D. L'ENJEU URBAIN : LIMITER L'ARTIFICIALISATION ET PRÉSERVER LE PATRIMOINE ET LES PAYSAGES

Au-delà des questions de précarité énergétique, la politique de rénovation énergétique des bâtiments présente également des enjeux d'occupation des sols et d'urbanisme sans oublier de répondre aux besoins de logement.

1. Rénover pour moins artificialiser et répondre au besoin de logement

Deux tiers de l'accroissement des surfaces artificialisées seraient liées à de nouveaux logements. C'est pourquoi le chapitre III du titre V de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 pose les principaux objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols. En particulier, son article 191 pose l'objectif d'une absence d'artificialisation nette des sols en 2050. Un objectif intermédiaire prévoit que le rythme d'artificialisation des sols doit être réduit de moitié entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie qui précède. L'artificialisation est définie par l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme comme « l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». S'agissant d'un objectif d'artificialisation nette, il peut être compensé par des opérations de renaturation.

Le ZAN aura des conséquences multiples sur le secteur de la construction. Le rapport d'information de Jean-Baptiste Blanc, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy, Objectif de zéro artificialisation nette à l'épreuve des territoires, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, fait l'estimation suivante : « À raison d'une artificialisation totale moyenne de 28 400 hectares par an environ, le groupe de travail estime qu'un objectif uniforme de réduction de 50 % de l'artificialisation nouvelle, tel que proposé par le projet de loi Climat et résilience, représenterait chaque année un manque à construire de 100 000 logements (dont 88 % de logements individuels), soit plus du tiers des logements construits chaque année (et la moitié des logements individuels)29(*). »

Cet objectif peut ainsi soulever des tensions quant au besoin en logements de la population. Le même rapport indique ainsi que : « En matière d'habitat, la France continue de connaître une importante crise du logement. En dépit des efforts de construction, notamment de logement social, près de 4 millions de personnes sont aujourd'hui mal logées en France, selon la Fondation Abbé Pierre. Le besoin de construction de logements reste fort, en raison à la fois des évolutions de la composition des ménages et de la démographie. En parallèle, le coût du logement ne cesse d'augmenter, représentant désormais entre 20 et 40 % du budget moyen des Français30(*). »

De manière schématique, et sans considérer les exceptions à l'application du ZAN, il existe trois possibilités pour maintenir une offre de logement suffisante :

- la rénovation des logements existants ;

- la transformation ou la conversion de bâtiments tertiaires ou industriels en logements ;

- la construction de logements nouveaux, obligatoirement compensée par une destruction équivalente de logements existants.

La densification des zones habitables, qui permet d'accroître l'offre de logements tout en restant dans le cadre du ZAN, peut se faire autant dans le cadre d'une rénovation que d'un scénario de démolition-construction, même si le processus est plus difficile dans le premier cas. Néanmoins, plusieurs arguments conduisent à privilégier le premier scénario, celui de la rénovation des logements.

Premièrement, les scénarios de « démolition-construction » sont davantage émetteurs de gaz à effet de serre. Emmanuelle Cosse, lors de son audition devant la commission d'enquête en tant qu'ancienne ministre du logement a mis en avant cet enjeu : « Partout où l'on peut éviter de démolir, pour restructurer, on ne démolit pas, et chaque fois que j'évite une démolition je pense aux émissions de carbone évitées et tout ceci incite, je le répète, à s'intéresser aussi à l'économie du carbone31(*). »

Une étude du Cerema de janvier 2023, qui s'appuie notamment sur une étude de 2018 publiée dans le Journal of Environnemental Management, tend à confirmer qu'un scénario de démolition/construction est nettement plus émetteur de gaz à effet de serre qu'un scénario de réhabilitation du logement : « Dans la cadre d'une [analyse du cycle de vie] ACV du berceau (module A) à la tombe (module C), réalisée sur un bâtiment de bureaux pour un scénario de réhabilitation et un scénario de démolition-reconstruction, [Marique et al., 2018] mettent en avant quels impacts énergétique et carbone de la phase de construction et de démolition sont prépondérants. Leur étude aboutit à la conclusion qu'une réhabilitation énergétique ambitieuse conduit à des impacts environnementaux bien moindres que ceux associés à une reconstruction d'où l'importance d'une analyse en cycle de vie32(*). » L'étude précise néanmoins que les données sont encore peu nombreuses à ce sujet.

La rénovation permet également de préserver l'intégralité des droits à construire, notamment dans le parc social.

Rénover peut aussi conduire à des opérations de surélévation et donc de densification du bâti qui financent la rénovation énergétique d'un immeuble en créant de la surface habitable.

2. Préserver le patrimoine et les paysages

Ensuite, privilégier la rénovation à la démolition-construction est indispensable pour la préservation du patrimoine architectural des territoires. À ce titre, Françoise Gatel, présidente de Petites cités de caractère de France, a déclaré devant la commission d'enquête lors de la table ronde consacrée au patrimoine : « À cet égard, le zéro artificialisation nette (ZAN) a encore renforcé l'enjeu de la rénovation et de la transformation du bâti ancien33(*) », et Gilles Alglave, président de Maisons paysannes de France, a affirmé lors de la même table fonde : « Le ZAN peut constituer une décision vertueuse, à condition qu'il s'accompagne d'incitations, non pas à détruire l'ancien (comme le font certains promoteurs pour trouver du foncier déjà imperméabilisé), mais à le réutiliser34(*). » Ce dernier point est particulièrement important, puisque le patrimoine ancien est, comme vu supra, celui qui statistiquement est le plus souvent classé comme « passoire énergétique ».

Enfin, il ne faut pas oublier le fait que le logement présente également une dimension affective. L'attachement des habitants à leur logement peut les conduire légitimement à préférer la rénovation plutôt que la démolition et la reconstruction. C'est un aspect essentiel des opérations de réhabilitation et de revitalisation menées dans le cadre d'Action coeur de ville ou de l'évolution de la philosophie de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'Anru. Après avoir privilégié la démolition, elle s'oriente vers plus de réhabilitation profonde notamment lorsqu'il s'agit de patrimoine architectural remarquable du XXe siècle comme les tours nuages à Nanterre conçue par l'architecte Émile Aillaud.

L'atteinte des objectifs de zéro artificialisation nette, tout en assurant le besoin de logement de la population, suppose donc de manière impérative une accélération de la politique de rénovation énergétique des logements. Celle-ci est indispensable pour éviter une « déperdition » des zones déjà artificialisées. Les enjeux écologiques de la rénovation énergétique vont ainsi au-delà des questions d'émissions de gaz à effet de serre et d'efficacité énergétique, mais touchent également aux problématiques de la préservation de la biodiversité et de l'intégrité des sols.


* 29 Objectif de zéro artificialisation nette à l'épreuve des territoires, Rapport d'information n° 584 (2020-2021) de Jean-Baptiste Blanc, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, 12 mai 2021, page 72.

* 30 Objectif de zéro artificialisation nette à l'épreuve des territoires, Rapport d'information n° 584 (2020-2021) de Jean-Baptiste Blanc, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, 12 mai 2021, page 72.

* 31 Compte rendu des auditions de la commission d'enquête du 13 février 2023.

* 32 Cerema, Prise en compte du carbone dans les projets de rénovation, Rapport d'étude, janvier 2023, page 64. L'étude de 2018 cite par ailleurs une étude de 2008, « Does demolition or refurbishment of old and inefficient homes help to increase our environmental, social and economic viability ? » (A. Power), selon laquelle, au Royaume-Uni, la démolition-reconstruction est en moyenne plus coûteuse que la rénovation des bâtiments.

* 33 Compte rendu des auditions de la commission d'enquête du 30 mai 2023.

* 34 Compte rendu des auditions de la commission d'enquête du 30 mai 2023.