N° 406
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 mars 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le Service national universel (SNU),
Par M. Éric JEANSANNETAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
L'ESSENTIEL
La commission des finances a examiné, le mercredi 8 mars 2023, le rapport de M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial de la mission « sport, jeunesse et vie associative », suite à son contrôle budgétaire sur le service national universel.
I. L'EXPÉRIMENTATION DU SNU A VOCATION À PRÉPARER SA GÉNÉRALISATION
A. LE SNU EST PRÉVU POUR SE DÉROULER EN TROIS PHASES
La mise en place d'un « service national universel » (SNU) a été annoncée en 2018, et une expérimentation du service national universel basée sur le volontariat des jeunes est mise en oeuvre depuis 2019. Les objectifs du SNU sont de favoriser la mixité sociale, d'enseigner aux jeunes les enjeux de la défense et d'inciter à l'engagement associatif .
Le SNU, une fois généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge, est prévu pour se dérouler en trois temps : la première phase consiste en un « séjour de cohésion » en hébergement collectif d'une durée de deux semaines, et durant les deux phases suivantes, la seconde obligatoire et la troisième facultative, le jeune doit s'engager auprès d'une association ou d'une institution publique.
L'expérimentation du SNU est basée sur le volontariat : tous les jeunes âgés de 15 à 17 ans qui possèdent la nationalité française, quel que soit leur lieu d'habitation peuvent décider de s'y inscrire. En 2023, l'objectif fixé par le Gouvernement est que 64 000 jeunes participent au séjour de cohésion.
Les retours sur la qualité des séjours proposés aux jeunes durant la phase expérimentale sont positifs . 9 jeunes sur 10 se déclarent satisfaits du séjour, et le rapporteur spécial a pu constater que les séjours sont de bonne qualité. Le SNU est loin de la caricature de « service militaire bis » qui en est parfois faite. Toutefois, l'expérimentation du SNU a également soulevé plusieurs difficultés .
La représentativité sociale du séjour de cohésion peut être améliorée . Les jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville (QPV) ont représenté environ 5 % des jeunes qui ont participé au séjour de cohésion en 2022, alors qu'ils constituent 8 % des 15-17 ans en France. Surtout, il y a une surreprésentation des jeunes participants dont l'un des parents travaille dans les corps en uniforme (33 % en 2022, contre 2 % dans la population générale). Les retours de terrain indiquent qu'il est déjà très difficile de trouver suffisamment de centres d'hébergement disponibles en été, et le recrutement du nombre d'encadrants nécessaires à la généralisation du SNU soulève également de nombreuses questions. Aussi, le rythme du déploiement du déploiement du SNU s'est-il déroulé de manière plus lente que prévue , même si l'on prend en compte la crise sanitaire, et le nombre de jeunes effectuant le SNU est resté inférieur aux objectifs en 2021 et en 2022.
Déroulement de l'expérimentation du service national universel
(en nombre de jeunes)
Année |
Objectifs |
Réalisation |
2019 |
Entre 2 000 et 3 000 |
1 941 |
2020 |
20 000 |
0 1 ( * ) |
2021 |
25 000 |
14 653 |
2022 |
50 000 |
32 416 |
2023 |
64 000 |
- |
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
B. DEUX SCÉNARIOS DE GÉNÉRALISATION DU SNU SONT À L'ÉTUDE
Deux scénarios de généralisation du SNU ont été présentés devant le rapporteur spécial par les services de la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel.
Le premier consiste à généraliser le SNU hors du temps scolaire , dans la lignée des expérimentations qui ont été menées jusqu'à présent. Dans le second, le SNU serait généralisé sur le temps scolaire , et de nombreux séjours de cohésion seraient organisés tout au long de l'année. Le second a la préférence de la secrétaire d'État .
Les deux scénarios de généralisation du SNU : principaux chiffres
Scénario 1
:
généralisation
|
Scénario 2 : généralisation sur le temps scolaire |
|
Nombre de séjours |
3 ou 4 |
Entre 13 et 15 |
Nombre de jeunes par séjour |
Entre 210 000 et 280 000 |
Entre 56 000 et 64 615 |
Nombre de centres requis |
Entre 2 100 et 2 800 |
Entre 748 et 862 |
Nombre d'encadrants requis |
Entre 39 375 et 52 500 |
Entre 14 000 et 16 153 |
Nombre de jours de travail moyen par encadrant |
Entre 30 et 45 |
Entre 90 et 120 |
Source : commission des finances
Si le second scénario est plus « réaliste » que le premier en termes de nombre d'encadrants et de centres d'hébergement requis, il suppose une articulation entre l'administration du SNU et l'éducation nationale qui reste à construire . L'absence des élèves pendant les deux semaines du séjour de cohésion aura un impact sur la structuration des programmes, et fera l'objet d'oppositions au sein de l'éducation nationale. Si ce scénario devait être mis en oeuvre, il faudrait s'assurer que les élèves de seconde « rattrapent » les deux semaines de cours perdues .
Dans le deuxième scénario, l'obligation de participer au séjour de cohésion se retrouverait mêlée avec « l'obligation scolaire », qui s'applique pour les jeunes français ou étrangers jusqu'à 16 ans révolus. Toutefois, il n'est pas certain que le SNU puisse se « fondre » entièrement dans l'obligation scolaire . En l'état actuel du droit, dès lors qu'un voyage scolaire prévoit une nuitée, il n'est pas obligatoire d'y participer, et étendre l'obligation pourrait constituer une atteinte aux libertés individuelles. Ainsi, il est probable que la généralisation de deux semaines de séjour de cohésion en hébergement collectif, même sur le temps scolaire, suppose au moins d'adopter une loi .
II. LE PROJET DE GÉNÉRALISATION DU SNU FAIT FACE À DES DIFFICULTÉS MAJEURES EN TERMES D'ENCADREMENT ET D'HÉBERGEMENT
A. LA GÉNÉRALISATION DU SNU IMPLIQUE LA CRÉATION D'UNE « FILIÈRE » DE L'ENCADREMENT DU SÉJOUR DE COHÉSION
La généralisation du service national universel sera impossible sans la mise en place d'une véritable stratégie de recrutement du personnel. Quel que soit le scénario retenu, la généralisation hors du temps scolaire ou sur la période scolaire, les modalités de recrutement qui sont aujourd'hui mises en oeuvre durant la phase expérimentale, essentiellement du « bouche à oreille », ne pourront pas être répliquées à large échelle.
Le taux d'encadrement constaté au cours de la session 2022 est environ d'un adulte pour six jeunes , ce qui est un taux meilleur que celui fixé dans les objectifs du service national universel (un adulte pour huit jeunes), mais qui s'explique en partie par les désistements : environ 20 % des jeunes qui ont eu leur dossier validé ne sont pas rendus au séjour de cohésion.
Dans le scénario d'une généralisation hors temps scolaire, le nombre de personnes recrutées devrait être compris entre 39 375 et 52 500 . L'administration n'a pas fourni d'estimations pour ce scénario, et il est évident que le recrutement d'un nombre aussi important de personnes sur un temps court est très difficilement réalisable.
Concernant le scénario d'une généralisation du SNU sur le temps scolaire, les besoins de recrutement seraient moins élevés (entre 14 000 et 16 153 personnes) , mais le nombre d'encadrants requis en simultané serait important (entre 7 000 et 8 076). Les encadrants devraient en outre être disponibles tout au long de l'année pour assurer des séjours de cohésion.
Des représentants de l'éducation populaire ont déclaré devant le rapporteur spécial qu'ils préféraient le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire à celui d'une généralisation hors temps scolaire, dans la mesure où ils n'ont pas vocation à « prêter » du personnel sur des périodes courtes.
La généralisation du SNU sur le temps scolaire supposerait cependant de recruter et de former des encadrants longtemps à l'avance. Une « filière » du service national universel nécessiterait ainsi plusieurs années pour être opérationnelle, et son coût serait important .
Par ailleurs, les membres de l'éducation nationale et des corps en uniforme, qui représentent pendant l'expérimentation environ 50 % des chefs de centre, ne seraient plus disponibles dans le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire .
B. LE NOMBRE DE CENTRES D'HÉBERGEMENT N'EST PAS SUFFISANT POUR ACCUEILLIR L'ENSEMBLE DES JEUNES SANS UNE FORTE AUGMENTATION DES COÛTS
La disponibilité des centres d'hébergement est une problématique majeure du projet de généralisation du SNU, au point que le groupe de travail relatif à la création d'un service national universel d'avril 2018, dirigé par Daniel Ménaouine, la qualifiait de « difficulté la plus importante à surmonter pour assurer le complet déploiement du service national » 2 ( * ) .
Durant les déplacements et les auditions, les personnes interrogées par le rapporteur spécial ont quasi-unanimement affirmé que le nombre de centres d'hébergement disponibles atteignait sa limite, et qu'il a déjà été difficile de trouver suffisamment de lieux d'accueil pour les sessions de 2021 et de 2022 .
Dans le scénario d'une généralisation hors temps scolaire l'hébergement reposerait majoritairement sur les internats scolaires . Les besoins en centres seraient extrêmement importants : le rapporteur spécial estime qu'il serait nécessaire de disposer de 2 100 à 2 800 centres au total, et entre 1 400 et 1 867 en simultané pour parvenir à accueillir l'ensemble des jeunes effectuant le séjour de cohésion. Sachant que les places d'internats effectivement utilisables en été se chiffrent probablement aux alentours de 100 000, les capacités des internats sont manifestement très inférieures à ce qui serait nécessaire pour accueillir entre 210 000 et 280 000 jeunes par période de séjour .
Dans le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire, il ne serait pas nécessaire de disposer d'autant de centres d'hébergement, mais leur nombre n'en resterait pas moins très important. Le rapporteur spécial estime qu'entre 748 et 862 centres seraient nécessaires au total, et entre 374 et 431 centres en simultané .
Les internats ne seraient plus disponibles , à l'exception du mois de juin, et l'organisation du service national universel reposerait donc très majoritairement sur les centres de vacances . Or, les centres de vacances ne sont pas tous disponibles hors de la période estivale, leur répartition sur le territoire est inégale, et surtout, ils sont loin d'avoir tous la taille requise pour accueillir des séjours de cohésion.
Alors que l'objectif est de 200 jeunes par centre, l'effectif moyen des accueils collectifs de mineurs (ACM) est inférieur à 30 mineurs par séjour (incluant les campings) 3 ( * ) . La moyenne des locaux avec hébergement déclarant des ACM est estimée à 96 jeunes hébergés par centre .
Or, la nécessité de recourir à des centres de petite taille conduirait à multiplier le nombre de centres, ce qui augmenterait les coûts du séjour de cohésion .
Enfin, recourir davantage aux centres de vacances comporte également le risque de rendre l'État trop dépendant d'acteurs privés dans l'organisation des séjours de cohésion , ce qui se traduirait par une augmentation des coûts, et des incertitudes sur la disponibilité des centres d'une année à l'autre.
La rénovation de centres existants, qui ne sont plus aux normes voire qui ont fermé, a été évoquée comme un levier pour atteindre le nombre de centres suffisant pour accueillir les jeunes accomplissant le séjour de cohésion . La rénovation des centres aurait par ailleurs l'avantage de rendre l'État moins dépendant des acteurs extérieurs, si elle est subventionnée en contrepartie d'un droit d'accès.
La rénovation des centres a toutefois un coût, qui n'est pas chiffré. D'après les informations transmises, il apparaît que les préfets sont en train d'identifier les centres devant être réhabilités. De plus, les rénovations peuvent prendre plusieurs années. Elles ne sont donc pas compatibles avec un scénario de généralisation rapide du service national universel .
III. LE PROJET DE GÉNÉRALISATION DU SERVICE NATIONAL UNIVERSEL DOIT FAIRE L'OBJET D'UNE NOUVELLE RÉFLEXION
A. IL EST PRÉFÉRABLE DE SURSEOIR AU PROJET DE GÉNÉRALISATION DU SÉJOUR DE COHÉSION
Si l'on se fonde sur le coût par jeune prévu pour 2023, qui est de 2 187,5 euros, on obtient un coût total du SNU généralisé de 1,75 milliard d'euros . Toutefois, les chiffrages qui s'appuient seulement sur les expérimentations ne permettent pas d'avoir une vision claire du coût du SNU généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge.
En effet, même en prenant en compte les économies d'échelle, la logistique requise pour assurer les séjours de cohésion pour l'ensemble d'une classe d'âge tout au long de l'année est sans commune mesure avec celle qui est actuellement mise en oeuvre dans la phase expérimentale du SNU : il serait nécessaire de mettre en place une véritable administration du SNU .
De plus, les centres d'hébergement disponibles risquent de devenir de plus en plus chers à mesure qu'il devient difficile de trouver des centres d'une taille suffisante pour accueillir un séjour de cohésion . Or, les grands centres sont en nombre limité et l'hébergement et la restauration sont déjà le premier poste de dépenses du séjour de cohésion. Enfin, ces chiffrages ne prennent pas en compte les dépenses d'investissement nécessaires pour aboutir à sa généralisation .
Pour ces raisons, le rapport des inspections générales remis au Premier ministre au printemps 2018, qui chiffrait le coût par an du SNU généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge de 2,4 à 3,1 milliards d'euros par an, semble proche du coût réel qu'aura le SNU.
En audition, plusieurs acteurs du service national universel ont souligné que si le SNU représentait en effet un coût important, ses bénéfices pour la société et la cohésion de la Nation justifiaient cet investissement. Il est juste qu'il n'y aurait pas de sens à définir un montant au-delà duquel cela ne vaudrait « plus le coup » d'investir à destination de la jeunesse.
Toutefois, le séjour de cohésion généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge présente de nombreuses incertitudes, qui ont été détaillés dans ce contrôle. De plus, l'acceptabilité sociale du séjour de cohésion obligatoire pour l'ensemble des élèves de seconde soulève des questions.
Pour toutes ces raisons, le rapporteur spécial propose de surseoir le projet de généraliser le séjour de cohésion à l'ensemble d'une classe d'âge. Cette suspension devra permettre de lever des incertitudes et d'obtenir plus d'informations sur la généralisation du service national universel.
B. LE SNU DOIT ÊTRE ORIENTÉ EN DIRECTION DE L'ENGAGEMENT CIVIQUE
La seconde phase, la mission d'intérêt général (MIG), est censée concrétiser le projet que le SNU n'est pas seulement une formation obligatoire pour les élèves de seconde, mais également un instrument au service de la cohésion nationale . Toutefois, la MIG n'est pas satisfaisante en l'état actuel .
En effet, sur l'ensemble des jeunes ayant effectué le séjour de cohésion entre 2019 et 2021, on compte 11 200 jeunes ayant validé la phase 2 du SNU, ce qui représente 53,7 % des volontaires. Une des raisons est que les structures d'accueil peuvent être réticentes à accueillir des jeunes pour des durées inférieures à plusieurs mois. De plus, il peut être difficile pour des jeunes de trouver une mission d'intérêt général proche de chez eux, en particulier pour ceux qui vivent dans des zones rurales . Ces difficultés sont par ailleurs reconnues au sein de l'administration.
Ensuite, d'un point de vue plus philosophique, l'idée d'un engagement « obligatoire » est paradoxale . Il apparaît au rapporteur spécial qu'il est préférable de faire confiance aux jeunes , dont l'engagement n'est pas à prouver, et de ne pas rendre obligatoire la phase d'engagement du service national universel.
Le rapporteur spécial recommande donc la suppression de la MIG au profit de la phase 3, l'engagement volontaire sur plusieurs mois. Devenir volontaire dans une association ou accomplir un service civique pendant plusieurs mois représente toutefois un investissement en temps conséquent pour les jeunes, qui ont déjà un emploi du temps chargé dans l'enseignement secondaire. Il serait donc nécessaire de valoriser davantage l'accomplissement de la phase d'engagement volontaire sur le temps long via Parcoursup.
Plus généralement, le projet de généralisation du séjour de cohésion soulève également des questions importantes relatives aux libertés individuelles des jeunes et à la façon dont la Nation reconnaît leur engagement .
Or, le Parlement n'a jusqu'à présent pas été saisi de cette question . L'expérimentation a été engagée depuis 2019 sans qu'une véritable loi sur le service national universel n'ait été adoptée. Certes, une loi n'est pas juridiquement nécessaire tant que le dispositif se trouve à un stade expérimental, mais elle serait souhaitable pour qu'il puisse y avoir un véritable débat sur le service national universel .
Les recommandations du rapporteur
spécial
(à l'égard du Gouvernement)
1. Surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion.
2. Supprimer la phase 2 du service national universel, « la mission d'intérêt général », au profit de la phase 3, la phase d'engagement volontaire sur plusieurs mois.
3. Davantage valoriser l'accomplissement de la phase d'engagement volontaire via Parcoursup.
4. Garantir que le Parlement puisse se prononcer sur le service national universel.
I. LE PROJET DE GÉNÉRALISATION DU SERVICE NATIONAL UNIVERSEL EST DÉSORMAIS DÉCLINÉ EN DEUX SCÉNARIOS
A. L'EXPÉRIMENTATION DU SERVICE NATIONAL UNIVERSEL A VOCATION À PRÉPARER SA GÉNÉRALISATION
Lors de ses voeux aux Françaises et aux Français pour l'année 2023, le Président de la République a déclaré qu'il posera « dans les toutes prochaines semaines les premiers jalons d'un service national universel . » Une annonce devait être faite au cours du mois de janvier, mais celle-ci n'a finalement pas eu lieu, en raison de la priorité accordée à la réforme des retraites.
Le projet de mettre en place un service national universel (SNU) auquel participerait l'ensemble des jeunes d'une classe d'âge date toutefois déjà de plusieurs années : il s'agit d'une promesse de campagne de l'élection présidentielle de 2017, et une expérimentation du service national universel basée sur le volontariat des jeunes est mise en oeuvre depuis 2019.
1. Le SNU est prévu pour se dérouler en trois phases, dont deux seront obligatoires
Le SNU, une fois généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge, est prévu pour se dérouler en trois temps. Le premier consiste en un « séjour de cohésion » obligatoire en hébergement collectif d'une durée de deux semaines, suivi d'une période d'engagement obligatoire , d'une durée courte, la « mission d'intérêt général », auprès d'une association ou d'une institution publique. Enfin, le jeune peut initier la troisième phase du SNU, qui est une phase d'engagement facultative d'une durée de plusieurs mois.
Les objectifs du SNU sont de favoriser la mixité sociale, d'enseigner aux jeunes les enjeux de la défense et d'inciter à l'engagement associatif . La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) décrit ses objectifs ainsi : « le SNU est un projet d'émancipation et de responsabilisation des jeunes en complémentarité et en cohérence avec la scolarité dont l'objectif principal est de renforcer la cohésion nationale. » 4 ( * )
L'organisation du service national universel
Depuis la session de 2022, dans le cadre de son expérimentation, le service national universel est construit en trois phases :
- une première phase obligatoire, qui consiste en un séjour de cohésion en hébergement collectif d'une durée de deux semaines . Pendant la durée de ce séjour, les jeunes participent à des activités collectives, et bénéficient de cours et de formations ;
- une deuxième phase obligatoire d'engagement dans une mission d'intérêt général , qui doit durer un minimum de 12 jours consécutifs ou 84 heures réparties au cours des 12 mois suivant l'accomplissement de la première phase. Les conditions d'accueil du volontaire dans une structure sont cadrées par un contrat d'engagement ;
- une troisième phase facultative d'engagement, qui dure au minimum trois mois , qui peut être réalisée dans une association ou une institution publique, et qui s'articule avec différents dispositifs de volontariat existants, comme les réserves opérationnelles des armées et de la gendarmerie nationale, ainsi que le service civique.
Le séjour de cohésion convoque bien entendu la mémoire du service militaire , qui est « suspendu » depuis la loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997. Plus précisément, le SNU est censé avoir les vertus qui sont généralement attribuées au service militaire, comme le brassage social de la population, mais tout en étant un service « civil », centré sur les questions de citoyenneté. Pour cette raison, ses crédits budgétaires sont rattachés à la mission « Sport, jeunesse et vie associative », et non pas à la mission « Défense » 5 ( * ) .
2. Le service national universel fait l'objet d'une expérimentation depuis 2019
a) Les retours d'expérience, en ce qui concerne la qualité des séjours, sont globalement positifs
L'expérimentation menée actuellement du SNU n'est techniquement pas « universelle », puisque les jeunes qui y participent sont uniquement des volontaires. Tous les jeunes âgés de 15 à 17 ans qui possèdent la nationalité française, quel que soit leur lieu d'habitation, peuvent décider de s'y inscrire, sous réserve qu'ils aient obtenu l'accord parental.
L'expérimentation reprend le modèle qui a été décrit supra : les jeunes participent à un séjour de cohésion en hébergement collectif pendant une durée de deux semaines, et ils sont censés ensuite obligatoirement accomplir la seconde phase, la mission d'intérêt général. Une fois celle-ci accomplie, les jeunes ont la possibilité de réaliser la troisième phase, l'engagement facultatif sur une durée de plusieurs mois.
Les centres utilisés pour les séjours de cohésion au cours de l'expérimentation sont majoritairement des internats et des centres de vacances. Outre les normes de sécurité et d'hygiène, plusieurs critères doivent être réunis pour qu'un centre puisse héberger des jeunes du SNU : la restauration et l'hébergement doivent être présents sur le même site, des équipements sportifs doivent être présents à proximité, et les centres doivent être d'une taille suffisante, la cible retenue étant d'un centre pour 200 jeunes.
Les activités sont organisées autour de modules, comme « Activités physiques, sportives et de cohésion », « Culture », « Défense, sécurité et résilience nationales » ou « Citoyenneté et institutions nationales et européennes ». Le tableau suivant présente une partie des activités proposées.
Les activités proposées lors du séjour de cohésion
Activités physiques, sportives et de cohésion ;
Proposer des activités sportives fédératrices et inclusives ;
Sensibiliser aux valeurs olympiques et paralympiques ;
Autonomie : mobilité, connaissance des services publics, accès aux droits et promotion de la santé ;
Autonomie et connaissance des services publics ;
Autonomie et accès aux droits ;
Autonomie et promotion de la santé ;
Citoyenneté et institutions nationales et européennes ;
Culture ;
Arts, culture et patrimoine ;
Éducation aux médias et à l'information ;
Défense, sécurité et résilience nationales ;
Journée défense et mémoire et journée sécurité intérieure ;
Développement durable et transition écologique et solidaire.
Source : réponses de la DJEPVA au questionnaire du rapporteur spécial
Durant la phase expérimentale, les séjours de cohésion sont organisés en dehors du temps scolaire, durant les vacances d'hiver, de Pâques et d'été.
Dates du séjour de cohésion en 2023
Source : capture d'écran du site du service national universel ( https://www.snu.gouv.fr/ )
L'expérimentation du SNU a été lancée 2019, avec 2 000 jeunes qui ont participé au séjour de cohésion. Toutefois, l'expérimentation a connu un coup d'arrêt en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, mais elle a repris dès 2021, année pendant laquelle près de 15 000 jeunes ont participé au séjour de cohésion. Elle s'est poursuivie en 2022, où un peu plus de 32 000 jeunes ont participé au séjour de cohésion, et elle doit continuer en 2023, où la majorité des séjours seront organisés durant l'été.
Les séjours de cohésion et les retours d'expérience des jeunes font l'objet d'études annuelles de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP).
Pour ce qui concerne la qualité des séjours, les résultats sont positifs. L'INJEP indique ainsi que 90 % des participants du séjour de cohésion en 2022 se déclarent « plutôt satisfaits » ou « très satisfaits » 6 ( * ) . Le même constat peut être formulé pour les participants du séjour de cohésion en 2021, où 89 % des jeunes étaient satisfaits. L'INJEP écrit ainsi que les jeunes « estiment que leur participation au Service national universel revêt un intérêt social et sociétal, qui peut être analysé à une double échelle - individuelle et collective . » 7 ( * ) Certes, les jeunes qui participent au séjour sont des volontaires, mais les chiffres de satisfaction sont suffisamment élevés pour montrer que les qualités des séjours sont réelles.
Pour la session de 2021, les jeunes ont cependant estimé pour 54 % d'entre eux que l'organisation des journées pouvait être améliorée 8 ( * ) . Les emplois du temps ont été en effet décrits comme « trop chargés » par plusieurs personnes auditionnées par le rapporteur spécial, et ils ont été allégés pour la session de 2022.
En outre, 42 % et 39 % des jeunes estiment respectivement que la qualité des dortoirs et celle de la nourriture devraient être améliorées 9 ( * ) . Ce retour est plus préoccupant, car il sera plus compliqué de maintenir une qualité d'accueil élevée à mesure qu'il sera difficile de trouver des centres d'hébergement capables d'accueillir un séjour de cohésion.
D'une manière générale, lors de ses déplacements, le rapporteur spécial a pu lui-même constater que les séjours sont organisés avec soin, et que les activités sont intéressantes et variées. Le SNU est loin de la caricature de « service militaire bis » qui en est parfois faite. Il salue l'engagement des équipes, qui parviennent réellement à incarner les objectifs du SNU.
b) La représentativité sociale du séjour de cohésion peut être améliorée
L'un des objectifs du séjour de cohésion est de favoriser la mixité sociale. À ce titre, il est normal que l'origine sociale des jeunes qui participent au séjour de cohésion soit l'un des points d'attention de l'expérimentation.
La mixité sociale existe, mais des progrès restent à accomplir. Ainsi, l'INJEP relève que parmi les participants au séjour de cohésion en 2022, 20 % des jeunes déclarent avoir un père ouvrier, alors que 30 % des hommes en emploi appartiennent à cette catégorie 10 ( * ) . Les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ont représenté environ 5 % des jeunes qui ont participé au séjour de cohésion en 2022, alors qu'ils constituent 8 % des 15-17 ans en France 11 ( * ) .
Cependant, une des caractéristiques les plus nettes de l'expérimentation du SNU est la part importante des jeunes participant aujourd'hui au séjour de cohésion qui sont issus de familles comptant des membres dans les corps en uniforme .
L'INJEP indique ainsi que parmi les participants du séjour de cohésion en 2021, on compte 37 % de jeunes dont un parent travaille ou a travaillé dans l'armée, la police, la gendarmerie ou chez les pompiers, tandis que dans la population générale, les personnes qui exercent ces métiers représentent 2 % des personnes en emploi 12 ( * ) . En 2022, la part des jeunes dont l'un des parents relève de ces catégories a diminué à 33 %, mais elle n'en reste pas moins très importante.
Sur l'ensemble des jeunes ayant accompli le séjour de cohésion en 2022, on compte 47 % de jeunes souhaitant faire la mission d'intérêt général dans l'armée, et 36 % envisageant de l'effectuer dans la police ou la gendarmerie 13 ( * ) . En comparaison, seuls 25 % des jeunes souhaitent effectuer leur mission d'intérêt général dans une association, et 10 % l'envisagent dans une collectivité territoriale.
Ces chiffres ne peuvent pas être expliqués entièrement par les interventions menées par les militaires et les policiers au cours du séjour de cohésion, mais reflètent la surreprésentation des enfants ayant des parents dans les corps en uniforme parmi les volontaires du SNU.
Il est logique que ces enfants soient mieux informés et plus volontaires pour participer au séjour de cohésion, et cela ne remet aucunement en cause leur engagement. Toutefois cela interroge sur la représentativité des expérimentations qui ont été menées jusqu'à présent.
La représentativité territoriale du séjour de cohésion est relativement satisfaisante : la répartition de l'origine géographique des jeunes participant au séjour de cohésion est relativement proche de celle des 15-17 ans dans la population générale. Toutefois, l'Île-de-France constitue une exception notable : seuls 10,9 % des jeunes ayant participé au séjour de cohésion en 2021 sont issus de cette région, alors que 18,2 % des jeunes âgés de 15 à 17 ans sont franciliens.
3. Les difficultés matérielles rencontrées lors de son expérimentation ont fortement retardé la généralisation du service national universel
Dès les premiers temps de l'expérimentation, des doutes ont été exprimés sur la faisabilité et l'opportunité de généraliser le SNU à l'ensemble d'une classe d'âge, et plus particulièrement s'agissant du séjour de cohésion.
Le rythme de l'expérimentation s'est déroulé de manière bien plus lente que prévue , même si l'on prend en compte la crise sanitaire : alors que la trajectoire initiale prévoyait qu'après l'objectif de 20 000 jeunes accueillis annuellement devait succéder celui de 150 000 jeunes, les objectifs pour 2022 en étaient loin, avec une cible de 50 000 jeunes. Les réalisations sur les deux dernières années se sont également révélées nettement en deçà des objectifs.
Déroulement de l'expérimentation du service national universel
(en nombre de jeunes)
Année |
Trajectoire initiale |
Objectifs |
Réalisation |
2019 |
Entre 2 000 et 3 000 |
Entre 2 000 et 3 000 |
1 941 |
2020 |
20 000 |
20 000 |
0 14 ( * ) |
2021 |
150 000 |
25 000 |
14 653 |
2022 |
400 000 |
50 000 |
32 416 |
2023 |
800 000 |
64 000 |
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Note : la trajectoire initiale a été définie en septembre 2019, tandis que les objectifs correspondent à la cible indiquée dans le projet de performance pour chaque année.
Le ralentissement du déploiement du SNU s'explique d'abord par les difficultés matérielles rencontrées lors des expérimentations . En effet, le nombre de jeunes volontaires est très inférieur à celui de l'ensemble d'une classe d'âge, mais les retours de terrain indiquent qu'il est déjà très difficile de trouver suffisamment de centres d'hébergement disponibles en été. Le recrutement du nombre d'encadrants nécessaires à la généralisation du SNU soulève également de nombreuses questions.
Les problèmes logistiques auxquels fait face le SNU interrogent sur le coût qu'il représentera au moment de sa généralisation . Or, les quelques chiffrages qui ont été proposés ne sont pas suffisamment détaillés pour qu'il soit possible de s'assurer de leur crédibilité.
La phase 2 (mission d'intérêt général) et la phase 3 (engagement volontaire) concentrent moins de problématiques financières, mais elles n'en restent pas moins essentielles au dispositif, en ce qu'elles incarnent l'objectif de cohésion sociale du SNU. Or, la mission d'intérêt général ne répond pas, dans sa forme actuelle, aux objectifs qui lui sont assignés.
Face à l'ensemble de ces difficultés, deux scénarios de généralisation du SNU sont actuellement en train d'être étudiés.
* 1 La pandémie a conduit à l'annulation du séjour de cohésion sur le territoire métropolitain.
* 2 Rapport relatif à la création d'un service national universel, Groupe de travail sur le service national universel, Daniel Ménaouine, avril 2018, page 18.
* 3 Données de l'INJEP sur l'année 2020-2021 ( https://injep.fr/donnee/accueils-collectifs-de-mineurs-colonies-et-centres-de-vacances-centres-aeres-et-de-loisirs-scoutisme-2020-2021/#tab01 ).
* 4 Réponses de la DJEPVA au questionnaire du rapporteur spécial
* 5 La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative indique ainsi, dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial : « Dans son rapport au président de la République, en date du 28 avril 2018, le groupe de travail SNU et son rapporteur, le général de corps d'armée Daniel Ménaouïne, préconisent le rattachement du SNU auprès du ministre en charge de la jeunesse. Ce rattachement souligne le caractère interministériel de cette politique publique majeure et sur le plan symbolique, il délivre un message clair sur la nature du service national universel. »
* 6 « Séjour de cohésion 2022 : des motivations et expériences vécues plurielles », INJEP octobre 2022, page 1.
* 7 Rapport INJEP 2021, page 159.
* 8 INJEP, 2021, page 151.
* 9 INJEP, 2021, page 151.
* 10 INJEP, « Séjours de cohésion 2022 : des motivations et expériences vécues plurielles », page 2.
* 11 INJEP, « Séjours de cohésion 2022 : des motivations et expériences vécues plurielles », page 2.
* 12 « Déploiement du Service national universel sur l'ensemble du territoire français en 2021, enseignements de l'évaluation des séjours de cohésion », INJEP, janvier 2022, page 132.
* 13 INJEP, « Séjours de cohésion 2022 : des motivations et expériences vécues plurielles ». Il faut relever que les chiffres sont proches entre les filles et les garçons : 50 % des garçons envisagent de réaliser leur MIG dans l'armée, contre 44 % des filles. Le pourcentage est pratiquement égal entre les deux sexes pour la police et la gendarmerie.
* 14 La pandémie a conduit à l'annulation du Séjour de cohésion sur le territoire métropolitain. La DJEPVA indique que 5 000 inscriptions avaient été reçues avant l'annulation. En revanche, 7 000 jeunes ont participé au service national universel au titre de la seule Mission d'intérêt général, et 88 jeunes ont pu participer au séjour de cohésion en Nouvelle-Calédonie.