B. PRIVILÉGIER UNE SOCIÉTÉ DE LA SOLLICITUDE

Dans les conditions qui précèdent, les deux rapporteures estiment que le « modèle français de la fin de vie », qu'elles appellent également de leurs voeux, ne peut être que celui de l'éthique du soin et de la sollicitude. Les contours passeront nécessairement par les trois jalons suivants, qu'elles ont déjà eu l'occasion de documenter dans leur rapport précédent.

· Développer l'accompagnement palliatif pour tous, la démocratie en santé, et la participation des patients, laquelle exige une application effective de la loi de 2016 et une plus large diffusion des directives anticipées.

Comme le souligne dans un entretien récent Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, « la France n'est pas en retard sur un chemin, elle en a choisi un autre. C'est la loi Claeys-Leonetti qui n'est pas encore pleinement appliquée. Ma conviction personnelle est que nous avons une formidable opportunité d'inventer un modèle spécifiquement français d'accompagnement de la fin de vie. Un modèle construit à partir de la personne. Un modèle fait du refus de l'obstination thérapeutique déraisonnable, de soins palliatifs mieux connus et plus précoces, de soutien aux aidants, de liens sociaux pour lutter contre le fléau de la solitude et de regards aimants sur la personne souffrante. »164(*)

Les rapporteures rejoignent également le Pr Emmanuel Hirsch : « S'il s'agit de respecter le droit des personnes malades jusque dans les conditions de leur mort, engageons ensemble cette approche renouvelée de la démocratie en santé qu'insulte aujourd'hui l'actualisation d'une concertation nationale sur la fin de vie en vue de légitimer l'euthanasie là où la santé publique relève d'autres priorités et d'autres expressions de la solidarité. Nous méritons mieux que l'euthanasie par compassion ! »165(*)

· Revaloriser le rôle des soignants. Le Pr Emmanuel Hirsch le dit encore mieux qu'on ne saurait le faire : « Il nous faut également être attentifs à éviter que des argumentations qui prétendent apporter une caution éthique à ce que serait une loi d'exception ne prévalent dans l'arbitrage de décisions dont j'estime qu'elles ne constituent pas aujourd'hui une urgence politique. On peut même suspecter qu'elles visent à nous détourner d'autres défis immédiats, comme celui de permettre aux professionnels de santé d'assumer un soin digne dans un contexte de précarisation de leurs pratiques et de délitement de notre système hospitalier. »166(*)

Comme le relève Bernard-Marie Dupont, « aujourd'hui, d'une certaine manière, on demande aux soignants une réponse médicale à une question philosophique. Or le problème n'est d'abord ni médical ni juridique, mais existentiel : le sens de la vie, du passage, l'instant de la mort dépassent largement le seul cadre du droit ou de la médecine. »167(*)

· Restaurer les bases d'une société de la sollicitude.

Cela exigera d'améliorer la lutte contre l'isolement social, la politique de prévention des risques suicidaires, et de préserver d'une manière générale nos politiques de solidarité. L'amélioration de l'offre de prise en charge exigera de poursuivre la réflexion sur ses formes et son contenu à destination d'une société vieillissante, déjà alimentée par des projets innovants tel que celui des « maisons de vie » présenté par Laure Hubidos devant la mission168(*). Le soutien aux aidants et au bénévolat d'accompagnement devra encore être renforcé. Bref, c'est davantage à concevoir une forme « d'aide à une vie désirable jusqu'au bout »169(*) qu'appelle le présent rapport.

Laissons le mot de la fin à Jacques Ricot : « Une société digne de ce nom est celle qui reconfigure l'éthique de l'autonomie par une éthique de la vulnérabilité : elle doit prendre en compte la fragilité et la faiblesse de l'être humain, et plus largement le tragique de la condition humaine, qui reste immuable, quelles que soient les lois »170(*).


* 164 Dans Le Figaro du 22 juin 2023.

* 165 Dans Le Monde du 13 septembre 2022.

* 166 Ibid.

* 167 Audition du 29 mars 2023.

* 168 Voir aussi Bien vieillir chez soi : c'est possible aussi !, rapport d'information n° 453 (2020-2021) de M. Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 17 mars 2021.

* 169 Cercle vulnérabilités et société, note pour un modèle français solidaire de la fin de vie, juin 2023.

* 170 Audition du 29 mars 2023.

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