Témoignage de Laurence
Perez,
maire de Saint-Jean-de-Galaure (Drôme)
Bonjour à toutes et à tous. Merci, Marie-Pierre, pour cette invitation.
Je suis maire depuis 2014 d'une commune qui comptait à l'époque 800 habitants. Depuis 2022, elle en compte 1 275, car je viens de créer une nouvelle commune. À ce titre, je salue particulièrement Françoise Gatel - et tous les sénateurs et invités présents, évidemment.
Je suis donc maire, mais aussi présidente d'un syndicat de collecte d'ordures ménagères, sur un territoire de 72 000 habitants. Je peux ici faire un clin d'oeil à ce qu'évoquait plus tôt Françoise Gatel, car ce n'est pas un endroit où l'on attend les femmes. J'en suis pourtant présidente, après avoir succédé à un homme. L'exécutif comptait cinq hommes vice-présidents. Il compte aujourd'hui une présidente et une vice-présidente, en plus de trois vice-présidents masculins. Le syndicat fonctionne très bien. On peut effet être femme et savoir compter et gérer un budget de dix millions d'euros, et même faire baisser la taxe d'ordures ménagères, ce qui a fait des envieux.
J'aimerais revenir sur la question des quotas évoquée plus tôt. Je ne trouve pas ce mot très joli. Pour autant, je voudrais juste rappeler que nous ne devons pas souffrir du syndrome de l'imposteur. S'appuyer sur le postulat selon lequel il ne faudrait pas aller chercher des femmes alors que l'on n'a déjà pas assez d'hommes dans les petites communes reviendrait déjà un peu à se tromper. Nous ne sommes pas plus sottes en ruralité qu'en ville. Il est aussi possible d'aller chercher des femmes dans les communes de moins de 1 000 habitants que dans les plus grandes villes.
Marie-Pierre l'a rappelé, plus de la moitié de l'humanité est féminine. Il est tout à fait possible d'aller chercher des femmes compétentes. On pourrait dire que s'il est déjà compliqué de construire des listes, « pourquoi aller chercher des femmes ? » Je répondrai, de mon côté : « pourquoi aller chercher des hommes ? » La solution serait-elle de réduire le nombre de conseillers municipaux ? Je ne le sais pas. En tout cas, je suis personnellement toujours parvenue à atteindre la parité, tant sur ma liste en 2014 qu'en 2020, sur quinze conseillers. Je ne l'atteins plus sur ma nouvelle commune, car je me suis « mariée » à une commune qui n'affichait pas cette parité. Son maire était un homme. Je ne lui en veux pas. Nous travaillons aujourd'hui main dans la main, dans une parfaire entente, en douceur et en binôme. Je ne doute pas que le prochain conseil sera paritaire et de qualité.
Revenons-en au sujet qui nous occupe aujourd'hui, à savoir les jeunes en ruralité. Je ne vous exposerai pas des tonnes d'exemples de ce que j'ai pu mettre en place pour faire avancer ce sujet, parce que dans une commune comme la mienne, vous vous en doutez, nous rencontrons des difficultés en termes de budget. Les politiques publiques sont difficiles à mettre en oeuvre à l'échelle d'une petite commune. Pour autant, je crois en l'exemplarité. Celle-ci passe par le fait qu'une femme soit maire, qu'elle s'ouvre à cette jeunesse et qu'elle lui montre qu'il est possible, en tant que femme, d'être mère, mais aussi entrepreneure, maman. Tout est possible.
Comment cette action s'articule-t-elle au quotidien ? D'abord, nous avons souhaité, dès 2014, créer un groupe de jeunes. En ruralité, nous rencontrions une difficulté particulière : nous disposons d'écoles publiques, mais aussi de nombreuses écoles privées. Les enfants, étant inscrits de part et d'autre, ne se fréquentent pas nécessairement. Nous souhaitions les rassembler. Nous avons alors lancé un appel à la jeunesse, l'incitant à venir nous voir. De nombreux jeunes y ont répondu. Ainsi, un groupe a fondé une junior association. Depuis sa création, il y a huit ans, ses membres grandissent, mais leurs frères, soeurs, cousins ou amis la rejoignent au fur et à mesure. Ils sont âgés de 12 à 18 ans environ. Lorsque nous discutons avec eux, nous évoquons rapidement le sujet de la parité ou de la gouvernance, lorsqu'il doit y en avoir, des organisations et des animations qu'ils peuvent mettre en place. Nous tenons également à l'inter-génération. Nos échanges sont très riches.
Comment pouvons-nous intervenir au niveau de ce groupe de jeunes, au sein de notre commune, à l'aide de l'association Familles rurales ?
Notre action consiste principalement dans des activités que nous pouvons proposer. J'évite au maximum de proposer des activités genrées. Par exemple, nous ne proposons pas nécessairement de foot, ou d'autres pratiques regroupant les garçons, pendant que les filles les regardent. Nous essayons plutôt de trouver des loisirs permettant à ces publics de s'épanouir ensemble. Souvent, lorsque j'évoque ce point, mes interlocuteurs m'expliquent que leur petite fille aime le foot. Très bien, il n'y a aucun souci. Si un garçon avait souhaité faire de la danse, il se serait moins épanoui, parce qu'on ne lui aurait pas proposé d'en faire, ou parce qu'il aurait été stigmatisé. Le « non genré » revient à proposer des activités plus centrées autour de la nature, par exemple.
Ensuite, comment proposer de l'exemplarité sur la commune ? Nous pouvons suggérer un retour à l'importance du matrimoine.
Comme un peu partout en France, nous ne disposons pas de rues ou de bâtiments nommés après des femmes. C'est pourtant un élément qui peut ouvrir le champ des possibles et offrir de la représentation aux jeunes filles. Ainsi, nous sommes en train de construire un bâtiment culturel comprenant une salle des associations, une bibliothèque ou encore un espace public. Il sera baptisé Blanche Peyron, en l'honneur de cette officière de l'Armée du salut, fondatrice du Palais de la femme, un hôtel social à Paris. Cette décision a été prise à l'unanimité du conseil municipal.
Surtout, il est important d'ouvrir le champ des possibles, pour que les filles - en ruralité comme ailleurs - puissent se dire qu'elles peuvent le faire. Je ne parle pas ici uniquement des métiers prestigieux, comme on peut souvent l'entendre. Elles peuvent également prétendre à des métiers dits d'hommes, comme chauffeur poids lourd ou bouchère. Une jeune fille de ma commune exerce cette profession, elle souffre régulièrement de misogynie.
Enfin, l'exemplarité que nous recherchons ne peut que s'accompagner de la déconstruction d'un monde assez masculin au quotidien, où la place de la femme reste au second plan. C'est d'ailleurs encore plus le cas en ruralité. J'illustrerai mon propos par un exemple que je tiens de commissions de cantine avec nos agents, des élus et des parents.
On nous a fait savoir que des enfants aidaient à mettre et à débarrasser la table. Seulement, lorsque l'on a poussé le sujet, et qu'on a demandé des précisions sur les enfants qui participaient à ces tâches, on nous a répondu 99 fois sur 100 que seules les filles le faisaient. Il nous était assuré que ces dernières en avaient envie, qu'elles le demandaient. Pendant ce temps, les garçons jouaient au foot.
Nous souhaitons que demain, ces jeunes filles sachent qu'elles ont, elles aussi, le droit de débarrasser, si elles le souhaitent, mais aussi d'aller lire un livre, de jouer à des jeux de société ou de faire plein d'autres choses, comme leurs camarades. Les garçons, quant à eux, doivent participer aux tâches du quotidien, pas uniquement regarder les filles le faire et continuer à construire ces schémas qui, sans être conscients, leur paraissent normaux. Nous essayons de déconstruire cela au quotidien. Nous sommes également vigilants quant au vocabulaire que nous employons.
Par ailleurs, nous créons des expositions ou les louons pour les mettre en place dans ma petite commune. J'ai ainsi pu proposer une exposition des élus contre les violences faites aux femmes, qui a rencontré un vif succès. Nous l'avons ouverte le dimanche, à l'heure du marché, entre autres. Ainsi, nous n'y avons pas attiré que des personnes sensibles à cette cause.
Je vous le disais, nous manquons de moyens pour mettre en place de grosses politiques publiques. Pour autant, nous essayons au quotidien d'ouvrir le champ des possibles aux filles en ruralité, sur la carrière, le métier, la vie qu'elles choisiraient, pour qu'elles n'aient pas à rester enfermées dans des stéréotypes de genre ou des modèles patriarcaux qui perdurent.