IV. LE « SENTIMENT ANTI-FRANÇAIS » ET L'IMPORTANCE DES ENJEUX D'INFLUENCE
A. LE « SENTIMENT ANTI-FRANÇAIS », UN PHÉNOMÈNE COMPOSITE
Alors qu'en 2013, la réussite de l'opération Serval avait conféré une image très positive à la France, le « sentiment anti-français » n'a cessé de prendre de l'ampleur au fil des années au Sahel, créant un environnement de plus en plus hostile à l'opération Barkhane. Des discours conspirationnistes sont apparus, prétendant expliquer la persistance de la présence française et l'incapacité à éradiquer le djihadisme par un agenda caché, d'autant que, comme l'a souligné lors de son audition le sous-directeur de l'Afrique occidentale du MEAE, la diplomatie française a manifesté une relative incapacité à communiquer sur ce qu'étaient les réels intérêts de la France dans la région, ouvrant ainsi la porte aux spéculations malveillantes.
Ce « sentiment anti-français » est cependant hétérogène, émanant d'un mouvement non structuré, tantôt religieux et anti-occidental, tantôt anti-impérialiste. Plus répandu dans les grandes villes qu'à la campagne, plus virulent sur les réseaux sociaux, où il constitue le « fonds de commerce » de certains influenceurs, que dans la rue, il se fonde sur la référence aux luttes anti-coloniales mais aussi sur un panafricanisme plus moderne, qui considère que la France continue parfois à se comporter de manière « arrogante ». À cet égard est souvent cité l'épisode du sommet de Pau où les chefs d'Etat du Sahel auraient été « convoqués » collectivement par le Président de la République. Ce sentiment s'alliant avec un rejet de la corruption des élites, il est souvent reproché à la France, inversement, de rester trop proche de gouvernants corrompus.
B. LA MONTÉE EN PUISSANCE DES ENJEUX D'INFLUENCE
Le « sentiment anti-français » a été instrumentalisé par les adversaires stratégiques de la France à l'appui d'un projet d'influence anti-démocratique, autoritariste, nationaliste et favorable aux régimes militaires issus des putschs.
Ainsi, au cours de l'opération Barkhane, les enjeux d'influence sont montés en puissance à mesure que la Russie et Wagner s'investissaient davantage dans la région, pour devenir finalement centraux. L'exemple-clef en a été l'affaire du prétendu charnier de la base de Gossi, où l'armée française a filmé des mercenaires de Wagner en train de mettre en scène un charnier après l'abandon de la base par la France. Cette opération réussie de contre-désinformation a d'ailleurs montré que l'armée française prenait désormais en compte cette problématique. La France a ainsi récemment mis en place plusieurs éléments d'une stratégie d'influence :
· la diplomatie publique et l'influence sont considérées comme une fonction stratégique dans la nouvelle Revue Nationale Stratégique 2022 ;
· une nouvelle sous-direction de la veille et de la stratégie du Quai d'Orsay a été mandatée pour conduire la réponse française aux défis informationnels ;
· la France dispose d'un ambassadeur dédié à la diplomatie publique en Afrique et d'un ambassadeur pour le numérique, chargé de promouvoir nos valeurs et notre culture dans le monde numérique ;
· le ministère des armées a adopté une doctrine de « lutte informatique d'influence » en octobre 2021 et une cellule Anticipation, stratégie et orientation (ASO) fonctionne désormais au sein de l'État-major des Armées.
· Le MEAE et les armées souhaitent également exploiter davantage l'OSINT (Open Source Intelligence), dont la guerre en Ukraine a montré l'utilité pour déconstruire les récits promus par la Russie.
Malgré ces progrès, la France ne dispose, dans ses emprises diplomatiques, que de peu de moyens pour diffuser quotidiennement des messages anti-désinformation : à titre d'exemple, l'ambassade ne dispose que d'un volontaire international et d'un employé local à Bamako pour le service presse, de trois personnes à Niamey, ou encore de cinq employés à Abidjan. Cette situation, due en partie à la diminution des moyens de la diplomatie française au cours des dernières années, ne permet pas de rivaliser avec les « fermes à trolls » de Wagner.