B. UN ENJEU SOUDAIN CONCRET ET IMMÉDIAT, AU CoeUR DES NOUVELLES AMBITIONS SPATIALES

1. La condition sine qua non d'un retour sur la Lune
a) Le programme Artemis, point de bascule majeur

En avril 2019, le président des États-Unis Donald Trump annonce le retour d'une mission habitée sur la Lune pour 2024, cinquante ans après le premier pas de l'humanité dans le cadre de la mission Apollo 11. Formalisé l'année suivante par la NASA, le programme Artemis, qui vise désormais une première mission en surface en 2025, constitue de loin le programme spatial le plus ambitieux des dernières années15(*), et relance la course à l'espace entre les grandes puissances.

Son objectif à terme est d'établir la première base permanente habitée à la surface de la Lune, dans un triple but de recherche scientifique, de développement commercial et d'inspiration des générations futures, et afin de préparer « le prochain pas de géant » dans l'exploration du Système solaire : envoyer des astronautes sur Mars.

Le programme Artemis

Prenant la suite et réutilisant des éléments du programme Constellation, lancé par George W. Bush en 2004 et annulé par Barack Obama en 2010 pour des raisons budgétaires, le programme Artemis est mené par la NASA, en partenariat avec les agences spatiales européenne (ESA), canadienne (CSA) et japonaise (JAXA), et comprend une importante contribution du secteur privé, ainsi qu'un volet international via les accords Artemis (cf. infra).

Sur le plan technique, il repose sur les principaux éléments suivants :

- le lanceur lourd Space Launch System (SLS) ;

- le vaisseau spatial Orion, composé d'un module de commande (Crew Vehicule) et d'un module de service, de développement européen (European Service Module - ESM, cf. infra), qui permet de transporter quatre astronautes au-delà de l'orbite basse et de revenir sur Terre ;

- la station spatiale Lunar Orbital Platform-Gateway (LOP-G), qui servira de relais avec la surface de la Lune ;

- le vaisseau lunaire Human Landing System (HLS), un vaisseau entièrement nouveau chargé de transporter le fret et les hommes à la surface de la Lune depuis le Gateway. Pour effectuer cette mission, il sera dans un premier temps placé en orbite terrestre, puis ravitaillé en ergols, avant de rejoindre l'orbite lunaire où il prendra en charge le fret (jusqu'à 100 tonnes) et l'équipage. À la fin de chaque mission (jusqu'à 100 jours), il remontera en orbite lunaire ;

- les atterrisseurs, rovers et équipements des missions robotiques.

La phase I du programme Artemis (jusqu'en 2025) comprend trois missions principales :

- Artemis I, dont le vol inaugural a eu lieu le 16 novembre 2022, et qui a permis de placer la capsule Orion (vide) en orbite lunaire puis de la faire revenir sur Terre ;

- Artemis II, prévue pour 2024, sera la première mission habitée, d'une durée de 10 jours, avec quatre astronautes à bord de la capsule Orion ;

- Artemis III, prévue pour 2025, permettra d'amener un équipage sur la Lune depuis le Gateway, grâce au Starship HLS. Elle devrait durer une trentaine de jours, dont six jours sur la Lune.

À cela s'ajoutent plusieurs missions robotiques, afin d'assembler la station Gateway, de ravitailler le HLS ou encore de tester des équipements en surface, pour un total cumulé de 37 lancements.

Le budget du programme Artemis pour la seule période 2021-2025 est estimé à 53 milliards de dollars16(*), voire à 93 milliards de dollars en incluant les développements antérieurs (programme Constellation notamment).

La phase II du programme Artemis devrait débuter à partir de 2026, avec pour objectif final d'établir une base humaine permanente au pôle Sud. Les étapes intermédiaires, dont le calendrier et le financement restent à préciser, incluront des missions humaines et robotiques pour l'exploration, l'assemblage de la station lunaire et l'utilisation des ressources in situ.

Pour remplir ses objectifs ambitieux dans les délais et éviter les dérives budgétaires, la NASA a fait le choix de sous-traiter aux entreprises privées une part importante du programme Artemis. C'est notamment le cas du vaisseau HLS, attribué en avril 2021 à la société SpaceX avec son Starship HLS17(*) pour les missions Artemis III et IV ; au-delà, la NASA pourra disposer d'un deuxième alunisseur, le Blue Moon de la société Blue Origin, comme cela vient d'être annoncé18(*).

Le recours aux acteurs privés concerne aussi les modules de la station Gateway, les atterrisseurs et rovers des missions robotiques, ainsi que les prestations de lancement, de ravitaillement et de dépôt d'équipements à la surface, notamment dans le cadre du programme Commercial Lunar Payload Services (CLPS), destiné à préparer les futures missions habitées (cf. infra).

Or, en matière d'exploitation des ressources spatiales, le lancement du programme Artemis a tout changé : il ne s'agit plus de science-fiction, ni d'un concept abstrait issu d'un laboratoire de prospective, mais d'un objectif de nature technique, et d'un impératif de court terme. Il s'agit aussi, derrière un même vocable, d'un changement d'objet, puisqu'il n'est plus question ici d'astéroïdes ou de fusion nucléaire, mais de poussière et d'eau lunaires.

En effet, contrairement aux missions Apollo menées dans les années 1970, qui ne duraient que quelques heures - le temps de planter un drapeau, de prendre quelques photos et de collecter des échantillons -, le programme Artemis, pour reprendre la formule désormais consacrée, consiste à « aller sur la Lune pour y rester », c'est-à-dire pour y établir une présence humaine durable, voire permanente.

C'est ce qui fait toute son ambition, mais aussi toute sa difficulté, les défis techniques à relever pour assurer la survie d'un équipage sur longue période étant incomparablement plus complexes. Il faudra en effet assurer son approvisionnement continu en oxygène, en eau et en nourriture, une source d'énergie fiable pour les bases, installations et véhicules, ainsi que la construction d'un habitat suffisamment protecteur, compte tenu des conditions extrêmes qui règnent à la surface de Lune : des nuits de 14 jours terrestres, une amplitude thermique de 300 °C (de -150 °C la nuit à +150 °C le jour), une poussière extrêmement abrasive (le régolithe), qui grippe les machines, s'infiltre dans les combinaisons et attaque les voies respiratoires, sans compter l'absence d'atmosphère qui expose les astronautes aux radiations et aux impacts de micrométéorites.

Tous ces besoins demandent des ressources, qu'il est théoriquement possible de faire venir depuis la Terre par une multiplication des lancements cargos, mais le coût d'un tel modèle apparaît rapidement insoutenable, d'autant que celui-ci s'accompagne de risques supplémentaires (échec d'un lancement, d'un alunissage, etc.), sans même parler de son impact sur l'environnement. Le problème pourrait être résolu en utilisant les ressources disponibles sur place, plutôt qu'en les faisant venir de la Terre.

Ceci implique la maîtrise d'un ensemble de technologies que l'on désigne collectivement sous le terme d'utilisation des ressources in-situ - ou ISRU, pour In-Situ Resource Utilization. Si ses applications potentielles vont bien au-delà du maintien d'une présence durable sur la Lune (cf. infra), c'est bien le programme Artemis qui a changé la donne, l'ISRU étant dans ce cadre à la fois indispensable - en l'absence d'alternative viable - et urgent -la Chine a aligné ses ambitions lunaires sur celles des États-Unis, et les deux puissances sont désormais engagées dans une course de vitesse.

Toutes ces considérations n'auraient pas lieu d'être s'il n'y avait, à l'origine, une double bonne nouvelle : d'une part, il y a bien sur la Lune des ressources exploitables, principalement l'eau et le régolithe, d'autre part, celles-ci permettent en théorie de répondre aux besoins les plus importants des premières missions humaines permanentes.

Vue d'artiste de la base lunaire Artemis. Source : NASA

b) L'eau : de l'oxygène pour l'équipage, du carburant pour les fusées

À défaut d'être la mieux documentée, l'eau présente à la surface de la Lune constitue, de loin, la ressource naturelle la plus intéressante. Si les échantillons rapportés par les missions Apollo ont un temps laissé penser que la Lune en était totalement dépourvue, les missions d'observation menées ultérieurement, en particulier Chandrayaan-119(*) en 2008 puis LCROSS20(*) et Lunar Reconnaissance Orbiter21(*) (LRO) en 2009 ont permis de conforter l'hypothèse d'une présence d'eau sous forme de glace, sans toutefois pouvoir trancher formellement entre eau et hydroxyle22(*).

En octobre 2020, le télescope stratosphérique SOFIA a permis une confirmation définitive23(*) en détectant directement sa signature moléculaire dans le cratère Clavius, où sa concentration est estimée entre 100 et 400 parties par millions, soit l'équivalent d'une canette de soda par mètre cube de régolithe, ou encore 0,4 gramme par litre. Par comparaison, le sable du Sahara contient environ 100 fois plus d'eau, mais de telles quantités restent suffisantes pour envisager une utilisation dans le cadre de l'exploration.

La ressource est toutefois loin d'être uniformément répartie. Les réserves les plus importantes se trouveraient sous forme de glace au fond des cratères du pôle Sud, du fait de la combinaison entre l'axe de rotation de la Lune, légèrement incliné24(*), et la topographie particulière des cratères, qui permet à certaines régions de ne jamais recevoir la lumière du Soleil et de conserver une température basse et constante, celle-ci ne dépassant jamais les -170 °C. Ces conditions permettent à l'eau de demeurer stable sous forme de glace pendant des millions, voire des milliards d'années, probablement sous forme de dépôts mêlés au régolithe, alors que sur le reste de la surface de la Lune, elle est rapidement dégradée par le rayonnement solaire25(*).

Carte topographique du pôle Sud de la Lune

Source : Stopar J. and Meyer H., Regional Planetary Image Facility, 2019,
d'après les données de la mission
Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO).

https://repository.hou.usra.edu/handle/20.500.11753/1263

Les cratères du pôle Sud représentent à eux seuls la moitié de la surface des régions ombragées en permanence (PSR, pour Permanently Shadowed Regions) de la Lune, où règnent des conditions similaires. On estime que la Lune compte quelque 324 régions ombragées en permanence, inégalement réparties.

Répartition estimée de la glace d'eau à la surface de la Lune

Pôle Sud Pôle Nord

Source : NASA, d'après les données du spectromètre
Moon Mineralog Mapper (M3) de la mission Chandrayaan-1

Si sa présence en quantités suffisantes était confirmée, l'eau (H2O) pourrait, par un simple procédé d'électrolyse, être séparée en hydrogène (dihydrogène, H2) et oxygène (dioxygène, O2), ce qui permettrait de répondre à deux besoins majeurs.

Le premier est la production de carburant utilisable par les fusées, ces deux éléments constituant le mélange d'ergols liquides le plus utilisé par les moteurs-fusées actuels (LOX/LH2, cf. infra). Il serait ainsi possible de fabriquer sur place le carburant nécessaire au vol retour de l'équipage au lieu de l'apporter depuis la Terre, mais aussi d'en disposer pour d'autres services de transport (vol habité ou fret), dans le cadre de la mission ou non (cf. infra). L'atterrisseur Blue Moon de Blue Origin est d'ailleurs précisément conçu pour une utilisation dans le cadre de l'ISRU : ses moteurs utiliseront le mélange LOX/LH2, et son alimentation électrique sera assurée par des piles à hydrogène, ce dernier étant fabriqué sur place.

Le deuxième besoin concerne le support de vie (life support), c'est-à-dire l'approvisionnement de l'équipage en eau et en oxygène.

L'unité d'électrolyse, équipement relativement simple qui pourrait être livré et assemblé en amont par une mission robotique, a seulement besoin d'une source d'énergie pour fonctionner : là encore, l'hydrogène issu de l'électrolyse pourrait être utilisé dans un cercle vertueux, le cas échéant en combinaison avec les autres sources d'énergie envisageables (panneaux solaires, mini-réacteur nucléaire, etc.).

Par leur importance, ces deux applications suffisent à démontrer le rôle crucial de l'utilisation des ressources in situ.

c) Le régolithe : une poussière aux applications multiples

L'autre grande ressource de la Lune est son régolithe, c'est-à-dire la fine couche de poussière présente à sa surface, sur une épaisseur moyenne de trois à huit mètres, et composée à près de 45 % d'oxygène (O), principalement lié à d'autres éléments sous forme de silicates. Le régolithe est formé par le bombardement continu de la roche-mère par des météorites et par le dépôt d'autres éléments par les vents solaires et interstellaires. En raison de l'absence d'atmosphère, ces éléments ne sont pas soumis à l'érosion et tendent à s'accumuler.

Dans le détail, on distingue le régolithe des « mers lunaires » (Mare regolith), riche en fer et autres métaux qui lui donnent sa couleur sombre26(*), et le régolithe des « hauts plateaux » (Highlands regolith)27(*), plus pauvre.

Source : Wikipedia. Échantillons rapportés par les missions Apollo.

Sous sa forme brute, le régolithe peut d'abord servir de matériau de construction, soit directement (pistes, remblais, réservoirs, protection contre les radiations, etc.), soit pour la fabrication de briques ou l'impression 3D, entre autres techniques possibles (cf. infra).

À partir du régolithe lunaire, il est également possible de produire de l'oxygène, mais aussi des métaux, comme l'a démontré Airbus en 2020 avec le projet ROXY, qui constitue une première mondiale en la matière et ouvre d'importantes perspectives.

Le projet ROXY d'Airbus

Conduit par les ingénieurs d'Airbus Defence and Space et des chercheurs de l'Institut Fraunhofer pour les technologies de fabrication et les matériaux avancés (Dresde), de l'Université de Boston et d'Abengoa Inovacion (Séville), le projet ROXY (pour Regolith to OXYgen and Metals Conversion) a permis de démontrer la faisabilité d'une production d'oxygène et de métaux à partir de poussière lunaire simulée.

Le réacteur ROXY est une petite installation de conversion par réduction chimique, qui pourrait être utilisée dans le cadre de futures missions d'exploration. À l'exception du réacteur lui-même, aucun autre matériau ne doit être envoyé depuis la Terre.

Cette technologie pourrait avoir une place centrale dans la chaîne de valeur de l'ISRU, avec des applications telles que la fabrication d'oxygène pour l'équipage et/ou le carburant des fusées (en combinaison avec la glace des pôles), et la production d'alliages utilisés pour la construction ou la fabrication (notamment par impression 3D).

Source : Airbus Defence and Space, 27 octobre 202028(*)

Le régolithe lunaire est également riche en éléments tels que le potassium (K), les terres rares (rare-earth elements - REE) et le phosphore (P), collectivement désignés par l'acronyme KREEP, qui pourraient présenter un intérêt dans le contexte de l'ISRU, mais surtout, à plus long terme, dans le cadre d'une exploitation commerciale. Les dépôts riches en KREEP sont aussi relativement plus riches en uranium et en thorium, des éléments radioactifs utilisables - à plus long terme - pour la production d'énergie nucléaire.

Carte de la concentration en thorium de la surface lunaire,
d'après les relevés de la mission Lunar Prospector (1998-1999).

La concentration en thorium est corrélée à la présence des KREEP.

Source : NASA 200629(*)

 

Enfin, le régolithe contient divers composés volatils déposés en continu par les vents solaires, tels que l'hydrogène (H), l'hélium (He) - dont l'hélium-3 évoqué précédemment -, le carbone (C), l'azote (N) et le fluor (F), qui sont tous susceptibles de trouver un usage, et qui sont parfois présents en des quantités significatives, sous forme d'agglutinats30(*) mêlés au régolithe. Hors des régions ombragées en permanence, les vents solaires sont ainsi les seules sources d'hydrogène et de carbone sur la Lune.

Concentration moyenne du régolithe lunaire en composés volatils

Source : ISRU Gap Assessment Report, 2021

Vue d'artiste d'une activité d'extraction de régolithe lunaire. Source : Dassault Systèmes

2. Objectif Mars : le futur de l'exploration spatiale
a) Mars : la Lune en plus loin

Le retour sur la Lune est explicitement présenté par les États-Unis, mais aussi par la Chine, comme une première étape permettant de préparer l'envoi d'une mission habitée sur Mars. Dans cette perspective, les missions lunaires permettent de développer, de tester et d'améliorer des technologies qui serviront ensuite aux missions martiennes, en particulier celles qui concernent l'utilisation des ressources locales pour assurer l'autosuffisance de l'équipage sur place et lors du vol retour.

Pour prendre la mesure des enjeux, rappelons que dans le scénario de conjonction31(*), la durée totale d'une mission sur Mars est de 30 mois, dont 18 mois sur place et 6 mois pour le vol aller et le vol retour, contre une durée totale de 12 jours pour les missions Apollo, le séjour sur place n'ayant jamais dépassé 3 jours. Ces conditions excluent tout ravitaillement régulier, toute intervention d'urgence ou toute assistance en temps réel32(*) depuis la Terre.

Comme sur la Lune, les besoins prioritaires seront la production de carburant pour les voyages et d'oxygène pour l'équipage (life support), et éventuellement la construction et la fabrication à partir de matériaux locaux. À cet égard, la capacité d'emport inédite du Starship - plusieurs dizaines de personnes ou 100 tonnes d'équipement dans un volume de 1 100 m-, candidat le plus crédible à ce jour pour les premières missions, permet d'envisager des applications nécessitant des installations assez importantes33(*) (forages profonds, « usines » relativement complexes, culture en système fermé ou hydroponie, etc.).

Si les besoins d'une mission martienne sont sans commune mesure avec ceux d'une mission lunaire, Mars offre également des ressources beaucoup plus intéressantes que la Lune, ce qui a conduit certains avocats de l'exploration spatiale à défendre une « priorité martienne » (d'où le nom du projet Mars Direct de la NASA, cf. infra).

Deux seront déjà familières au lecteur : le régolithe et l'eau.

b) Le régolithe : la Lune en plus rouge... et en plus vert

Bien qu'aucun échantillon du sol martien n'ait à ce jour été rapporté sur Terre (cf. infra), sa composition est connue, certes très partiellement, grâce aux missions orbitales et surtout aux rovers de la NASA, dont les deux plus récents, Curiosity (2012) et Perseverance (2021), sont toujours actifs. Ils ont été rejoints par le rover chinois Zhurong (2021).

Le sol martien, recouvert de sable, de fine poussière et de morceaux de roche, contient de nombreux éléments potentiellement utiles dans le cadre des futures missions34(*) : du fer, bien sûr, qui lui donne sa couleur rouge, mais aussi d'autres métaux et minéraux, du carbone, de l'hydrogène, de l'oxygène35(*), et des argiles, ce qui permet d'envisager la fabrication d'acier, de plastique, de verre et de céramique, l'impression 3D constituant ici une technologie cruciale.

Utilisé comme matériau de construction, le régolithe martien offre davantage de possibilités que son équivalent lunaire, et plusieurs techniques sont à l'étude pour la fabrication de briques de régolithe, voire d'un véritable « béton martien » à l'excellente résistance (cf. infra).

Surtout, le sol martien permet l'agriculture, car il contient déjà les nutriments nécessaires aux plantes36(*) : magnésium, sodium, potassium, calcium, zinc, fer, soufre, etc. Des chercheurs ont d'ores et déjà démontré qu'il était possible de cultiver des plantes (pommes de terre, légumineuses, laitues, tomates, blé, etc.) dans le sol martien sans ajouter aucun nutriment, au cours de plusieurs expériences menées avec un régolithe martien simulé37(*) - le régolithe lunaire produisant des résultats sensiblement moins bons.

Dans un premier temps au moins, les plantes pourraient être cultivées en environnement contrôlé, dans des modules dédiés. De nombreux projets sont en développement, des synergies existant entre usages spatiaux et terrestres.

Source : NASA

Les plantes pourraient aussi être cultivées directement dans le sol martien (purifié), à l'abri de serres permettant de conserver la chaleur38(*) et de les protéger des rayonnements ultra-violets, ceux-ci n'étant pas suffisamment absorbés par la fine atmosphère de Mars (cf. infra). Celle-ci a cependant le mérite d'exister, offrant à la fois du dioxyde de carbone nécessaire à la photosynthèse et de l'azote pouvant servir à fertiliser les sols, tout comme les excréments humains et le compostage des déchets alimentaires, pratiqués à bord de l'ISS. Certes, tout ceci ne suffit pas à reproduire l'environnement auquel les plantes sont habituées sur Terre, mais celles-ci pourraient être adaptées à l'environnement martien par modification génétique (on sait par exemple accroître la capacité de photosynthèse par cette technique).

Outre l'alimentation de l'équipage, l'agriculture in situ ouvre des perspectives en matière de fabrication de médicaments ou de construction à partir de composés organiques (cf. infra).

Le sol martien n'a toutefois pas que des avantages. Tout d'abord, il est toxique, à la fois pour les plantes et pour les humains, du fait de sa forte concentration (0,6 %) en perchlorates, et devra donc être purifié en vue d'un usage agricole.

La poussière martienne présente également un danger pour la santé humaine, et pourrait être cancérigène, à l'instar du régolithe lunaire. Or la surface de Mars est régulièrement balayée par des tempêtes de poussière.

c) L'eau : la Lune en plus blanc

On sait aujourd'hui que l'eau, sous forme de glace, est abondante à la surface de Mars39(*), dans des quantités sans commune mesure avec celles qui pourraient - sous toutes réserves - exister à la surface de la Lune. Près de 5 millions de km3 d'eau ont été détectés à ce jour, ce qui permettrait en théorie de couvrir la totalité de la planète sur une épaisseur de 35 mètres.

Si la calotte glacière du pôle Nord40(*) est le seul endroit où elle est directement visible, elle est également présente à faible profondeur à des latitudes plus tempérées, dans le permafrost. En 2016, la NASA a annoncé avoir détecté un vaste dépôt de glace sous la surface d'Utopia Planitia, le cratère où s'était posé le rover Viking 2 en 1976 et qu'explore aujourd'hui Zhurong ; le volume d'eau détecté permettrait de remplir le Lac Supérieur, le plus grand lac d'eau douce terrestre41(*). Plus récemment, fin 2021, une météorite de 200 tonnes s'est écrasée à la surface de Mars : autour du cratère, pourtant situé dans l'une des régions les plus chaudes, la sonde InSight a observé de petits points blancs - des blocs de glace -, qui laissent penser que l'eau pourrait être encore plus abondante que supposé.

En revanche, elle n'existe pas, ou plus42(*), à l'état liquide, et la surface est donc très sèche.

Comme sur la Lune, l'eau pourrait être utilisée pour les besoins de l'équipage et pour la production d'ergols, avec de nouvelles possibilités sur ce dernier point (cf. infra, réaction de Sabatier). Elle est aussi indispensable à l'agriculture, et pourrait, entre autres usages, entrer dans la fabrication de briques et autres matériaux de construction.

Son extraction constitue naturellement un important défi technique, mais sans doute moindre que sur la Lune, la transposition de méthodes utilisées sur Terre étant ici plus facile. Par exemple, le système RedWater, développé spécifiquement pour l'extraction d'eau martienne par la société Honeybee Robotics, repose sur des technologies déjà utilisées dans les stations polaires en Antarctique ou au Groenland, dont le procédé Rodwell, qui consiste à faire fondre la glace à la profondeur où elle se trouve, et à pomper directement l'eau dans le réservoir ainsi créé. Le rover RedWater est capable de forer jusqu'à 25 mètres de profondeur, ce qui devrait être plus que suffisant sur Mars.

Le rover RedWater. Source : Honeybee Robotics / Jennifer L. Heldmann et al., 2022.

d) L'atmosphère : les promesses de la propulsion au méthane

Enfin, et contrairement à la Lune, Mars possède une atmosphère, qui, bien que ténue, avec une pression de l'ordre de 1 % de celle de la Terre, a l'avantage d'être composée à 95 % de dioxyde de carbone (CO2), avec de l'azote (2 %) et d'autres gaz.

À partir du CO2, il est possible de fabriquer de l'oxygène, comme l'a démontré sur place l'expérience MOXIE du rover Perseverance, avec les applications déjà évoquées en matière de production de carburant et de support de vie. Il s'agit à ce jour de la seule expérience d'extraction d'une ressource naturelle sur une autre planète en vue d'une utilisation dans le cadre d'une mission habitée.

L'expérience MOXIE du rover Perseverance

Menée par les chercheurs du Haystack Observatory (MIT) et du Jet Propulsion Laboratory (JPL - NASA/Caltech) avec l'entreprise OxEon Energy, l'expérience MOXIE (pour Marx Oxygen In-Situ Resource Utilization Experiment) consiste en un démonstrateur embarqué à bord du rover Perseverance dans le cadre de la mission Mars 2020 de la NASA.

Le 20 avril 2021, MOXIE a produit 5,37 g d'oxygène (O2) à partir du CO2 de l'atmosphère martienne grâce à un procédé d'électrolyse à oxyde solide, soit l'oxygène nécessaire à un astronaute pour respirer pendant environ 10 minutes.

La capacité du démonstrateur est toutefois supérieure, avec une production théorique maximale de 12 g par heure, et d'après la NASA, il est envisageable d'envoyer sur Mars une unité de production 200 fois plus grosse que MOXIE qui, avec la même technologie, pourrait atteindre une capacité de 2 kg d'oxygène par heure.

Dans la perspective d'une mission martienne habitée dans les années 2030, cette unité pourrait être envoyée en amont dans le cadre d'une mission robotique, afin de produire et stocker l'oxygène en des quantités suffisantes pour assurer non seulement le support de vie de l'équipage43(*) (une tonne d'oxygène correspond aux besoins de quatre personnes pendant un an) mais aussi le redécollage de la fusée pour le retour (25 tonnes d'oxygène).

Source : NASA / Hecht, M., Hoffman, J., Rapp, D. et al. Mars Oxygen ISRU Experiment (MOXIE). Space Sci Rev 217, 9 (2021). https://link.springer.com/article/10.1007/s11214-020-00782-8

Surtout, le CO2 de l'atmosphère martienne permet de produire du méthane (CH4) grâce à la réaction de Sabatier, ouvrant la voie à l'utilisation de moteurs fonctionnant avec un mélange méthane liquide d'oxygène liquide (LOX), un couple d'ergols bien plus intéressant que les mélanges LOX/LH2 (oxygène et hydrogène liquides44(*)) et LOX/RP-1 (oxygène liquide et kérosène45(*)) traditionnellement utilisés par les lanceurs moyens/lourds et super-lourds.

Or c'est précisément ce mélange qu'utilisent les moteurs Raptor qui équipent le Starship de SpaceX, et ces moteurs à combustion étagée, performants, moins polluants que les moteurs au kérosène et entièrement réutilisables, sont explicitement conçus pour permettre l'exploration et la colonisation de Mars et pourraient, à en croire Elon Musk, diviser le coût du voyage par cent. Le moteur Prometheus, prototype étudié par l'ESA pour équiper Ariane Next à horizon 2030, fonctionne également au méthane - avec l'objectif de diviser les coûts de lancement par deux par rapport à Ariane 6, grâce à la réutilisabilité partielle.

La réaction de Sabatier,
Robert Zubrin et le projet Mars Direct

Découverte en 1897 par les chimistes français Paul Sabatier et Jean-Baptiste Senderens, la réaction de Sabatier est un procédé qui permet de produire de façon simple du méthane (CH4) et de l'eau (H2O) à partir du dioxyde de carbone (CO2) et de l'hydrogène (H2), en les soumettant à des conditions de pression et de température élevées (300 °C à 400 °C).

Ce procédé, déjà utilisé à bord de l'ISS46(*), pourrait être utilisé pour produire du carburant sur Mars à partir des ressources in situ : le CO2 de l'atmosphère, disponible en abondance, et un peu d'hydrogène, lui-même issu de l'électrolyse de l'eau glacée du sol martien. La réaction produit du méthane et de l'eau, cette dernière étant à son tour électrolysée pour produire de l'oxygène, utilisé comme comburant (LOX) pour la propulsion, et de l'hydrogène, réinjecté en début de cycle pour la réduction du méthane.

Dans son ouvrage paru en 1996, The Case for Mars, l'ingénieur américain Robert Zubrin présente ce procédé comme la clé de voûte d'une possible mission habitée vers Mars, ou à tout le moins comme un élément permettant d'en réduire considérablement le coût, et donc de la rendre possible.

L'un de ses principaux avantages est en effet de pouvoir être mise en oeuvre en amont de l'arrivée de la mission habitée, par l'envoi d'une mission robotique emportant seulement l'unité de production (relativement simple), une source d'énergie (un petit réacteur nucléaire47(*)), et un peu d'hydrogène pour amorcer le cycle. En quelques mois, cette unité pourrait produire près de 100 tonnes de propergol méthane-LOX, utilisables pour le vol retour de la mission habitée, après un séjour de 18 mois en surface48(*).

Spécialiste de la propulsion spatiale, Robert Zubrin est aussi le fondateur de la Mars Society, une association à but non lucratif qui s'inscrit dans la tradition américaine de space advocacy, et dont l'objectif est de promouvoir l'exploration et la colonisation de la planète Mars. Elle compte parmi ses soutiens des scientifiques, mais aussi James Cameron ou l'auteur de science-fiction Kim Stanley Robinson.

Le plan de Robert Zubrin a été étudié par la NASA dans le cadre du projet Mars Direct dès les années 1990, ce qui a permis d'en approfondir les aspects techniques et d'en réviser certaines modalités. Si le projet a ensuite été abandonné pour des raisons budgétaires et du fait de la priorité donnée à la Lune, son influence sur les projets actuels, dont ceux d'Elon Musk, est manifeste49(*).

3. Le nouvel Eldorado de l'économie cislunaire

L'exploitation des ressources spatiales n'ouvre pas seulement de nouvelles perspectives en matière d'exploration lointaine : plus proche de nous, elle est aussi au coeur du développement économique et commercial de l'espace cislunaire50(*), avec d'importantes retombées terrestres.

Le sujet du présent rapport est en effet indissociable d'une tendance plus générale : la place croissante des activités spatiales commerciales, avec l'émergence de nouveaux services et de nouveaux acteurs privés, dans le sillage du New Space américain (cf. Partie II). Après une première phase d'ouverture commerciale dans les années 1990, principalement limitée au secteur des télécommunications, le spatial, historiquement marqué par le poids du secteur public (programmes scientifiques, observation de la terre, renseignement, sécurité et défense, etc.), s'ouvre désormais à toute une nouvelle gamme de services commerciaux : lanceurs privés, constellations, mais aussi bientôt stations spatiales privées et divers services de transport, de logistique, d'approvisionnement, de réparation, de fabrication ou encore de production d'énergie en orbite.

Or l'exploitation des ressources spatiales constitue un élément-clé, de ces nouvelles activités, bien au-delà de celles qui sont directement liées aux missions d'exploration.

a) Les stations-service de la banlieue spatiale

Le principal avantage apporté par l'ISRU concerne la production de carburant à partir des ressources locales, qui permet une réduction drastique de la masse des lancements depuis la Terre, et donc leur coût ou de leur nombre, ainsi que des risques associés et de l'impact sur l'environnement.

En matière d'exploration spatiale, l'effet est déterminant, les coûts de lancement constituant de loin la principale limite à laquelle se heurtent les missions actuelles, en raison de l'énergie nécessaire pour échapper à la gravité terrestre d'abord, à laquelle il faut ajouter le carburant utilisé pour les trajets entre l'orbite basse (LEO) et la surface lunaire ou martienne. On estime ainsi qu'il faut entre 7,5 kg et 13,1 kg de carburant et étages associés pour déposer 1 kg de charge utile à la surface de la Lune ou de Mars depuis l'orbite basse. Reste ensuite à redécoller : chaque trajet depuis la surface lunaire vers le Lunar Gateway devrait nécessiter entre 25 et 30 tonnes de propergols, et entre 40 et 50 tonnes pour l'équivalent sur Mars51(*).

Le « Gear Ratio52(*) » en fonction du lieu de départ

Source : ISRU Gap Assessment Report, 2021

Disposer de carburant fabriqué sur place étendrait considérablement la portée des missions d'exploration, en leur permettant d'aller plus loin et/ou de durer plus longtemps. La masse économisée pourrait en outre être utilisée pour l'emport d'instruments scientifiques et autres équipements ou consommables pour les besoins de l'équipage et la sécurité de la mission.

Mais une telle capacité pourrait tout autant bénéficier aux activités de l'orbite terrestre. En effet, pour atteindre l'orbite basse (LEO) depuis la Lune, il faut seulement 40 % du carburant nécessaire à un départ depuis la Terre. Pour atteindre l'orbite géostationnaire (GEO), il en faut trois fois moins.

Véritables « stations-service », des dépôts de carburant orbitaux, alimentés directement depuis la Lune (ou dans un premier temps depuis la Terre), permettraient de réapprovisionner satellites, stations et vaisseaux spatiaux, ouvrant la voie à l'exploration lointaine (« faire le plein » avant le voyage vers Mars), mais aussi et surtout à toute une nouvelle gamme de services commerciaux en orbite.

Le Tanker-002 d'Orbit Fab, un projet de dépôt d'hydrazine en orbite géostationnaire.

Ravitaillement d'un satellite (en haut) par une « navette-citerne » d'Orbit Fab (en bas).

L'impact environnemental serait majeur. Utilisé en combinaison avec d'autres services (maintenance, réparation, recyclage, etc.), le refueling permettrait de prolonger la durée de vie des satellites, alors que ceux-ci sont aujourd'hui « jetables » : une fois leur carburant primaire épuisé, ils ne peuvent plus être maintenus sur leur orbite et cessent finalement de fonctionner, constituant autant de nouveaux débris spatiaux dangereux (ou dans le meilleur des cas, lorsqu'ils sont désorbités, des équipements coûteux qu'il faut remplacer). Le refueling permettrait de réduire le nombre de lancements, et donc les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi lutter contre le grave problème de l'encombrement spatial.

Sur le plan économique, ce modèle pourrait présenter un potentiel disruptif comparable, voire supérieur, à celui de la révolution des lanceurs réutilisables introduite par SpaceX - surtout si le carburant est fabriqué sur la Lune dans le cadre de l'ISRU.

Mais le refueling pourrait aussi être un modèle économiquement viable à bien plus court terme, avec du carburant produit sur Terre et stocké dans des dépôts orbitaux. C'est en tout cas le pari de la start-up Orbit Fab, qui devrait proposer un premier service de ravitaillement en hydrazine dès 2025 pour les satellites en orbite géostationnaire (GEO), à partir d'un dépôt situé 300 km plus loin. Le « plein » de 100 kg coûtera 20 millions de dollars53(*).

L'entreprise a déjà signé plusieurs contrats avec des acteurs publics mais aussi des clients privés : à partir de 2026, Orbit Fab ravitaillera les vaisseaux LEXI (Life Extension In-Orbit) de l'entreprise Astroscale, qui elle-même propose un service d'intervention afin de prolonger la durée de vie des satellites (repositionnement, réparation, etc.). Le contrat porte sur la fourniture d'une tonne de propergol à base de xénon54(*).

L'étape suivante pourrait consister, toujours en amont de la maîtrise de la production d'ergols sur la Lune, à fabriquer du carburant en orbite à partir d'eau terrestre. Appelant à intensifier les efforts de R&D, le groupe « Objectif Lune » de l'ANRT propose par exemple le scénario suivant :

« Un dépôt d'ergols cryogéniques (O2/H2) en orbite basse pourrait être mis en place dans les cinq prochaines années. De l'eau serait envoyée en passager depuis la Terre dans les volumes non utilisés des lanceurs existants, puis stockée en orbite, électrolysée et séparée, puis O2 et H2 seraient liquéfiés et stockés sous forme cryogénique, puis transférés dans les étages supérieurs des lanceurs. Ceci permettrait d'avancer sur le développement de briques technologiques clefs (électrolyse, liquéfaction, adaptation des étages supérieurs des lanceurs, transfert ergols), de développer des standards d'interopérabilité pour le réapprovisionnement en carburant des lanceurs en orbite, de démontrer et créer un usage commercial à court terme, et donc de motiver l'investissement sur cette nouvelle filière.

« En parallèle, les briques technologiques associées aux chaines de valeur O2/H2O/H2 pourraient être développées, permettant d'envisager une production d'oxygène, puis d'eau et enfin d'hydrogène, en surface lunaire d'ici les années 2030. L'eau, l'oxygène et l'hydrogène pourraient être utilisés sur la Lune pour la survie à la nuit lunaire, pour tout besoin d'énergie, la mobilité et en support de vie, et/ou être transportés dans les différents dépôts en orbite en profitant de la faible gravité lunaire.

« Enfin, ces développements technologiques, pourraient être faits en synergie au plan de transition H2 vert sur Terre puisque l'innovation spatiale permettrait sans doute d'accélérer certains développements terrestres. »

Source : « L'ambition lunaire, défi stratégique pour l'Europe du XXIe siècle »,
Livre blanc du groupe « Objectif Lune » de l'ANRT, 2021.

b) D'autres services en orbite liés à l'utilisation des ressources spatiales

Parmi les très nombreux projets de nouveaux services commerciaux en orbite, la plupart ne sont qu'indirectement liés à l'utilisation des ressources spatiales (via le refueling, par exemple). Certains sont toutefois plus directement concernés.

C'est le cas de la fabrication en orbite (in-space manufacturing), par exemple. La « ressource » principale, ici, est la microgravité, qui permet de fabriquer des alliages métalliques extrêmement homogènes ou de synthétiser des molécules complexes. En France, la start-up Space Cargo Unlimited (SCU, cf. infra) mais aussi Airbus développent des projets en ce sens. À plus long terme, la fabrication et la construction en orbite pourraient également impliquer des matières premières elles-mêmes issues d'autres corps célestes (métaux extraits du régolithe lunaire, etc.).


* 15 S'il semble aujourd'hui peu probable que la NASA et ses partenaires puissent se tenir à l'échéance de 2025, un décalage d'un an ou deux n'aurait que peu d'importance au regard de l'ampleur du défi.

* 16 Le budget 2021-2025 de la NASA spécifiquement dédié à la phase I du programme Artemis est de 28 milliards de dollars (dont 16 milliards de dollars consacrés au seul HLS), auxquels s'ajoutent les développements liés aux phases suivantes (25 milliards de dollars). Source : rapport de l'Inspector General de la NASA du 15 novembre 2021 : https://oig.nasa.gov/docs/IG-22-003.pdf

* 17 Le premier vol d'essai du Starship, dont le Starship HLS sera une variante, a eu lieu le 20 avril 2023 et s'est terminé par l'explosion de la fusée peu après le décollage. Composé de deux éléments, le premier étage Super Heavy et l'étage Starship lui-même, il s'agit du plus grand vaisseau spatial jamais conçu pour le vol habité. Le contrat attribué à SpaceX par la NASA en 2021 est d'un montant de 2,9 milliards de dollars.

* 18 Afin de ne pas dépendre du seul atterrisseur fourni par SpaceX, la NASA a été contrainte de sélectionner un deuxième projet. Il s'agira de Blue Moon, développé par la National Team, un consortium rassemblant la société de Jeff Bezos Blue Origin (qui avait formé un recours contre la décision de 2021), Lockheed Martin, Draper, Boeing, Astrobotic et Honeybee Robotics. Peu de détails sont connus à ce jour sur Blue Moon, si ce n'est qu'il devrait reposer sur des technologies différentes du Starship. Le contrat, d'un montant de 3,4 milliards de dollars, prévoit pour l'instant un vol d'essai à vide et une mission habitée (Artemis V).

* 19 Première sonde d'exploration lunaire de l'agence spatiale indienne (ISRO), Chandrayaan-1 a été lancée en 2008. Les poussières émises par le crash intentionnel de son impacteur dans le cratère de Shackleton, au pôle Sud, ont permis au spectromètre Moon-Mineral Mapper (M3) de la NASA de détecter la présence d'eau ou d'hydroxyle.

* 20 Lancé par la NASA en 2009 juste après la découverte de la mission Chandrayaan-1, le satellite LCROSS (Lunar CRater Observation and Sensing Satellite) a permis une première observation directe, via l'analyse des poussières projetées par le crash intentionnel d'un étage de son lanceur dans le cratère Cabeus, situé à proximité du pôle Sud. D'après les premières estimations (Colaprete, 2010), ces poussières seraient composées à environ 5,5 % d'eau (en masse), des études ultérieures allant jusqu'à suggérer une proportion de 30 % (Li, 2018).

* 21 Lancé en même temps que LCROSS, Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) est un satellite d'observation de la NASA spécifiquement dédié à la cartographie du pôle Sud en préparation des prochaines missions d'exploration.

* 22 Les spectromètres de ces missions n'étant pas en mesure de distinguer la signature de l'eau (H2O) de celle de l'hydroxyle (HO), une molécule proche.

* 23 Le télescope SOFIA (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy) est embarqué à bord d'un Boeing 747 modifié qui vole de nuit jusqu'à 45 000 pieds, ce qui lui permet d'échapper aux composés de l'atmosphère qui bloquent le rayonnement infrarouge.

* 24 L'axe de rotation de la Lune n'est pas perpendiculaire à son plan orbital et l'équateur lunaire est incliné de 1,543° sur l'écliptique.

* 25 Du fait de l'absence d'atmosphère, les radiations solaires séparent la molécule d'eau H2O en hydrogène (H) et oxygène (O), ces éléments plus légers s'échappant ensuite dans l'espace.

* 26 Les mers lunaires recouvrent environ 16 % de la surface de la Lune et se trouvent principalement sur la face visible depuis la Terre. Leur régolithe est principalement d'origine basaltique et composé de roches (plagioclase/feldspath, pyroxène, olivine) et de métaux, dont l'ilménite, un oxyde de fer et de titane qui a l'avantage de pouvoir être réduit par des procédés relativement simples. On estime que l'ilménite représente 15 % du régolithe des mers lunaires.

* 27 Le régolithe des hauts plateaux est également d'origine magmatique, mais relativement moins riche en pyroxène, olivine et métaux.

* 28  https://www.airbus.com/en/newsroom/press-releases/2020-10-roxy-turns-moon-dust-into-oxygen

* 29  https://arxiv.org/ftp/arxiv/papers/1410/1410.6865.pdf

* 30 Petits amas de minéraux, de verre et de roche agrégés par le verre résultant des impacts de micrométéorites.

* 31 La durée de la mission dépend du choix de la trajectoire retenue, l'objectif principal étant de minimiser les dépenses de carburant en jouant sur la distance relative entre la Terre et Mars, qui varie considérablement (de 56 à 400 millions de kilomètres). Le « scénario de conjonction », privilégié par les agences spatiales, correspond à une durée totale de 910 jours, dont 550 jours sur place et 180 jours pour chaque vol (aller et retour). Le « scénario d'opposition » a l'avantage de réduire la durée totale de la mission (640 jours, soit 20 mois), mais au prix d'un séjour sur place très réduit (30 jours) et d'un trajet retour dans des conditions très défavorables (430 jours), malgré l'assistance gravitationnelle de Vénus.

* 32 Les télécommunications sont discontinues et le temps d'acheminement varie de 3 à 20 minutes.

* 33 Voir à ce sujet : Jennifer L. Heldmann, et al., “Mission Architecture Using the SpaceX Starship Vehicle to Enable a Sustained Human Presence on Mars”, New Space, 2022 : https://www.liebertpub.com/doi/10.1089/space.2020.0058

* 34 Voir le blog de Pierre Brisson : https://blogs.letemps.ch/pierre-brisson/2023/02/11/si-le-starship-de-spacex-peut-voler-mars-sera-a-notre-portee/ et https://blogs.letemps.ch/pierre-brisson/2017/12/19/lisru-clef-de-lexploration-de-mars-par-vols-habites/

* 35 Carbone, hydrogène et oxygène sont notamment présents dans les dépôts de glace l'eau (H2O) et de dioxyde de carbone (CO2).

* 36 Pas forcément dans des proportions correspondant à leurs besoins, mais il est relativement facile

* 37 Sources : G. W. Wieger Wamelink, Joep Y. Frissel, Wilfred H. J. Krijnen et M. Rinie Verwoert, « Can Plants Grow on Mars and the Moon: A Growth Experiment on Mars and Moon Soil Simulants », PLOS ONE,ý 2014, ainsi que deux expériences menées par la NASA, en milieu contrôlé ( https://www.nasa.gov/feature/can-plants-grow-with-mars-soil) et à bord de l'ISS ( https://www.nasa.gov/mission_pages/station/research/news/meals_ready_to_eat).

* 38 La température à la surface de Mars étant très froide (-68 °C en moyenne), un système de chauffage complémentaire sera indispensable. Les pommes de terre, par exemple, se développent à partir de 7 °C, mais la température idéale est de 15 °C à 20 °C.

* 39 De l'eau sous forme de gaz a également été détectée, en faibles quantités, dans l'atmosphère.

* 40 Mars possède deux calottes polaires, qui connaissent d'importantes variations saisonnières. Toutefois, au pôle Sud, la calotte de glace d'eau reste en permanence recouverte d'une couche de glace de dioxyde de carbone.

* 41 Il contient à lui seul 10 % de l'eau douce de surface de la Terre.

* 42 La planète a peut-être abrité un océan couvrant les trois quarts de sa surface il y a quelque 3,8 milliards d'années, et des formations géologiques caractéristiques (vallées, deltas, lits de rivière et anciens lacs, etc.), comme celles détectées par Curiosity dans le cratère Gale, suggèrent que l'eau a pu exister à l'état liquide dans une période plus récente.

* 43 En y ajoutant de l'azote, également présent dans l'atmosphère martienne (2 %), afin de le stabiliser et d'éviter le risque d'hypoxie, dommageable à long terme pour les organismes vivants.

* 44 Utilisé par exemple par Ariane 5 (moteur Vulcain 2) et Ariane 6 (moteur Vinci). Ce mélange demeure le plus pertinent dans le cadre de l'ISRU lunaire.

* 45 Utilisé par exemple par le Falcon 9 (moteur Merlin) et le lanceur super-lourd Saturn V (F-1).

* 46 La production d'oxygène à bord de l'ISS se fait en apportant de l'hydrogène, issu de l'électrolyse de l'eau, au CO2 rejeté par les astronautes.

* 47 Le projet Kilopower développé par la NASA dans le cadre de l'ISRU lunaire pourrait convenir.

* 48 Le plan proposé par Robert Zubrin comprend aussi l'envoi en amont du module d'habitation, par une deuxième mission robotique.

* 49 La proposition de Mars Direct sert de base au film Mission to Mars de Brian de Palma (2000).

* 50 On désigne par espace cislunaire l'espace sphérique se trouvant autour de la Terre jusqu'à la limite de l'orbite de la Lune.

* 51 Source : ISRU Gap Assessment Report, 2021.

* 52 Soit le rapport entre la charge utile et la charge correspondant au carburant et aux réservoirs et étages de la fusée.

* 53  https://spacenews.com/orbit-fab-announces-in-space-hydrazine-refueling-service/

* 54  https://astroscale.com/astroscale-u-s-and-orbit-fab-sign-first-on-orbit-satellite-fuel-sale-agreement/

Les thèmes associés à ce dossier