C. L'UTILISATION DES RESSOURCES IN-SITU (ISRU) : UN ENSEMBLE DE TECHNOLOGIES AU POTENTIEL DISRUPTIF

1. Un essai d'approche systématique

Indispensable à l'établissement d'une présence humaine sur la Lune et à l'exploration de Mars, clé de voûte du développement de nouveaux services commerciaux en orbite, l'utilisation des ressources in situ (ISRU) correspond à un vaste ensemble de ressources, techniques et applications, envisageables à plus ou moins long terme.

Ce constat a conduit l'International Space Exploration Coordination Group (ISECG), un forum de coopération technique entre agences spatiales55(*), à mettre en place en 2019 un groupe de travail spécifiquement consacré au sujet de l'ISRU, avec pour mission d'identifier et de prioriser les besoins des prochaines missions d'exploration, ainsi que les défis technologiques restant à relever pour y répondre le moment venu et les opportunités de coopération entre agences spatiales et entre industriels. Bien que de nature technique, le travail de l'ISECG témoigne en soi d'une prise de conscience importante, puisqu'il considère l'ISRU comme un ensemble cohérent, défini par ses finalités, au-delà de la diversité de ses technologies, disciplines et acteurs.

Publié en avril 2021, l'ISRU Gap Assessment Report56(*) est le fruit d'un travail de recensement minutieux des ressources, produits et applications envisageables, présentés de façon synthétique dans le tableau ci-après.

Le rapport propose une définition générale de l'ISRU :

« L'ISRU implique tout équipement ou opération qui [...] utilise les ressources locales ou disponibles sur place pour créer des produits ou des services servant à l'exploration robotique et humaine de l'espace et au maintien d'une présence durable, plutôt que de les apporter depuis la Terre.

« L'objectif immédiat de l'ISRU est de réduire drastiquement le coût directement lié à l'envoi d'humains sur la Lune et sur Mars et à leur retour, de viser l'auto-suffisance sur longue durée de bases spatiales habitées permettant de repousser les limites de la recherche scientifique et de l'exploration, et d'ouvrir la voie à la commercialisation de l'espace.

« Pour tirer tous les bénéfices d'une intégration de l'ISRU à l'architecture des missions, les autres systèmes doivent être conçus autour de la disponibilité et de l'utilisation de produits issus de l'ISRU. Par conséquent, l'ISRU constitue une capacité disruptive, et sa conception requiert une approche systématique et une intégration dès l'origine à l'architecture des missions. »

L'une des limites du travail conduit par l'ISECG tient à la définition même de l'ISRU, plus restrictive que la notion d'exploitation des ressources spatiales. En effet, si l'ISRU n'implique pas de limiter a priori le champ des ressources pouvant être utilisées, elle conduit en revanche à ne considérer que les seules applications qui correspondent à un usage sur place, c'est-à-dire dans le cadre d'une mission d'exploration et afin de répondre à ses propres besoins, ou éventuellement pour un usage ailleurs dans le milieu spatial (refueling, etc.), mais pas sur Terre.

L'exploitation de ressources à des fins commerciales extérieures à la mission elle-même n'entre donc pas dans le champ de l'ISRU stricto sensu, ce qui exclut, entre autres, l'extraction de métaux rares sur des astéroïdes, sur la Lune ou sur Mars pour des applications terrestres. L'exercice de définition atteint ici ses limites, dans la mesure où les technologies sont en grande partie les mêmes, non seulement pour l'extraction des ressources en tant que telle, mais aussi pour les autres aspects de la mission (transport, stockage, analyses, télécommunications, énergie, etc.).

En outre, des modèles économiques « mixtes » devraient émerger, rendant la distinction entre ISRU et non-ISRU quelque peu artificielle. La fabrication en microgravité sur des stations orbitales en donne un bon exemple : à quelle catégorie faudrait-il rattacher un alliage issu à la fois de métaux terrestres et lunaires, ou servant à la fois à des applications dans l'espace et sur Terre ?

Ces remarques ne remettent pas en cause l'intérêt d'une approche systématique du sujet. Les développements qui suivent reviennent donc de façon transversale, quoique non exhaustive, sur les différentes ressources et technologies concernées par l'exploitation des ressources spatiales.

2. Les ressources : de quoi parle-t-on ?
a) Les ressources physiques naturelles : eau, gaz et minéraux

D'une manière générale, la notion de « ressource spatiale » n'est pas limitative : tout peut a priori constituer une ressource, dès lors que son utilisation répond à un besoin et qu'il existe une technologie permettant de l'exploiter. En pratique, toutefois, le terme fait principalement référence aux ressources naturelles qui se trouvent sur les autres corps du Système solaire57(*) comme la Lune, Mars, les autres planètes et leurs satellites, les astéroïdes, les comètes, etc.

En fonction de leur localisation et de leurs caractéristiques physiques et chimiques, on peut les regrouper en quatre grandes catégories :

- l'eau, présente en particulier sous forme de glace à la surface de la Lune et de Mars, mais aussi sous forme gazeuse, voire liquide - détecter sa présence est l'un des objectifs de la mission JUICE de l'ESA (cf. infra). Comme sur la Lune, les zones ombragées en permanence (PSR) des autres corps du Système solaire, surtout sur ceux dépourvus d'atmosphère, pourraient être propices à la concentration d'eau glacée. Si la Lune compte un nombre exceptionnel de PSR, d'autres ont été détectées sur Mercure ou sur Cérès (le cratère Juling par exemple) ;

- les composés volatils apportés par les vents solaires : hydrogène, hélium, carbone, azote, etc. Ils se trouvent en surface à des concentrations variables, l'existence d'une atmosphère ou d'une activité géologique étant déterminante ;

- les composés atmosphériques : trois des quatre planètes telluriques du Système solaire sont dotées d'une atmosphère58(*) (la Terre, Mars et Vénus, mais pas Mercure), ainsi que plusieurs satellites et planétoïdes (Titan, Encelade, Triton, Europe, Io, etc.). On y retrouve à peu près les mêmes éléments, mais dans des proportions très variables ;

- les minéraux, et notamment les métaux, extraits du sol ou des roches des autres corps célestes.

b) Les ressources d'origine humaine : recyclage et circularité

Les ressources utiles et disponibles pour l'exploration spatiale ne se limitent pas aux ressources physiques « naturelles ». Les déchets produits par l'équipage (composés organiques, rejets de CO2, etc.) et par les activités humaines, en particulier les équipements usagés ou inutilisés (véhicules, électronique, matériaux de construction, etc.) constitueront aussi une ressource précieuse, accessible et complémentaire des ressources naturelles.

Pour ces ressources d'origine humaine, le défi technologique n'est pas celui de l'extraction, mais celui du recyclage, de la réutilisation, de la réparation et de la circularité en général, via des systèmes dont l'efficacité conditionnera le degré d'autosuffisance des futures bases spatiales. Pour la plupart, ces technologies ne sont ni nouvelles, ni spécifiques : elles sont par exemple développées et améliorées de façon continue à bord de la Station spatiale internationale (ISS), et bénéficient d'importantes synergies avec leurs équivalents terrestres59(*), même si leur adaptation au contexte d'une base permanente à la surface de la Lune ou de Mars constitue en soi un défi technique important. Par exemple, on estime qu'il sera nécessaire d'atteindre un taux de recyclage de l'eau d'au moins 80 % pour assurer la viabilité d'une base lunaire ou martienne, y compris si elle est disponible sur place.

L'enjeu du recyclage concerne aussi l'espace orbital, où satellites en fin de vie, étages de fusées et autres déchets et débris constituent autant de « ressources spatiales » potentielles à utiliser - pour autant que les investissements soient réalisés pour développer les technologies nécessaires. La réutilisation pourrait se faire de plusieurs manières :

- localement, via la réparation ou le réemploi de matériaux ou de composants usagés sur un même objet, comme cela se pratique déjà sur l'ISS ou dans les vols habités mais en élargissant les possibilités (intervention sur des satellites, recyclage des métaux, etc.) ;

- en orbite, après recyclage de la matière première et réutilisation à des fins de construction ou de fabrication ;

- à la surface de la Lune, les déchets et débris orbitaux étant alors collectés, déposés sur la Lune puis transformés en vue de leur réutilisation ou réexpédition, plutôt qu'abandonnés ou désorbités.

Comme le refueling ou l'extension de la durée de vie des satellites, la réutilisation des débris pourrait ainsi contribuer à réduire drastiquement l'encombrement spatial.

c) Les ressources rares au sens large

Enfin, en retenant une définition encore plus large fondée sur la théorie économique, on peut considérer comme des « ressources spatiales » les éléments suivants, dès lors qu'ils sont caractérisés par leur rareté :

- l'espace utile effectif à la surface des corps célestes, qui peut être très restreint (cf. infra) : sites d'atterrissage et de décollage, lieux suffisamment ensoleillés, proximité des ressources et autres points d'intérêts, etc. ;

- les orbites et les fréquences de télécommunication, ressources rares par excellence, et régulées à ce titre (attribution des fréquences, immatriculation des satellites, gestion du trafic, etc.) ;

- tout autre ressource limitée contribuant à la mission spatiale, y compris en amont : budget, disponibilité du lanceur, créneaux de lancement, temps utile de chaque astronaute, formation, etc.

Si ces raisonnements sont tout à fait valables sur le plan théorique, ils sont aussi d'application très générale et conduisent, en pratique, à perdre de vue les enjeux spécifiques du sujet, qui se concentrent sur l'extraction des ressources naturelles et ses implications. Tous ces enjeux demeurent cependant indissociables : il n'est pas envisageable, par exemple, d'établir une unité d'exploitation du régolithe dépourvue de télécommunications.

3. Les technologies
a) L'extraction des ressources : une chaîne de valeur en six étapes

Si l'exploitation des ressources spatiales ouvre des perspectives à la fois nombreuses et crédibles, aucune application concrète n'existe encore à ce jour, sinon sous la forme de prototypes et autres démonstrateurs, principalement sur Terre. Or les défis technologiques à relever se trouvent à tous les niveaux de la chaîne de valeur et impliquent des investissements et des efforts de R&D dans de multiples domaines.

Si l'on s'en tient au cas de l'exploitation des ressources minérales, cette chaîne de valeur comprend, de façon simplifiée, six grandes étapes60(*) :

Accès

1° La prospection : recherche et identification de la matière première, caractérisation physique et chimique, estimation de sa présence et de sa variabilité dans l'environnement immédiat, etc. C'est la seule étape qui, sur place, a déjà commencé ;

2° L'extraction de la matière première, par la transposition des techniques de l'industrie minière ;

Transformation

3° La préparation de la matière première par différents procédés physiques ou chimiques pour séparer les composés utiles du reste : broyage, concassage, raffinage, filtrage, etc. Les composés ciblés étant souvent présents à des concentrations très faibles, les installations devront être dimensionnées pour traiter des quantités très importantes de matière première puis de déchets ;

4° La production, c'est-à-dire la transformation à proprement dite de la matière première en produit utilisable dans le cadre de l'ISRU, là encore au moyen de divers procédés : réduction chimique, électrolyse, réaction de Sabatier, etc.

Logistique

5° Le transport aux différents stades de la chaîne : l'enjeu majeur est ici le recours à grande échelle à des rovers autonomes ou semi-autonomes à la fois fiables et capables d'opérer de façon continue pendant de longues périodes dans un environnement hostile ;

6° Le stockage aux différents stades de la chaîne de valeur, qui représente un défi technique majeur compte tenu de l'hostilité de l'environnement, de la volatilité voire de la dangerosité de certains gaz61(*), et des conséquences majeures d'une perte ou d'un accident.

b) Les applications : l'exemple de la construction

L'exploitation des ressources spatiales, une fois celles-ci extraites et transformées, ouvre la voie à de nombreux usages, dont les principaux sont évoqués au fil du présent rapport. D'autres, encore insoupçonnés, pourraient apparaître par la suite, surtout si le marché demeure ouvert aux acteurs innovants. On s'en tiendra donc ici à un exemple, celui de la construction à partir des ressources locales.

Il s'agit, d'abord, d'une priorité dans le cadre de l'ISRU stricto sensu, c'est-à-dire pour les missions d'exploration de la Lune puis de Mars, avec le régolithe pour principale ressource.

Comme on l'a vu, celui-ci peut être utilisé directement, pour la construction d'infrastructures (aires d'atterrissage, pistes pour les rovers, remblais, réservoirs, etc.) et pour la protection de l'équipage contre les radiations62(*) et les autres risques environnementaux (température, vent, micrométéorites, etc.). Si ce rôle de protection peut être rempli par des galeries souterraines, ou par le simple dépôt de matériaux bruts par des engins mécaniques, la plupart des scénarios envisagent plutôt de transformer le régolithe en matériau de construction à proprement parler.

Vue d'artiste d'un module d'habitation lunaire protégé par une couche de régolithe
déposée par impression 3D. Source : Foster & Partners (concours ESA 2013).

Deux technologies semblent ici particulièrement prometteuses, et pourraient être combinées afin de compenser leurs limites respectives : les briques de régolithe et l'impression 3D.

Les briques de régolithe peuvent être obtenues par frittage, un procédé usuel63(*) qui consiste à chauffer un matériau (la poudre de régolithe) par un apport d'énergie (laser, micro-ondes, etc.), sans aller jusqu'à la fusion d'au moins un de ses composants, ses grains étant alors soudés entre eux par les composants fondus. Les oxydes métalliques présents dans le régolithe lunaire comme martien constituent à cet égard un avantage précieux.

Un autre procédé consiste à fabriquer ces briques à partir d'un « béton », soit un mélange de granulats, de sable et d'eau, agglomérés par un liant hydraulique (le plus souvent du ciment). Compte tenu de la faible disponibilité de l'eau sur la Lune, cette technique apparaît surtout pertinente sur Mars, et plusieurs projets de « béton martien » ont déjà été présentés.

Quel que soit le procédé, toutefois, il devrait être difficile d'obtenir des matériaux présentant les caractéristiques requises (résistance mécanique, isolation, protection contre les radiations, etc.) sans l'ajout d'adjuvants, qu'il faudrait alors apporter depuis la Terre, ce qui rend ces solutions moins avantageuses dans le cadre de l'ISRU. Cela dit, l'opposition entre ressources locales et ressources apportées n'est pas un obstacle indépassable.

Ainsi, un projet lauréat 2023 du programme NIAC de la NASA porte sur des briques de régolithe martien « auto-fabriquées » grâce à des bactéries ou des champignons capables de se développer sur Mars, les biominéraux et polymères naturellement fabriqués par ces organismes servant de liant (colle) à l'ensemble64(*).

Ce procédé de bio minéralisation existe déjà sur Terre, où il est utilisé depuis une vingtaine d'années dans la construction, y compris pour des applications courantes, comme alternative moins coûteuse, plus isolante et plus écologique à la brique de terre cuite65(*).

Le processus de bio minéralisation des briques de régolithe martien. Source : NIAC.

L'impression 3D, ou fabrication additive, est également envisagée de longue date dans le cadre de l'ISRU, et a fait l'objet de nombreuses études et propositions. Cette technologie est aujourd'hui largement employée sur Terre, y compris dans le domaine de la construction où elle a l'avantage de ne produire aucun déchet et d'être automatisable, mais aussi plus largement dans la fabrication industrielle, avec des applications transposables à l'ISRU (petits outils, pièces de rechange et instruments divers « imprimés » en métal ou en plastique).

Il reste que les difficultés techniques sont loin d'avoir été levées pour l'instant. En particulier, l'impression 3D requiert une maîtrise précise de la composition du « mélange » de base, et celui-ci a besoin d'un liant qui, a priori, devrait être apporté depuis la Terre - en des quantités substantielles s'il s'agit de construction.

Toutes ces technologies sont également développées par la Chine. Présenté en 2019 par des chercheurs de l'Université de Huazhong, le « Super maçon chinois » (CSM, Chinese Super Mason) est un robot autonome capable de construire des structures complexes avec des « briques LEGO planétaires », en régolithe, avec une technologie combinant laser et impression 3D66(*).

Signe que les choses avancent vite, l'agence spatiale chinoise, la CNSA, a publiquement annoncé en avril 2023 que le « Super maçon » serait envoyé sur la Lune dès la mission Chang'e-8, prévue pour 2028 et destinée à tester diverses technologies d'ISRU dans la perspective de la future mission habitée (cf. infra).

 

Les métaux contenus dans le régolithe présentent aussi un intérêt en matière de construction. Autre lauréat 2023 du programme NIAC, le projet Lunar South Pole Oxygen Pipeline (L-SPoP) propose par exemple de remplacer les rovers autonomes envisagés pour transporter l'oxygène extrait de la surface lunaire, source de coûts et de risques considérables67(*), par un réseau de tuyaux fabriqués et assemblés in situ à partir de l'aluminium lui-même extrait du régolithe68(*), sur le modèle des oléoducs et gazoducs terrestres.

Vue d'artiste d'un habitat construit par le « Super maçon ». Source : CNSA 2019.

c) Les fonctions support : logistique, télécommunications et énergie

À ces différentes étapes de la chaîne de valeur stricto sensu s'ajoutent les défis techniques transversaux, liés à la mission dans son ensemble mais spécifiquement adaptés à l'extraction et à la transformation des ressources : construction des installations et infrastructures, protection des équipements, sécurité du personnel, transport, télécommunications ou encore production d'énergie.

En matière de télécommunications, la conduite des opérations à la surface de la Lune, dans le cadre de missions gouvernementales ou d'activités commerciales, nécessite de disposer d'une infrastructure complète et résiliente : communications avec la Terre, services de positionnement et de navigation pour les rovers, météorologie spatiale (pour la surveillance des éruptions solaires), datation, etc. À cette fin, la NASA développe le projet LunaNet, une constellation en orbite lunaire. Des projets similaires sont menés par la Chine (station ILRS, cf. Partie II) et par l'ESA (projet Moonlight, cf. Partie III).

Comme Starlink ou OneWeb autour de la Terre, LunaNet fournira un service commercial de navigation et de télécommunication par satellite. Le système utilisera des technologies comme le GPS, le WIFI ou la 5G.

La navigation en surface avec LunaNet. Source : NASA 2022.

 

Enfin, il faudra disposer d'une source d'énergie fiable et puissante, non seulement pour alimenter la base elle-même, mais aussi et surtout parce que l'électrolyse, qui permettra de fabriquer du carburant ou des piles à hydrogène à partir de l'eau, est un processus simple mais très consommateur d'électricité.

Dans un premier temps, c'est l'énergie solaire qui devrait fournir l'essentiel de l'électricité - mais sur la Lune, les sites ensoleillés sont rares et les nuits sont longues, tandis que sur Mars, qui reçoit déjà moins d'énergie car elle est plus éloignée du Soleil, les panneaux photovoltaïques sont rapidement recouverts de poussière69(*).

À terme, la plupart des projets reposent donc sur l'utilisation de petits réacteurs nucléaires modulaires, à l'instar de KRUSTY, un réacteur expérimental d'un kilowatt développé par la NASA dans le cadre du projet Kilopower, initialement pour la propulsion spatiale mais aujourd'hui surtout envisagé pour une utilisation dans le cadre de séjours prolongés sur la Lune ou sur Mars. Des projets similaires existent en Europe (cf. Partie III avec le projet de Rolls Royce, par exemple), et la Chine en a fait l'une de ses priorités.

 

En juin 2022, cinq entreprises ont été sélectionnées par la NASA et le Département américain de l'Énergie pour développer un premier réacteur opérationnel répondant aux besoins du programme Artemis.

Vue d'artiste d'un réacteur à fission de type Kilopower utilisé sur Mars. Source : NASA.

Le combustible de ces réacteurs devra être apporté depuis la Terre. À long terme, il n'est pas impossible que l'on parvienne à le trouver sur place, mais l'extraction du minerai, son traitement et son enrichissement constituent des défis technologiques encore largement inaccessibles.

4. La création d'une nouvelle filière industrielle

La maîtrise de la chaîne de valeur de l'ISRU, de ses applications et des technologies liées aux fonctions support constitue un défi scientifique et technologique majeur, d'autant qu'elles sont indissociables les unes des autres, et que les délais sont très courts : avant de pouvoir être utilisées par des humains sur la Lune, toutes ces technologies devront avoir été testées et validées, d'abord sur Terre avec des démonstrateurs, puis sur la Lune dans le cadre de missions robotiques, ce qui suppose des échéances très proches.

Concrètement, cela implique la structuration de toute une filière industrielle de l'exploitation des ressources spatiales, dont l'enjeu majeur est la coordination entre acteurs traditionnels du secteur spatial et acteurs venus du secteur des « ressources » et activités associées : industrie minière et gazière, construction, fabrication, transport, énergie, logistique, etc. Une autre particularité concerne l'implication de start-up innovantes au côté des acteurs établis, le New Space étant ici également un « New Non-Space ». Ces différents points seront abordés en détails en Partie II et en Partie III du présent rapport.

*

* *

Le sujet des ressources spatiales a donc bel et bien quitté la science-fiction pour entrer dans le monde réel.

Pourtant, il reste à ce jour largement absent du discours politique, notamment en France, et méconnu de l'opinion publique.

C'est un tort, non seulement car ses implications géopolitiques et économiques sont majeures et dépassent largement le seul domaine spatial (Partie II), mais aussi parce que la France et l'Europe pourraient avoir là une carte à jouer - pour peu qu'elles s'en donnent les moyens et affrontent leurs tabous (Partie III).


* 55 Fondé en 2007 par 14 agences spatiales nationales, l'ISECG permet à celles-ci d'échanger et de coopérer dans l'élaboration de leurs programmes d'exploration spatiale, de façon volontaire et sur les aspects consensuels. L'ISECG a son siège à Montréal et regroupe aujourd'hui 27 agences, dont la NASA, l'ESA, le CNES, mais aussi la CNSA (Chine) ou encore Roscosmos (Russie).

* 56 Soit « Rapport d'évaluation de l'écart technologique en matière d'ISRU ». Lien vers le rapport : https://www.globalspaceexploration.org/wordpress/wp-content/uploads/2021/04/ISECG-ISRU-Technology-Gap-Assessment-Report-Apr-2021.pdf.

* 57 Les ressources du milieu interstellaire, que constituent par exemple la lumière (pour l'alimentation en énergie), les particules de vent solaire (pour la propulsion à voile solaire) ou encore la gravité elle-même (pour les manoeuvre d'assistance gravitationnelle) ne sont donc pas abordées ici. Les corps célestes situés hors du Système solaire (exoplanètes, etc.), inaccessibles, sont également exclus.

* 58 Sans compter, par définition, les planètes gazeuses comme Saturne et Jupiter.

* 59 Par exemple s'agissant des technologies de purification de l'air ou de recyclage des déchets organiques en milieu confiné, notamment dans les sous-marins.

* 60 D'autres typologies, plus complexes, sont proposées par l'ISRU Gap Assessment Report.

* 61 Le mélange d'oxygène et d'hydrogène est explosif, par exemple.

* 62 Il n'existe cependant à ce jour aucune étude permettant de déterminer précisément l'épaisseur de la couche de régolithe nécessaire à une protection suffisante, ni même les limites de radiations admissibles dans le cadre d'un séjour prolongé.

* 63 La cuisson de la poterie, par exemple, se fait par frittage.

* 64  https://www.nasa.gov/directorates/spacetech/niac/2023
/Biomineralization_Enabled_Self_Growing_Building_Blocks/

* 65 Voir par exemple : https://www.domofinance.com/actualites/materiaux/materiaux-ecologiques-une-brique-en-champignon-et-un-parpaing-en-bois

* 66 Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0926580519312841?via%3Dihub

* 67 Ces coûts et risques correspondent à l'envoi depuis la Terre d'un grand nombre de rovers, à leur opération en continu et à leur maintenance dans des conditions difficiles, d'autant que la distance moyenne entre les sites envisagés pour l'extraction et l'électrolyse du régolithe d'une part, et de stockage et d'habitation d'autre part, est évaluée à 110 km en moyenne. Source : https://www.nasa.gov/directorates/spacetech/niac/2023/Lunar_South_Pole_Oxygen_Pipeline/

* 68 Lors du même processus d'électrolyse du régolithe permettant de produire de l'oxygène.

* 69 C'est le principal problème rencontré par les rovers présents sur place.

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