III. DES RUPTURES DE PRISE EN CHARGE D'ÉLÈVES EN SITUATION DE HANDICAP ET UN ACCOMPAGNEMENT TRÈS ALÉATOIRE DES FAMILLES : DES FAILLES À COMBLER
A. GARANTIR LA CONTINUITÉ DE LA PRISE EN CHARGE SUR LES DIFFÉRENTS TEMPS DE L'ENFANT EN SITUATION DE HANDICAP
Par une décision du 20 novembre 2020, le Conseil d'État a dégagé l'Éducation nationale de toute responsabilité dans le financement des emplois d'AESH en dehors du temps scolaire, transférant ainsi la charge aux collectivités territoriales dans le cadre de l'enseignement public et aux établissements dans le cadre de l'enseignement privé sous contrat. Cette jurisprudence marque un profond changement de paradigme en ce qu'elle exonère désormais l'État, chargé d'une mission d'organisation générale du service public de l'éducation, d'assumer les dépenses d'aide humaine nécessaires à la scolarisation des ESH sur le temps périscolaire. Au-delà de la question de droit qu'un tel revirement pose, cette décision induit une rupture dans la prise en charge quotidienne de ces enfants, ce qui est contraire à l'esprit des lois de 2005 et 2013 et à l'objectif d'inclusion. Depuis sa publication, certains se sont retrouvés subitement sans aide humaine à la pause méridienne, obligeant leurs parents à prendre le relai, à leur propre détriment (pose de jour de congé ou de maladie, restriction ou arrêt d'activité...), voire à recourir, dans certains cas, à des accompagnants privés pour ceux dont les moyens le permettent.
Le rapporteur rappelle la responsabilité de l'État, comme indiqué dans la décision du Conseil d'État, dans l'organisation de la prise en charge des ESH hors du temps scolaire.
Recommandation n° 10 : Par une initiative législative, faire reprendre en charge par l'État, au titre de la solidarité nationale, le financement des dépenses d'accompagnement humain des ESH sur le temps méridien, au nom du principe, en vigueur jusqu'à la récente jurisprudence du Conseil d'État, de la responsabilité de l'État en matière d'inclusion scolaire et de tout ce qui y concourt3(*).
Dans l'attente de l'intervention du législateur, le rapporteur prend acte des conséquences de la décision du Conseil d'État. Il constate cependant que si elle est appliquée dans le premier degré, engageant de facto la responsabilité des communes, elle ne l'est pas dans le second degré - qui relève des départements et des régions -, alors que la décision rendue ne fait pas de distinction entre le primaire et le secondaire.
Au-delà de son application à deux vitesses, cette jurisprudence fait naître des difficultés concrètes quant à ses modalités de mise en oeuvre : dualité d'employeurs pour les AESH, marges de manoeuvre budgétaires limitées des collectivités territoriales, notamment des communes rurales, pour assumer cette nouvelle charge financière.
Une note de service interne au ministère de l'Éducation nationale, du 4 janvier 2013, est venue clarifier la question organisationnelle, en appelant à recourir à la mise à disposition d'AESH par l'État au bénéfice des collectivités. Cette solution, qui va dans le bon sens - car présentant des avantages procéduraux certains (employeur et fiche de paie uniques, prise en charge des formations, participation aux ESS...) -, ne règle toutefois pas le problème du financement :
- pour l'enseignement public, les collectivités territoriales doivent, une nouvelle fois, mettre la main à la poche, au nom de la séparation des temps scolaire et périscolaire ;
- pour l'enseignement privé sous contrat, il revient aux établissements de trouver les financements nécessaires, sans qu'ils puissent toutefois juridiquement prélever sur les fonds perçus au titre du forfait scolaire - ce qui les conduirait donc à augmenter les tarifs de cantine pour tous les élèves ou à solliciter directement les familles concernées. Sur le terrain, cependant, il semble que l'État continue à prendre en charge certaines situations individuelles - nouvel exemple d'application à géométrie variable de la jurisprudence que le rapporteur déplore - quand la solidarité au sein des établissements ne prend pas son relai. Il existe, en outre, un risque important, et non souhaité, de transfert, déjà constaté, de la prise en charge de ces élèves du secteur privé vers le secteur public. Pour toutes ces raisons, le rapporteur juge la situation actuelle quasi insoluble, sans reprise en charge financière par l'État. Il note que le ministère s'est engagé à trouver une solution, mais constate que le dialogue avec les représentants du secteur n'a pas encore débuté.
Recommandation n° 11 : En l'état actuel du droit, développer les subventions d'ores et déjà accordées par certaines caisses d'allocations familiales (Caf) aux collectivités territoriales pour participer au financement de l'aide humaine des ESH sur le temps méridien, comme sur le temps périscolaire.
Concernant l'enseignement privé, ouvrir en urgence un processus de discussion entre le ministère de l'Éducation nationale, les représentants de l'enseignement privé et des collectivités locales, afin de proposer des solutions efficientes à droit constant.
La problématique de la prise en charge des ESH sur le temps périscolaire pose aussi la question du périmètre de prescription des MDPH. En effet, certaines d'entre elles font des préconisations (et non des prescriptions) sur le temps périscolaire, notamment méridien, tandis que d'autres s'en tiennent au seul temps scolaire. De l'avis du rapporteur, cette différence de pratiques et l'absence de règle d'harmonisation nationale ne sont pas de bonne gestion et contribuent à l'hétérogénéité des prises en charge selon les territoires.
Recommandation n° 12 : Systématiser la préconisation, par les MDPH, du besoin ou non d'aide humaine sur le temps méridien des ESH, afin d'éclairer la décision des collectivités territoriales et des établissements scolaires privés sous contrat, désormais responsables de sa mise en oeuvre, et de garantir une continuité de la prise en charge sur les différents temps de la journée de l'enfant.
Le rapporteur appelle aussi à ne pas envisager le temps périscolaire que sous l'angle de la compensation, mais aussi à l'aborder sous le prisme de l'accessibilité des bâtiments et du matériel. Si l'aide humaine sur le temps périscolaire devrait relever de l'État, l'accessibilité incombe aux opérateurs de services ou d'activités périscolaires, à savoir principalement les collectivités territoriales.
Recommandation n° 13 : Sensibiliser les opérateurs de services ou d'activités périscolaires à l'accessibilité de ces derniers, qui est de leur responsabilité.
Le rapporteur souhaite enfin qu'une solution financière soit trouvée au problème de la prise en charge de l'aide humaine, sur le temps périscolaire, de l'enfant scolarisé en dispositif Ulis et dont la commune de résidence n'est pas celle qui héberge ce dispositif. En effet, il n'existe, à ce jour, aucune disposition législative ou règlementaire permettant la refacturation de la commune d'accueil du dispositif à la commune de résidence de l'enfant (sauf accord de gré à gré). Seul le forfait scolaire, qui n'inclut pas le temps périscolaire, peut être refacturé. Le rapporteur rappelle pourtant qu'il ne s'agit pas d'une dérogation, mais bien d'une affectation de ces enfants par le ministère de l'Éducation nationale dans l'établissement concerné. Depuis la décision du Conseil d'État précitée, le surcoût incombe aux communes d'accueil de ces dispositifs, ce qu'elles estiment injuste. Certaines communes, notamment rurales, ont d'ores et déjà fait part de leur souhait de ne plus accueillir ce type de dispositif, en l'absence de solution pour une prise en charge des enfants originaires d'une autre commune.
Recommandation n° 14 : Acter le principe de la prise en charge, par la commune de résidence de l'enfant scolarisé au sein d'un dispositif Ulis situé dans une autre commune, des personnels dédiés à son accompagnement sur le temps périscolaire.
* 3 Cf. l'article L.112-1 du code de l'éducation, introduit par la loi « Handicap » de 2005 : « L'État met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. »