II. UNE OUVERTURE DE L'AIDE ACTIVE À MOURIR POSSIBLE DE MANIÈRE ENCADRÉE

· La rapporteure estime nécessaire d'ouvrir aujourd'hui un droit de mourir dans la dignité dans notre pays, lequel repose sur un accès aux soins palliatifs mais, aussi, sur l'accès le cas échéant à une aide active à mourir.

Sans considérer que l'aide active à mourir relèverait du « sens de l'Histoire », il peut être noble d'estimer que nos sociétés sont aujourd'hui assez matures pour que le sujet de la mort puisse être collectivement abordé et le droit d'assister chacun dans une mort digne reconnu.

Ainsi, à ceux qui y voient une transgression d'un interdit fondamental de toute société qu'est le fait de tuer, il peut être opposé l'idée d'une humanité suffisamment aboutie, réfléchie et nuancée pour, au nom d'un principe de solidarité, arriver à le dépasser.

Le présent rapport n'a pas vocation à définir de manière précise les critères ou modalités d'accès qui devraient être ceux retenus pour l'ouverture de l'aide active à mourir. La rapporteure estime que le texte déposé en 2020 par sa collègue Marie-Pierre de La Gontrie174(*) devrait pouvoir utilement servir de base de travail.

A. RECONNAÎTRE LE DROIT DE CHACUN À UNE MORT DIGNE ET CHOISIE

1. Une aide active à mourir comprenant suicide assisté et euthanasie

Deux modalités de mise en oeuvre de cette aide active à mourir devraient être, comme cela avait été proposé en 2020 :

- le suicide assisté, défini comme la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de cette personne, d'un produit létal et l'assistance à l'administration de ce produit par un médecin ou une personne agréée ;

- l'euthanasie, définie comme le fait pour un médecin de mettre fin intentionnellement à la vie d'une personne, à la demande expresse de celle-ci.

La rapporteure estime souhaitable d'ouvrir la possibilité au suicide assisté et à l'euthanasie. En effet, le constat fait par le Comité d'éthique dans son avis 139 sur les lacunes d'un accès au seul suicide assisté est pertinent. Si la société, en ouvrant l'aide active à mourir, entend le faire au nom du principe de solidarité, elle ne peut écarter l'euthanasie comme modalité possible d'aide active à mourir.

L'aide active à mourir doit être un droit reconnu à chacun.

2. Une aide active à mourir réservée aux patients autonomes et atteints de troubles lourds et définitifs ou d'une pathologie incurable générant des souffrances inapaisables

L'aide active à mourir ne se conçoit pas comme un « droit à mourir » qui serait reconnu à tous, sur simple demande et auquel la société devrait donner satisfaction. D'une part, il n'y a pas d'interdit de mort, ni dans le droit - le suicide n'étant par exemple pas pénalisé - ni dans les faits : la mort concernera chacun un jour.

Il s'agit ici d'apporter non un « droit-créance » mais une réponse à des personnes en grande souffrance. En cela, bien que la rapporteure constate la réticence de certains médecins, l'euthanasie et le suicide assisté apparaissent bien comme la continuité du soin.

La proposition de 2020 retenait trois critères nécessaires pour se voir reconnaître le bénéfice d'une aide active à mourir. Le patient devrait ainsi :

- être capable au sens du code civil ;

- être en phase avancée ou terminale d'une affection d'origine pathologique ou accidentelle, même en l'absence de pronostic vital engagé à court terme ;

- être atteint d'une affection accidentelle ou pathologique aux caractères graves et incurables avérés et infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable qu'elle juge insupportable ou la plaçant dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité, y compris en cas de polypathologies.

On peut constater que cette définition rejoint en partie le cheminement fait dans des pays voisins et de tradition culturelle et sociale proche de la nôtre. Ainsi, en Espagne, la loi légalisant l'euthanasie et le suicide assisté est entrée en vigueur le 1er juin 2021175(*). Les soignants peuvent « mettre fin à la vie d'un patient de manière délibérée, à sa demande », lorsque le patient est majeur et qu'il subit soit une « souffrance grave, chronique et invalidante », soit « une maladie grave et incurable, provoquant une souffrance intolérable ».

En outre, dans la mesure où l'aide active à mourir ne fait dans ce cas qu'accélérer la mort qui doit survenir du fait de la maladie identifiée, il est justifié de rattacher la mort à la maladie et, partant, considérer cette mort comme naturelle.

Il s'agit par ces critères de répondre aux lacunes identifiées de la loi Clayes-Leonetti et ainsi :

de lever l'exigence de l'imminence du décès pour abréger les souffrances de la personne. L'engagement du pronostic vital à court terme, qui constitue aujourd'hui une condition de la mise en oeuvre de la sédation, ne serait plus requis ;

de donner une place prépondérante à l'appréciation que fait le patient de sa situation, et ainsi poursuivre le rééquilibrage de la relation patient-médecin.

La procédure alors proposée garantissait la collégialité d'une part, la traçabilité d'autre part. En effet, le médecin saisi de la demande devrait ainsi vérifier que les critères sont remplis et, par la suite, solliciter l'avis d'un confrère accepté par la personne concernée ou sa personne de confiance. A posteriori, un rapport sur les circonstances du décès serait adressé à une commission nationale de contrôle créée à cet effet.

Enfin, il n'apparaît ni nécessaire ni pertinent de proposer une clause de conscience spécifique aux médecins.

· La rapporteure estime qu'il existe une possibilité d'aide active à mourir encadrée, éthique et contrôlée, qui n'encoure pas de risques de « pente glissante » parfois brandis.


* 174 Proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité - Texte n° 131 (2020-2021) de Mme Marie-Pierre de La Gontrie et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 17 novembre 2020.

* 175 Loi organique n° 3/2021 du 24 mars 2021 de régulation de l'euthanasie.

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