TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER
Réunie le mercredi 15 mars 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la scolarisation des élèves allophones.
M. Claude Raynal , président . - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la scolarisation des élèves allophones.
La scolarisation rapide et massive de jeunes Ukrainiens au printemps 2022 a été considérée comme un succès. Mais elle a aussi souligné certaines fragilités du dispositif d'accueil des élèves allophones, c'est-à-dire dont la langue maternelle n'est pas le français. Or la plus complète analyse sur ce sujet remontait à près de 15 ans, dans un contexte de croissance continue du nombre d'élèves allophones scolarisés en France. Il manquait donc une étude consolidée. C'est la raison pour laquelle la commission des finances a commandé à la Cour des comptes une enquête sur le sujet.
Nous recevons M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. Pour nous éclairer sur le sujet et répondre aux observations de la Cour, sont également présents Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, cheffe du service de l'instruction publique et de l'action pédagogique à la direction générale de l'enseignement scolaire et M. Daniel Auverlot, recteur de Créteil.
M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes . - J'ai le plaisir de venir présenter devant vous le rapport de la Cour sur la scolarisation des élèves allophones. Ce document vous a été transmis dans le cadre de la demande d'enquête de la part du président de la commission des finances du Sénat, en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1 er août 2001. Les contours de cette enquête ont été précisés dans la lettre de cadrage que le Premier Président vous a adressée le 20 avril 2022.
L'enjeu d'intégration de ces jeunes est en effet majeur, pour éviter qu'ils ne soient pénalisés par rapport aux enfants de même génération. Ce sujet bénéficie aujourd'hui d'une actualité particulière compte tenu de la présence sur le territoire de nombreux jeunes réfugiés ukrainiens. L'enquête n'a pas eu pour objet de traiter de l'ensemble des élèves ne parlant pas ou mal français à l'entrée en maternelle ou au cours de la scolarité, mais bien de se concentrer, conformément à la définition reconnue sur le plan international et par le ministère de l'Éducation nationale, sur les « élèves allophones nouvellement arrivés sur le territoire - EANA » c'est-à-dire nouvellement arrivés en France et dont la langue maternelle n'est pas le français. Un jeune est considéré comme EANA quand, arrivant sur le territoire, il a des besoins éducatifs particuliers dans l'apprentissage du français, mis en évidence par un test de positionnement.
Au cours de l'année scolaire 2020-2021 (dernier chiffre connu), 64 564 EANA ont été scolarisés en école élémentaire, en collège ou en lycée. Leur nombre a très probablement diminué jusqu'en mars 2022 du fait de la crise sanitaire, puis a augmenté depuis cette date compte tenu des enfants réfugiés ukrainiens scolarisés. 23 % des EANA n'ont pas été scolarisés antérieurement, ou très peu, dans leur pays d'origine.
L'obligation d'instruction s'applique désormais dans notre pays pour les jeunes de 3 à 16 ans, et une obligation de formation existe de 16 à 18 ans, pouvant passer par un emploi, un stage ou un apprentissage. Elle est applicable pour tous ceux qui, quel que soit leur statut ou leur nationalité, sont présents en France. Elle s'applique donc aux EANA arrivant sur le territoire et dont la langue maternelle n'est pas le français. Cette question est particulièrement sensible outre-mer en Guyane et à Mayotte, compte tenu de la démographie et des flux migratoires dans ces régions, dans un contexte d'existence de plusieurs langues maternelles autres que le français.
Pour donner à ces élèves les mêmes chances de réussite que les autres, il est nécessaire de prévoir un soutien linguistique, en tout cas dans une phase initiale. L'objectif est, dans la logique de l'école inclusive, qu'ils s'insèrent progressivement et le plus rapidement possible dans un cursus ordinaire.
Les EANA, tout en étant inscrits dans une classe ordinaire, effectuent ainsi leur début de scolarité dans une unité spécifique, les unités pédagogiques pour élèves allophones nouvellement arrivés (UPE2A), pour un maximum d'un an ou de deux ans s'ils sont non scolarisés antérieurement. Ils en sortent de manière progressive au fur et à mesure notamment de leurs progrès en langue française. Le coût de ce dispositif spécifique est d'environ 180 millions d'euros, en supplément de celui d'un élève en classe ordinaire.
L'enquête de la Cour, qui a comporté de nombreuses visites de terrain dans les rectorats et un parangonnage international en Allemagne et en Italie, a montré que le système en place avait des mérites, mais qu'il souffrait de plusieurs difficultés.
En 2020-2021, 91 % des EANA ont bénéficié d'un accompagnement linguistique, dont 62 % en UPE2A ordinaire, 8 % en UPE2A pour les non scolarisés antérieurement, 19 % inclus en cursus ordinaire avec un soutien linguistique et 2 % soutenus par un autre dispositif. La baisse du nombre d'EANA pendant la crise sanitaire n'a pas entraîné de diminution du nombre d'UPE2A dans cette même période, ce qui a contribué à une insertion rapide des réfugiés ukrainiens dans le dispositif.
Le système parvient souvent à une bonne personnalisation des parcours lors de la première année, ce qui est indispensable compte tenu de profils très hétérogènes. Comme le montre la situation des élèves réfugiés ukrainiens, la problématique est par exemple très différente pour des EANA normalement scolarisés avant leur arrivée en France et pour ceux qui n'ont pas été scolarisés antérieurement. Il est de ce point de vue regrettable que les données statistiques sur leur nombre et les délais d'affectation soient produites de manière imparfaite et irrégulière.
Une première difficulté réside dans l'adaptation de l'offre aux besoins. Jusqu'en 2020, les délais d'affectation dans une classe se sont allongés notamment dans les zones les plus concernées par les flux migratoires. Le plus préoccupant est le nombre non marginal d'élèves non scolarisés dans le secondaire au bout d'un long délai : au bout de six mois, 3,7 % des EANA de collège et 6,8 % des élèves de lycée ne sont pas scolarisés. Il est difficile de mettre en place des dispositifs UPE2A en primaire dans les territoires ruraux à habitat dispersé. Après l'UPE2A, le soutien linguistique n'est plus effectué dans le primaire, si ce n'est dans le cadre du fonctionnement de la classe ordinaire. Ceci contraste avec ce qui existe dans plusieurs autres pays, où un soutien linguistique spécifique s'étend sur plusieurs années.
Deuxième difficulté, la formation très insuffisante des enseignants. Une étude récente de l'OCDE donne des résultats très préoccupants. 8 % des enseignants de notre pays se sentent « bien préparés » ou « très bien préparés » pour enseigner en milieu multiculturel ou plurilingue, contre 26 % en moyenne dans l'ensemble de l'OCDE. Le nombre de jours de formation continue consacré à ce sujet est en 2020-2021 de 0,26 % du total des formations dans le primaire et de 2,2 % dans le secondaire, soit un chiffre nettement inférieur à la proportion du nombre d'élèves allophones. Même si aucune donnée nationale n'existe en ce domaine, de nombreux enseignants en UPE2A ne disposent pas d'une certification « français langue seconde » (FLS).
Plusieurs actions ont été entreprises pour l'accompagnement des enseignants. Les centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) animent ces initiatives. Leur mise en réseau est cependant perfectible.
Troisième difficulté, les carences de l'évaluation. Le diplôme d'étude en langue française (DELF) valide des compétences en langue de communication orale et écrite. Les EANA peuvent passer cet examen gratuitement les deux premières années de leur arrivée en France. Mais son passage est facultatif et ne constitue donc pas un indicateur systématique de l'avancée dans l'apprentissage de la langue. Ceci permettrait pourtant une objectivation de l'apport du dispositif, débouchant ensuite sur un soutien pédagogique plus précis. Il inciterait à construire des compétences de français dans différentes disciplines scolaires, et donc à une prise en compte du FLS par d'autres enseignants que ceux de français.
Comme dans les pays européens visités, les données d'évaluation sont très parcellaires et parfois anciennes. C'est d'autant plus dommageable que les difficultés initiales de ces jeunes peuvent expliquer en partie le nombre d'élèves se retrouvant au bout du compte en situation d'échec scolaire. Il n'existe pas en particulier d'étude de suivi de cohorte des EANA à partir de la date de leur premier test de positionnement.
La question des élèves allophones de plus de 16 ans et de moins de 6 ans mérite enfin d'être posée. S'agissant des EANA de plus de 16 ans, l'écart important entre leur nombre et celui des mineurs non accompagnés pris en charge par les conseils départementaux laisse penser qu'une bonne partie de ces derniers ne bénéficie d'aucune formation. De nombreux facteurs extérieurs à l'éducation nationale expliquent cette situation, mais le dispositif du ministère peut y contribuer. Il souffre en effet d'un manque d'orientation nationale, la circulaire de 2012 étant très floue sur le sujet. Aucun texte n'a depuis précisé la politique à mener en la matière. Les rectorats sont amenés de ce fait à prendre des initiatives pour tenter de répondre aux besoins, mais sans vision systématique et cohérente. Les dispositifs sont récents, insuffisants, et souvent peu inclusifs. Il n'y a aucun plafond du nombre maximal d'élèves dans les UPE2A dans les lycées. Ces structures sont le plus souvent insérées dans les lycées professionnels, ce qui pose le problème de l'inclusion. Certaines sont de fait en réalité « fermées », c'est-à-dire sans inclusion en cours d'année ni cours commun avec des classes ordinaires à l'exception de l'éducation physique et sportive (EPS).
Pour les EANA de moins de 6 ans, le ministère n'envisage pas pour le moment de dispositif spécifique pour cette catégorie. Il considère que l'entrée dans la langue de l'école est une problématique commune à tous les élèves de maternelle. Pourtant, la question mérite d'être posée compte tenu de ce qui peut se pratiquer dans d'autres pays.
Le rapport aborde enfin la mobilisation du ministère pour l'accueil des jeunes réfugiés ukrainiens. 17 677 jeunes élèves ukrainiens ont été accueillis au 24 mai 2022 dans les écoles, collèges, lycées français. Ces chiffres sont inférieurs à ceux de l'Allemagne (100 000 enfants) et l'Italie (27 000). 57 % des élèves ukrainiens sont scolarisés à l'école primaire, 33 % au collège et 10 % au lycée. Il a été établi dans certains rectorats une « fast track » pour l'inscription : le jeune peut s'inscrire dans un établissement scolaire le plus proche de son hébergement sans passer par les préfectures et avant même tout test linguistique. Le délai entre la première prise de contact et l'inscription en établissement scolaire a pu ainsi s'établir à deux ou trois semaines.
Le soutien linguistique est principalement passé par des enseignants itinérants rémunérés en heures supplémentaires. Il a été accepté que les élèves suivent des cours sur la plate-forme du ministère ukrainien de l'éducation, mais au sein de l'établissement scolaire et dans la mesure du possible en dehors des cours. Cela a pu nécessiter des adaptations ponctuelles d'emploi du temps. Au 12 mai 2022, 97 enseignants réfugiés ukrainiens étaient recrutés ou en cours de recrutement. Ils sont majoritairement francophones et enseignants en Ukraine dans diverses disciplines.
Les recommandations que nous faisons et que vous retrouverez au début du rapport répondent à ce diagnostic, notamment la fixation d'un objectif de délai maximal pour l'accès à l'éducation d'un EANA et l'entrée dans le dispositif ; la mise en oeuvre dans le primaire d'un soutien spécifique pour les EANA au-delà de la première ou des deux premières années de présence sur le territoire ; la généralisation de la certification FLS pour les enseignants en UPE2A ou l'évaluation systématique du niveau en français des EANA à la sortie des UPE2A.
M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Je voudrais remercier nos invités pour leur travail très approfondi sur le sujet difficile de l'évolution assez spectaculaire et différenciée de l'accueil des élèves allophones nouvellement arrivés.
Ce rapport va sans doute susciter des réactions de la part du ministère de l'Éducation nationale ainsi que des retours du terrain de la part du recteur de l'académie de Créteil, qui viendront éclairer les travaux de notre commission.
Le nombre d'élèves allophones est conséquent et en évolution rapide. On dénombre aujourd'hui 85 000 EANA, dont environ 20 000 Ukrainiens. Il s'agit donc d'un véritable défi quantitatif.
La répartition de ces élèves entre les rectorats est toutefois très contrastée. En effet, les situations de Mayotte et de la Guyane diffèrent largement de celles des rectorats métropolitains, avec un taux de 2 % de nouveaux arrivants, pour une moyenne métropolitaine de l'ordre d'à peine 0,5 %.
Par ailleurs, les différences par rectorat en France métropolitaine sont aussi significatives. Elles sont inversement proportionnelles au dynamisme démographique des régions. Les régions les plus dynamiques, comme celles de l'Ouest français, sont également celles qui sont les moins concernées par l'accueil d'EANA.
À ce titre, l'idée de cohorte permet en effet de mieux comprendre pourquoi une région en particulier est bénéficiaire de nouveaux arrivants de façon significativement supérieure, proportionnellement à une autre région. La première explication est liée à un phénomène de capillarité, dès lors que l'on va là où on a des parents, ce qui crée des effets cumulatifs. Si l'on part du principe que les besoins seront d'autant plus forts qu'il y a déjà une présence d'EANA, cela pourrait permettre de simplifier les prévisions d'accueil.
Il ressort du rapport de la Cour des comptes que la circulaire de 2012 qui constitue le cadre juridique actuel aurait besoin d'être actualisée, sur des questions liées d'abord et avant tout à la connaissance statistique et au suivi des élèves. Il est nécessaire d'être informé de la répartition des élèves allophones, de leur évolution démographique, mais aussi de leur niveau scolaire. Les Casnav ont des moyens différenciés, du fait de la pression démographique contrastée entre les rectorats. Dans les rectorats où la pression est forte, il y a toutefois un vrai besoin de suivi sur les arrivées et les performances des différents établissements.
En ce qui concerne plus précisément les moins de six ans et l'obligation de scolarisation dès trois ans, leur apprentissage est plus aisé car les jeunes enfants ont des facilités à acquérir un langage qui n'est pas le leur. En revanche, pour les plus de 16 ans, l'apprentissage est plus compliqué car il peut se mêler à un sentiment de déclassement. En effet, il est difficile d'exprimer toutes les nuances de sa pensée dans une langue qui n'est pas la sienne.
Concernant les mineurs non accompagnés, vous avez en face de vous de nombreux élus avec des responsabilités départementales, pour lesquels le statut de mineur non accompagné n'est qu'un statut administratif d'attente et ne correspond souvent pas à une réalité. Lorsque nous avons des mineurs qui peuvent accéder à des formations professionnelles par l'apprentissage, il semble que cela se passe très bien. Cela permet une perspective d'insertion plus rapide et bien identifiée. Pour les nouveaux arrivants qui ne sont pas mineurs non accompagnés, il n'y a pas nécessairement de réseau. Ils sont pris en charge par des familles qui jouent le jeu ou non. Dans la mesure où cette prise en charge repose sur le volontariat, l'amélioration du suivi statistique est très délicate.
S'agissant de la grande différence d'encadrement par rectorat, est-ce une différence issue de l'expression des besoins, ce qui est légitime ? ou bien est-ce une différence fortuite, liée à un plus grand nombre d'enseignants volontaires ?
Sur la formation professionnelle, notre commission souligne régulièrement la faiblesse de la formation continue, toutes catégories confondues. Gérer des jeunes qui n'ont pas eu de formation scolaire, ou dans une culture très différente, n'est pas une tâche aisée. Il est donc souhaitable qu'il y ait dans ce domaine plus de volontariat, mais aussi plus de certifications liées à de vraies formations.
Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, cheffe du service de l'instruction publique et de l'action pédagogique . - L'accompagnement et le suivi des élèves allophones nouvellement arrivés est un sujet qui tient à coeur à la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO).Nous partageons les constats qui ont été portés par la Cour, avec laquelle nous avons longuement échangé, même si nous ne souscrivons pas entièrement à ses conclusions.
Je voudrais revenir sur certains points. Il y a une accentuation du regard porté sur les élèves allophones depuis quelques années. Cela est dû d'une part à l'arrivée des élèves d'origine ukrainienne l'année dernière et, d'autre part, aux vagues successives d'arrivées d'élèves allophones dont les parcours sont très hétérogènes.
Accompagner les élèves allophones est une mission institutionnelle qui demande un accompagnement quasi-individuel, compte tenu de la grande diversité des besoins.
Je voudrais aussi redire que le contexte a très largement évolué. La loi sur l'école de la confiance de 2019 prévoit une obligation d'instruction à 3 ans qui rend la circulaire de 2012 sur l'organisation de la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés presque archaïque. Cette loi prévoit également la mise en place d'une obligation de formation pour les 16-18 ans, qui est différente de ce qui existe dans le cadre de l'instruction, et qui permet une meilleure insertion professionnelle et sociale des jeunes les plus âgés dans notre pays.
L'ensemble de ces éléments amène à ce que l'on se réinterroge aujourd'hui sur ce qui peut être proposé. En particulier, le pilotage national du réseau des Casnav est un élément qui a été particulièrement sensible au printemps 2022.
L'arrivée des jeunes Ukrainiens nous a amené à renforcer le pilotage national du réseau des Casnav, désormais beaucoup plus sollicité par la DGESCO, car nous avons dû définir dans des temps très courts des modalités d'accueil et d'organisation, malgré une répartition territoriale très différente de ce à quoi nous étions habitués. L'académie de Nice a été particulièrement sollicitée, ce qui n'est pas le cas dans le cadre habituel de la scolarisation des élèves allophones.
Historiquement, l'accompagnement des élèves allophones était traité localement avec des indicateurs spécifiques qui n'étaient pas nécessairement consolidés en même temps et avec les mêmes critères. Le pilotage national est une façon de sensibiliser l'ensemble des académies sur la nécessité d'avoir un suivi et des indicateurs partagés, notamment d'un point de vue statistique, comme le souligne la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'Éducation nationale.
Le pilotage de l'accompagnement au niveau national nous permet d'identifier les évolutions nécessaires à l'accompagnement des élèves allophones dans le cadre historique classique des 6-16 ans, mais également de s'interroger sur les modalités de l'accompagnement des moins de 6 ans, dans le cadre de l'obligation d'instruction, et des plus de 16 ans, a minima dans le cadre de l'obligation de formation.
L'obligation d'instruction des enfants de moins de 6 ans et l'obligation de formation des jeunes de plus de 16 ans nous amènent à réinterroger la circulaire de 2012.
Plus largement, ce nouveau contexte nous oblige à nous réinterroger sur les modalités d'accueil des élèves ayant des besoins particuliers, dans une logique d'école inclusive.
En l'occurrence, les besoins liés au français en langue scolaire et en langue seconde, avec des nuances entre les deux, et la façon dont cet accompagnement se déploie sont cruciaux. Cet accompagnement initial renforcé a pour but de donner à ces jeunes une autonomie dans la suite de leurs parcours. Cet objectif est d'autant plus crucial pour les élèves allophones de 3 à 6 ans, dès lors que l'école maternelle est aussi l'école du langage.
Il est donc nécessaire de faire des efforts sur la formation continue des professeurs qui interviennent en maternelle, notamment sur l'apprentissage de la langue. Premièrement, les constellations du « plan Français » prévoient une obligation, pour les professeurs, d'avoir 30 heures minimum de formation continue sur l'apprentissage du français une fois tous les 6 ans.
Deuxièmement, pour tenir compte de l'expérience de l'arrivée des élèves ukrainiens en mars 2022, nous fluidifions certains dispositifs. Vous parliez des dispositifs fermés ou des dispositifs ouverts. Je rappelle que les UPE2A sont des unités dans lesquelles un élève n'est inscrit que pour certains cours, le reste de sa scolarité se déroulant en classe ordinaire.
Il s'agit d'un sas d'aller-retour entre une classe ordinaire - lycée ou collège - correspondant à son niveau scolaire et un refuge pour avoir un apprentissage particulier de la langue française. Avoir des unités sans mur et en réseau qui permettent, dans des territoires peu denses, d'offrir malgré tout un accompagnement adapté, fait partie des expériences qui ont été menées pour permettre l'accueil des Ukrainiens. Ce dispositif doit sans doute être renforcé, à la fois en s'appuyant sur des personnels qui ont été formés à l'apprentissage du français en langue seconde, mais également en allant au-delà de dispositifs qui peuvent être réducteurs en termes de capacités d'accompagnement.
Je vais conclure mon propos introductif avec la formation des professeurs. Nous travaillons sur le repérage des professeurs qui ont une formation, sans forcément disposer d'une certification en FLS, afin de valoriser ces compétences dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience (VAE) et leur permettre d'acquérir une certification qui leur permettra d'être identifiables par les services des rectorats. Ces certifications sont valorisées au sein des Casnav quand les besoins se font sentir.
M. Daniel Auverlot, recteur de Créteil. - J'ai bien sûr été très intéressé par le rapport de la Cour des comptes et nous avons eu des échanges très riches. Je suis accompagné de monsieur Daniel Guillaume, responsable du Casnav qui oriente et scolarise dans notre académie de nombreux élèves.
M. Daniel Guillaume, responsable du Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) de l'académie de Créteil. - Il compte entre 6 000 et 6 500 élèves pour l'académie de Créteil.
M. Daniel Auverlot. - Je souhaiterais rebondir sur huit points en parfaite complémentarité avec ce que vient d'exposer Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval et en vous livrant quelques observations de terrain.
Mon premier point est que l'apprentissage du français est d'autant plus facile qu'on a commencé jeune. Ainsi, en-dessous de six ans, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'avoir des structures dédiées. Ce que j'observe dans les écoles maternelles de l'académie de Créteil, c'est que le bas-langage, le travail du professeur sur le vocabulaire et la compréhension ou encore la lecture répétée des contes font que les enfants progressent très vite. De plus, le jeu avec les autres enfants est un moment d'échange favorisant l'acquisition du langage.
La deuxième observation est celle de la question de la sortie de l'UPE2A. Les élèves sont dans de bonnes conditions au sein de cette structure, ils disposent d'un étayage en français et sont inclus de manière variable à l'intérieur des classes ordinaires. Mais la question se complique quand ils sortent de l'UPE2A et arrivent au collège puisqu'après y être restés deux ans, ils sont basculés en classe de 4e ou 3e alors qu'ils n'ont pas nécessairement le niveau en langue écrite de leurs camarades. La question est alors celle de la prise en compte par les professeurs de cette différence. On peut, en effet, avoir des élèves de très bonne volonté, mais qui étant évalués uniquement sur de l'écrit, et sans regard particulier, se retrouvent avec des notes très faibles, ce qui a des conséquences en termes de motivation et de perception d'eux même. Et comme l'affectation en lycée, en particulier professionnel est contingentée et repose sur les notes, ils peuvent subir une double peine. Des élèves qui n'ont pas tout à fait le niveau des autres, mais qui pour autant s'ils étaient dans leur langue d'origine pourraient très bien réussir en lycée professionnel, vont se retrouver dans une autre filière que celle demandée.
Le troisième point concerne la situation particulière des 16-18 ans, puisqu'il s'agit de jeunes qui ont besoin de s'insérer rapidement dans la vie active et de disposer d'un métier. Leur situation est plus compliquée car il est nécessaire de leur apprendre à la fois le français courant et un français de spécialité professionnelle, comme dans le bâtiment ou la restauration. Pour ces jeunes, l'apprentissage est notamment un vrai sujet sur lequel travailler.
Le quatrième point est que l'académie de Créteil n'est pas uniforme. Elle comprend deux départements très urbains avec un établissement scolaire tous les 400 mètres, et un département, la Seine-et-Marne, qui représente à lui seul la moitié de l'Île-de-France. Par conséquent, le traitement des élèves allophones n'est pas le même. Il y a dans le département de la Seine-et-Marne des élèves allophones isolés pour lesquels l'accompagnement, à moins de prendre de longs transports, ne peut pas se faire dans les UPE2A. Dans ce cas, nous passons par un accompagnement à partir d'heures supplémentaires effectuées par les enseignants. C'est peut-être une mission à étudier dans le cadre du « pacte » sur la revalorisation des rémunérations des enseignants.
Le cinquième point est celui de l'adéquation des besoins aux dispositifs existants, en particulier en collège. Si dans le premier degré, en cas d'afflux soudain d'élèves allophones, il est possible de mobiliser un titulaire sur zone de remplacement pour l'affecter sur une UPE2A nouvellement créée à cet effet, en collège, c'est en revanche plus compliqué. En effet, les structures sont fixées pour la rentrée au 1er septembre et il est donc impossible de savoir ce qui va se passer d'une année sur l'autre et en particulier s'il y aura une adéquation géographique entre l'arrivée d'allophones et l'emplacement de nos UPE2A
Le sixième point que je souhaite souligner est la spécificité du dossier ukrainien, avec, en particulier, des inscriptions qui ont été extrêmement rapides et des élèves qui maîtrisaient parfaitement les codes de l'école. Les autorités ukrainiennes avaient en parallèle exprimé, au-delà de l'apprentissage du français, le besoin de continuité pédagogique avec leurs programmes scolaires.
Le septième point est celui de la formation des enseignants, qui comprend deux types d'approche. Tous nos enseignants ont besoin d'être sensibilisés aux élèves à besoin éducatif particulier, sur ce point des formations existent dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) dans le cadre d'un module d'environ 25 heures. En parallèle, la maîtrise de l'enseignement en français langue seconde est particulièrement difficile. De plus, dans l'académie de Créteil, une part importante des enseignants souhaite chaque année partir et retourner dans l'académie dont ils sont originaires. Se pose alors la question de leur investissement puisque nombreux sont ceux qui hésitent à suivre une formation en FLS alors qu'ils envisagent de quitter l'académie dans les trois ans et ne sont pas certains de retrouver ensuite une classe équivalente.
Enfin, le dernier point que je souhaite souligner concerne le délai contractuel qui serait souhaitable entre le moment où un parent manifeste son intention que son enfant aille à l'école de la République, et le moment de son affectation. Sur le terrain, tous les points que j'ai développés précédemment font qu'il est extrêmement difficile d'avoir un véritable délai contractuel qui nous imposerait de scolariser à telle ou telle échéance. À moins de scolariser sans dispositif d'accompagnement, ce qui risquerait d'être contreproductif.
M. Daniel Guillaume . - J'ai en effet trois points à développer : le moment de la scolarisation, le suivi de cette scolarisation et enfin un focus sur les plus de 16 ans.
Sur la difficulté à scolariser, on doit distinguer le premier et le second degré. Dans le premier degré, la famille se rend en mairie puis l'enfant est scolarisé dans l'école de proximité, l'évaluation n'intervenant qu'ensuite. Il n'y a donc pas de délai. Dans le second degré, on commence par une évaluation qui précède parfois largement le moment de la scolarisation. Quelles évolutions sont possibles à ce sujet ? Cela dépend en général de la situation antérieure. On l'a vu avec les élèves ukrainiens qui étaient scolarisés antérieurement dans de bonnes conditions, mais qui ont une langue assez éloignée de la nôtre, ce qui est source de difficultés.
Je souligne au passage un aspect qui n'apparait dans le rapport de la Cour des comptes, qui concerne à la fois le premier et le second degré. Il s'agit du cas des enfants qui vivent dans des bidonvilles. Beaucoup d'entre eux sont allophones. Les repérer et les raccrocher au wagon de l'enseignement est un enjeu considérable. On évalue qu'il y en a environ 2 000 dans l'académie de Créteil dont très peu sont scolarisés. Ce chantier ne doit pas être négligé.
Concernant ensuite le suivi de ces élèves, en dépit de la circulaire de 2012 qui prône leur inclusion, le système est concentré sur la première et deuxième année, avec des difficultés d'inclusion sur lesquelles je reviendrai. Or existe un consensus scientifique pour dire que la langue de communication peut s'acquérir en six mois, tandis que la langue de scolarisation, plus difficile d'accès, y compris pour des élèves francophones, peut nécessiter jusqu'à six ou sept ans d'apprentissage. C'est pourquoi la concentration sur une ou deux années de la quasi-totalité des moyens est une démarche qui pose question. Nous avons collectivement à réfléchir pédagogiquement à un suivi plus longitudinal dans les UPE2A mais aussi dans les classes ordinaires, en tenant compte de ce que cela requiert en matière de formation. À ce sujet, l'arrivée d'enfants ukrainiens en nombre a constitué un temps intéressant, puisque certains enseignants ont découvert que des enfants allophones disposaient de vraies aptitudes scolaires, ce qu'ils ne réalisent pas toujours en raison de l'obstacle linguistique.
Enfin, sur la question des plus de 16 ans, il me semble avoir lu dans le rapport que la majorité des EANA de plus de 16 ans seraient des mineurs non accompagnés. Je ne crois pas que ce soit exact à la lumière de ce que nous constatons. Il y a beaucoup de profils d'élèves parfaitement scolaires qui intègrent un lycée et qui réussissent d'excellentes études. On est en train de le constater avec les élèves ukrainiens, dont le défi a toutefois consisté pour certains d'entre eux à passer des examens comme le baccalauréat, et notamment l'épreuve anticipée de Français en classe de première qui les met forcément en difficulté après des délais de scolarisation en France assez brefs. C'est pourquoi nous réfléchissons à des modalités d'accès à l'enseignement supérieur qui n'impliquent pas nécessairement pour eux l'obtention du baccalauréat.
Concernant les autres élèves de plus de 16 ans, soit les mineurs accompagnés, soit les élèves qui n'ont pas un profil scolaire - ou qui ont suivi une scolarisation en pointillés - je rejoins M. le recteur pour dire que nous devons explorer certaines voies comme l'apprentissage. C'est une démarche que nous sommes en train de construire avec l'appui de moyens européens. Je souligne au passage que le recours extrêmement complexe, pour ne pas dire sophistiqué, que nous avons dû mettre en oeuvre pour avoir accès aux moyens européens était lié aux moyens limités dont nous disposons par ailleurs pour les accompagner dans l'enseignement secondaire, notamment en filière professionnelle.
La scolarisation de ces élèves s'accompagne en parallèle d'autres difficultés : l'évaluation de leur âge réel d'une part mais aussi les conditions de régularisation de séjour pour une partie d'entre eux d'autre part. Ces questions se prolongent très vite par toutes les problématiques autour de l'accompagnement des jeunes majeurs.
M. Claude Raynal , président . - Dès que l'on aborde les enjeux liés à l'Éducation nationale, la complexité est de mise, à tout le moins pour ceux d'entre nous qui ne maitrisent pas forcément tous les tenants et les aboutissants. Je me réjouis que nous ayons réuni des intervenants nous donnant une vision complémentaire, à la fois une vision administrative d'ensemble mais aussi le point de vue du terrain.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je m'interroge en premier lieu sur cette double difficulté qui touche les moins de 6 ans et les plus de 16 ans. Je considère que jusqu'à l'école maternelle, l'essentiel de la démarche vient des familles, même si les pouvoirs publics ont un rôle central à jouer. Vous avez mentionné les obstacles à la scolarité des enfants vivant dans des bidonvilles et je signale, à partir de mon expérience de terrain, la très grande complexité pour les élus à accompagner la scolarisation de certains enfants chez les gens du voyage. Les pouvoirs publics n'ont pas nécessairement les moyens de contraindre à la scolarisation qui constitue pourtant le premier vecteur d'intégration, à la fois pour les enfants mais aussi pour les familles.
Sur les plus de 16 ans, je considère qu'il n'est pas normal que l'on soit autant dans le flou sur la responsabilité de l'État, qui doit pouvoir aussi intervenir avec les collectivités territoriales.
Je retiens également de vos interventions les insuffisances en matière de formation des enseignants, même s'il faut relativiser ce chiffre puisqu'il reflète des disparités régionales importantes.
Enfin, je m'interroge sur l'impact de la densité de l'habitat : le fait d'être en zone rurale est-il facilitateur pour opérer un suivi plus individualisé des élèves ? Ce paramètre doit être pris en compte car l'intégration par l'école est essentielle. Je me souviens de l'exemple, il y a quelques années, d'un enfant syrien scolarisé dans l'école élémentaire de mes enfants, qui ne parlait pas un mot de français au début de l'année scolaire et a fini premier de sa classe.
M. Jérôme Bascher . - Ma première question est la suivante : existe-t-il une différence de traitement pour les élèves allophones entre l'enseignement public et l'enseignement privé ? J'ai pu le constater dans le cas ukrainien, dans lequel les capacités d'accueil ont pu être très variables. Par ailleurs, la catégorie « allophone » ne recouvre-t-elle pas des catégories trop différentes, entre une immigration aisée et une immigration plus difficile ? Sur ce point, la problématique de l'intégration se pose, y compris en dehors de l'école. Je constate, dans une UPE2A que je connais, les difficultés de certains élèves dont la résidence n'est pas stable et dont le parcours d'asile est parfois humainement très difficile : placés dans un Casnav, ils peuvent être déplacés dans un autre Casnav quelques mois plus tard. Prenez-vous assez en compte le fait que l'année scolaire n'est pas forcément le rythme adapté au suivi des élèves allophones ?
M. Thierry Cozic . - Je voudrais apporter un témoignage. J'ai eu connaissance, dans le département de la Sarthe, d'une situation particulière : l'arrivée sur un territoire de nombreuses familles afghanes avec une trentaine d'enfants accueillis dans l'établissement scolaire d'une petite commune. Il me semble que les moyens alloués à l'Éducation nationale ne sont pas suffisants pour accueillir ces élèves : dans cette petite école qui comptait auparavant une centaine d'élèves et une petite équipe de six enseignants soudés, cinq des six enseignants ont demandé leur mutation un an après l'arrivée des trente élèves allophones, du fait du manque de moyens. Aujourd'hui, l'Éducation nationale est-elle en capacité de répondre aux demandes spécifiques de ces enfants par un accompagnement dédié ?
M. Daniel Breuiller . - Je souhaitais également partir d'un témoignage personnel pour évoquer un doute quant au recensement des élèves allophones. J'ai été maire d'Arcueil à l'époque où une classe d'UPE2A avait été créée dans la commune voisine de Gentilly. Huit enfants d'Arcueil avaient été installés dans cette classe. Lorsqu'une nouvelle classe UPE2A a été ouverte à Arcueil, vingt-cinq enfants y ont immédiatement été scolarisés, il y avait donc des besoins non-pourvus. Pour cette raison je pense que le nombre d'enfants allophones scolarisés en UP2A est très inférieur au nombre d'enfants qui auraient besoin de cette structure. En ce qui concerne la scolarisation en maternelle, j'ai constaté que le vocabulaire dont disposent les enfants est très dépendant du milieu familial. Si dans le milieu familial on ne parle pas français, les inégalités dans la capacité de réussite scolaire se creusent. Jérôme Bascher a évoqué le sujet du lieu de résidence : de nombreux enfants scolarisés à Arcueil vivaient dans des squats, or l'évacuation d'un bidonville se traduit par une déscolarisation des enfants, alors que la durée et la stabilité de la scolarisation sont très importantes pour l'insertion. Une dernière question : je ne comprends pas que les progrès réalisés n'aient pas été évalués pour déterminer si les dispositifs de renforcement des apprentissages en français doivent être poursuivis plus longuement.
M. Christian Bilhac . - D'abord, je remarque que la scolarisation des élèves allophones n'est pas nouvelle. Il y a cent ans dans le massif central, 50 % des enfants qui arrivaient à l'école ne parlaient pas le français, c'était une réalité du quotidien. Et puis avec les flux migratoires, nombre de réfugiés espagnols sont arrivés, qui ne parlaient pas non plus français. Or malgré quelques difficultés, leur scolarisation s'est bien passée. Car l'école ne fait pas tout, et l'intégration des enfants passe aussi par l'intégration, par exemple, dans l'équipe de football locale. Dès lors, existe-t-il des passerelles, au niveau de l'Éducation nationale, avec des associations qui promeuvent le vivre ensemble, qui pourraient favoriser l'apprentissage de la langue en dehors de l'école ?
M. Jean-Marie Mizzon . -Je pense également que les associations, qui sont un fabuleux vecteur de cohésion, peuvent apporter beaucoup. Monsieur le Recteur, vous avez dit que tout se passait bien jusqu'à l'UP2A, mais qu'une rupture se produisait à ce niveau. Le manque de maîtrise du français, notamment de l'écrit, en est-il la cause ?
M. Daniel Auverlot . - Tout d'abord, concernant le privé, c'est le recteur qui distribue les moyens du privé. Nous intégrons cet aspect dans nos échanges avec les établissements privés, singulièrement maintenant que les indices de position sociale (IPS) sont devenus du domaine public et montrent qu'il existe des différences importantes entre le public et le privé.
Le deuxième sujet, c'est que, vous avez raison, il n'y a pas une catégorie homogène d'allophones. J'ai le souvenir d'avoir rencontré des élèves de 7 ou 8 ans qui étaient d'anciens enfants soldats et dont la scolarisation n'était bien évidemment pas facile.
Troisième sujet, lorsque 30 enfants allophones arrivent dans une école de 100 élèves, la question n'est pas uniquement celle des moyens, mais aussi celle de l'accompagnement des équipes. Le quatrième sujet est celui du vocabulaire. Je rejoins ce qu'a dit Daniel Guillaume : il y a le vocabulaire courant d'une part et le vocabulaire scolaire et culturel d'autre part. J'ai souvenir d'un élève français qui, lors d'un cours d'histoire auquel j'assistais, lisait sur le fronton d'un temple grec « Athéna Nike », comme la marque bien connue, et non « Athéna Nikè ». La question de l'acquisition du vocabulaire culturel et de référence n'est pas quelque chose qui concerne uniquement les allophones, mais tous les élèves et qui est par ailleurs singulièrement liée à l'origine sociale et culturelle. Cinquième point, je rejoins totalement ce qui a été dit sur les associations qui peuvent faire le trait d'union entre les familles et l'école. Concernant plus particulièrement le sport, je rappelle que depuis deux ans, l'Éducation nationale a dans son giron les sujets jeunesse et sport. La continuité scolaire, périscolaire et extra-scolaire en lien avec les élus locaux, est donc un sujet tout à fait intéressant. On se rappelle que dans les années 1950, l'intégration dans les mines de la population polonaise s'est fait par les clubs sportifs et singulièrement par le football.
Dernier point, un sujet essentiel est celui de l'accompagnement des élèves à la sortie de l'UPE2A lorsqu'ils ont encore besoin d'un accompagnement particulier par l'ensemble des professeurs qui, parfois, ne sont pas conscients de la situation.
M. Daniel Guillaume . - Je voudrais revenir sur un point qui prolonge cette considération et qui répondrait en même temps à une question sur la formation. C'est précisément pour cet après-UPE2A que les enseignants ont besoin de formation, avec une prise de conscience du fait que cet aspect fait partie de leur mission au sein de l'éducation nationale. J'insiste par ailleurs sur le fait que la différence entre francophones et allophones n'est pas non plus étanche au sein de notre personnel lui-même. J'ai pu constater à divers égards que beaucoup d'enseignants sont tout à fait sensibilisés à cette question qui renvoie à des dimensions personnelles pour eux.
Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval . - Je voudrais revenir sur l'intégration hors de l'école. Intégrer les élèves allophones, c'est aussi travailler avec leur famille et je rappelle qu'il existe le dispositif « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants » (OEPRE) qui nous permet d'accompagner les parents d'élèves. C'est aussi une façon de favoriser pour les familles l'intégration et la compréhension culturelle et linguistique de notre pays et donc favoriser la réussite des élèves. Cela s'articule bien sûr avec les associations partenaires de l'école.
Je rappelle aussi que le dispositif « vacances apprenantes » a permis d'accueillir des élèves ukrainiens pendant les vacances de printemps l'année dernière, dans un cadre culturel, sportif associatif très différent et complémentaire de celui de l'école.
Je voudrais revenir sur une question liée à l'évaluation en sortie de dispositif. Plutôt que le diplôme d'études en langue française (DELF) qui a été proposé par la Cour des comptes, nous souhaitons favoriser la présentation du diplôme de compétence en langues qui permet d'évaluer le niveau en français langue étrangère et en français langue scolaire et langue seconde avec les nuances qui ont été évoquées tout à l'heure. Le référentiel de compétences européen sur les langues va d'un niveau où on est capable de se présenter avec des nuances très faibles jusqu'au niveau complètement fluide de locuteurs natifs. Ce diplôme permet de se positionner sans échec et de construire la suite pour donner un accompagnement adapté à l'élève compte tenu son niveau en français.
M. Nacer Meddah . - J'ai entendu beaucoup de témoignages qui me parlent beaucoup. Il ne faut pas croire que, à la Cour des comptes nous soyons insuffisamment conscients de ce qu'est la réalité du terrain. On voit qu'au travers de cette problématique particulière nous sommes conduits à aborder la question plus large de l'apprentissage du français.
Je souhaiterais insister sur trois points. Toute la difficulté de l'exercice qui nous a été demandé est d'abord un problème d'identification. Sans données fiables, solides et complètes, il est difficile de se prononcer, en particulier dans l'optique d'une approche finement territorialisée comme le souhaitait le rapporteur spécial. Il est évident que les problématiques ne sont pas les mêmes dans une zone frontalière, une zone rurale ou une zone urbaine. Il faut absolument mettre en place des dispositifs pour avoir des données sur lesquelles on puisse bâtir un vrai suivi de cohorte. Il est élémentaire de se poser la question de qui sont ces élèves afin de déterminer dans un second temps ce qu'ils sont devenus.
Par ailleurs, il existe à l'étranger des dispositifs progressifs qui s'inscrivent dans la durée quand nous avons des dispositifs très ponctuels d'un an ou deux. Certains élèves vont maîtriser le français au bout de deux ans, d'autres vont rencontrer des difficultés. Si on veut véritablement les aider à maîtriser la langue et ensuite à trouver toute leur place dans notre pays, il n'y a bien entendu pas que l'école, mais cela suppose qu'on leur offre des dispositifs dans la durée.
Autre point sur lequel je souhaite insister, on ne fera rien sans les enseignants. Quand on voit que 8 % des enseignants indiquent qu'ils ne sont pas préparés à s'occuper d'élèves allophones, cela ne peut qu'interroger. Cela suppose peut-être qu'on les motive davantage, par la rémunération ou par des formations adaptées, même s'il existe le problème de la mobilité des enseignants évoqué par M. le recteur.
Enfin, il nous faut des indicateurs. Je veux bien qu'on discute longtemps sur le DELF ou le diplôme de compétence en langue, mais ce qui est important, c'est de savoir s'ils constituent des indicateurs fiables et robustes sur lesquels on va pouvoir véritablement construire une évaluation.
M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Nous n'avons pas assez traité les problèmes géographiques spécifiques. Je pense à Mayotte et à la Guyane, qui sont quand même des sujets majeurs qui méritent d'être évalués.
On retrouve à l'occasion du traitement et de l'accompagnement des élèves allophones deux données fortes et permanentes de l'enseignement. La première est le temps long de l'enseignement : le langage de la scolarisation n'est pas le langage de la socialisation. Je crois qu'il faut être lucide, c'est vrai pour tous les élèves. C'est pour cela que ma conviction personnelle est que l'apprentissage du français, de la langue française, de la lecture française, de l'écriture française est un devoir absolu parce que c'est la meilleure façon d'approfondir ses propres connaissances. Deuxième élément fort, je crois simplement que la famille est indispensable au succès scolaire des enfants. C'est la raison pour laquelle je défends la politique familiale, mais je n'ouvrirai pas ce débat à cet instant.
M. Claude Raynal, président. - Merci à tous.
La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de M. Gérard Longuet.