C. AU REGARD DES INCERTITUDES, IL EST PRÉFÉRABLE DE SURSEOIR AU PROJET DE GÉNÉRALISATION
Les coûts du SNU ont déjà été évoqués tout au long des développements précédents. Il est néanmoins utile de regrouper l'ensemble des considérations sur le financement du SNU dans ce chapitre, afin de disposer de tous les éléments utiles pour porter un jugement général sur l'opportunité ou non de généraliser le service national universel .
1. Les coûts prévisionnels du service national universel dans sa phase expérimentale sont relativement stables depuis 2021, mais peu de chiffres sont disponibles sur l'exécution du dispositif
Les crédits du service national universel sont
retracés dans
l'action 06 du programme 163, « Jeunesse et
vie associative », de la mission « Sport, jeunesse et vie
associative » (en AE et en CP). Les crédits inscrits en loi de
finances initiale ont connu une progression importante de 2020 à 2021 (+
109,1 %) et entre 2021 et 2022 (+ 76,6 %). Les crédits progressent
toujours entre 2022 et 2023, mais de manière moins rapide (27,2 %).
Coûts prévisionnels du service national universel
Année |
Coût du SNU dans le projet annuel de performance (en millions d'euros) |
Objectifs (en nombre de jeunes) |
Rapport cible de jeunes/ coût (en euros) |
2020 |
29,8 |
20 000 |
1 490 |
2021 |
62,3 |
25 000 |
2 492 |
2022 |
110,0 |
50 000 |
2 200 |
2023 |
140,0 |
64 000 |
2 187,5 |
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
L'évolution du coût de la politique comparée à celle de la cible de jeunes est cohérente à partir de 2021. En revanche, les coûts du SNU ont plus que doublé entre 2020 et 2021, alors que la cible de jeunes n'a augmenté que de 25 % sur la même période. Ces chiffres avaient amené le rapporteur spécial à mettre en doute la sincérité des estimations qui avaient été données en 2020 .
Évolutions parallèles du coût du
service national universel
inscrit en loi de finances initiale et de la
cible de jeunes
Coût du SNU Cible de jeunes
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Il n'est malheureusement pas possible d'identifier une tendance d'évolution des coûts du SNU à partir des chiffres de l'exécution du budget, car seuls les chiffres de 2021 peuvent être exploités à cet effet .
En effet, les chiffres ne sont pas encore consolidés pour 2022, et l'année 2020 fut une année blanche pour le séjour de cohésion en raison de la pandémie de Covid-19. Cette année, seules des dépenses de préparation des séjours (formation des encadrants, achats d'uniformes...) ont été exécutées, à hauteur de 2,5 millions d'euros en AE et 1,5 million d'euros en CP. Enfin, les chiffres de l'exécution en 2019 ont concerné trop peu de jeunes pour être comparables avec les données actuelles.
L'exécution en 2021 fut de 39,9 millions d'euros, pour 14 653 jeunes ayant effectivement accompli le séjour de cohésion. Le rapport est ainsi de 2 723,0 euros par jeune, ce qui est un montant nettement supérieur à la prévision pour 2021, qui était de 2 492,0 euros, et à celles pour 2022 et 2023.
On pourrait croire que ce différentiel est lié aux mesures de restrictions sanitaires, qui étaient encore importantes à l'été 2021.
Toutefois, la situation sanitaire était prise en compte dans le calcul des coûts du SNU en 2021, ce qui a été donné en partie comme explication de la progression du coût par jeune entre 2020 et 2021. L'expérience du confinement en 2020, et les nombreuses incertitudes qui existaient encore au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, ont incité à un calcul « prudent » du coût du SNU par jeune.
En réalité, la principale raison de l'augmentation du coût par jeune en exécution découle des annulations qui ont précédé le séjour de cohésion. Pour 2022, les données transmises par la DJEPVA montrent que 7 302 jeunes qui ont validé leur dossier ont finalement annulé leur présence au séjour de cohésion, ce qui représente un taux de 22,5 % d'annulation. En conséquence, comme cela a été vu en supra , le taux d'encadrement pour la session 2021 a été nettement meilleur que ce que prévoyaient les objectifs.
2. Les coûts du service national universel généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge sont impossibles à déterminer précisément, mais ils seraient probablement supérieurs à 2 milliards d'euros
À terme, le service national universel est censé concerner l'ensemble d'une classe d'âge, c'est-à-dire 800 000 jeunes. Si l'on multiplie ce nombre par le coût par jeune prévu pour 2023, qui est de 2 187,5 euros, on obtient un coût total de 1,75 milliard d'euros . Les services de la secrétaire d'État chargée du service national universel ont affirmé devant le rapporteur spécial qu'ils parvenaient à un coût similaire dans leurs propres estimations .
D'autres estimations du coût total ont été réalisées, mais elles datent de plusieurs années. Un rapport de la direction interministérielle de la transformation publique de 2020, cité par la Cour des comptes 32 ( * ) , estime à 3,4 milliards d'euros le coût annuel du dispositif généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge. Toutefois, ce chiffrage se base sur le séjour de cohésion de 2019, qui n'a réuni que 2 000 jeunes, et qui pour cette raison n'est pas représentatif du dispositif une fois généralisé.
D'une manière générale, les chiffrages qui s'appuient seulement sur les expérimentations menées depuis plusieurs années ne permettent pas d'avoir une vision claire du coût du SNU généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge.
La généralisation du service national universel à l'ensemble d'une classe d'âge peut, certes, amener à des économies d'échelle, mais par d'autres aspects elle peut conduire à un renchérissement des coûts .
En effet, la logistique requise pour acheminer l'ensemble d'une classe d'âge dans des centres de cohésion tout au long de l'année est sans commune mesure avec celle qui est actuellement mise en oeuvre dans la phase expérimentale du service national universel : si le séjour de cohésion venait à être généralisé à l'ensemble d'une classe, il serait nécessaire de mettre en place une véritable administration du SNU .
Or, malgré la création de la sous-direction du service national universel au sein de la DJEPVA le 1 er mars 2022, les moyens consacrés à l'administration sont insuffisants pour organiser la montée en charge du séjour de cohésion.
De plus, les centres d'hébergement disponibles risquent de devenir de plus en plus chers à mesure qu'il devient difficile de trouver des centres d'une taille suffisante pour accueillir un séjour de cohésion . Or, les grands centres sont déjà en nombre limité, comme cela a été vu supra , et l'hébergement et la restauration sont déjà le premier poste de dépenses du séjour de cohésion.
Coûts prévisionnels du service national
universel en 2022
par poste de dépense
(en millions d'euros)
Poste de dépense |
Coût |
Hébergement et restauration |
37,1 |
Encadrement |
27,1 |
Activités |
12,5 |
Tenues |
7,7 |
Logistique |
7,5 |
Transport |
6 |
Formation et déplacements |
6 |
Divers |
1,6 |
Source : commission des finances, d'après les réponses de la DJEPVA au questionnaire du rapporteur spécial
Répartition des coûts du service national universel
Source : commission des finances, d'après les réponses de la DJEPVA au questionnaire du rapporteur spécial
Enfin, ces chiffrages ne prennent en compte que les coûts de fonctionnement à l'année du service national universel, et non pas les dépenses d'investissement nécessaires pour aboutir à sa généralisation . Or, comme cela a été vu supra , le séjour de cohésion requerra la rénovation de centres d'hébergement, dont ni le nombre ni le coût ne sont à l'heure actuelle chiffrés.
Pour ces raisons, le rapport des inspections générales remis au Premier ministre au printemps 2018, qui chiffrait le coût par an du SNU généralisé à l'ensemble d'une classe de 2,4 à 3,1 milliards d'euros par an, semble proche du coût réel qu'aura le SNU par an 33 ( * ) . Ce coût ne prend pas en compte ni les investissements requis pour disposer d'un nombre suffisants de centres d'hébergement, ni les nouvelles années d'expérimentation d'un SNU qui serait généralisé dans le temps.
3. Il est préférable de sursoir au projet de généralisation du séjour de cohésion
En audition, plusieurs acteurs du service national universel ont souligné que si le SNU représentait en effet un coût important, ses bénéfices pour la société et la cohésion de la Nation justifiaient cet investissement.
Le rapporteur soutient en effet plus généralement un renforcement des investissements à destination de la jeunesse. Il n'y aurait en effet pas de sens à définir un plafond au-dessus duquel cela ne « vaudrait pas le coût » d'investir pour la jeunesse .
Toutefois, le séjour de cohésion généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge présente de nombreuses inconnues, à la fois au niveau de son coût mais aussi de sa faisabilité technique.
Pour toutes ces raisons, le rapporteur spécial recommande de sursoir au projet de généraliser le séjour de cohésion à l'ensemble d'une classe d'âge . Cette suspension devra permettre de lever des incertitudes et d'obtenir plus d'informations sur la généralisation du service national universel.
Recommandation n° 1 : surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion.
* 32 Cour des comptes, « La formation à la citoyenneté », octobre 2021, page 72.
* 33 Rapport et chiffres cité dans le rapport de la Cour des comptes sur « La formation à la citoyenneté » d'octobre 2021, page 71.