernant cette fois la consommation de médicaments hors prescription - car « la prescription et la consommation sont deux choses différentes »539(*) -, l'ANSM a par ailleurs lancé, au mois de juin 2023, une campagne de sensibilisation destinée au grand public pour promouvoir le bon usage des médicaments, articulant son argumentaire autour de quelques chiffres frappants relatifs à l'automédication540(*) : trois Français sur dix modifient par eux-mêmes la dose ou la durée des traitements qui leur ont été prescrits par un professionnel de santé ; un Français sur cinq prend des doses plus fortes que les doses prescrites ou prend plusieurs médicaments en même temps, sans l'avis d'un médecin, pour soulager plus vite ses symptômes ; près d'un Français sur deux « s'improvise » médecin en donnant un médicament à un proche ; un Français sur trois estime qu'il n'est pas risqué de prendre un médicament dont la date de péremption est dépassée ; deux Français sur trois gardent les médicaments non utilisés pour une prochaine fois541(*). Selon une étude réalisée en juin 2022 par l'institut Harris Interactive pour le laboratoire Pfizer, un tiers des Français déclarent avoir déjà utilisé des antibiotiques issus de leur armoire à pharmacie pour traiter sans prescription préalable une personne de leur entourage, et 62 % des 18-34 ans disent prendre des antibiotiques sans prescription !

1. L'outil du déconditionnement en question

Au chapitre de la « régulation par les volumes », un premier levier a été souvent mentionné au fil des auditions de la commission d'enquête, celui des pratiques de dispensation.

La problématique du déconditionnement a bel et bien connu un essor récent, mais dans un autre contexte que celui de la lutte contre les pénuries de médicaments, puisqu'il s'agissait de réaménager notre modèle de production et de consommation autour de la notion d'« économie circulaire » : c'est dans cette perspective qu'un effort a été entrepris par le Gouvernement542(*) pour promouvoir et encadrer, sur les plans législatif et réglementaire, la pratique de la dispensation à l'unité (DAU).

De surcroît, sur le plan sanitaire, ce type d'action a en premier lieu vocation à être utilisé comme moyen de lutte contre le mésusage des médicaments543(*) : il ne saurait être déployé comme outil de prévention des pénuries qu'à titre complémentaire et indirect.

Dispensation à l'unité, dispensation adaptée, préparation des doses à administrer : l'encadrement des pratiques de déconditionnement en officine

À la suite d'une expérimentation conduite entre 2014 et 2017544(*), et en dépit d'effets peu documentés en matière d'observance des traitements par les patients comme de lutte contre le gaspillage - l'expérimentation aurait permis, selon le ministère de la santé, de réduire de 10 % le nombre de comprimés dispensés -, la représentation nationale a rendu possible le principe d'une dispensation à l'unité de certains médicaments, et notamment des antibiotiques, à l'article 40 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) - disposition entrée en vigueur le 1er janvier 2022545(*).

Un décret du 31 janvier 2022 relatif à la délivrance à l'unité de certains médicaments en pharmacie d'officine définit les modalités particulières de conditionnement, d'étiquetage, d'information du patient et de traçabilité des médicaments ainsi dispensés à l'unité afin de rendre compatible ce dispositif avec la réglementation européenne dite de « sérialisation » en vigueur depuis le 9 février 2019546(*). Un arrêté du 1er mars 2022 finalise l'encadrement de cette nouvelle pratique en précisant la liste des spécialités pouvant être soumises à une dispensation à l'unité à l'officine ; celle-ci se limite à la classe pharmaco-thérapeutique des antibactériens à usage systémique et, parmi ces médicaments, se cantonne à ceux qui sont conditionnés sous blister ou en sachet-dose.

Précisons que la possibilité d'une « dispensation adaptée aux besoins thérapeutiques du patient » était déjà prévue par l'avenant à la convention nationale des pharmaciens titulaires conclu le 12 février 2020 entre l'Union des syndicats de pharmacie d'officine et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie : elle se définit comme « une dispensation efficiente renforçant le bon usage, l'observance, la lutte contre le gaspillage et la diminution du risque iatrogénique ». Elle « concerne uniquement les traitements dont la posologie est à ajuster en fonction des symptômes perçus par le patient pendant la durée de la prescription » et peut « être soumise à sa libre appréciation dans le respect de l'objectif thérapeutique ». Un nombre de boîtes inférieur au nombre nécessaire à la totalité du traitement est alors délivré, et ce dispositif s'assortit de la mise en place d'une rémunération spécifique, dite « ROSP dispensation adaptée ».

Quant à la « préparation des doses à administrer » (PDA), troisième notion, le code de la santé publique se cantonne, à l'article R. 4235-48, à la mentionner comme l'une des modalités de l'acte de dispensation du médicament par le pharmacien547(*). Elle consiste à préparer pour un patient le nombre d'unités d'un ou plusieurs médicaments prescrits et à les regrouper dans une même entité par séquence d'administration en vue de leur utilisation par ce patient. En France, cette pratique reste peu développée548(*).

Source : Commission d'enquête

Parmi les recommandations émises par les pouvoirs publics à l'hiver dernier pour tenter d'atténuer l'impact des pénuries d'amoxicilline, celle faite aux pharmaciens de privilégier la dispensation à l'unité pour les formes sèches a tenu une bonne place, aux côtés du contingentement à 50 %, de l'interdiction de la vente directe, de la systématisation des Trod (tests rapides d'orientation diagnostique) angine ou de la recommandation d'une adaptation posologique des formes adultes aux besoins pédiatriques : alors que les tensions d'approvisionnement concernant l'amoxicilline, prescrite seule ou en association avec l'acide clavulanique, prenaient de l'ampleur, l'ANSM, la DGS et le ministre de la santé et de la prévention ont régulièrement communiqué sur la question, à partir du 18 novembre 2022, s'agissant d'une pratique encore extrêmement marginale549(*).

Pour ce qui est de son rôle éventuel dans la lutte contre les tensions d'approvisionnement, la réponse de l'Académie nationale de pharmacie ne souffre pourtant aucune ambiguïté : « La dispensation à l'unité n'est en aucun cas un outil pour réduire les pénuries de médicaments », « le gaspillage [étant] très limité en France contrairement aux idées reçues »550(*).

Par ailleurs, comme l'explique la présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, si dans certains pays étrangers, comme les États-Unis, la vente à l'unité est monnaie courante, la filière française s'est organisée autour du conditionnement industriel des médicaments en boîtes, jugées plus sûres d'un point de vue sanitaire, calibrées pour que le nombre de gélules corresponde peu ou prou aux prescriptions médicales, conçues pour apporter les informations essentielles aux patients et pour faire gagner du temps aux pharmaciens551(*).

Yves Juillet, membre de l'Académie nationale de médecine, estime, dans le même sens, que « le déconditionnement est une fausse bonne idée » dont « les expérimentations ont montré les limites »552(*). Quant au délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens d'exercice hospitalier et hospitalo-universitaire, il rappelle que l'adaptation des conditionnements se fait à l'hôpital, mais « au prix d'un travail semi-industriel : tous les médicaments sont surétiquetés, suremballés » ; or « les officines ne sont pas équipées pour cela ». « [Cette] solution [...] est-elle acceptable sur le plan écologique, ajoute-t-il, compte tenu de la consommation d'emballages en plastique qu'elle implique ? »

Cette mesure entre de surcroît en tension avec la demande faite aux laboratoires de se conformer à l'obligation de sérialisation des boîtes, désormais dotées d'un dispositif d'inviolabilité et de traçabilité : cette procédure censée assurer la sécurité de la délivrance du médicament « ne servira de système d'alerte qu'à la première ouverture d'une boîte ; en cas de reliquats, les avantages de la sérialisation ne seront plus opérationnels »553(*).

Le conditionnement des médicaments est d'ailleurs un élément essentiel de la protection des patients : garantissant la sécurité d'utilisation, la conservation du produit et l'information du patient, sa description fait partie intégrante du dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) auprès des autorités de santé. L'avis prononcé par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé pour toute inscription ou modification des conditions d'inscription d'un médicament sur les listes des spécialités remboursables, indication par indication, comporte ainsi obligatoirement « l'appréciation du conditionnement approprié au regard des indications thérapeutiques pour lesquelles la commission estime fondée l'inscription sur [lesdites] listes »554(*).

Toute mesure de déconditionnement pose donc par définition question quant à son applicabilité à grande échelle - hors mesure ponctuelle d'urgence - et quant à la sécurité des patients. Comme le reconnaît lui-même Olivier Véran, « cette idée excellente se heurte en pratique à beaucoup de contraintes notamment normatives », évoquant « des normes de sérialisation et de traçabilité »555(*). En outre, le déconditionnement n'est utile que pour les pathologies aiguës, les patients atteints de pathologies chroniques devant quant à eux prendre leur traitement à vie, et n'a de sens que pour les formes sèches, les solutions buvables, par exemple, n'y étant évidemment pas éligibles.

En tout état de cause, la mise en oeuvre de tels dispositifs de dispensation dérogatoire, qui engagent en la complexifiant la responsabilité du pharmacien comme celle du fabricant, exige un accompagnement, une structuration et une codification spécifiques, s'agissant de tâches qui sont de surcroît coûteuses et chronophages. Pour autant, et plus généralement, l'intérêt d'une généralisation de la préparation des doses à administrer dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), par exemple, n'est pas contestable, s'agissant de lutter contre le phénomène d'iatrogénie médicamenteuse. Toutefois, les textes réglementaires censés encadrer cette pratique se font attendre depuis 2009 et la promulgation de la loi HPST556(*)...

Surtout, s'il devait être plus largement mis en oeuvre, il serait opportun de faire contribuer l'industrie pharmaceutique, en amont de la chaîne du médicament, à cet effort collectif : les représentants des pharmaciens demandent ainsi qu'il soit imposé aux laboratoires d'adapter plus régulièrement et plus finement les conditionnements des médicaments aux recommandations de la HAS557(*).

2. Limiter la consommation par le bon usage

Plusieurs interlocuteurs de la commission d'enquête - à commencer par François Braun, ministre de la santé et de la prévention558(*) - ont attiré l'attention sur un autre outil de santé publique indirectement mobilisable dans la lutte contre les pénuries, à savoir la généralisation du recours aux tests rapides d'orientation diagnostique (Trod). Les « Trod angine »559(*), en particulier, doivent permettre de limiter l'usage inutile des antibiotiques560(*) et, par là même, de combattre le développement de l'antibiorésistance, classée par l'Organisation mondiale de la santé, en 2015561(*), parmi les dix principales menaces auxquelles est confrontée l'humanité en matière de santé publique.

La promotion des Trod angine auprès des prescripteurs est une politique publique ancienne, ces tests étant gratuitement mis à disposition des médecins généralistes depuis 2002. Selon la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), néanmoins, les chiffres des commandes de Trod (1,2 million) restent faibles au regard des neuf millions d'angines annuelles. Cette politique a été étendue récemment aux pharmaciens, les Trod effectués en officine étant remboursés - et le pharmacien rémunéré pour leur réalisation - depuis le 1er juillet 2021562(*). Par ailleurs, un arrêté de décembre 2021563(*) introduit un nouveau parcours patient dans la prise en charge de l'angine, autorisant la possibilité du recours à une ordonnance de dispensation conditionnelle de certains antibiotiques.

Les pharmaciens, par la voix du président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, « demandent de pouvoir réaliser davantage de Trod », déplorant une extension encore trop limitée du dispositif564(*). Par exemple, l'utilisation de Trod cystite en officine n'est pour l'instant autorisée que dans le cadre d'une structure d'exercice coordonné ou d'une communauté professionnelle territoriale de santé565(*). « Il faut aller plus loin, demande le président de la Fédération des pharmaciens de France, car, en restreignant cette possibilité aux lieux bénéficiant d'un réseau d'exercice coordonné de la médecine, on prive la moitié des Français de l'accès à ce dispositif. Il serait plus utile de rendre applicable dans toutes les pharmacies le même protocole décisionnel établi par la HAS, qui permet de déterminer dans quels cas le pharmacien peut délivrer un traitement ou doit renvoyer vers le médecin. »566(*)

Mentionnons néanmoins, au crédit de cette dynamique qui doit être amplifiée, une évolution récente : la loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé contient567(*), à l'initiative du Sénat, une disposition contraignant le pouvoir réglementaire à publier annuellement la liste des Trod innovants qui peuvent être utilisés par les professionnels de santé.

En France, les politiques publiques de « bon usage »568(*) et de « moindre utilisation » des médicaments, pour reprendre des notions sur lesquelles ont insisté tous les anciens ministres de la santé auditionnés par la commission569(*), se sont plus généralement articulées autour de l'idée de « maîtrise médicalisée »

La présidente de la Haute Autorité de santé, lors de son audition, a notamment mis l'accent sur cette question du lien entre prévention des pénuries et travail sur les « bonnes pratiques », arguant qu'« en France, d'une manière générale, nous avons de gros progrès à faire [...] sur la prescription »570(*) et donnant pour modèle l'Allemagne, où « les contraintes de prescription sont bien plus fortes »571(*) - on peut constater néanmoins que le volume de médicaments consommés en ville y est, depuis, 2019, supérieur à celui qui est enregistré en France.

À la « maîtrise médicalisée », la Cnam préfère désormais, dans le cadre d'un « programme de rénovation » engagé en 2021, une approche plus vaste, à la fois « graduée et personnalisée », intitulée « gestion du risque »572(*), « qui entend réduire les dépenses de santé en agissant sur chaque maillon de la chaîne des faits générateurs »573(*), comme l'écrit la Cour des comptes. Au-delà d'actions d'information et d'accompagnement (entretiens confraternels avec un praticien conseil de l'assurance maladie, courriers informant les prescripteurs de leur positionnement comparé aux autres professionnels et les invitant à modifier leurs pratiques, développement d'outils de mise à disposition régulière et fréquente, voire continue, de données de prescription, etc.), cette stratégie repose sur des incitations financières : rémunération sur objectif de santé publique (Rosp), mise en place en 2011, pour les médecins libéraux, indicateurs IFAQ (incitation financière à la qualité) pour les établissements de santé. Elle peut aller jusqu'aux procédures, limitées à une sélection de prescripteurs, de « mise sous objectif de réduction des prescriptions » et, en cas de non-respect des référentiels ou d'écart significatif par rapport à une moyenne, de « mise sous accord préalable de l'assurance maladie »574(*).

Sous prétexte d'un rappel à l'ordre gradué des bonnes pratiques, ce « programme de rénovation » constitue, sur le terrain, un outil de coercition à l'endroit des professionnels de santé, incités à limiter les prescriptions faites à leurs patientes et patients. Au lieu de lutter efficacement contre les déserts médicaux et d'engager une politique résolue d'éducation à la santé, le gouvernement a choisi la voie autoritaire du contrôle des volumes de prescriptions. Mais on aurait tort de croire que celle-ci obéit à autre chose qu'à des considérations financières, et sa contribution à la diminution des phénomènes de pénuries reste à démontrer.

C'est la même logique essentiellement financière qui justifie, pour le Gouvernement, la promotion des prescriptions numériques, présentée comme un outil permettant d'éviter des erreurs de dispensation et de lutter contre les fausses ordonnances et les trafics de médicaments : à partir de la fin de l'année 2024575(*), l'ordonnance numérique deviendra obligatoire pour tous les prescripteurs et pour tous les actes exécutés en ville.

Mais, là encore, l'atténuation des pénuries n'est qu'un effet indirect de politiques dont l'objet est plutôt, premièrement, d'améliorer la santé publique, et, deuxièmement, s'agissant de vecteurs avant tout budgétaires, de réguler - de « maîtriser » - les dépenses de santé576(*). La vocation première des dispositifs de « gestion du risque » est en effet de contribuer au respect de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam). La question des volumes de consommation et de prescription577(*) est évidemment un enjeu, mais faire de mesures essentiellement budgétaires le moteur de la lutte contre les pénuries constituerait une solution de facilité. En effet, cette politique n'engage pas financièrement l'État ni ne remet en cause la façon dont s'est construit depuis quelques décennies le modèle économique des entreprises pharmaceutiques. En outre, les effets d'une telle régulation « par la demande » semblent encore incertains et peu documentés : le chiffrage des économies attendues sur la dépense a été récemment qualifié d'« artificiel »578(*) par la Cour des comptes, qui parle d'un « objectif global [...] au fondement flou », ou encore d'un « outil décevant au regard des ambitions qu'il porte »579(*). En la matière, c'est plutôt le temps médical disponible, c'est-à-dire la qualité du « colloque singulier » qui lie le médecin à chacune de ses patientes et à chacun de ses patients, qui constitue la variable essentielle, comme y ont insisté les syndicats de médecins lors de leur audition580(*).


* 530 La question de la « régulation inaboutie » de la maîtrise médicalisée fait l'objet d'un chapitre spécifique dans le rapport 2023 de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss 2023, pp. 253 sq.).

* 531 Audition de membres de la mission sur la régulation et le financement des produits de santé, le 7 juin 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230605/ce_penurie.html#toc4

* 532 Olivier Véran, ancien ministre chargé de la santé, a notamment insisté sur cette question lors de son audition le 2 mai 2023 : « [I]l faut accompagner un changement de culture : toute consultation médicale ne doit pas nécessairement se conclure par la prescription d'un médicament » ( https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/ce_penurie.html#toc6)

* 533 Données fournies par la direction générale de la santé (source : IQVIA-Midas).

* 534 Le rapport 2023 indique notamment (p. 172) qu'en France la consommation médicamenteuse des enfants de moins de six ans est élevée et supérieure à celle des pays comparables : « L'analyse comparée de la prévalence d'au moins une prescription pédiatrique ambulatoire parmi onze pays de l'OCDE fait en effet ressortir le niveau le plus élevé en France (au moins une prescription pour 857 patients pédiatriques pour 1 000 en France contre 480 en Suède). »

* 535 Ainsi serait-on passé de 52 boîtes/habitant/an à 41 boîtes/habitant/an entre 2005 et 2021. Dans son rapport d'avril 2021 sur La dispensation des médicaments à l'unité à l'officine, l'Académie note encore, s'appuyant sur une étude réalisée pour le réseau Cyclamed, que « le gisement par habitant de médicaments non utilisés est faible », « le poids de l'armoire à pharmacie du patient français [ayant] baissé de 22 % entre 2011 et 2019.

* 536 Voir notamment Prévention de la résistance aux antibiotiques : une démarche « Une seule santé », Santé publique France, novembre 2022.

* 537 Ibid., p. 8.

* 538 Document consultable : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_nationale_2022-2025_prevention_des_infections_et_de_l_antibioresistance.pdf

* 539 Comme le rappelle en audition Benoît Coulon, administrateur et responsable des relations avec le monde politique du syndicat « Médecins pour demain ».

* 540 Résultats d'une enquête intitulée « Usages et comportements relatifs à la prescription, la délivrance et la prise de médicaments » réalisée en 2022 par Viavoice pour l'ANSM.

* 541 Voir par exemple les propos d'Élise Remy, membre du conseil d'administration du Syndicat national des pharmaciens des hôpitaux, alertant sur l'automédication : « Quand on fait des sensibilisations en iatrogénie auprès des patients, beaucoup nous disent garder les boîtes précieusement pour avoir ce qu'il faut dans le placard s'ils ont les mêmes symptômes et n'obtiennent pas de rendez-vous chez le médecin. Certains écourtent même leur traitement pour s'en garder un peu pour la prochaine fois... C'est un vrai problème, et je pense qu'il faut faire une vraie campagne de communication à ce sujet. »

* 542 Celui-ci s'appuyant notamment sur des chiffres de l'Institut international de recherche anti-contrefaçon (IRCAM) : un Français gaspillerait 1,5 kg de médicaments par an.

* 543 Selon le collectif « Bon usage du médicament », plus de 130 000 hospitalisations et 10 000 décès sont imputables chaque année, en France, à des cas de « iatrogénie médicamenteuse ». L'usage excessif de paracétamol est par exemple la première cause de greffe du foie.

* 544 Expérimentation de la dispensation à l'unité d'antibiotiques dans les pharmacies de ville prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, dont les résultats ont été présentés en octobre 2017. En février 2018, dans sa réponse à une question écrite du sénateur Gérard Cornu, le ministère des solidarités et de la santé en tirait la conclusion d'un « intérêt de la dispensation à l'unité sur le plan de la santé publique, par une amélioration de l'observance [thérapeutique] et [par] la suppression du mésusage lié à la consommation des comprimés restants, sur le plan financier par des économies potentielles pour l'assurance maladie et sur le plan écologique par une réduction du risque de [rejet] des médicaments non consommés dans l'environnement. » ( https://www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ180203149.html).

* 545 « Art. L. 5123-8 du code la santé publique. - Afin d'éviter le gaspillage des médicaments, lorsque leur forme pharmaceutique le permet, la délivrance de certains médicaments en officine peut se faire à l'unité. [...] Un décret en Conseil d'État fixe les modalités particulières de conditionnement, d'étiquetage et d'information de l'assuré ainsi que de traçabilité pour ces médicaments. »

* 546 Articles R. 5132-42-4, R. 5132-42-5 et R. 5132-42-5 du code de la santé publique.

* 547 Définie par l'Académie nationale de pharmacie comme une procédure consistant à « préparer, dans le cas où cela contribue à une meilleure prise en charge thérapeutique du patient, les doses de médicaments à administrer, de façon personnalisée, selon la prescription, et donc par anticipation du séquencement et des moments des prises, pour une période déterminée. Cette méthode vise à renforcer le respect et la sécurité du traitement et la traçabilité de son administration » (Académie nationale de pharmacie, La préparation des doses à administrer : la nécessaire évolution des pratiques de dispensation du médicament, juin 2013).

* 548 L'Académie nationale de pharmacie, dans son rapport d'avril 2021, cite à cet égard les modèles des Pays-Bas et de la Norvège, où la dispensation des prescriptions sous forme de rouleaux de blisters unitaires (multidose drug dispensing, MDD, équivalent de la PDA française) est répandue pour les patients observant des traitements nombreux et complexes - essentiellement des personnes âgées « polymédiquées ». L'identification du patient, le contenu et l'heure de prise sont imprimés sur les sachets, l'activité de préparation étant automatisée et, en cas de volume important de prescriptions, sous-traitée à une pharmacie centrale - l'Académie nationale de pharmacie attire d'ailleurs l'attention sur les risques de déstabilisation de la « chaîne de proximité » de la dispensation qu'emporterait une telle sous-traitance.

* 549 Selon le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, qui s'appuie sur les chiffres de la rémunération pour objectif de santé publique pour 2022, elle représentait l'année dernière 0,1 % des actes de dispensation de médicaments remboursables.

* 550 Réponse de l'Académie nationale de pharmacie au questionnaire de la commission.

* 551 « L'emballage des industriels comprend de nombreuses informations précieuses pour la sécurité : il comporte les notices d'utilisation, les précautions d'emploi, les contre-indications, etc. Si le pharmacien déconditionne les médicaments, il faut qu'il donne par écrit au patient toutes ces informations, sinon celui-ci n'y aura plus accès et ne saura plus toujours comment prendre les trois ou quatre comprimés, sortis de leur boîte, qui lui auront été fournis. Si l'on s'engage dans cette voie, il faut donner les moyens aux pharmaciens de fournir aux patients toutes les informations nécessaires sur les médicaments et sécuriser la dispensation. » Audition de M. Bruno Bonnemain, président de l'Académie nationale de pharmacie, Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, M. Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, M. Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens de France, et des docteurs Philippe Meunier, président du Syndicat national des pharmaciens, praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU) et Élise Remy, membre du conseil d'administration du Syndicat national des pharmaciens des hôpitaux (Synprefh), le 21 mars 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230320/ce_penurie.html#toc1

* 552 « Le conditionnement en boîte a effectivement été un progrès conséquent pour la qualité, la sécurité, la conservation et l'observance des traitements par les patients, notamment les patients âgés. En outre, le conditionnement n'est pas libre ; il est fixé par la commission de la transparence, en fonction de la durée de traitement. » Audition de MM. Jean-Paul Tillement, membre de l'Académie nationale de médecine, Yves Juillet, membre de l'Académie nationale de médecine, Mme Claire Siret, présidente de la section santé publique du Conseil national de l'ordre des médecins, et M. Patrick Léglise, délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens d'exercice hospitalier et hospitalo-universitaire, le 11 avril 2023: https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230410/ce_penurie.html#toc2

* 553 Rapport de l'Académie nationale de pharmacie, avril 2021, op. cit., p. 26.

* 554 Article R. 163-18 du code de la sécurité sociale.

* 555 Audition d'Olivier Véran, le 2 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/ce_penurie.html#toc6

* 556 Loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

* 557 Comme le dit la présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, « D'autres pistes que le déconditionnement existent. La première serait d'adapter les conditionnements des industriels aux prescriptions. Les laboratoires définissent en effet leur conditionnement en fonction des autorisations de mise sur le marché (AMM), qui déterminent le traitement, la posologie, la durée, etc. Toutefois, comme les recommandations de la HAS évoluent, le boîtage peut ne plus être adapté aux autorisations de mise sur le marché initiales. »

* 558 Audition de M. François Braun, le 15 juin 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230612/ce_penurie.html#toc2

* 559 Ces tests permettent de vérifier l'origine virale ou bactérienne d'une angine en quelques minutes, donc de décider si la prescription d'antibiotiques est nécessaire ou inutile, étant entendu qu'environ 80 % des angines sont d'origine virale et que les antibiotiques ne sont efficaces qu'en cas d'infection bactérienne.

* 560 Rapport 2023 « Charges et produits » de l'assurance maladie, p. 340 : « en France, trop d'antibiotiques sont prescrits inutilement dans le cadre de l'angine. On estime que les angines diagnostiquées chaque année génèrent environ 6 millions de prescriptions d'antibiotiques ; soit un taux de prescription d'environ 70 %, là où statistiquement il devrait être au maximum de 30 % ».

* 561 Année de lancement du Système mondial de surveillance de la résistance aux antimicrobiens et de leur usage (GLASS, Global Antimicrobial Resistance and Use Surveillance System).

* 562 Toujours selon les chiffres communiqués par la direction générale de la santé, 52 000 Trod ont été réalisés en 2022 contre 8 000 en 2021. En avril 2023, plus de 6 000 officines proposaient ces tests contre 2 000 en 2022.

* 563 Arrêté du 13 décembre 2021 fixant la liste des médicaments pour lesquels il peut être recouru à une ordonnance de dispensation conditionnelle et les mentions à faire figurer sur cette ordonnance.

* 564 « [P]ar exemple, [les pharmaciens ne peuvent] réaliser de test pour mesurer la glycémie capillaire en cas de diabète que pendant la semaine du diabète, alors qu'il faudrait que ce soit possible toute l'année. » Audition de M. Bruno Bonnemain, président de l'Académie nationale de pharmacie, Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, M. Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, M. Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens de France, et des docteurs Philippe Meunier, président du Syndicat national des pharmaciens, praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU) et Élise Remy, membre du conseil d'administration du Syndicat national des pharmaciens des hôpitaux (Synprefh), le 21 mars 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230320/ce_penurie.html#toc2

* 565 Arrêté du 9 mars 2023 relatif à l'autorisation du protocole de coopération « Prise en charge par le pharmacien d'officine ou l'infirmier diplômé d'État de la pollakiurie et des brûlures mictionnelles non fébriles chez la femme de 16 à 65 ans dans le cadre d'une structure d'exercice coordonné ou d'une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) ».

* 566 Audition de M. Bruno Bonnemain, président de l'Académie nationale de pharmacie, Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, M. Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, M. Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens de France, et des docteurs Philippe Meunier, président du Syndicat national des pharmaciens, praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU) et Élise Remy, membre du conseil d'administration du Syndicat national des pharmaciens des hôpitaux (Synprefh), le 21 mars 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230320/ce_penurie.html#toc2

* 567 En son article 17.

* 568 Voir par exemple les propos de Marisol Touraine lors de son audition du 16 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230515/ce_penurie.html#toc2

* 569 Citons par exemple Agnès Buzyn lors de son audition du 17 mai 2023 ( https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230515/ce_penurie.html#toc8) : « La question de la moindre utilisation des médicaments est cruciale ! Nous en consommons beaucoup trop, notamment des antibiotiques, à un niveau quatre fois supérieur aux pays nordiques. Je doute pourtant que nous soyons plus susceptibles de développer des infections urinaires ou des angines. En réalité, notre facilité de prescription des antibiotiques est stupéfiante [...]. Les patients ont souvent l'impression d'être mieux soignés si on leur prescrit des antibiotiques pour une angine virale. Il y a donc une demande sociétale, une facilité des médecins et des habitudes bien ancrées. »

* 570 Audition de Mme Dominique Le Guludec, présidente de la Haute autorité de santé, le 9 février 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230206/ce_penurie_medocs.html#toc2

Pour ne citer qu'un chiffre, qui a trait aux prescriptions médicamenteuses chez le sujet âgé polypathologique, une étude réalisée en 2021 et mentionnée dans le rapport précité de la Cour des comptes indique que 657 millions d'euros de prescriptions étaient inappropriées (médicament non indiqué au regard du diagnostic, voire dangereux ; dose trop forte ; durée trop longue ; duplication médicamenteuse), dont 507 millions d'euros ont été remboursés par l'assurance maladie (B. Roux et al., REview of potentially inappropriate MEDIcation pr[e]scribing in Seniors (REMEDI[e]S) : French implicit and explicit criteria, European Journal of Clinical Pharmacology, 77, 1713-1724, juin 2021).

* 571 « S'il y a bien une latitude laissée au médecin, parce que la médecine n'est pas une science exacte et que les situations cliniques varient toujours, le médicament n'est pas remboursé en Allemagne quand il est prescrit hors des clous ».

* 572 Voir, plus précisément, la création de la « Rénov'GDR », dont les contours sont décrits dans le rapport remis en juillet 2021 au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et des produits de l'assurance maladie au titre de 2021, intitulé « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses », pp. 59-64.

* 573 Cour des comptes, Ralfss 2023, p. 256.

* 574 Article L. 162-1-15 du code de la sécurité sociale pour les médecins libéraux ; article L. 162-1-17 du code de la sécurité sociale pour les établissements de santé.

* 575 Conformément à l'ordonnance n° 2020-1408 du 18 novembre 2020 portant mise en oeuvre de la prescription électronique ; la Cnam annonce la publication prochaine d'un décret en Conseil d'État, actuellement en cours d'examen par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

* 576 C'est ainsi que dans son rapport la Cour des comptes traite de la maîtrise médicalisée, comme une « voie de régulation des dépenses de santé » (Ralfss 2023, p. 255).

* 577 Les deux notions ne s'équivalant pas, on l'a vu.

* 578 Cour des comptes, Ralfss 2023, p. 263.

* 579 Ibid., p. 255.

* 580 Audition des syndicats de médecins, le 2 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/ce_penurie.html#toc4

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