Intervention de Christiane Lambert,
présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Merci beaucoup.

Monsieur le Président Larcher, je suis ravie de vous retrouver. La dernière fois que nous nous sommes vus, nous étions devant l'assemblée des vétérinaires, profession essentielle à notre secteur, et qui vous est chère.

Chère Annick Billon, Madame la Présidente,

Cher Monsieur le sénateur Arnaud,

Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs,

Mesdames et Messieurs,

Merci pour cette invitation. J'avais eu l'occasion d'être auditionnée au Sénat. Annick Billon m'a invitée, nous avons déjà travaillé ensemble. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre rapport, lors de sa sortie, avec la commission des agricultrices de la FNSEA. Nous partageons un certain nombre de constats et de souhaits d'amélioration.

Je commencerai mon propos en me présentant. Je suis née dans le Cantal en 1961, année de l'entrée dans Le Petit Larousse du mot « agricultrice ». Mes deux parents étaient agriculteurs, tous deux militants à la Jeunesse agricole catholique (JAC), tous deux travailleurs, enthousiastes, optimistes, persuadés qu'en travaillant plus, ils amélioreraient leur sort. C'était les années pendant lesquelles l'agriculture était en plein essor, que Michel Debatisse avait nommées la « révolution silencieuse ». De nombreux changements ont eu lieu dans les exploitations agricoles. Les jeunes arrivaient, pleins d'espoir et d'envies de changement pour leur profession. L'histoire leur a donné raison.

J'ai choisi d'être agricultrice à l'âge de 8 ans, en travaillant avec ma mère dans l'exploitation. Je la suivais partout. Je préférais être au boulot plutôt que de faire mes devoirs, même si j'ai bien fait mes devoirs : j'ai eu mon brevet, mon bac, mon BTS. J'étais plutôt bonne élève. Mes professeurs et maîtres de stage m'ont souvent dissuadée d'être agricultrice, estimant qu'au vu de mes résultats, je devrais exercer un autre métier. Ce n'est pas parce que je suis auvergnate et que j'ai un fort caractère, mais je me suis obstinée à le devenir, par passion. J'ai choisi d'aller dans une école d'agriculture, et à la suite d'un bac agricole, j'ai obtenu mon brevet de technicien supérieur (BTS) le jour de mes 19 ans. Cinq jours plus tard, je m'installais sur une exploitation voisine de celle de mes parents. Je n'ai eu aucune difficulté à trouver du foncier, mais l'accueil du banquier fut plutôt frileux. Il m'a indiqué, je cite, « Mademoiselle, une jeune fille qui s'installe à 19 ans, célibataire, n'est pas un élément stable et sécurisant ». Heureusement, la caution de mes parents m'a permis de conclure l'emprunt dont j'avais besoin pour installer une exploitation de vaches laitières et de porcs.

Pendant mes études, j'ai côtoyé de nombreux jeunes de toutes les régions de France. Originaire d'une famille modeste, je n'étais jamais partie en vacances, mais le BTS m'a permis de rencontrer des jeunes - fils d'agriculteur ou non - venant de plus de quarante départements. Ils représentaient une formidable ouverture d'esprit et une approche très positive de l'agriculture.

J'ai étudié en Haute-Loire, où j'ai rencontré un jeune vice-président du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA). Je suis née à Saint-Flour, dans le Cantal, et j'étais agricultrice à Massiac, commune d'Alain Marleix. Aujourd'hui, son fils Olivier Marleix est député de l'Eure-et-Loir. Je confonds souvent leurs prénoms car j'ai beaucoup côtoyé le premier.

J'avais pour projet de développer mon exploitation. Je l'ai fait en travaillant seule, en étant célibataire. J'ai eu immédiatement des engagements professionnels, après avoir entendu ce jeune agriculteur du CNJA pendant mes études. Je me disais que cet agriculteur du fin fond de la Haute-Loire, originaire d'un département très rural et d'une commune très isolée située à plus de 1 000 mètres d'altitude, avait une connaissance parfaite du monde et des enjeux agricoles. J'ai été impressionnée par sa capacité d'analyse et par son éloquence. Je me suis dit que le CNJA était vraiment une belle organisation.

Dès mon arrivée dans le Cantal, j'ai été approchée pour entrer dans l'équipe cantonale des jeunes agriculteurs. J'ai ainsi commencé à l'échelle la plus locale, celle de la commune, du canton. J'ai apprécié la liberté d'initiative que j'y avais. Je pouvais organiser un certain nombre de réunions qui réunissaient de plus en plus d'agriculteurs, preuve qu'il existait un vrai besoin de lieux de rencontres et d'échanges entre ces professionnels. Nous étions d'abord dix, puis quinze, puis vingt. Lors de l'assemblée générale, nous étions cinquante-cinq, grâce à l'effet d'entraînement qu'a occasionné l'intérêt des thèmes que nous choisissions. Ceux-ci correspondaient aux besoins de ces jeunes de rencontrer, par exemple, un vétérinaire député européen, d'ailleurs originaire de Brioude, qui nous a largement éclairés sur ce qu'il se passait au niveau européen. Cette liberté d'organisation dont on dispose lorsqu'on appartient à ce type de syndicat ouvre largement le champ des possibles.

C'est ainsi qu'ont commencé mes responsabilités. Étant vice-présidente du département du Cantal, j'ai côtoyé des gens brillants, tels que Michel Teyssedou ou d'autres dirigeants. Ce sont très souvent des personnes charismatiques qui donnent envie de s'engager davantage. J'ai poursuivi ma route en étant vice-présidente départementale, puis présidente régionale en Auvergne. J'ai ensuite tout arrêté lorsque j'ai rencontré mon mari, Thierry, originaire du Maine-et-Loire. Nous avons décidé de changer de région. Me voilà alors arrivée en Pays de la Loire, en 1989. J'y ai repris des responsabilités au niveau du canton, attirée par des personnes que j'avais côtoyées à Paris, lorsque je vivais dans le Cantal.

Pourquoi ai-je ce gène de la responsabilité, ce besoin de m'engager ailleurs, de ne pas rester en responsabilité sur mon exploitation uniquement, alors qu'elle m'occupait déjà beaucoup ?

Je crois que ce besoin de faire avec les autres et pour les autres est hérité des parents, d'une culture, d'une éducation. J'ai également eu la chance de le développer dans mon établissement d'enseignement, l'Institut Saint-Dominique du Puy-en-Velay, en Haute-Loire. Il avait pour leitmotiv « ouverture d'esprit et esprit de synthèse ». S'agissant de l'ouverture d'esprit, on nous engageait vraiment à aller voir ailleurs. J'ai par exemple rencontré le juge pour enfants de la ville du Puy-en-Velay, et nous avions dressé un rapport sur ce sujet. Nous nous intéressions à une multitude de thématiques extérieures. Cette culture générale m'a été très bénéfique. Ensuite, l'esprit de synthèse consistait à voir tout cela, à n'en garder que le meilleur pour soi afin de se construire et de construire ses convictions. Cela m'a beaucoup aidée par la suite, y compris en termes de curiosité et de tolérance face aux rencontres que j'ai pu faire. Le gène de la responsabilité m'a également été transmis par mes parents. J'ai été déléguée de classe, capitaine de l'équipe de handball... Il m'a suivie un peu partout.

Très vite, je me suis vue confier des responsabilités. Le syndicalisme agricole présente une originalité qui n'existe pas partout. Dès leur création, le CNJA et la FNSEA ont créé un poste statutaire pour une vice-présidence féminine. Depuis toujours, et cela a été relevé davantage pendant la guerre, lorsque les hommes étaient au front, les femmes ont su tenir les exploitations. Le documentaire Nous paysans, que vous avez sans doute vu, a bien mis en avant le rôle des femmes, des mères, pendant que leurs pères et frères étaient au combat. Elles ont « tenu » la Nation, comme le disait le général de Gaulle. Elles ont joué un rôle très important, ce qui a justifié cette reconnaissance.

À cette vice-présidence féminine au sein de la FNSEA s'ajoute une section féminine spécifique pour accompagner les femmes. Celles-ci ne sont pas toujours aussi rompues que les hommes à certaines tâches. Certaines sont venues à l'agriculture par le mariage, sans avoir de formation ou de compétence propre, et ont ainsi besoin d'une formation continue, d'une aide à l'insertion, d'un accompagnement.

Cette vice-présidence féminine a également poussé certaines femmes à prendre cette responsabilité, alors qu'elles ne l'auraient a priori pas acceptée, parce qu'il fallait nécessairement nommer une femme. La situation est un peu similaire à celle des conseils municipaux lorsqu'on veut y atteindre une parité. Certaines ne se mettent pas en avant et ne se jettent pas dans les responsabilités. Elles doivent être un peu poussées avant d'accepter. On se rend compte quelques années plus tard qu'elles excellent à leur poste, qu'elles pilotent très bien leurs dossiers et qu'elles apportent beaucoup à l'équilibre du groupe, quel qu'il soit.

Arrivée dans le Maine-et-Loire, où nous nous sommes installés avec mon mari, j'ai eu deux enfants. J'ai refusé une responsabilité nationale, car ils étaient très petits. En1992, lorsque Thibault avait un an et que Guillaume en avait trois, j'ai accédé au conseil d'administration des jeunes agriculteurs. Des éléments ont été déterminants dans cette décision.

D'abord, mon mari a toujours accompagné mes responsabilités. J'ouvre ici une parenthèse : la semaine dernière, au salon de l'agriculture, lors d'un dîner prestigieux, la responsable d'une grande maison de vin m'a demandé si mon mari avait accepté mes responsabilités, ou si je les lui avais imposées. Cette question m'a beaucoup surprise. Vous imaginez bien qu'un engagement qui prend tant de temps, s'il est imposé, ne peut pas fonctionner. Le partage au sein du couple est primordial, j'insiste sur ce point. Puisque nous sommes mariés depuis trente-sept ans, j'imagine qu'il ne s'est pas senti trop contraint. Il est aussi nécessaire de partager les mêmes convictions quant aux raisons de l'engagement. En effet, il faut tout de même pouvoir gérer l'absence, et tout ce qui l'accompagne, sur le plan familial ou personnel, vis-à-vis des enfants, dans l'organisation de l'intendance de la maison.

Lorsque j'ai été sollicitée pour être présidente du CNJA, Thierry m'a dit que je travaillerais autant en tant que numéro 1 qu'en tant que numéro 2, et qu'il fallait donc que j'accepte ce poste, que l'on s'organiserait. Ces paroles ont allégé mon coeur et ont facilité ma décision. Il est toujours difficile de dire « oui » - chacune de vous le sait. Après avoir accepté, le soir, on se couche en se demandant si on va y arriver, si ça ne sera pas trop compliqué, si on va tenir.

Le deuxième élément déterminant a été mon président des Jeunes agriculteurs du Maine-et-Loire, Jean-Marc Lézé, qui m'a fait part de son envie de me voir responsable du département. Au lieu de me proposer le recours au service de remplacement pour faire le travail à ma place sur l'exploitation, il m'a proposé de chercher une nounou pour garder mes deux enfants, encore petits, dès lors que Thierry et moi étions absents, lorsqu'il travaillait sur l'exploitation et que je n'étais pas présente.

Ces deux personnes ont joué un rôle très important. Nous avons alors recruté Laure, qui a élevé Guillaume et Thibault, puis Pauline, arrivée après le CNJA. Laure est restée vingt-trois ans à la maison. Elle fait partie de la famille et est la marraine de Pauline. Elle a été déterminante dans ma sérénité pour conduire mes responsabilités, puisque je savais que tout était bien tenu à la maison. Elle partage nos valeurs de respect, de rigueur, de famille, de travail. Elle a bien accompagné les enfants dans leurs études - ils ont tous les trois obtenu une mention très bien au bac, ce dont elle est très fière, elle aussi. Elle est encore aujourd'hui très proche de nous.

Les femmes sont plus prêtes à témoigner de ces éléments facilitateurs, qui pallient un certain nombre d'éléments évoqués par M. le président du Sénat et Mme la présidente Billon, telles que la faiblesse de garde en milieu rural ou les difficultés pour trouver des haltes-garderies ou des nounous. Il existe désormais davantage d'infrastructures, mais ce n'était pas le cas à l'époque. Il y a aujourd'hui une maison maternelle dans notre commune. Il n'y en avait pas. Nous devions alors nous organiser.

La responsabilité, c'est d'abord accepter de dire « Oui, je veux le faire ». Ce n'est pas évident. Vous citiez tout à l'heure Nicole Notat. Lorsqu'elle a été pressentie pour prendre la présidence de la CFDT, tous les journaux titraient « Voilà une femme ambitieuse qui arrive à la tête de la CFDT ». Une femme dans cette situation est qualifiée d'ambitieuse. Pour un homme, on lui demande simplement d'y aller. C'est encore un peu ancré dans les approches. Ensuite, de fil en aiguille, j'ai été nommée présidente du CNJA deux ans plus tard, pour un mandat de quatre ans, au pas de course, en portant des sujets d'importance : l'installation des jeunes agriculteurs, le renouvellement, la nécessité d'avoir des jeunes qui arrivent pour la vitalité des communes rurales. Nous avons mis ce dernier point en avant avec notre formule fétiche : « Nous avons plus besoin de voisins que d'hectares », qui nous venait de responsables de l'Aveyron. Renouveler les exploitations agricoles était la clé de la vitalité des villages et des communes rurales.

À 35 ans, nous ne sommes plus considérés comme de jeunes agriculteurs. J'ai tout arrêté et Pauline est née. Nous avions pour objectif d'avoir trois enfants et les avons eus : deux garçons et une fille. Très vite, j'ai repris des responsabilités. Pour l'anecdote, j'ai été élue au conseil d'administration de la FDSEA du Maine-et-Loire alors que j'étais sur mon lit de maternité, juste après la naissance de Pauline. Il est vrai que j'aime l'action collective et l'engagement pour l'action, c'est-à-dire que j'apprécie le fait de conduire des projets, animer et entraîner des équipes.

J'ai mis en place une école de formation pour les jeunes responsables lors de mon arrivée dans le Maine-et-Loire. Pour exercer des responsabilités, vous le savez, il est nécessaire de disposer d'une maîtrise des dossiers, de la prise de décisions, du pilotage de réunion. Certaines l'ont instinctivement, d'autres non. Il est toujours préférable d'avoir justement plus de capacité et d'assurance pour bien travailler, mais aussi pour asseoir son autorité, pour montrer qu'on est en capacité de faire, pour bien conduire les réunions, de façon rigoureuse et productive. Je dis souvent que lorsqu'on laisse deux ou trois enfants à la maison, on ne peut pas partir pour « buller » à l'extérieur. On doit être efficace et utile, apporter quelque chose à la cause pour laquelle on s'engage.

J'ai conduit bon nombre de dossiers. J'ai pris du plaisir dans mes responsabilités, j'ose le dire. Je n'ai jamais présenté mes responsabilités sous un angle sacrificiel ou de complexité, parce que j'ai apprécié le contact, les équipes. J'aimais voir les gens grandir dans leurs responsabilités. Je me suis engagée à 19 ans et demi. En quarante-deux ans, j'ai vu grandir des responsables qui ont commencé de manière timide, étant assez peu engagés. Ils sont aujourd'hui brillants. Ils excellent et sont en plein exercice de responsabilités. C'est gratifiant. La responsabilité, c'est aussi le fait de savoir s'entourer de collaborateurs, d'agriculteurs ou d'agricultrices qui nous aident beaucoup.

Je viens de participer au Salon de l'agriculture pendant huit jours. J'ai ensuite passé mon dimanche au bureau de la FNSEA, à rattraper mon retard de mail et ma gestion de courrier, de dossiers, de préparation de réunion. Hier soir, mon directeur m'indiquait que je lui avais envoyé 90 mails dimanche. Je ne les avais pas comptés, contrairement à lui, mais j'ai tout de même vérifié qu'il n'exagérait pas. Je sais que j'ai largement éclusé tous les courriers de la semaine pour éviter d'avoir du retard et de passer à côté de quelque chose. Nous sollicitons également beaucoup nos collaborateurs dans le cadre de nos responsabilités.

Comment suis-je arrivée à la présidence de la FNSEA ?

J'étais première vice-présidente de Xavier Beulin. C'est Jean-Michel Lemétayer qui m'a fait entrer en tant que vice-présidente, et non vice-présidente féminine statutaire. Ce poste était occupé par une autre femme. Moi, j'ai été nommée après avoir été présidente départementale de Maine-et-Loire pendant dix ans. J'avais une responsabilité territoriale en département. J'ai piloté bon nombre de dossiers et Xavier Beulin m'a fait confiance pour être première vice-présidente. On m'a récemment présentée comme le maillot jaune des premières : première présidente des Jeunes agriculteurs, première femme première vice-présidente, première femme présidente de la FNSEA, première femme présidente du Copa, le syndicat européen. C'est un cheminement. J'ai longtemps hésité avant d'accepter cette responsabilité européenne mais les sujets européens me semblent primordiaux pour l'agriculture. De nombreux horizons pour l'agriculture sont européens. La Politique agricole commune (PAC), les textes européens ou les normes sanitaires sont tous décidés à Bruxelles, d'où l'importance d'y avoir un pied, une oreille et une tête pour essayer de faire bouger les lignes.

C'est plus un sentiment de devoir qu'un sentiment de pouvoir qui m'a amenée à prendre ces responsabilités. Elles se sont accompagnées de beaucoup d'insomnies. Je ne suis pas très sûre de moi. Je suis perfectionniste. J'aime faire les choses bien. Je me demande souvent si j'en fais assez, si je fais les choses comme je le devrais. S'en ressentent parfois une certaine pression, un certain stress sur mes collaborateurs lorsque je leur demande de m'aider à en faire plus.

Vous m'interrogez quant aux freins qui existent. Le premier, bien souvent, se trouve dans la tête des agricultrices elles-mêmes. Mon ami Jean-Marc Lézé me disait souvent que, lorsqu'on demande à une femme de prendre des responsabilités, elle demande « Pourquoi moi ? ». Un homme à qui on dit non répond au contraire « Pourquoi pas moi ? ». J'aime cette formule et la répète. Pour cette raison, nous incitons souvent les agricultrices à oser s'engager, à s'en sentir capables. Le deuxième frein correspond à un manque de formation de certaines femmes. Celles qui sont venues à l'agriculture sans être formées sont tout de même de moins en moins nombreuses, parce qu'elles choisissent désormais ce métier. Lorsqu'elles n'ont pas de formation initiale, il existe aujourd'hui des formations continues leur apportant les compétences. Pour discuter d'égal à égal en réunion ou en négociation, il est préférable s'avoir suivi une formation et de disposer de bases de connaissances agricoles.

La famille ou le conjoint peut aussi, parfois, constituer un frein s'il vit mal la prise de responsabilités et l'organisation qu'elle suppose, vis-à-vis des gardes d'enfants, par exemple. Il n'y a pas toujours de haltes-garderies, de nounous, de Maisons d'assistants maternels (MAM). Dans notre culture judéo-chrétienne, cette responsabilité incombe plutôt aux femmes dans le foyer. Puisque le travail ne manque pas dans les exploitations, les hommes peinent parfois à le concilier avec la prise en charge des enfants, bien que cette situation évolue. Dans ma commune, trois agriculteurs dont les compagnes travaillent à l'extérieur ont pris en charge les enfants, leur préparation, les trajets vers et au retour de l'école, les repas s'ils ont des intolérances alimentaires, le goûter avant de retourner soigner leurs animaux. Beaucoup ne mesurent pas suffisamment la chance que ces temps choisis peuvent représenter dans l'agriculture par rapport à d'autres professions.

Mentionnons également les horaires de réunion, souvent à 18 heures ou 20h30. Le choix d'horaires compatibles avec ceux de femmes et de mères n'était pas mis en place chez nous.

Nous avons tenté de pallier tous ces freins avec la mission des agricultrices, qui a bien travaillé sur ces sujets.

Les règles ont changé. Les listes des chambres d'agriculture doivent désormais compter 30 % de femmes, et pas quatorze hommes, puis sept femmes en fin de liste, mais bien deux hommes, puis une femme, puis deux hommes, puis une femme... Cette règle a permis à plus de femmes d'arriver en responsabilité dans les chambres d'agriculture. Là aussi, il a fallu aller chercher des femmes qui ne voulaient pas de ces postes et qui se révèlent finalement très à leur place dans leurs responsabilités, pilotant des projets de formation, interterritoriaux ou autres. Les femmes, quand elles sont en situation d'agir, s'en donnent les moyens. Dans la majorité des cas, elles parviennent à leurs fins, puis engagent un second, voire un troisième mandat. Le nombre de présidentes de chambres d'agricultures est aujourd'hui inédit, puisqu'elles sont cinq.

Notre organisation n'a pas fixé de quotas. La présidente de la Commission nationale des agricultrices (CNA) l'avait évoqué, mais nous n'avons pas voulu basculer vers ce système. En agriculture, 33 % des actifs sont des femmes. 25 % sont chefs d'exploitation. Nous n'atteindrions donc pas une parité à 50-50. Nous poussons en revanche une représentativité de 30 % de femmes.

Nous n'avons pas établi de quotas à la FNSEA. Peut-être devrons-nous un jour le faire, mais nos scores se sont améliorés. Nous comptons aujourd'hui trois femmes sur un bureau de vingt-six personnes. C'est inédit. Le conseil d'administration compte treize femmes parmi ses soixante-neuf membres. Douze femmes sont présidentes départementales. Une seule est présidente de région, dans l'Orne, chez le président Larcher. Cinq femmes sont présidentes d'associations spécialisées telles que les fédérations des chevaux, des ovins, des fruits ou du riz. Nous ne sommes pas prêts à basculer sur des quotas. Ce sujet est souvent débattu dans de nombreuses organisations et de nombreux conseils d'administration. J'espère que nous n'en arriverons pas là.

Aujourd'hui, 32 % des installations de jeunes sont le fait de femmes. Les écoles d'agriculture accueillent 52 % de filles pour 48 % de garçons. Ma fille Pauline a passé un diplôme d'ingénieur agronome à Rennes Agrocampus Ouest. Sa classe comptait 68 % de filles. Ainsi, la situation s'améliore. Toutes ces filles ont trouvé du travail dans les trois mois suivant la fin de leurs études. Certaines sont agricultrices, d'autres conseillères. Cette réussite est impressionnante, tout comme cet intérêt pour les métiers de l'agriculture.

Nous avons besoin de bras. Nous lançons un appel pour accueillir des jeunes filles, des jeunes femmes. Les femmes vétérinaires sont de plus en plus nombreuses. Les craintes dont faisaient part les agriculteurs, au départ, ont disparu. Tous les métiers, même certains qui étaient par le passé exclusivement masculins, sont aujourd'hui choisis par des jeunes filles. C'est très bien. Nous allons continuer à lever les freins existants, dans la mesure du possible, pour apporter davantage de coordination. Les femmes apportent un équilibre important dans les groupes majoritairement masculins.

Merci beaucoup.

M. JEAN-MICHEL ARNAUD

Merci. Nous pouvons applaudir Madame Lambert.

J'en profite pour saluer nos collègues des Ardennes qui ont réussi à dépasser les problèmes d'embouteillages, ainsi que la vice-présidente du Sénat, Valérie Létard, qui a marqué l'actualité de ces dernières semaines par son engagement permanent au service de la cause des femmes. Je pense notamment à l'aide d'urgence pour les victimes de violences conjugales, texte qu'elle est parvenue à faire aboutir. Je crois que c'est la fierté de son mandat.

Je vous propose d'enchaîner avec le témoignage de Christine Maximin, maire de Baratier, petite commune touristique rurale de moins de 600 habitants dans les Hautes-Alpes, vice-présidente de la Communauté de communes de Serre-Ponçon. Elle est par ailleurs ma suppléante. Elle a l'ambition de vous présenter le cheminement d'un engagement. Je lui laisse le soin de vous présenter son parcours, sa vision de l'engagement des femmes en zone rurale, en tant qu'élue locale dans une collectivité rurale.