B. DES USAGES ET DES ORIENTATIONS DE FILIÈRE QUI SE DESSINENT
Au-delà de l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050, plusieurs jalons de décarbonation ont été fixés, aux niveaux national, européen et international, afin de réduire l'empreinte environnementale du secteur des transports. Des objectifs transverses applicables à l'ensemble du secteur sont ainsi fixés par l'accord provisoire du Conseil et du Parlement européen portant sur la directive relative aux énergies renouvelables (RED III), en permettant aux États membres de choisir entre :
- un objectif contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur de 14,5 % d'ici 2030 grâce à l'utilisation des énergies renouvelables ;
- ou un objectif contraignant d'au moins 29 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie dans le secteur des transports d'ici 2030.
En outre, un sous-objectif contraignant de 5,5 % pour les biocarburants avancés et les carburants renouvelables d'origine non-biologique dans la part des énergies renouvelables a été arrêté dans le cadre de ce même accord provisoire170(*).
Aux côtés de ces objectifs transverses communs, des objectifs ont également été définis pour un certain nombre de filières, à l'image de l'interdiction de vente de véhicules particuliers et de véhicules utilitaires légers neufs thermiques neufs en 2035.
Ces objectifs, combinés aux opportunités et contraintes spécifiques à chaque filière, conduisent ces dernières à définir de grandes orientations de décarbonation propres à chacune d'entre elles. Aussi, d'après la Direction générale de l'énergie et du climat, « l'enjeu de la décarbonation dans les transports doit être abordé sous l'angle de l'usage. Chaque mode de transport (routier léger, routier lourd, ferroviaire, aérien, fluvial, maritime) dispose en effet de ses propres contraintes et solutions devant intégrer la limitation des énergies renouvelables et durables disponibles ». L'Ademe précise en outre que « compte tenu des contraintes utilisateurs et techniques, les couples véhicules/carburants décarbonés diffèrent selon les secteurs (routier, maritime, fluvial, ferroviaire) et sont plus ou moins variés. L'aérien reste le secteur le plus complexe à décarboner ».
1. L'orientation massive de la filière automobile vers l'électrification
La filière automobile s'est résolument engagée dans la voie de l'électrification des véhicules légers, dans la perspective de fin de vente des voitures et des camionnettes à moteur thermique d'ici 2035. Pour autant, et compte tenu du « stock » de véhicules, il apparaît que les biocarburants pourraient permettre d'opérer, transitoirement, la transition du parc de véhicules légers du thermique à l'électrique. La situation est en revanche bien plus contrastée pour les véhicules les plus lourds, pour lesquels l'électrification ne permet pas, à ce jour, de répondre à l'ensemble des usages, et pour lesquels un mix énergétique doit être envisagé.
a) Une orientation claire du cadre et des constructeurs pour les véhicules particuliers et les véhicules utilitaires légers, malgré une clause de revoyure en 2026
Adopté en avril 2023, le règlement (UE) 2023/851 du Parlement européen et du Conseil modifie le règlement (UE) 2019/631 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs conformément à l'ambition accrue de l'Union en matière de climat. Le texte ainsi révisé prévoit désormais un objectif de réduction des émissions moyennes du parc de voitures particulières neuves et du parc de véhicules utilitaires légers neufs de 100 % d'ici 2035 (par rapport à 2021), avec des objectifs intermédiaires de réduction de 55 % et 50 % prévus respectivement pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs171(*). De fait, cette disposition correspond à un objectif de fin de vente des voitures particulières neuves et des véhicules utilitaires légers neufs d'ici au 1er janvier 2035.
L'article 15 du règlement prévoit en outre que la Commission évalue en 2026 l'efficacité et l'impact du texte, en particulier les progrès accomplis en vue d'atteindre ces objectifs, « en tenant compte des évolutions technologiques, y compris en ce qui concerne les technologies hybrides rechargeables, et de l'importance d'une transition économiquement viable et socialement équitable vers une mobilité à émission nulle ». Une « clause de revoyure » est prévue sur la base de cette évaluation, ce même article 15 prévoyant que la Commission « évalue la nécessité de réexaminer les objectifs fixés à l'article 1er, paragraphe 5 bis ».
(1) L'électrification du parc de véhicules légers, une orientation d'ores et déjà actée par les constructeurs automobiles
(a) La filière automobile s'est engagée dans la voie de l'électrification des véhicules légers
De nombreux acteurs entendus par la mission d'informations s'accordent à dire que la mobilité routière légère - qui comprend les véhicules particuliers ainsi que les utilitaires légers - devrait prioritairement se tourner vers la propulsion électrique pour atteindre ces objectifs, considérant que l'électrique serait plus adapté que l'hydrogène pour ce type de véhicules.
Analyse en cycle de vie des voitures électriques
D'après la Direction générale de l'énergie et du climat, les dernières études de référence en matière d'analyse des émissions de gaz à effet de serre des véhicules sur l'ensemble du cycle de vie sont celles de l'ICCT (International Council on Clean Transportation) de 2021 et celle de Transport&Environment de 2022. Ces études estiment que les émissions de gaz à effet de serre sur l'ensemble du cycle de vie d'un véhicule thermique de taille moyenne immatriculé en Europe en 2021 se situeraient autour de 241-246 gCO2eq/km. Les émissions d'un véhicule électrique se situeraient, quant à elles, autour de 75-83 gCO2eq/km (soit des gains d'environ 69 % par rapport à un véhicule thermique). D'ici 2030, avec un mix électrique plus décarboné, les émissions des véhicules électriques pourraient diminuer entre 46 et 63 gCO2eq/km (soit des gains jusqu'à 78 % par rapport aux véhicules thermiques). En outre, des véhicules électriques disposant d'une batterie produite avec de l'énergie renouvelable et se rechargeant entièrement avec de l'énergie renouvelable auraient des émissions d'environ 41 gCO2eq/km (soit des gains d'environ 83 % par rapport aux véhicules thermiques).
Les émissions des véhicules hybrides et hybrides rechargeables se situeraient respectivement autour de 193 gCO2eq/km et de 180 gCO2eq/km (soit des gains d'environ 20 % et 26 % par rapport aux véhicules à essence).
Les émissions des véhicules à pile à combustible fonctionnant avec de l'hydrogène se situeraient entre 200 gCO2eq/km et 58 gCO2eq/km en fonction du type d'hydrogène utilisé (renouvelable ou issu de gaz naturel), ce qui représenterait des gains entre 17 % et 76 % par rapport aux véhicules thermiques.
Cela étant dit, plusieurs acteurs interrogés par la mission d'information ont indiqué regretter que l'approche de la Commission européenne repose sur les seules émissions « au pot d'échappement » ou « du réservoir à la roue », tant pour les véhicules légers que pour les véhicules lourds. D'après la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV), cette approche « disqualifie l'utilisation des biocarburants et encourage l'électromobilité ». Stellantis considère également qu'une analyse des émissions de CO2 sur l'ensemble du cycle de vie selon un référentiel international standard serait plus appropriée que l'approche retenue par la Commission.
Pour autant, l'article 7 bis du règlement (UE) 2019/631, tel que modifié par le règlement (UE) 2023/851 prévoit qu'au plus tard le 31 décembre 2025, la Commission publie un rapport établissant une méthode commune pour l'évaluation et l'harmonisation de la communication des données relatives aux émissions de CO2 tout au long du cycle de vie des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers mis sur le marché de l'Union.
Les constructeurs automobiles se sont d'ores et déjà mis en ordre de marche pour avancer sur cette voie de l'électrification, ainsi que l'ont exprimé leurs représentants devant la mission d'information. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA) a ainsi indiqué en parlant au nom de la filière : « Soyons clairs : nous sommes partis dans cette direction et nous devons maintenant réussir. Le choix de l'électrique est derrière nous ». Il a par ailleurs précisé : « nous sommes totalement d'accord pour aller vers l'électrique. C'est une très bonne solution pour toute une série d'usages ».
La filière automobile a d'ores et déjà déployé des investissements considérables dans le développement des véhicules électriques. Dans le cadre de son plan stratégique Dare Forward 2030, Stellantis - qui regroupe 14 marques automobiles - s'est ainsi engagé à vendre 100 % de ses véhicules particuliers en version électrique (avec une gamme de 60 véhicules électriques avec batterie) ou hydrogène en Europe en 2030, soit cinq ans avant l'objectif fixé par la Commission européenne. Dans cette perspective, Stellantis a ainsi indiqué à la mission d'information que 12 modèles électriques seront produits en France (dans 7 régions françaises) à horizon 2025.
Depuis quelques années, la part de marché des véhicules électriques parmi les véhicules neufs mis sur le marché connaît une progression importante, comme l'illustre le graphique ci-après.
Immatriculations annuelles des voitures
particulières neuves
selon leur motorisation, entre 2010 et
2021 (en unités)
Source : SDES, Rsvero
À ce jour, d'après la PFA, le véhicule électrique représente, en ce début d'année 2023, un peu plus de 15 % de part de marché, et plus de 23 % si l'on intègre les véhicules hybrides rechargeables. Stellantis a indiqué que la part de marché des véhicules électriques du groupe en France avait atteint 29 % en avril 2023.
Cette orientation forte de l'ensemble de la chaîne de valeur automobile vers le véhicule électrique s'est d'ailleurs vue confirmée par la proposition de feuille de route de décarbonation de la filière automobile.
Proposition de feuille de route filière automobile
D'après la proposition de feuille de route de décarbonation de la chaîne de valeur de l'automobile, l'électrification du parc automobile constitue le principal gisement de gain à la fois en matière d'intensité carbone de l'énergie utilisée que d'efficacité énergétique.
D'après la PFA, la pénétration des véhicules électriques et hybrides rechargeables devrait d'ailleurs s'accélérer pour représenter respectivement 50 % et 20 % des ventes d'ici 2030 et 14 % et 7 % du parc.
Pour autant, la filière considère que l'électrification ne sera pas suffisante pour atteindre les objectifs climatiques qui lui sont assignés, et que ce mouvement devra être doublé d'une évolution des usages de la voiture. D'après les modélisations de l'IFPEN, l'électrification (couplée à la substitution dans le parc d'anciens véhicules thermiques par de nouveaux véhicules thermiques plus performants) devrait conduire à des gains de l'ordre de 23 % en 2030, alors même que le run 1 de la SNBC 3 suppose une réduction des émissions d'environ 40 %. C'est pourquoi il est recommandé d'agir sur des leviers complémentaires à l'électrification du parc, à savoir :
- la réduction de nombre de kilomètres parcourus (autopartage, aménagement des bassins de vie pour réduire les besoins de déplacement) :
- le report modal vers les mobilités douces et collectives ;
- l'amélioration de l'efficacité énergétique du parc existant (meilleur entretien des véhicules en circulation, équipements efficients) ;
- la décarbonation du parc du parc existant, à travers l'ajout supplémentaire de carburants liquides bas carbone (biocarburants de 2e génération et e-fuels) ;
- la hausse du taux d'occupation des véhicules (covoiturage).
En parallèle, la filière estime que l'électrification rend nécessaire une réduction de l'empreinte carbone de la production des véhicules. Partant du constat qu'un véhicule électrique émet en moyenne deux fois plus d'émissions de CO2 à la fabrication qu'un véhicule thermique, la filière anticipe un accroissement de l'empreinte carbone de de la production de véhicules (de 11 Mt CO2 à 23 Mt CO2 en 2035), qui restera toutefois nettement inférieure aux gains permis par la forte réduction des émissions à l'usage sur le cycle de vie.
Aussi, la proposition de feuille de route identifie plusieurs leviers pour décarboner l'empreinte de la production de véhicules légers (relocalisation de la production - notamment des batteries -, achats de composants moins carbonés, recyclage, écoconception de véhicules).
Source : Proposition de feuille de route de décarbonation de la chaîne de valeur de l'automobile
(b) Un choix qui soulève néanmoins certaines inquiétudes
Pour autant, et malgré cette orientation résolue de la filière, plusieurs constructeurs ont alerté les membres de la mission d'information quant au caractère potentiellement restrictif et aux risques qu'emporte le choix d'une seule technologie.
Comme l'a indiqué Marc Mortureux en audition : « On nous a reproché d'être tombés dans le “tout diesel” : nous avons le sentiment que nous tombons désormais dans le “tout électrique” ». Sans remettre en cause l'excellent bilan de l'électrique en analyse de cycle de vie, la PFA reste en effet convaincue du fait que certaines alternatives peuvent être intéressantes. Interrogé sur la « clause de revoyure » de 2026, Stellantis a ainsi indiqué être « favorable à la neutralité technologique et [rester] attentif à toutes les technologies susceptibles d'améliorer la réduction des émissions de carbone sur les flottes existantes ».
Certains membres de la mission d'information se sont d'ailleurs inquiétés de la perspective de fin de vente de véhicules à moteurs thermiques, estimant que de tels moteurs pourraient permettre, à l'avenir, de fonctionner avec des carburants décarbonés.
Par ailleurs, concernant le risque de domination de l'industrie chinoise, Marc Mortureux a souligné « une augmentation spectaculaire des importations des véhicules chinois, qui ont dix ans d'avance sur la chaîne de valeur de l'électrique ».
(2) Le recours à l'hydrogène pour certains usages spécifiques
La substitution des véhicules thermiques par des véhicules électriques à batterie semble être la voie privilégiée pour la mobilité légère, son rendement étant supérieur à celui du vecteur hydrogène, qui s'inscrit dans une chaîne énergétique comprenant des conversions qui génèrent des pertes. D'après la DGEC en effet, « l'hydrogène n'a que peu d'intérêt pour la mobilité légère : le rendement de transformation d'électricité en hydrogène induira des pertes d'énergie de 30 à 40 % là où le rendement d'un moteur électrique est proche de 100 % ».
Cela étant dit, le véhicule électrique à batterie peut néanmoins se révéler peu satisfaisant pour certains usages, notamment intensifs (véhicules utilitaires légers parcourant de longues distances, taxis, etc.), compte tenu de contraintes d'autonomie et de recharge inhérentes à ce mode de propulsion.
Dans ces cas de figure, le vecteur hydrogène, qui garantit une forte autonomie et un temps de charge rapide, pourrait davantage répondre à ces besoins spécifiques. Ainsi, Stellantis a indiqué à la mission d'information être le premier constructeur au monde à commercialiser des véhicules utilitaires légers à motorisation hydrogène. Cette offre sera industrialisée à Hordain, dans les Hauts-de-France, pour un volume de production de 5 000 unités en 2024 et de 30 000 unités à terme.
(3) Plusieurs conditions restent à remplir pour permettre une transition du parc de véhicules légers vers l'électrique
Si la filière automobile a résolument pris le virage de l'électrification de la mobilité légère, il reste néanmoins que certaines conditions doivent être remplies pour permettre une transition du parc des véhicules légers du thermique à l'électrique.
D'une part, la couverture du territoire par un réseau dense d'infrastructures de recharge pour véhicules électriques constitue une condition sine qua none de l'électrification du parc, et fait l'objet de la réglementation européenne « AFIR ». Stellantis estime ainsi un besoin de 600 000 à 700 000 bornes de recharge pour les véhicules électriques à batterie, contre 100 000 aujourd'hui. Cependant, et comme l'a souligné la DGEC, les installations de recharge pour véhicules électriques impliquent un raccordement spécifique au réseau d'électricité et la file d'attente est déjà longue.
Objectifs de déploiement d'infrastructures de recharge
L'article 3 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs (AFIR)172(*) définit des objectifs de déploiement d'infrastructures de recharge électriques réservées aux véhicules utilitaires légers.
Il prévoit notamment des obligations pour les États membres :
- de veiller à ce que des stations de recharge pour véhicules utilitaires légers ouvertes au public soient déployées de manière proportionnelle à l'adoption de véhicules utilitaires légers électriques ;
- d'atteindre des objectifs de puissance de sortie ;
- de veiller au déploiement de parcs de recharges ouverts au public et réservés aux véhicules utilitaires légers le long du réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Sur le réseau central du RTE-T, est ainsi prévue une distance maximale de 60 kilomètres entre deux parcs de recharge.
D'autre part, si une offre complète de véhicules électriques légers a émergé et devrait se consolider dans les prochaines années, leur coût reste souvent, pour l'heure, bien supérieur à celui de leurs homologues thermiques. D'après la Plateforme automobile, le prix de vente moyen d'un véhicule électrique neuf s'élève à 23 900 euros, soit 45 à 50 % de plus que le prix de vente moyen d'un véhicule thermique (15 100 euros).
Source : Plateforme automobile173(*)
b) Les biocarburants peuvent aider à la transition pour les véhicules particuliers
Si l'électrification constitue le principal levier de décarbonation de la filière automobile, il convient de noter que seuls 5 % du parc est renouvelé chaque année, d'après Stellantis. Dans l'absolu, et suivant ce rythme de renouvellement « naturel » du parc, environ vingt années seraient nécessaires pour transformer le parc actuel en parc « zéro émission ».
Au 1er janvier 2022, le parc automobile de voitures particulières comptait ainsi 402 669 véhicules électriques sur un total de 38,7 millions de véhicules ainsi que 58 965 véhicules utilitaires légers électriques sur un total de 6,3 millions de VUL174(*).
Dans ce contexte, il apparaît qu'à court terme, et « tant que des moteurs thermiques sont encore en service », les biocarburants, conventionnels comme avancés constituent « une solution de décarbonation incontournable »175(*).
Alors que les prix des véhicules électriques restent à ce jour supérieurs à ceux des véhicules thermiques, le recours à des biocarburants peut en effet représenter une solution transitoire permettant de favoriser le verdissement du parc existant. D'après l'Ademe, « l'usage des biocarburants liquides ne présente pas de difficulté pour une grande majorité des véhicules déjà en circulation ». Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, a ainsi déclaré en avril dernier : « tout en restant déterminés à poursuivre notre stratégie en matière d'électrification, nous devons en parallèle trouver des solutions intelligentes pour réduire les émissions de CO2 des 1,3 milliard de véhicules thermiques existants. » 176(*)
Les biocarburants constituent une solution de décarbonation transitoire pour la mobilité légère dans la mesure où, comme l'a souligné l'Ademe, « à terme, le recours massif aux véhicules électriques à batterie dès 2035 mettra certainement un terme à l'utilisation des biocarburants liquides et gazeux sur ce segment ». À titre d'illustration, le développement du carburant ED95, qui est d'après la DGEC particulièrement intéressant lorsqu'il est issu de déchets de l'agriculture, est tributaire des motoristes « qui ont aujourd'hui abandonné le développement de moteurs compatibles ».
c) Une incertitude pour les véhicules lourds, sur fond de discussions toujours en cours au niveau de l'Union européenne
Si la trajectoire de décarbonation de la mobilité légère s'oriente à titre principal vers l'électrification du parc, modulo le recours, de manière transitoire, aux biocarburants, les perspectives semblent plus incertaines s'agissant du transport routier lourd.
(1) Des objectifs ambitieux de décarbonation du transport routier lourd d'ici à 2050
Dans le prolongement du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », la Commission européenne a proposé, en février 2023, une révision du règlement relatif au renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les nouveaux véhicules lourds lourds177(*). Cette proposition fixe un objectif de réduction des émissions de CO2 des nouveaux véhicules lourds de 90 % d'ici 2040 par rapport à l'année 2019. Elle prévoit d'atteindre également des objectifs intermédiaires de réduction des émissions, s'élevant à 15 % d'ici 2025, 45 % d'ici 2030 et 65 % d'ici 2035.
Par ailleurs, la Commission a également présenté, en novembre 2022 une proposition visant à réduire la pollution atmosphérique causée par les véhicules neufs (lourds et légers)178(*). Cette proposition fixe de nouvelles normes Euro (« Euro 7 ») plus strictes en matière de qualité de l'air.
(2) Un mix énergétique diversifié pour la mobilité lourde ; un débat sur la place possible de l'hydrogène par rapport à l'électrification avec batteries
L'atteinte de ces objectifs ambitieux représente un véritable défi, compte tenu des caractéristiques et des usages variés des véhicules lourds, d'une part, et du caractère à ce jour encore limité et très coûteux de l'offre alternative, d'autre part.
Les poids lourds recouvrent des catégories très hétérogènes de véhicules : camions, autobus et autocars, engins de travaux publics légers (chargeuses, minipelles) et lourds (tombereaux, pelles, butteurs). Ces véhicules répondent à une grande variété d'usages : « depuis les utilisations intensives en milieu urbain jusqu'au transport interrégional de longue distance, en passant par les chantiers de construction » 179(*).
Parc d'autobus et d'autocars
au
1er janvier 2022 selon la carburation
Parc de poids lourds, au 1er janvier 2022 selon la
carburation
Au 1er janvier 2022, le parc de poids lourds comptait environ 616 500 véhicules, qui incluent camions, tracteurs routiers et véhicules automoteurs spécialisés (VASP). En parallèle, on dénombre environ 94 500 autobus et autocars affectés au transport en commun de personnes. La très grande majorité de ces véhicules lourds sont équipés d'une motorisation diesel. S'agissant des poids lourds, les véhicules diesel représentent ainsi 98,4 % de l'ensemble du parc. Cette proportion s'élève à 89,7 % pour ce qui concerne les autobus et les autocars180(*).
Source : SDES
Interrogés quant aux technologies privilégiées pour le verdissement des véhicules lourds, la plupart des acteurs ont indiqué favoriser un mix énergétique, compte tenu notamment de la variété des usages des véhicules lourds, et de leurs caractéristiques. En particulier, le débat prospectif quant à la technologie à privilégier à moyen long terme, entre le recours à l'électrification par batteries et le recours à l'hydrogène pour la propulsion des poids lourds n'est à ce jour pas tranché.
D'après la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR), les véhicules électriques à batterie apparaissent particulièrement adaptés à l'usage urbain, et constituent un atout dans le contexte du déploiement des zones à faibles émissions (ZFE-m), compte tenu de leurs performances en matière de qualité de l'air. Néanmoins, la FNTR constate que les poids lourds électriques bénéficient d'une autonomie moindre que leurs homologues diesel, ce qui les rend peu adaptés au transport de moyenne ou longue distance.
Jean-Philippe Hermine, coordinateur de l'initiative « Mobilité en transition » de l'IDDRI, a présenté à la mission une hypothèse de pénétration croissante de l'électrique, comme le montre le graphique suivant :
Évolution du parc de poids-lourds porteurs rigides
Source : IDDRI
À cet égard, la ministre Agnès Pannier-Runacher a indiqué lors de son audition constater une accélération de l'offre constructeurs en matière de poids lourds électriques : « Je fais observer que les annonces des constructeurs sur l'électrification des poids lourds ont été plus rapides et ambitieuses que ce que nous avions prévu. Lorsque j'étais en charge de l'industrie, il y a deux ans, l'électrification ne paraissait pas une voie envisageable pour les poids lourds, mais les derniers modèles livrés permettent de nuancer ce diagnostic initial ».
À l'inverse, les véhicules lourds à hydrogène bénéficient d'une forte autonomie et leur temps de charge est bref, ce qui les rend potentiellement plus pertinents pour du transport de longue distance ou intensif.
Interrogée sur cette question, l'Ademe a indiqué à la mission d'information que les seuils de pertinence entre batterie et hydrogène constituaient un sujet complexe et évolutif en fonction de la courbe d'apprentissage des filières technologiques respectives (comme les performances réelles des batteries), mais également des considérations liées au réseau électrique. Des seuils commenceraient néanmoins à apparaître (au regard des différents projets aidés) selon le kilométrage journalier réalisé par le véhicule.
Seuils de pertinence identifiés par l'Ademe pour les véhicules lourds à batterie et hydrogène
Source : Ademe
Pour l'Organisation non gouvernementale Transport & Environment, les camions électriques à batterie sont la solution la plus pertinente et disposent du plus grand potentiel de décarbonation, comme l'illustre le schéma ci-après.
Source : Transport & Environment
Au-delà de la question du seuil de pertinence, les transporteurs ont alerté sur l'insuffisance de l'offre de poids lourds à motorisation électrique ou hydrogène - notamment pour certains gabarits - et, lorsque ces véhicules existent, sur leur coût prohibitif.
S'agissant de l'offre de véhicules lourds, TLF rappelle que l'enjeu en matière de décarbonation est à ce stade de « maintenir une offre complète de solutions qui pourront être adaptées aux usages et aux spécificités du secteur ». L'offre de poids lourds électriques à batterie reste à ce stade limitée, même si la FNTR rapporte que, d'après les constructeurs, elle devrait être largement suffisante au cours des prochaines années pour atteindre les hypothèses d'évolutions prévues par la SNBC ; la plupart des constructeurs concentrant désormais leurs efforts sur le poids lourd électrique à batterie. Transport & Environment rappelle ainsi que les constructeurs ont annoncé proposer près de 50 % de camions zéro émission d'ici 2030. Concernant les poids lourds à hydrogène, en revanche, il n'existe pas d'offre à ce stade d'après la FNTR (hormis pour les véhicules utilitaires légers) et l'essor de ces véhicules devrait être limité avant 2030. Selon Philippe Boucly, président de France Hydrogène, le nombre de camions à hydrogène pourrait être de 8 500 à l'horizon 2030, soit 1,4 % du parc de 51 000 à l'horizon 2035 et de 90 000 à l'horizon 2040, soit 15 % du parc à cette échéance. Pour certains secteurs, en particulier celui des travaux publics, l'offre alternative pour certains véhicules ou engins spécifiques est quasi-inexistante.
La difficile décarbonation du secteur des travaux publics
D'après la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), les flottes utilisées dans le secteur sont de deux types :
- les véhicules immatriculés, qui comprennent des véhicules utilitaires légers et des poids lourds. Le parc de poids lourds est constitué principalement de silhouettes spécifiques (camions bennes, semis, camions-citernes, camions plateaux, camions-grues...). Ce parc est constitué presque exclusivement de véhicules thermiques à motorisation diesel. Ces véhicules « roulant peu » (les chantiers ayant lieu essentiellement pendant la journée), ce parc est relativement âgé, du fait d'un renouvellement lent, estimé à 12-15 ans. D'après la FNTP, « le volume des véhicules roulant au gaz naturel et à l'électrique est pour l'instant négligeable, en raison du manque de solutions d'avitaillement, de l'instabilité des coûts et du fait que les chantiers se déplacent constamment, rendent les enjeux d'avitaillement cruciaux » ;
- les engins de chantier spécifiques aux travaux publics qui ne circulent pas sur la route. D'après la FNTP, en l'absence d'immatriculation, ce parc n'est pas connu : le seul chiffre disponible est le nombre d'engins vendus chaque année - environ 40 000 -, parmi lesquels seuls 200 engins électriques ont été vendus en 2022, essentiellement dans la catégorie mini-pelle. Ce parc se caractérise par sa grande hétérogénéité, puisqu'il compte plusieurs familles d'engins et de nombreux modèles différents. De fait, les volumes de vente de chaque engin sont très faibles. À titre d'exemple, seuls 38 tombereaux rigides - utilisés pour le transport de terre et de matériaux - ont été vendus en France en 2022.
Comme le résume la FNTP : « l'intérêt pour les constructeurs d'investir dans de nouvelles motorisations ne pourra intervenir que lorsque la demande sera mondiale. En aucun cas, nous ne pouvons espérer des exceptions françaises ».
Source : Fédération nationale des transports publics
À l'insuffisance de l'offre de véhicules électriques à batterie et à hydrogène s'ajoutent des délais de commandes allongés (cf. tableau ci-après), notamment, comme le souligne l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), sous l'effet des pénuries de composants.
Délais de commande moyens des véhicules (en mois)
Source : Union TLF
En outre, le coût des poids lourds électriques à batterie et des poids lourds à hydrogène s'avère à ce stade prohibitif ; les premiers étant aujourd'hui 3 à 4 fois plus chers que leurs homologues thermiques, quand les seconds sont 5 à 6 fois plus chers que leur équivalent thermique. Les acteurs du transport routier de marchandises craignent en outre que les coûts totaux de possession (TCO) des poids lourds électriques et hydrogènes demeurent supérieurs à ceux d'un véhicule thermique, et ce malgré l'industrialisation des productions à venir. D'après l'OTRE, et pour ce qui concerne les poids lourds à hydrogène, « les projections actuelles (coût des véhicules et coût de l'hydrogène bas carbone) ne le rendent pas compétitif pour le transport routier ». Cela étant, Transport & Environment considère que le camion électrique prendra l'avantage, en termes de coûts, dès 2024, sur le camion diesel, dans plus de 60 % des cas en dans presque 100 % des cas en 2030.
· Les biocarburants et le bioGNV comme vecteurs de transition ?
Dans ce contexte de pluralité des nouvelles technologies disponibles, la FNTR recommande de poser le principe du mix énergétique comme « principe incontournable de la transition énergétique, dans laquelle toutes les alternatives au diesel sont pertinentes et complémentaires pour répondre aux objectifs environnementaux, compte tenu de la variété des activités du secteur et des usages des transporteurs ». La Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) partage cette vision, étant entendu qu' « à l'heure actuelle, aucune filière énergétique n'est substituable au diesel pour effectuer la totalité des activités du transport routier de voyageurs (transports scolaires, lignes régulières régionales, services librement organisés, tourisme) ».
En outre, la loi d'orientation des mobilités181(*) prévoit un objectif de fin de vente des véhicules lourds neufs affectés au transport de personnes ou de marchandises et utilisant majoritairement des énergies fossiles d'ici 2040. Comme le souligne l'Ademe, cet objectif laisse une opportunité aux biocarburants dans ce secteur.
C'est pourquoi l'utilisation des biocarburants et des carburants de synthèse est considérée comme un vecteur efficace de transition. D'après la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), « l'utilisation de biocarburants/carburants de synthèse sera précieuse pour le transport routier : elle permet de répondre aux enjeux d'autonomie (en particulier pour la longue distance), de puissance (au-delà de 19t), et de temps de travail (avitaillement rapide). Ils permettent de limiter les impacts sur les organisations de transport, avec des surcoûts limités, voire inexistants ». Si certains biocarburants ne requièrent aucune adaptation des moteurs ou du système de distribution du carburant182(*), d'autres, à l'image du B100, nécessitent quant à eux une motorisation adaptée et une logistique spécifique.
D'après la DGTIM, la piste de décarbonation la plus probable pour les engins de travaux publics repose sur un ajout progressif de biocarburants de synthèse puis e-fuels. La filière recommande en particulier de recourir au HVO et au XTL.
La FNTR estime en outre que les carburants liquides resteront indispensables à moyen voire long terme pour les gros tonnages et le transport longue distance. Cela étant, la FNTR comme la FNTV regrettent le fait que les carburants bas carbone soient réservés à des flottes captives, dont la station est privée. D'après la FNTV, cette situation contraint les autocars à être approvisionnés au dépôt, ce qui réduit leur autonomie et limite les usages longues distances dépendants de stations publiques.
Aux côtés des carburants liquides bas-carbone, il existe une offre mature de véhicules au gaz naturel véhicule (GNV) et au BioGNV. Les véhicules GNV et au BioGNV représentent d'ailleurs la quasi-intégralité des motorisations alternatives existantes dans le parc de poids lourds (environ 8 700 poids lourds sur les 9 600 poids lourds ne roulant pas au diesel). La DGEC estime en outre que le BioGNV présente un réel débouché pour les véhicules lourds en territoires périurbains et ruraux, notamment pour la mobilité agricole roulant au gazole non routier (GNR).
D'après la FNTR, le prix à l'achat des poids lourds GNV est aujourd'hui 30 % plus élevé que celui de leurs homologues diesel. En revanche, la Fédération estime que les constructeurs orientent leur stratégie de moyen terme vers les motorisations électriques, limitant ainsi la disponibilité de l'offre de véhicules aux GNV et BioGNV, de telle sorte que selon les projections, les hypothèses définies par la SNBC concernant les parts de marché du GNV et du BioGNV au sein des immatriculations des poids lourds neufs pourraient ne pas être atteintes.
En tout état de cause, le maillage du territoire en infrastructures d'avitaillement en énergies alternatives est une condition essentielle de la réussite de la décarbonation du parc de véhicules lourds. La proposition de règlement « AFIR » prévoit, en son article 4, de fixer des objectifs de déploiement des infrastructures de recharge électrique réservées aux véhicules utilitaires lourds à la fois en termes de distance entre les infrastructures et en termes de puissance de sortie. En l'état actuel, l'accord provisoire prévoit ainsi le déploiement de parcs de recharge ouverts au public réservés aux véhicules utilitaires lourds à un intervalle de 60 km entre chaque parc le long du réseau central du RTE-T.
Le déploiement d'autoroutes électriques a également été évoqué par certains acteurs comme une infrastructure susceptible de remédier aux problématiques d'autonomie des véhicules lourds à batterie.
L'autoroute électrique
D'après Carbone 4183(*), les autoroutes électriques consistent à « mettre en place une flotte de poids lourds hybrides qui fonctionneraient avec une alimentation électrique continue le long de l'autoroute. [...] Les camions hybrides pourraient rouler avec leur moteur thermique pour effectuer les manoeuvres (dépassement, entrée et sortie d'autoroute) ainsi que pour circuler en dehors de l'autoroute ».
Il existe trois grandes familles de technologies envisageables pour l'autoroute électrique184(*) :
- les solutions conductives aériennes (caténaire). Une caténaire alimente alors le véhicule en énergie par un pantographe. Il s'agit d'une technologie testée par Siemens en Allemagne.
- les solutions conductives au sol ou latérales en bord de route (rails). Cette technologie est notamment développée en Suède.
- les solutions inductives, qui sont notamment testées en Corée du Sud.
Trois groupes de travail ont été chargés d'explorer le potentiel de l'autoroute électrique et ont rendu leurs conclusions au ministre des transports lors du Comité ministériel de développement et d'innovation dans les transports du 20 octobre 2021.
Le troisième groupe de travail185(*), sur l'expérimentation à grande échelle des systèmes de route électrique, a notamment recommandé de sélectionner et d'expérimenter sur autoroute circulée une ou plusieurs technologies.
Au cours de son audition devant la mission d'information, la ministre Agnès Pannier-Runacher a indiqué qu'un appel à projets sur les autoroutes électriques par induction serait lancé dans le cadre de France 2030, tout en précisant que la réalisation pratique de ces infrastructures était envisagée à un horizon 2030-2050 et que cette technologie était étudiée avec attention par le secrétariat général à l'investissement.
En définitive, comme le souligne la proposition de feuille de route de décarbonation de la filière véhicules lourds, l'évolution du mix énergétique (carburants liquides bas-carbone, bioGNV, électricité et hydrogène) dépendra de quatre facteurs principaux :
- les besoins liés aux usages ;
- la disponibilité des énergies ;
- le déploiement d'une offre de motorisation alternative par les constructeurs ;
- les conditions économiques (coûts d'acquisition et d'exploitation).
2. Si l'électricité et l'hydrogène sont une priorité pour la filière ferroviaire à long terme, les biocarburants apparaissent comme une solution de décarbonation privilégiée à court terme
La part relative du transport ferroviaire dans les émissions de gaz à effet de serre attribuables au secteur des transports est limitée. Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs, a ainsi indiqué à la mission d'information que SNCF Voyageurs émettait moins de 1 % des émissions de CO2 du secteur des transports, tout en réalisant 10 % des trajets.
En tout état de cause, le transport ferroviaire est en règle générale davantage présenté comme une solution de décarbonation du secteur des transports que comme une source d'émissions. Ainsi que l'a rappelé Christophe Fanichet à la mission, voyager en train correspond à une réduction de 98 % des émissions de CO2 par rapport à un voyage en avion, de 93 % par rapport à un voyage en voiture thermique et de 81 % par rapport à un voyage en voiture électrique.
Pour autant, le secteur ferroviaire, comme l'ensemble des autres filières, doit également s'engager pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. SNCF Voyageurs s'est en outre fixé un objectif intermédiaire de réduction de 30 % de ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030.
Si le train est majoritairement électrique, force est de constate que 40 % du réseau ferroviaire n'est, à ce jour, pas électrifié. Le pourcentage de kilomètres de lignes électrifiées du réseau ferré national a progressivement augmenté de 45 % à 60 % entre 1999 et 2021, sous l'effet de deux dynamiques contraires d'après SNCF Voyageurs :
- la diminution du linéaire exploité (de près de 5 000 kilomètres) ;
- l'augmentation nette de presque 2 000 kilomètres de lignes électrifiées (essentiellement des lignes nouvelles, mais également quelques sections de ligne classique à forte valeur ajoutée comme Saint-Etienne - Firminy ou le sillon alpin Valence - Montmélian).
Linéaire et pourcentage de lignes électrifiées du réseau ferré national
Source : SNCF Voyageurs
À ce jour, toujours d'après SNCF Voyageurs, 84 % du trafic ferroviaire186(*) a été réalisé par SNCF Voyageur en traction électrique. Concernant le transport ferroviaire de marchandises, Fret SNCF opère près de 90 % des tonnes.km avec des matériels électriques. Pour l'ensemble du fret ferroviaire, le taux de traction électrique s'élève plutôt entre 75 et 80 %, les concurrents de Fret SNCF recourant davantage à des locomotives thermiques.
Pour ce qui concerne le transport de voyageurs, 16 % des trains.km réalisés par SNCF Voyageurs sont opérés avec une motorisation gazole. « Il s'agit principalement des trains qui circulent sur les lignes de dessertes fines du territoire, là où le nombre de voyageurs est moins élevé et où, par conséquent, les travaux d'électrification des lignes ne sont pas économiquement pertinents »187(*).
43 % des 800 000 tonnes d'émissions de gaz à effet de serre attribuables à SNCF Voyageurs proviennent de trains thermiques ou bi-modes. Pour l'activité TER, qui compte dans son parc un quart de véhicules 100 % thermiques, cela représente trois quarts des émissions de CO2 pour seulement un quart des voyageurs. Ainsi, alors que les émissions de CO2 d'un passager TER sont inférieures à 24 gCO2 / voyageur.km, cette donnée peut atteindre 69 g CO2/voyageur.km dans le cas de TER diesel.
Dans ce contexte, le renouvellement du matériel thermique constitue une condition clé de la décarbonation du secteur, permettant de s'orienter vers le mode électrique ou vers des rames hydrogène. SNCF Voyageurs rappelle que la responsabilité en matière d'acquisition, de modernisation et d'investissements dans le matériel roulant relève, pour ce qui concerne les TER, des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) régionales, qui supportent donc les surcoûts d'investissements et d'exploitation des nouvelles technologies de décarbonation.
SNCF Voyageurs identifie, à moyen et long termes, trois leviers nécessaires à la décarbonation du transport ferroviaire :
- le renforcement du réseau électrifié, notamment pour les axes majeurs des services express régionaux métropolitains ou des dessertes périurbaines ;
- la mise en oeuvre des solutions de batteries, s'appuyant sur une logique d'électrification partielle pour toutes les lignes non électrifiées adossées à des solutions de recharge. Cette solution permettrait ainsi de n'électrifier que les portions les moins complexes du réseau.
- le déploiement de trains à hydrogène pour des parcours plus longs, là où la solution batterie n'est a priori pas pertinente. En outre, SNCF Voyageurs considère que le déploiement de la filière hydrogène pourrait permettre d'envisager une mutualisation avec d'autres besoins locaux (industriels ou de mobilité). Aussi, 12 rames Regiolis H2, commandées par 4 régions (Grand-Est, Bourgogne Franche-Comté Auvergne Rhône Alpes, Occitanie) devraient circuler sur le réseau à compter de 2027.
Le développement du train à hydrogène
Pour la DGITM, l'écosystème français bénéficie, pour la structuration de la filière hydrogène dans la mobilité ferroviaire, de la présence de l'ensemblier Alstom, qui a développé depuis quelques années un train léger fonctionnant à 100 % à l'hydrogène et qui est à ce stade uniquement déployé en Allemagne.
D'après la DGITM, l'hydrogène est, en matière de mobilité ferroviaire, pertinent pour deux types d'usages :
- la mobilité régionale, principalement sur les lignes fines de desserte du territoire ;
- le transport de marchandises de longue distance.
Dans l'attente du déploiement de ces solutions, et alors que les matériels roulants ont une durée de vie approchant quarante ans, la décarbonation du parc existant peut constituer une première étape de la décarbonation du transport ferroviaire. SNCF Voyageurs considère ainsi que, « le recours aux biocarburants est le seul levier disponible rapidement pour sortir des énergies fossiles et décarboner le matériel thermique existant, sans modification majeure ».
SNCF Voyageurs a ainsi travaillé avec la région Normandie pour expérimenter à partir de 2021 un service commercial opéré au biocarburant B100 sur la ligne Paris-Granville sur une flotte de 15 matériels Régiolis à moteur diesel. D'après SNCF Voyageurs, la première année d'expérimentation a permis une réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de 62 %.
Au-delà du B100, SNCF Voyageurs réalise des tests de compatibilité de différents biocarburants sur ses trains. La compatibilité des e-fuel avec les moteurs thermiques des trains est pressentie, mais leur production n'ayant pas atteint la maturité industrielle, la société prévoit que leur coût au litre devrait rester un désavantage majeur dans la promotion de cette solution auprès des AOM.
En tout état de cause, SNCF Voyageurs a pour ambition de porter la consommation de combustibles de son parc thermique à 100 % en biocarburants, ce qui représenterait 100 millions de litres par an. Cette consommation diminuerait ensuite progressivement jusqu'à la radiation définitive des matériels thermiques et leur remplacement par des matériels décarbonés à horizon 2050.
Pour autant, SNCF Voyageurs identifie un frein au déploiement des biocarburants au service de la mobilité ferroviaire. Des dispositions réglementaires188(*) ne permettent pas à une même installation de distribuer plusieurs types de carburants. De fait, la distribution de biocarburant doit être réalisée via une infrastructure dédiée ce qui contraint considérablement le déploiement de ces carburants dans le domaine ferroviaire et génère d'importants surcoûts (de 100 000 euros à plusieurs millions d'euros).
3. Les carburants d'aviation durables : un moyen puissant de décarbonation de l'aérien
D'après la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (FNAM), l'aviation civile mondiale a émis en 2019 environ un milliard de tonnes de CO2, soit 2,4 % des émissions mondiales. Les émissions du secteur ont connu une forte progression de ses émissions, estimée à 42 %, entre 2005 et 2019, en raison de la forte croissance du trafic (de l'ordre de 5 % par an en moyenne sur cette période)189(*). D'après l'International air transport association (IATA), le secteur a néanmoins connu une amélioration de son efficacité énergétique de 1,5 % par an entre 2010 et 2020.
En France, la part des émissions liées aux vols domestiques dans les émissions attribuables au secteur des transports s'élève à environ 2,6 %. Il convient toutefois de noter que le transport aérien est responsable d'effets dits « hors CO2 » (traînées de condensation, oxydes d'azote, vapeur d'eau, aérosols) ; les traînées de condensation en particulier pourraient conduire à un doublement des impacts de l'aviation sur le climat.
L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a entériné, lors de sa 41e Assemblée générale d'octobre 2022, l'objectif de neutralité carbone d'ici à 2050. En outre, lors de sa 77e assemblée générale annuelle, l'IATA a adopté une résolution engageant ses membres à atteindre des émissions nettes de carbone neutres d'ici 2050.
Comme l'a souligné Marwan Lahoud, ancien président du GIFAS, devant la mission d'information, la décarbonation constitue la quatrième révolution de l'aéronautique, après le décollage, la sécurité en vol, puis la démocratisation du vol.
Aussi, et sauf à accepter une diminution du trafic aérien, Air France résume ainsi la difficulté posée au secteur : « tout le défi posé au secteur est donc d'entamer une trajectoire de réduction d'émissions, dans un contexte de poursuite de croissance du trafic, certes à des niveaux inférieurs que pré-covid (+ 3 % en moyenne d'ici 2050 d'après IATA), pour atteindre l'objectif de zéro émission nette à 2050 ».
D'après IATA, les projections actuelles estiment que la demande de transport aérien de passagers pourrait dépasser les 10 milliards en 2050 (cf graphique ci-après).
Source : IATA
Plusieurs leviers peuvent contribuer à la décarbonation du transport aérien, parmi lesquels notamment :
- la modération de la demande de trafic aérien, par le biais de changements de comportements ou encore par l'édiction de mesures de limitation du recours au transport aérien190(*), ce qui ne permet toutefois d'agir que sur le seul trafic national ; le trafic international étant un secteur ultra-concurrentiel totalement ouvert, de telles mesures pourraient avoir pour effet de détourner des trafics, selon les acteurs du secteur. Air France indique ainsi : « l'innovation technologique sera indispensable, mais nous pensons aussi qu'un usage plus raisonné de l'aérien sera nécessaire » ;
- l'optimisation du trafic aérien ; le développement des « descentes continues » sur les aéroports français ou encore le déploiement de l'espace en cheminement libre (permettant ainsi aux avions de choisir librement leur trajectoire) sont, d'après la FNAM, des leviers de réduction des émissions accessibles à court terme ;
- le renouvellement des flottes : pour Air France, il s'agit, à court-terme, et notamment pendant la phase d'émergence des carburants d'aviation durables, du premier levier de décarbonation du secteur, grâce à l'utilisation de moteurs plus efficients, de matériaux plus légers, et un design plus aérodynamique. L'acquisition d'appareils de nouvelles générations d'avions permet, selon les appareils, une réduction des émissions de l'ordre de 20 % (A220) ou 25 % (A350), ainsi qu'une diminution d'un tiers de l'empreinte sonore.
Pour autant, et dans la mesure où 90 % des émissions de CO2 des compagnies aériennes sont liées à la consommation de carburant d'aviation191(*), il apparaît prioritaire de concentrer les efforts sur la décarbonation des modes de propulsion des aéronefs. À cet égard, plusieurs pistes peuvent être distinguées, dont les coûts et les perspectives de développement diffèrent : déploiement de l'avion électrique ou de l'avion à hydrogène, réduction de la consommation de carburant, augmentation des objectifs d'incorporation de carburants d'aviation durables (CAD ou « Sustainable Aviation Fuel », SAF).
a) L'électrification et l'hydrogène ne peuvent apparaître comme des solutions que pour de courts-moyens courriers
Le déploiement des avions à propulsion électrique et hydrogène constitue un véritable défi technologique majeur pour la filière et leur déploiement à grande échelle ne peut, à ce jour, être envisagé à court-terme.
Si, d'après la DGEC, « l'électrification n'est pas envisageable » pour la mobilité aérienne, certains acteurs ont indiqué à la mission d'information que le vecteur électrique pouvait, en usage direct, contribuer à la décarbonation du transport aérien pour les plus petits modules. D'après le Groupe ADP, il s'agit d'une « solution nécessaire, et de court-terme, pour décarboner, par exemple, les écoles de pilotage, ou l'aviation régionale de très courte distance et de faible emport (500 kilomètres, 20 passagers) ». Le Groupe ADP cite ainsi les exemples Finnair et d'Air Canada, qui ont investi sur ces technologies à venir, par l'intégration à leurs flottes de ces petits modules électriques d'ici 2027.
Au Salon du Bourget, le rapporteur a également pu échanger avec les équipes de Daher qui, conjointement avec Safran et Airbus, a travaillé sur démonstrateur d'avion à propulsion hybride-électrique, Ecopulse.
Concernant l'avion à hydrogène, deux options sont envisageables, à savoir :
- la pile à combustible alimentée par de l'hydrogène liquide (qui permet la création d'électricité à bord) ;
- la combustion de l'hydrogène liquide dans des turbines. D'après Air Liquide, 3 kilogrammes (kg) de kérosène peuvent être remplacés par 1 kg d'hydrogène.
Néanmoins, de nombreux acteurs consultés par la mission d'information ont souligné les difficultés technologiques consubstantielles au développement de l'avion à hydrogène. Air France rappelle ainsi qu'en raison de la très faible densité de l'hydrogène, un stockage sous forme liquide à très basse température (- 253 °C) doit être envisagé, ce qui suppose des volumes de stockage quatre fois plus importants que pour le kérosène ainsi que, de fait, le développement d'une chaîne logistique complète d'approvisionnement.
D'après le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), la nécessité d'utiliser l'hydrogène sous forme liquide introduit une étape de liquéfaction qui est elle aussi consommatrice d'énergie, même si une marge de progrès significative existe (dans les installations classiques, environ 40 % du contenu énergétique est consommé pour la liquéfaction, mais une marge de progrès significative existerait).
En tout état de cause, le développement de l'avion à hydrogène suppose une forte anticipation compte tenu des adaptations nécessaires des infrastructures aéroportuaires.
L'hydrogène soulève des enjeux
particuliers de logistique
pour les plateformes aéroportuaires :
la stratégie du Groupe ADP
Les aéroports jouent un rôle central dans le déploiement de l'hydrogène. Dans ce contexte, et estimant que les aéroports parisiens peuvent être des « catalyseurs du développement de l'hydrogène » le Groupe ADP travaille au déploiement du concept de hub hydrogène.
Compte tenu du défi industriel que représente l'arrivée de l'avion à hydrogène, cette stratégie consiste à construire, étape après étape, un marché local territorial dans lequel l'avion hydrogène pourra progressivement s'insérer. Dans le cadre de cette démarche, le Groupe ADP a ainsi lancé, conjointement avec la région Île-de-France, Air France-KLM et Airbus un appel à manifestation d'intérêt (« H2 Hub Airport ») pour explorer les opportunités offertes par l'hydrogène sur les aéroports franciliens.
Le Groupe ADP identifie ainsi trois étapes successives pour le déploiement d'un hub hydrogène :
1) la définition d'écosystèmes territoriaux hydrogène aéroportuaires, d'abord au service des usages routiers (taxis, bus, camions) ;
2) l'émergence puis la massification d'engins d'assistance en escale décarbonés (push avions utilisés pour remorquer les avions, chariots bagages notamment). Certains constructeurs travaillent d'ores et déjà au développement de démonstrateurs d'engins d'assistance en escale en vue de réaliser une prestation d'assistance au sol de l'avion complètement décarbonnée à Roissy Charles de Gaulle à horizon 2024 ;
3) la poursuite de la transformation des aéroports, ainsi devenus « hubs de l'hydrogène », pour accueillir des avions propulsés directement par hydrogène liquide ou grâce à une pile à combustible. Le Groupe ADP travaille d'ores et déjà, avec Airbus et Air Liquide, à la définition du schéma logistique le plus adapté aux enjeux aéroportuaires sur l'ensemble de la chaîne de valeur hydrogène (production, transport, stockage, liquéfaction, distribution, avitaillement).
Source : Groupe ADP
En outre l'Ademe estime nécessaire d'investiguer plus en détail l'impact de certains éléments sur le forçage radiatif d'un vol à hydrogène, notamment les émissions hors-CO2 (fuite d'hydrogène, émission de vapeur d'eau et formation de traînée, émissions d'oxydes d'azote).
Enfin, l'utilisation de l'hydrogène dans le secteur aérien pose de potentiels problèmes de sécurité pour les personnes et les biens.
Potentiels problèmes de
sécurité liés à l'utilisation
d'hydrogène
pour le transport aérien identifiés par le
GIFAS
• À bord
Même si l'hydrogène est connu et utilisé dans d'autres industries, par exemple dans le spatial, son usage dans l'aéronautique civile et commerciale reste inexploré et les risques liés à son utilisation sont bien réels au regard du caractère hautement inflammable et détonnant en milieu confiné pour les opérations en vol et les opérations au sol. Les conditions et régimes d'inflammation ainsi que leurs effets sont des problématiques fondamentalement critiques à appréhender afin de mettre en place des capacités d'analyse de sécurité et de dimensionnement de précautions vis-à-vis de leur prévention contre leurs effets.
L'hydrogène induit un impact très important sur la configuration avion et sur le type de missions réalisables par ce type d'appareil. Les réservoirs utilisés pour le kérosène sont positionnés dans des espaces disponibles de l'architecture de l'avion (voilure, caisson central). Les réservoirs hydrogène répondant à toutes les contraintes précédemment évoquées ne peuvent être intégrés dans ces espaces. La garantie de succès n'est pas acquise et de nombreux travaux sont nécessaires pour « dérisquer » cette option avant de lancer un développement de programme avion.
• Opérations
L'introduction de l'hydrogène requiert en outre, au-delà d'une nouvelle conception des aéronefs, le déploiement de nouvelles infrastructures pour l'approvisionnement des aéroports et l'avitaillement des avions. En effet, l'introduction d'avions hydrogène a un impact sur les opérations aéroportuaires, sur les opérations de maintenance et sur les opérations aériennes.
L'encombrement autour de l'avion doit être compatible avec l'accès des véhicules de service. L'hydrogène gazeux perdu par évaporation doit être géré par les infrastructures aéroportuaires, compte tenu de son caractère hautement inflammable. Des solutions qui prennent en compte la conception du site et les procédures de sécurité doivent être proposées.
Une autre difficulté majeure se situe au niveau du maintien en froid.
Sur les aspects relatifs à la maintenance, il est nécessaire de prendre en compte la mise en place de formations pour les personnes qui manipulent les éléments qui constituent le système propulsif hydrogène-électrique.
• Nouveaux risques
De manière non exhaustive, les risques de sûreté et de sécurité sont au coeur des préoccupations et des priorités. De même, les risques feu et explosion, les risques liés à la surpression d'un réservoir contenant de l'hydrogène et devenant explosif par un phénomène appelé « boil-off », les risques thermiques générés par le stockage de l'hydrogène liquide à des températures cryogéniques sont inhérents à l'utilisation d'hydrogène.
Les risques en relation avec l'environnement direct de l'avion sont aussi à traiter afin d'apporter des technologies pour les prévenir. Les impacts possibles par divers projectiles sur les équipements hydrogènes, et réciproquement les impacts des fuites d'hydrogène sous pression sur des systèmes avions, la présence de fort courant et forte tension sont autant de contraintes et risques dimensionnant pour la conception d'un avion hydrogène.
Source : GIFAS
Compte tenu des difficultés techniques identifiées par les constructeurs, et notamment en raison de la faible densité de l'hydrogène, les acteurs de la filière semblent s'accorder sur le fait que le déploiement de l'hydrogène se limitera au moins dans un premier temps à des avions de types régionaux ou court-courriers. D'après l'Ademe, les parts de marché de l'avion hydrogène sur l'ensemble du trafic aérien seront nulles jusqu'en 2035 et resteront faibles jusqu'en 2050 ; ce type d'avion étant cantonné, pour des raisons de densité énergétique et d'autonomie, à des vols court-courriers et éventuellement à certains moyen-courriers, ces derniers étant par ailleurs soumis à une « concurrence » avec le transport ferroviaire.
En définitive, comme le souligne Air France, si ces développements d'avions électriques et hydrogène sont un levier précieux pour décarboner les trajets les plus courts, elles ne permettent pas de traiter la principale source d'émissions du groupe, à savoir les vols long-courriers.
b) Les SAF devraient contribuer à plus de la moitié de la décarbonation du secteur aérien d'ici 2050
En tout état de cause, si le déploiement de l'avion électrique et à hydrogène semble envisageable à moyen-long terme, ces solutions apparaissent peu réalistes à court terme et, en tout état de cause, insuffisantes pour résoudre la problématique des émissions de CO2 de l'aviation, qui proviennent majoritairement des vols long-courriers. De ce fait, d'après l'Ademe, « l'aérien reste le secteur le plus complexe à décarboner ». Dans ce contexte, l'augmentation de l'incorporation de carburants d'aviation durables (CAD ou SAF) constitue, à ce jour, le principal levier de décarbonation du secteur.
Il existe deux grandes familles de carburants d'aviation durables : les biocarburants, issus de la biomasse, d'une part et, d'autre part, les carburants de synthèse (également appelés « e-fuels » ou « Power-to-liquid »), produits à partir d'électricité ; d'hydrogène et de CO2. D'après la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), la filière estime que les carburants d'aviation durables représentent des gains d'émissions de gaz à effet de serre d'environ 70 à 95 % sur l'ensemble du cycle de vie par rapport au kérosène d'origine fossile.
Safran, auquel le rapporteur a rendu visite sur le site de Bordes, estime les carburants d'aviation durables issus de la biomasse ne couvriraient que 30-40 % des besoins de l'aviation à l'horizon 2050, le différentiel devant alors être comblé par des carburants synthétiques durables.
À ce jour, 7 filières sont d'ores et déjà certifiées pour un mélange jusqu'à 50 %. D'après Safran, plus de 450 000 vols ont été réalisés avec des SAF depuis 2016 et 300 millions de litres de SAF ont été produits en 2022.
Aussi, dans l'ensemble des quatre scénarios de décarbonation de l'aérien identifiés dans le cadre de la proposition de feuille de route, le recours aux carburants d'aviation durables joue un rôle majeur de réduction des émissions de CO2. C'est ce qu'illustre le schéma ci-dessous, qui représente la trajectoire de décarbonation du périmètre international (vols au départ de la France vers l'international), dans le cadre du scénario « Accélération ».
Source : Proposition de feuille de route de décarbonation du secteur aérien
Les SAF présentent en outre l'avantage d'être des carburants « drop-in » : ils peuvent en effet être utilisés immédiatement et ne nécessitent pas ou peu d'évolutions sur les moteurs et les avions existants. Il s'agit d'un point positif, compte tenu du fait que les avions ont une durée de vie estimée entre 20 et 25 ans d'après l'Ademe, ce qui ne permet pas d'envisager un renouvellement rapide de l'ensemble des flottes des compagnies aériennes.
Au-delà, Air France considère les SAF comme une solution pérenne, et non transitoire, étant donné que les projets d'avion électrique ou à hydrogène liquide ne concernent pas les long-courriers.
Si le choix de décarboner le transport aérien par le biais, de manière prioritaire, de l'incorporation de SAF est partagé par l'ensemble de la filière, il semble également privilégié par les pouvoirs publics, qui définissent des objectifs croissants d'incorporation d'ici à 2050.
Ainsi, le règlement ReFuelEU Aviation prévoit une trajectoire d'augmentation du taux d'incorporation de SAF visant à le porter de 2 % en 2025 à 70 % en 2050, avec des sous-objectifs relatifs à l'incorporation de carburants de synthèse (cf. tableau ci-après). Il convient également de préciser que les biocarburants de première génération stricto sensu (c'est-à-dire principalement issus de cultures destinées à l'alimentation humaine ou animale) ne peuvent pas contribuer à ces SAF. En revanche, les biocarburants avancés peuvent y contribuer.
Objectifs d'incorporation de carburants d'aviation durables prévus par le règlement ReFuelEU Aviation
2025 |
2030 |
2032 |
2035 |
2040 |
2045 |
2050 |
|
Taux d'incorporation de SAF |
2 % |
6 % |
6 % |
20 % |
34 % |
42 % |
70 % |
Part minimale de carburants de synthèse |
1,2 % |
2 % |
5 % |
10 % |
15 % |
35 % |
La France a également mis en oeuvre plusieurs initiatives visant à soutenir le déploiement des carburants d'aviation durables, listées, pour certaines, dans l'encadré ci-après.
La politique de la France en matière de soutien au déploiement des CAD
• Un partenariat a été conclu, en août 2018, entre l'État et les principaux acteurs de la filière, portant « engagement pour la croissance verte relatif à la mise en place d'une filière de biocarburants aéronautiques durables en France ».
• Une première feuille de route nationale pour le déploiement des biocarburants aéronautiques durables a été publiée en 2020, avec des objectifs d'incorporation de 2 % en 2025 et de 5 % en 2030.
• En juillet 2021, l'État a également lancé un appel à projets (AAP) « Développement d'une filière de production française de carburants aéronautiques durables », pour :
- des travaux d'ingénierie préalables à la décision d'investissement visant des procédés de fabrication plus matures ;
- des travaux de démonstration visant des projets dont le niveau de maturité est plus faible.
Cinq projets ont été retenus dans ce cadre, représentant un montant d'aides de 18 millions d'euros.
• En outre, le transport aérien est soumis, depuis le 1er janvier 2022, à la taxe incitative sur l'utilisation d'énergies renouvelables dans les transports (TIRUERT), dont l'objectif est à ce jour fixé à 1 %192(*) et révisable annuellement.
• Plus récemment, en février 2023, le Gouvernement a lancé un groupe de travail pour favoriser le développement des carburants d'aviation durables, rassemblant l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur.
• Enfin, le Président de la République a annoncé, le vendredi 16 juin dernier, un investissement de 200 millions d'euros afin de créer une filière française de production et de distribution de carburants aériens durables. Ces fonds devraient être alloués au projet « BioTJet », via l'implantation d'une usine dans les Pyrénées-Atlantiques produisant des carburants à partir du retraitement d'huiles usagées ou de résidus agricoles et de bois, dans l'objectif de fournir 75 000 tonnes de kérosène durables aux compagnies aériennes à horizon 2030. En complément de ce soutien, le Président de la République a annoncé « monter à 300 millions d'euros par an », sur la période 2024-2030, en accélérant l'investissement dans la filière, en particulier « à travers le moteur RISE, à travers le CORAC 2e génération ». Si la mission salue cet effort, elle estime qu'il correspond en réalité au prolongement - du moins selon le même ordre de grandeur - du soutien apporté au CORAC dans le cadre des mesures spécifiques à la filière aéronautique de 2020. D'après un rapport de février 2022193(*), les aides destinées aux projets d'aviation décarbonée avaient été augmentées et portées à 1,5 Md€ sur la période 2020-2022, contre 135 M€ avant la crise.
Cette croissance du recours aux SAF dans les années à venir pour la décarbonation du secteur aérien suppose une très forte augmentation de leur production, mais également une diminution de leur prix. En l'état actuel, d'après Air France, alors que la tonne de kérosène s'élève à 800 euros environ, les biocarburants de maturité technologique relativement élevée coûteraient 3 à 4 fois plus cher que le kérosène, et ce coefficient serait de 4 à 10 pour les e-fuels, technologiquement moins matures. Le tableau ci-après, issu de la proposition de feuille de route de décarbonation de l'aérien, présente les estimations des prix des biocarburants en 2022 et en 2050, en fonction des types de biocarburants :
- les HEFA sont des huiles et graisses hydrotraitées. Il s'agit du seul type de SAF produit en France194(*) ;
- le PTL est un électro-carburant produit à partir de CO2, d'eau et d'électricité ;
- le BTL est un électro-biocarburant (production à partir de biomasse et d'électricité) et les e-BTL bénéficient d'un apport externe d'hydrogène ;
- le LH2 désigne l'hydrogène liquide.
Source : Proposition de feuille de route de décarbonation de l'aérien
Dès 2023, les surcoûts liés à l'incorporation de SAF s'élèvent, pour le groupe Air France, à 100 millions d'euros en 2023. Ils pourraient atteindre, sur la base de l'engagement pris par le groupe d'incorporation de 10 % d'ici 2030, 1,3 milliard d'euros.
Ainsi que le résume la DGAC, « il est désormais essentiel que l'offre puisse se développer et que la massification de la production permette de baisser les prix ». En tout état de cause, d'après l'Ademe, les coûts des SAF devraient rester supérieurs à celui du kérosène d'ici à 2050.
Source : Ademe
Plusieurs acteurs de la filière s'inquiètent du déficit trop important entre l'offre et la demande de SAF, dont le rythme de production reste à ce jour insuffisant. À titre d'illustration, pour l'année 2022, la compagnie Air France-KLM a incorporé 41 000 tonnes de SAF, ce qui représente 17 % de la production mondiale de cette même année, alors même que le groupe représentait 3 % de la consommation mondiale de carburants d'aviation. Aussi, et sur la base de la cible de 10 % d'incorporation que s'est fixée le groupe à horizon 2030, le volume nécessaire pourrait s'élever à un million de tonnes par an.
D'après la feuille de route de la filière, en France, la capacité de production actuelle de type HEFA est de l'ordre de 900 kt par an avec les bioraffineries de La Mède (Bouches-du-Rhône, 500 kt/an) et de Grandpuits (Seine-et-Marne, 400 kt). Les premières unités BTL devraient entrer en activité d'ici 2028, tandis que la production d'électrocarburants démarrera plus probablement vers 2030. En outre, le tableau ci-dessous liste les capacités de production actuellement disponibles et celles annoncées à l'échelle européenne.
Bioraffineries disposant d'une capacité de
production de carburéacteurs
(capacité de production toutes
coupes de carburants incluses)
Source : Proposition de feuille de route de
décarbonation de l'aérien,
citant une source
TotalEnergies
D'après la feuille de route, « Il ressort de ce tableau que les capacités actuelles de production de biocarburants en Europe utilisent presque exclusivement la filière HEFA et s'élèvent à fin 2022 à 3,6 Mt ». En tout état de cause, et compte tenu de la trajectoire rapide d'augmentation des objectifs d'incorporation, d'importants efforts restent à mener pour déployer la production nécessaire de SAF.
Enfin, un dernier point souligné par un grand nombre d'acteurs concerne le taux maximum d'incorporation de SAF fixé à 50 % au carburant d'origine fossile, qui constitue à ce jour une limite à l'incorporation de carburants d'aviation durables. Plusieurs travaux sont en cours pour viser une compatibilité 100 % SAF d'après Safran. Des options encore ouvertes pour la filière maritime
La décarbonation du transport maritime, qui représente 80 à 90 % du commerce international195(*), constitue elle aussi un véritable défi pour la filière.
L'Union européenne est en train de se doter d'objectifs ambitieux de réduction de l'intensité en carbone du secteur par rapport à la moyenne 2020 à horizon 2050, dans le cadre du projet de règlement FuelEU Maritime.
Cibles de réduction des émissions de
gaz à effet de serre incluse
dans le projet de règlement
FuelEU Maritime
2025 |
2030 |
2035 |
2040 |
2045 |
2050 |
|
Cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre |
- 2 % |
- 6 % |
- 14,5 % |
- 31 % |
- 62 % |
- 80 % |
Source : RefuelEU Maritime, version consolidée de l'accord institutionnel (trilogue)
En complément, ce projet de règlement prévoit la fixation, à compter de 2034, d'un sous-objectif d'incorporation de carburants liquides et gazeux renouvelables d'origine non biologique (également appelés RFNBO pour « Renewable fuels of non biological origin ») à hauteur de 2 %. Néanmoins, une clause d'équivalence visant à assurer la neutralité technologique a été insérée au cours des discussions : elle permet de remplacer cet objectif par l'incorporation de carburants permettant une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 70 %.
En parallèle, l'Organisation maritime internationale (OMI) s'est dotée d'une stratégie initiale de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui fixe notamment un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre annuelles en valeur absolue du secteur d'au moins 50 % en 2050 par rapport à 2008 et une réduction de l'intensité carbone de la flotte mondiale de 40 % en 2030 par rapport à 2008.
Enfin, est également prévue l'extension du système d'échange de quotas d'émissions (ou ETS) au transport maritime. Il est ainsi prévu196(*) que 100 % des émissions dans les ports et des voyages intra-européens et 50 % des émissions des voyages entre un port de l'Union européenne et un port situé en dehors de la juridiction d'un État membre devront donner lieu à restitution de quotas.
4. Des options encore ouvertes pour la filière maritime
a) Une flotte de « prototypes »
Malgré des objectifs ambitieux, la décarbonation du secteur maritime est d'autant plus complexe qu'il comprend une grande diversité de bateaux, dont les fonctions et tailles peuvent considérablement différer d'un bâtiment à l'autre. À titre d'illustration, la flotte du secteur du transport et des services maritimes est composée de navires de conception et d'usages extrêmement variés (pétroliers, vraquiers, gaziers, porte-conteneurs, cargos, rouliers, remorqueurs, navires de sauvetage, etc.).
Flotte de transport sous pavillon français
(en pourcentage de jauge brute)
Source : Proposition de feuille de route de décarbonation de la filière maritime
Aux côtés du secteur du transport et des services maritimes s'ajoutent en outre le secteur de la pêche et de l'aquaculture ainsi que celui du nautisme et de la plaisance, qui recouvrent des types de navires encore bien différents.
Aussi, comme l'a souligné une représentante de la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (DGAMPA), « la problématique du transport maritime est que les navires ne sont pas construits en série. Les bâtiments sont quasiment tous des “prototypes” ; il est donc difficile de trouver des solutions de décarbonation et l'énergie adaptée à chaque navire ».
b) L'électrification à quai se développe
Malgré ces difficultés, le développement de l'électrification à quai dans les ports permet aux navires d'être approvisionnés en électricité pendant leur escale afin de leur permettre de couper leur moteur lorsqu'ils sont à quai. Cette technologie permet non seulement de réduire à la source les émissions de gaz à effet de serre, mais également celles de polluants atmosphériques émis par les navires (oxydes d'azote, oxydes de soufre, particules fines), notamment dans des zones qui connaissent déjà des dépassements des normes de qualité de l'air.
Le Grand port maritime de Marseille a engagé un programme ambitieux d'électrification des quais accueillant les ferries. Le projet de Connexion électrique des navires à quai (CENAQ), d'un montant total de 50 millions d'euros, vise à proposer, de manière progressive, et d'ici 2025, une offre de branchement pour les ferries internationaux et les grands bateaux de croisière.
Le déploiement de l'électricité à quai dans les ports français devrait s'accélérer, sous l'effet notamment de l'adoption du règlement du Parlement européen et du Conseil sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs197(*). Son article 9 prévoit une obligation pour les États membres de s'assurer que, d'ici 2030, les ports maritimes du réseau transeuropéen de transport (sous condition d'un seuil minimal d'escales par an) doivent permettre de satisfaire 90 % de la demande en électricité à quai exprimée en nombre d'escales de navires porte-conteneurs, ferries et navires de croisière d'une jauge supérieure à 5 000 tonnes de jauge brute. En outre, l'article 10 de ce même règlement prévoit une obligation de création d'au moins une installation fournissant une alimentation électrique fournissant une alimentation à quai aux bateaux de navigation intérieure au plus tard au 1er janvier 2030. Une clause de révision de ce règlement est en outre prévue à horizon fin 2026.
La DGITM a indiqué à la mission d'information que les ports concernés par ces obligations se préparent à la mise en oeuvre de ces obligations : « la majorité des études de dimensionnement sont en cours (2023-2024) afin de permettre un lancement des travaux à horizon 2025 ». Ces études visent à préciser les besoins électriques supplémentaires du port et les modalités techniques du branchement à quai.
Les moyens à déployer pour développer cette technologie sont conséquents : la création d'un branchement implique des investissements liés à la capacité du réseau électrique à fournir de l'électricité en haute fréquence, des investissements en équipements (CAPEX) et des coûts liés à la gestion des installations sur leur durée de vie (OPEX). D'après la DGITM, les coûts fixes d'équipement pour l'ensemble des ports français peuvent être estimés à 320 millions d'euros, précisant que ces montants sont « partiellement engagés à ce stade et feront l'objet d'une priorité dans le cadre des prochains CPER (volet mobilité) ». À ces coûts fixes s'ajouteront également des coûts d'exploitation élevés, de l'ordre de 10 à 40 % des coûts totaux fixes.
En tout état de cause, la DGITM estime que « le modèle économique reste à trouver pour la plupart des ports, en particulier pour les plus petits ». Cette équation est d'autant plus complexe que la solution de branchement à quai serait, à ce jour, plus chère que la solution consistant à produire de l'électricité à bord. En outre, les perspectives incertaines d'évolution de certains segments de trafic, à commencer par le marché de croisière, rendent aléatoire la période d'amortissement.
c) Le passage au (bio) GNL comme choix intermédiaire et manière d'éliminer les autres types de pollution (NOx, SOx,...)
Le gaz naturel liquéfié (GNL), qui est un mélange gazeux d'hydrocarbure d'origine fossile composé majoritairement de méthane, est l'un des leviers privilégiés par la filière ces dernières années comme alternative au fioul lourd. Stéphane Raison, président du directoire de HAROPA PORT, a ainsi indiqué à la mission d'information que « depuis cinq à dix ans, les armateurs se sont plutôt tournés vers le gaz naturel liquéfié [GNL] ».
Il s'agit d'une technologie utilisée depuis les années 1960-1970 - donc considérée comme mature - qui présente l'avantage de réduire considérablement les émissions de polluants atmosphériques, comme l'a souligné devant la mission Mme Christine Cabau Woerhel, vice-présidente de CMA-CGM ; permettant ainsi aux navires qui y recourent de respecter les réglementations en la matière. L'usage du GNL permet en effet de réduire les émissions de soufre, d'oxydes d'azote et de particules fines. Le GNL permet en outre une diminution allant jusqu'à 17 % des émissions de CO2198(*).
De ce fait, un certain nombre d'armateurs ont fait le choix du GNL, même si le nombre de navires fonctionnant au GNL reste à ce jour limité (environ 300 navires dans le monde). Plusieurs armateurs ont d'ores et déjà franchi le pas du GNL, à l'image de Corsica Linea ou de CMA-CGM, qui a commandé neuf porte-conteneurs de 23 000 équivalent vingt pieds fonctionnant au GNL.
En parallèle, on observe un déploiement des infrastructures de GNL dans les ports français, et des projets de développement dans les années à venir. À titre d'exemple, le port de Marseille développe une politique ambitieuse de développement du soutage GNL : il a réalisé sa première opération de soutage pour un navire de croisière en mai 2020 et pour un navire porte-conteneurs en janvier 2022 avec la mise en service du navire souteur Gas Vitality fin décembre 2021. Pour autant, le GNL reste une énergie fossile et doit donc, à ce titre, être envisagé comme un carburant transitoire. Ainsi que le souligne la proposition de feuille de route de décarbonation de la filière maritime, « l'abattement d'émissions de gaz à effet de serre du GNL est limité compte tenu de son origine fossile et des émissions fugitives de méthane (dont le pouvoir réchauffant est 28 fois supérieur au CO2 à 100 ans) provoquées par son utilisation, le GNL ne peut donc être vu que comme une énergie de transition vers le bioGNL et vers le e-méthane qui offre l'avantage sur les autres formes d'énergies d'une transition progressive et pilotable ». Pour Transport & Environment, le GNL est, du fait de ces fuites de méthane, « pire que les carburants conventionnels qu'il remplace ».
Cela étant dit, d'après les considérants de la proposition de règlement « AFIR », « le GNL va probablement conserver sa place dans le transport maritime, où il n'existe actuellement aucune technologie de propulsion à émissions nulles qui soit économiquement viable. Selon la communication sur la stratégie de mobilité durable et intelligente, les navires de mer à émissions nulles seront prêts à être commercialisés d'ici 2030. » Dans ce contexte, l'article 11 de la proposition de règlement prévoit une obligation pour les États membres de se doter d'un nombre approprié de points de ravitaillement en GNL dans les ports maritimes du réseau central du RTE-T à horizon 2025.
d) Les choix technologiques ne sont pas cristallisés
D'après la proposition de feuille de route de décarbonation de la filière maritime, « aucun des leviers ne s'impose à ce jour pour le maritime ». Aussi, et à ce stade, une combinaison de plusieurs leviers doit être recherchée, par segment de flottes ou par navire, selon ses type et zone d'exploitation ou encore son autonomie.
De nombreux leviers de décarbonation peuvent être envisagés (recours à des modes de propulsion moins carbonés, efficacité énergétique ou encore réduction de la vitesse des navires), comme l'illustre le schéma ci-dessous.
Les principaux leviers de décarbonation du maritime
Source : Proposition de feuille de route de décarbonation de la filière maritime
Le carburant étant à ce jour la source principale des émissions de CO2 du secteur maritime, le recours à des modes de propulsion moins carbonés constitue, de fait, une solution privilégiée de réduction de l'empreinte carbone de la filière. Plusieurs types d'énergies pourraient s'avérer pertinents, à savoir :
- le vent ;
- les biocarburants, issus de la biomasse ;
- les e-fuels, carburants de synthèse produits à partir d'électricité, de CO2, d'hydrogène et d'une autre molécule (e-ammoniac, e-méthanol, e-fioul) ;
- les carburants gazeux, comme le gaz naturel liquéfié (GNL) ;
- l'énergie électrique directe ;
- l'hydrogène, utilisé sous forme liquide ou dans une pile à combustible.
La proposition de feuille de route de la filière identifie un scénario principal de décarbonation représenté ci-après.
Source : Proposition de feuille de route de décarbonation de la filière maritime
Dans ce scénario, les biocarburants pourraient assurer une transition entre l'énergie fossile et les e-carburants qui devraient se développer à partir de 2030 et représenter un peu plus de 70 % des volumes en 2050. D'après la proposition de feuille de route, le GNL fossile serait progressivement remplacé par du bioGNL puis du e-GNL, avec un développement plus tardif du méthanol en raison de l'absence d'infrastructures et de navires compatibles actuellement. L'électrification des navires resterait limitée à moins de 10 %, compte tenu des contraintes inhérentes pour les navires les plus gros.
En tout état de cause, et à l'exception de l'énergie électrique qui, de l'avis de certains acteurs, pourrait être adaptée aux bateaux de petite taille pour la navigation côtière ou fluviale, il reste néanmoins difficile de dégager une orientation définitive de la filière vers tel ou tel type d'énergie, chacune des solutions envisagées présentant certaines limites, comme illustré, de manière très schématique, ci-après.
Différentes options pour la filière maritime
Source : Ademe (depuis le Cluster Maritime Français)
Dans ce contexte, on constate un foisonnement d'initiatives et de projets recourant à des carburants et modes de propulsion divers, qui transparaît notamment dans les commandes de navires (cf graphique ci-après).
Commandes de navires utilisant des carburants alternatifs
Source : Proposition de feuille de route de décarbonation de la filière maritime, DNV, 2022
Si le GNL représente une part importante des commandes de navires à carburants alternatifs, on observe un grand nombre de projets de développement de navires à hydrogène, à propulsion électrique ou encore à propulsion vélique. Plusieurs armateurs ont également fait le choix des carburants de synthèse. D'après Transport & Environment, plus de 130 navires à l'ammoniac sont en commande dans le monde.
L'armateur Maersk a quant à lui commandé 19199(*) très grands porte-conteneurs capables de fonctionner à l'e-méthanol pour une livraison 2025. Si les armateurs se tournaient jusqu'à récemment principalement vers le GNL, Stéphane Raison a indiqué constater une « modification de cette approche. Ainsi, tous les armateurs à conteneurs se tournent vers une multitude de choix : ammoniac, e-méthanol, hydrogène, piles à combustibles ».
Cette situation représente un véritable défi pour les plateformes portuaires en matière de déploiement des infrastructures d'avitaillement en carburants alternatifs. L'équation est d'autant plus complexe que, selon les segments et les usages, il existe des relations d'interdépendance plus ou moins fortes entre les ports et les armateurs. Les flottes « captives » et territorialisées sont relativement tributaires des carburants décarbonés mis à disposition par les ports. En revanche, s'agissant des flottes non captives (transport international de porte-conteneurs), les choix des armateurs en matière de soutage sont déterminants pour le déploiement des infrastructures.
D'après la DGAMPA : « Actuellement, nous sommes incapables de donner des prix de l'énergie pour le maritime. C'est un marché international, les prix changent tous les jours et changeront encore plus en fonction des choix des grands armateurs. Nous parlons plus de méthanol, il y aura peut-être du bioGNL. Tant que ce choix ne sera pas fait, nous ne saurons pas quel type d'infrastructure nous devrons mettre en place ».
5. Des solutions multiples pour le secteur fluvial
50 millions de tonnes de marchandises ont été transportées sur le réseau navigable français en 2022200(*) ; la part modale du transport fluvial dans le transport intérieur de marchandises s'établissant à 2 % environ.
Le transport fluvial présente de nombreux atouts : il s'agit d'un mode capacitaire - puisqu'une barge équivaut à environ 125 poids-lourds - fiable, et peu émetteur de gaz à effet de serre. Les émissions de gaz à effet de serre du mode fluvial représentent ainsi moins de 1 % des émissions du secteur des transports. En cela, le report modal vers le transport fluvial constitue, en soi, un levier de décarbonation du secteur des transports.
Pour autant, le transport fluvial est lui aussi soumis à l'atteinte des objectifs de décarbonation suivants :
- réduire de 35 % de ses émissions de gaz à effet de serre et de polluants (particules, oxydes d'azote) d'ici 2035 par rapport à 2015 et, autant que possible, mettre un terme à ces émissions d'ici 2050. Cet objectif est inscrit dans la déclaration de Manheim de 2018 des États membres de la Commission centrale pour la navigation du Rhin ;
- réduire de 55 % ses émissions de CO2 d'ici 2030 (par rapport à 1990), dans le cadre du paquet « Fit for 55 » de la Commission européenne.
La flotte fluviale de commerce est constituée d'un peu moins de 1 000 bateaux, dont 650 bateaux automoteurs et 350 barges d'après Voies navigables de France (VNF). La flotte de transport fluvial de passagers compte quant à elle 326 bateaux d'excursion journalière et 32 bateaux de croisière immatriculés en France.
D'après la DGITM, l'activité touristique s'oriente vers une électrification intégrale ; nombre de bateaux étant d'ores et déjà hybrides. L'activité fret s'oriente quant à elle vers l'hybride avec une propulsion électrique, mais les moteurs électriques ou hydrogène ne répondent pas encore aux besoins d'usage. C'est pourquoi, d'après la DGITM : « l'usage de carburants tels que les HVO peuvent faciliter la transition en s'intégrant à la durée de vie des bateaux ».
En outre, comme l'a souligné VNF, le verdissement du secteur souffre de l'absence de cadre réglementaire stabilisé applicable aux nouvelles technologies de propulsion et en particulier de l'hydrogène, ce qui freine le développement de nombreux projets. Ainsi, le bateau à hydrogène Zulu 6 est à quai au Havre depuis un an et demi, en attente de précisions quant à la réglementation s'appliquant au conteneur de stockage d'hydrogène. D'après VNF le Zulu 6 « est en train de se faire voler la primeur du transport fluvial à hydrogène par le Maas, automoteur néerlandais ».
Néanmoins, le rythme de renouvellement de la flotte est relativement lent, du fait de la durée d'utilisation des unités fluviales, qui s'élève à 30 à 40 ans201(*). En outre, VNF indique que les chantiers fluviaux sont très peu nombreux, ce qui limite, de fait, les capacités de renouvellement de la flotte.
En tout état de cause, et compte tenu de la durée de vie des bateaux fluviaux, « la priorité est donnée par le secteur à l'accroissement de la performance de la flotte existante » d'après VNF, qui considère que trois leviers peuvent être mobilisés dans cette perspective :
- l'écopilotage, qui consiste à utiliser des outils de télématique embarqués pour adapter la vitesse au trafic et aux conditions de navigation, en tenant compte des caractéristiques du bateau et de son niveau de chargement. VNF cite l'exemple de Vinci Construction maritime et fluviale, pour qui cette technique a permis de réaliser une économie de 20 % de carburants ;
- l'électrification des quais, dans la même logique pour le transport maritime ; un bateau pouvant passer 30 à 70 % de son temps à quai. À cet égard, l'article 10 du règlement AFIR prévoit une obligation de création d'au moins une installation fournissant une alimentation électrique fournissant une alimentation à quai aux bateaux de navigation de navigation intérieure au plus tard au 1er janvier 2030 ;
- le recours aux nouveaux carburants qui, toujours selon VNF, pourraient permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 30 à 90 %, à motorisation thermique inchangée.
Sur ce troisième point, trois types de biocarburants gazole peuvent être utilisés pour la navigation intérieure : le B100, l'HVO et le BTL. Si la filière semble privilégier le HVO, elle constate que sa disponibilité est à ce jour limitée. En outre, le coût d'un litre de HVO est sensiblement supérieur à celui du gazole non routier (GNR) pour l'heure utilisé majoritairement (3 euros par litre de HVO contre 0,8 euro par litre de GNR). Or, la part du carburant dans les charges d'exploitation de la filière représente 30 à 40 % dans le fret et environ 10 % dans le transport de passager.
Outre les biocarburants, la filière recoure également carburants de synthèse, et plus particulièrement au GTL.
* 170 Conseil de l'Union européenne, 30 mars 2023, « Le Conseil et le Parlement parviennent à un accord provisoire sur la directive relative aux énergies renouvelables ».
* 171 Article 1er bis du règlement (UE) 2019/631 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 établissant des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et pour les véhicules utilitaires légers neufs, et abrogeant les règlements (CE) no 443/2009 et (UE) no 510/2011 (refonte)
* 172 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs et abrogeant la directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil.
* 173 Depuis le rapport d'information n° 738 (2022-2023) « Zones à faibles émissions mobilités (ZFE-m) : sortir de l'impasse », fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, par M. Philippe Tabarot, Sénateur.
* 174 Source : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, SDES, octobre 2022, Données sur le parc de véhicules en circulation au 1er janvier 2022.
* 175 Réponse de la DGEC au questionnaire écrit du rapporteur.
* 176 Source : Stellantis, Communiqué de presse, 20 avril 2023, « Stellantis finalise ses tests eFuel réalisés sur 28 familles de moteurs afin de soutenir la décarbonation de sa flotte de véhicules thermiques en circulation ».
* 177 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2019/1242 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émission de CO2 pour les nouveaux véhicules lourds et intégrant des obligations de déclaration, et abrogeant le règlement (UE) 2018/956.
* 178 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la réception par type des véhicules à moteur et de leurs moteurs, ainsi que des systèmes, des composants et des entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, en ce qui concerne leurs émissions et la durabilité de leurs batteries (Euro 7), et abrogeant les règlements (CE) nº 715/2007 et (CE) nº 595/2009.
* 179 Source : Proposition de feuille de route de décarbonation de la filière véhicules lourds.
* 180 Source : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, SDES, octobre 2022, Données sur le parc de véhicules en circulation au 1er janvier 2022.
* 181 Article 73 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, tel que modifié par l'article 103 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
* 182 D'après la FNTR, les carburants de synthèse en particulier permettent de reproduire les mêmes molécules que celles composant le diesel fossile, et sont donc utilisables par une motorisation identique.
* 183 Carbone 4, février 2017, « L'autoroute électrique : une innovation pour réduire les émissions de CO2 du transport de marchandises »
* 184 Système de route électrique (ERS), juillet 2021, groupe de travail n° 2, « Solutions techniques, potentialités et verrous »
* 185 Groupe de travail n° 3, « Expérimenter à grande échelle les systèmes de route électrique (ERS) : vers un appel à projets “ SYDRE ” ».
* 186 En trains.km réalisés.
* 187 Réponse de SNCF Voyageurs au questionnaire écrit du rapporteur.
* 188 Article 4 de l'arrêté du 29 mars 2018 relatif aux caractéristiques du carburant dénommé B100 : « Le B100 ne peut être utilisé que dans des flottes professionnelles disposant d'une logistique d'approvisionnement spécifique et de leurs propres capacités de stockage et de distribution. »
Article 4 de l'arrêté du 28 février 2017 relatif aux caractéristiques du gazole paraffinique de synthèse et du gazole obtenu par hydrotraitement dénommés gazole XTL : « Le gazole XTL ne peut être utilisé que dans des flottes professionnelles disposant d'une logistique d'approvisionnement spécifique et de leurs propres capacités de stockage et de distribution. »
* 189 Source : FNAM.
* 190 L'article 145 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit une interdiction des services réguliers de transport aérien public de passagers concernant toutes les liaisons aériennes à l'intérieur du territoire français dont le trajet est également assuré sur le réseau ferré national sans correspondance et par plusieurs liaisons quotidiennes d'une durée inférieure à deux heures trente. On peut également citer la charte de sobriété du Ministère de la transition écologique de 2022, qui incite les entreprises à privilégier le train pour des trajets ferroviaires de moins de 4 heures.
* 191 Source : Air France
* 192 Article 266 quindecies du code des douanes.
* 193 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les mesures de soutien à l'industrie aéronautique, par M. Vincent CAPO-CANELLAS, Sénateur.
* 194 Source : Groupe ADP
* 195 Source : Armateurs de France.
* 196 Article 3 octies bis de la directive 2003/87/CE telle que modifiée par la directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans l'Union et la décision (UE) 2015/1814 concernant la création et le fonctionnement d'une réserve de stabilité du marché pour le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre de l'Union.
* 197 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs et abrogeant la directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil.
* 198 Source : proposition de feuille de route de décarbonation de la filière maritime.
* 199 Ce nombre a été porté à 25 en juin dernier.
* 200 Source : Voies navigables de France
* 201 Source : Voies navigables de France.