PREMIÈRE PARTIE :
PRINCIPALES DONNÉES
DE L'APPLICATION DES LOIS
I. LE BILAN ANNUEL DE L'APPLICATION DES LOIS : UN OUTIL DE CONTRÔLE INDISPENSABLE DU SÉNAT
A. LE RÔLE CENTRAL DES COMMISSIONS PERMANENTES DANS LE SUIVI DE LA MISE EN APPLICATION DES LOIS
1. L'adoption rapide des textes d'application par le Gouvernement est indispensable à la bonne application de la loi et au respect de la volonté du législateur
Le Sénat assure le suivi de l'application des lois depuis cinquante ans. Le présent rapport constitue ainsi un bilan de l'application des lois adoptées au cours de la session 2021-2022, c'est-à-dire entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022.
Il s'interrompt au 31 mars 2023, soit six mois après la clôture de la session. C'est en effet le délai dans lequel le Gouvernement s'est fixé pour objectif, depuis la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008, de publier les mesures réglementaires d'application des lois. Cet objectif a été réaffirmé dans la circulaire du 27 décembre 2022 relative à l'application des lois.
En plus de rappeler ce délai de six mois, la circulaire du 27 décembre 2022 a réaffirmé le rôle central du Secrétariat général du Gouvernement et des correspondants ministériels de l'application des lois. Elle insiste sur la nécessité d'une application rapide de la loi, qui répond à « une triple exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique ». Elle précise que « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d'irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ».
Alors que nos concitoyens méconnaissent souvent le processus complet d'adoption et de mise en oeuvre des lois, une lenteur excessive dans la prise des textes réglementaires requis peut susciter, à l'heure d'un zapping permanent alimenté par les chaînes d'information et les réseaux sociaux, des incompréhensions d'autant plus grandes que la médiatisation des projets du Gouvernement aura été forte.
Or l'exécutif, qui cherche à rapprocher le temps du législateur du temps de l'information, ne s'astreint pas toujours à la même rigueur. En effet, même si les lois entrent en vigueur à la date qu'elles fixent - ou, en l'absence de précision, le lendemain de leur publication -, certaines de leurs dispositions ne sont toutefois applicables qu'une fois prises les mesures réglementaires, décrets et arrêtés, nécessaires à leur mise en oeuvre. Ce suivi des textes pris en application de dispositions législatives, exercé de longue date par le Sénat apparaît, dans ces conditions, toujours plus nécessaire.
Pour cela, les lois sont divisées par le Sénat en quatre catégories :
- les lois d'application directe, pour lesquelles aucune disposition d'application n'est attendue ;
- les lois applicables, pour lesquelles l'ensemble des textes réglementaires attendus ont été pris ;
- les lois partiellement mises en application, pour lesquelles seule une partie des mesures attendues ont été prises ;
- les lois non mises en application, pour lesquelles aucune des mesures attendues n'a été prise.
Sont rangées parmi les lois non mises en application celles qui comportent des dispositions d'application directe, mais pour lesquelles aucun des textes réglementaires prévus par d'autres dispositions n'a été pris.
Rappelons que le Conseil d'État a consacré dès 1962 l'obligation pour le Gouvernement de prendre des mesures règlementaires d'application des lois3(*). Ainsi, toute personne intéressée à agir peut saisir le Conseil d'État après l'écoulement d'un délai raisonnable4(*) afin d'enjoindre le Gouvernement de prendre les textes en question5(*). Le Conseil d'État dispose en effet, depuis une loi de 19956(*), d'un pouvoir d'injonction lorsqu'il juge que le refus d'adoption d'une mesure d'application est illégal.
Le Sénat suit également la publication des rapports demandés par le Parlement au Gouvernement et nécessaires à sa bonne information, ainsi que le délai dans lequel sont prises les mesures d'application. Afin d'avoir une vision globale de l'application des lois, il suit également la publication des ordonnances, préoccupation croissante du Sénat. Partie intégrante du suivi de l'application des lois, ce suivi bénéficie désormais également d'un éclairage particulier apporté par la direction de la séance7(*) et fait l'objet d'un débat annuel.
2. Le suivi de l'application des lois par les commissions permanentes et leur contribution au bilan annuel
Conformément à l'article 19 bis A du Règlement du Sénat, ce sont les commissions permanentes qui « mettent en oeuvre, dans leur domaine de compétence [...] le suivi de l'application des lois. » La révision du Règlement du Sénat du 18 juin 2019 a consacré leur contribution à l'élaboration du bilan annuel de l'application des lois. Leur analyse s'accompagne du bilan de la prise en compte et de la mise en oeuvre des positions européennes adoptées par le Sénat, effectué par la commission des Affaires européennes. Le Sénat, en contrôlant l'application des lois, veille donc à ce que les textes prévus aient bien été pris. Il en déduit un taux global d'application des lois, qui s'établit à 65 % pour la session 2021-2022.
Au-delà de l'aspect quantitatif, dont l'importance reste indéniable, le Sénat assure un suivi qualitatif en vérifiant que l'intention du législateur est bien respectée par les textes réglementaires. Cet aspect qualitatif du contrôle de l'application des lois est renforcé depuis l'année 2022. Conformément à l'une des propositions de la mission de réflexion sur le contrôle parlementaire dont les conclusions ont été approuvées le 1er décembre 2021 par la Conférence des présidents, le programme annuel de contrôle de chaque commission devrait désormais comporter l'évaluation de la mise en oeuvre d'une loi emblématique promulguée au cours des 10 dernières années. Ce travail prendra la forme d'un rapport d'information et débouchera sur un débat en séance publique en présence du ministre compétent.
Par ailleurs, les différentes commissions continuent également à assurer le suivi de l'application des lois adoptées antérieurement à la session, ce qui permet, le cas échéant, de repérer certaines anomalies plus anciennes. La commission des affaires étrangères8(*) relève ainsi s'agissant de la loi n°2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, que bien que le décret relatif aux modalités de fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement ait été pris, cette commission n'a toujours pas été mise en place.
Le Sénat est également très vigilant sur le processus de codification, qui ne saurait s'effectuer autrement qu'à droit constant, au risque de méconnaître la volonté du législateur.
Enfin, le contrôle de l'application des lois par les commissions permanentes a récemment connu une évolution supplémentaire. En effet, aux termes de l'article 19 bis B du Règlement du Sénat introduit par la réforme du Règlement du 18 juin 2019, « le rapporteur est chargé de suivre l'application de la loi après sa promulgation et jusqu'au renouvellement du Sénat. »9(*). Il s'agit du troisième bilan annuel publié sous l'empire de cette évolution règlementaire notable.
* 3 Conseil
d'État, 13 juillet 1962, Sieur Kevers Pascalis, n° 45 891
et
Conseil d'État, Assemblée, 27 novembre 1964, Dame
Veuve Renard, n° 59 068
* 4 Conseil d'État, 28 juillet 2000, n° 204024, Rec.
* 5 La seule limite de cette obligation tient au cas où la loi méconnaîtrait un engagement international de la France, notamment le droit de l'Union européenne. Dans un tel cas, le Gouvernement a, au contraire, l'obligation de ne pas appliquer cette loi et, par conséquent, de ne pas prendre les décrets d'application correspondants (Conseil d'État, 24 février 1999, Association de patients de la médecine d'orientation anthroposophique, n° 195354, Rec.)
* 6Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative
* 7 Chaque trimestre, un suivi détaillé des ordonnances prises est effectué et publié sur le site du Sénat.
* 8 Au cours de la session 2021-2022, la commission des affaires étrangères s'est prononcée sur 18 lois ratifiant des accords internationaux, mais aucune n'appelait de mesures d'application.
* 9 « Il peut être confirmé dans ces fonctions à l'issue du renouvellement. Les commissions permanentes peuvent désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin. »