B. DÉVELOPPER UNE COLLECTE MULTIFORME ET INNOVANTE
La collecte demeure perfectible. L'inaccessibilité de nombreuses zones (quartiers informels, reliefs compliqués) explique en grande partie ces difficultés. L'insécurité et les dégradations sont un autre facteur majeur. À Mayotte, les points d'apport volontaire sont régulièrement brûlés. Dans certains territoires, les bacs sont parfois volés pour servir de réserve d'eau.
Les difficultés d'entretien des parcs roulants sont aussi fréquemment invoquées, le climat provoquant une usure accélérée.
Enfin, le réseau insuffisant de déchetteries est un frein majeur à la collecte de certains types de déchets, comme le rappellent régulièrement les éco-organismes.
Sans passer en revue tous les modes de collecte et leurs difficultés, souvent identiques à celles rencontrées au niveau national, on peut pointer quelques particularités propres aux outre-mer.
1. Trop de porte-à-porte et des points d'apport volontaire inadaptés
Outre-mer, le constat d'ensemble est celui d'une part trop importante, pour ne pas dire prédominante, de la collecte en porte-à-porte par rapport à l'apport volontaire (75-25 %) pour les déchets ménagers. La moyenne nationale est d'environ 50-50 . Même les encombrants et les déchets verts font parfois l'objet d'une collecte en porte-à-porte régulière.
Au niveau national, les déchetteries collectent 38 % des déchets des ménages quand en Martinique, qui dispose pourtant d'un des meilleurs réseaux de déchetteries outre-mer, cette part s'élève à 12 %.
Ce constat se double de celui d'une fréquence de ramassage élevée. 4, 5, voire 6 passages hebdomadaires ne sont pas rares. Les conséquences sont un coût du service beaucoup plus élevé.
Pour autant, les résultats ne sont pas probants, puisque les dépôts sauvages ou les infractions au règlement de collecte sont plus nombreux qu'au niveau national.
Ce déséquilibre est notamment la conséquence du manque de déchetteries. Les points d'apport volontaire sont également trop rares ou dégradés rapidement quand ils existent.
Il n'est pas aisé de sortir de cette organisation. Les usagers s'habituent à ce service de proximité et il faut proposer des alternatives valables. Le déploiement d'un réseau dense de déchetteries et de points d'apport volontaire bien positionnés et dimensionnés doit être concomitant à la réduction du service en porte à porte. Une communication intense est aussi nécessaire.
Une approche plus territorialisée commence à voir le jour chez les éco-organismes .
Citéo a par exemple mis sur pied un Observatoire du geste de tri en outre-mer . Une enquête quantitative doublée d'une enquête qualitative a permis d'identifier, pour chacun des territoires, les leviers favorisant le geste de tri :
- l'information : connaissance et compréhension des consignes de tri, connaissance des étapes qui conduisent du geste de tri au recyclage ;
- les équipements de tri et la qualité du dispositif ;
- les opinions et les représentations sur le tri et le recyclage qui sous-tendent les pratiques.
C'est en travaillant sur ces freins et en jouant la carte des spécificités culturelles de chaque territoire que Citeo a conçu des campagnes de mobilisation au tri pour La Réunion, d'une part, et les Antilles et la Guyane d'autre part. Il reste désormais à mesurer les résultats obtenus.
Il n'y a pas de solutions toutes faites. Mais il est certain que les EPCI doivent engager des stratégies longues de réduction du service en porte-à-porte.
Quelques initiatives présentées ci-après peuvent y contribuer : les déchetteries mobiles et la gratification du tri
2. Le succès des déchetteries mobiles
Le réseau insuffisant de déchetteries, les coûts de moins en moins supportables de l'enlèvement des encombrants en porte-à-porte et parfois l'accompagnement insuffisant des filières REP (le principe de la reprise « un pour un » est appliqué de manière très inégale dans les outre-mer) ont conduit plusieurs territoires à développer des déchetteries mobiles.
À Mayotte, depuis 2020, des déchetteries mobiles ont été mises en place. Le dispositif « Déchets'tri mobile » tourne dans les communes pour récupérer les DEEE, les encombrants, les ferrailles ou les déchets verts.
À La Réunion, la communauté Intercommunale de La Réunion Est (CIREST) obtient les meilleurs résultats de l'île sur les apports en déchetterie. C'est en partie dû au système de déchetterie mobile mis en place. Régulièrement, des bennes sont installées à tour de rôle dans les quartiers pour récupérer les DEEE ou les encombrants. Ces opérations sont précédées d'une forte communication à l'échelle des quartiers (des zones de 500 foyers environ).
D'autres initiatives analogues existent.
Cette solution paraît particulièrement adaptée à des territoires en retard d'équipements. Elle favorise aussi la transition vers une collecte en point d'apport volontaire, plutôt qu'en porte-à-porte. Elle offre aussi un support efficace pour une communication positive de proximité. Enfin, son coût est relativement réduit et elle consomme peu de foncier.
Ces solutions doivent donc être encouragées et développées grâce aux dispositifs d'aide existants.
Proposition n° 17 : Soutenir et étendre les déchetteries mobiles dans tous les outre-mer.
3. Lever le tabou de la gratification
L'autre pratique originale à encourager dans les outre-mer est la gratification.
Cet aspect a été évoqué plus haut, notamment à propos de l'écotaxe à Wallis-et-Futuna (voir les développements au I.C.5.c) et d)).
À Mayotte, un projet innovant a été mis en place par la société LVD Environnement Mayotte, avec le soutien de Citéo.
L'idée part du constat que le tri sélectif ne fonctionne pas à Mayotte, en particulier dans les quartiers informels. Les points d'apport volontaire sont éloignés, insuffisants et très vite dégradés. Le geste du tri n'a pas été approprié par la population. Enfin, la collecte en porte-à-porte est limitée par les difficultés d'accès (pas ou peu de routes carrossables).
Une collecte alternative a donc été imaginée à titre expérimental.
Le principe est double :
- s'appuyer sur les commerces de proximité des quartiers, les doukas (épicerie de quartier offrant une diversité de services) ;
- gratifier le tri .
En dix mois, avec huit points de collecte seulement, 11 tonnes de déchets plastiques (les bouteilles en PET essentiellement) ont été récupérées. La récupération des déchets dans les doukas se fait une fois par semaine.
La gratification consiste à offrir des récompenses, en particulier des produits sanitaires (savons, couches, serviettes hygiéniques), aux apporteurs à partir de 5 kg. Des cartes de fidélité sont aussi distribuées, avec une gratification au bout de 15 passages.
L'objectif est d'étendre le réseau de collecte et d'atteindre une centaine de tonnes d'ici trois ans, sachant que le gisement est estimé à Mayotte à 1 200 tonnes par an et que le SIDEVAM n'en récupère à ce jour qu'une quarantaine.
Le modèle est à l'équilibre avec le soutien de la CADEMA (l'expérience ne s'est déployée que sur son territoire pour le moment) et une aide de 79 000 euros de Citéo.
À plus long terme, LVD Environnement travaille à développer une filière locale de valorisation avec l'entreprise Mayco pour fabriquer des préformes de bouteille à Mayotte. Le lancement de la première ligne de production pourrait démarrer courant 2023.
Cette expérience réussie à Mayotte met en lumière l'intérêt qu'il y aurait, dans les zones où la collecte sélective est la moins développée et qui cumulent les handicaps, d'instaurer des dispositifs analogues au plus près du terrain. Les systèmes classiques de collecte ne fonctionnent pas.
Ce principe de la gratification tend d'ailleurs à progresser, même dans l'Hexagone. Des applications mobiles, comme celle de Wetri, se développent et contournent les collectes sélectives classiques, en gratifiant directement les apporteurs.
Ces systèmes pourraient être heureusement déployés dans les zones compliquées outre-mer, non pas pour se substituer à la collecte sélective classique par les collectivités, mais pour habituer les populations au geste du tri.
Proposition n° 18 : Développer les dispositifs de gratification directe du tri pour développer la collecte sélective dans les zones les plus défavorisées ou éloignées, en partenariat avec les éco-organismes et les collectivités.
4. Le fléau des dépôts sauvages : une action qui doit aussi passer par la répression
Dans tous les territoires ultramarins, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Saint-Barthélemy, les dépôts sauvages et les déchets diffus sont un fléau. L'Hexagone n'est pas épargné, mais les outre-mer sont beaucoup plus affectés. L'étroitesse des territoires et la densité font aussi que l'impact de ces déchets abandonnés se fait immédiatement ressentir.
a) Une mobilisation citoyenne remarquable
La multiplication des dépôts sauvages ou des abandons diffus de déchets mobilisent régulièrement des bénévoles, volontaires, associations pour tenter de résorber les stigmates les plus dégradants de cette pollution du quotidien.
Il ne se passe pas une semaine sans que la presse locale de chaque territoire ne se fasse l'écho d'initiatives citoyennes ou associatives de ramassage des déchets sur les bords de route, sur les plages, dans les ports, les espaces naturels... Parfois, ce sont des milliers de personnes qui se mobilisent sur une journée ou un week-end, comme par exemple à la Martinique en octobre dernier pour l'opération Pays propre 82 ( * ) .
À Mayotte, l'association Nayma réalise un travail remarquable qui mêle action environnementale, insertion et éducation de la jeunesse 83 ( * ) . Il faut dire que les défis sont gigantesques. Lors du déplacement de la délégation sur un chantier de ramassage, la mangrove était entièrement engluée dans des déchets dévalant des collines à chaque pluie. Par exemple, sur le seul mois d'avril 2022, ce sont 200 000 litres de déchets qui ont été ramassés.
On peut ainsi énumérer une longue liste d'actions ou associations oeuvrant ponctuellement ou de manière permanente pour mettre un terme à cette destruction du paysage et du cadre de vie : Caledoclean en Nouvelle-Calédonie, Mayotte nature environnement, Saint-Barth Clean up, Clean Saint-Martin, l'association « Project Rescue Ocean » en Polynésie française, Caillou propre à Saint-Pierre-et Miquelon, Clean My Island en Guadeloupe ...
b) Un puits sans fond ?
La connaissance des dépôts sauvages a globalement progressé.
Le dénombrement et la cartographie de ces dépôts ont été réalisés dans certaines collectivités. Ainsi, la Martinique en recense 300 environ (décharges illégales comprises). La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie ont aussi fait ce travail. Une centaine de dépôts sauvages sont par exemple recensés en province Sud. À La Réunion, l'agence régionale de santé a recensé environ 1200 dépôts sauvages cartographiés d'importances inégales.
Parfois, ce sont des outils participatifs créés par des habitants ou des collectifs citoyens qui remplissent cet office. À La Réunion, l'application mobile Band Cochon est très populaire, chacun pouvant signaler et envoyer une photo de déchets abandonnés.
L'exemple de l'association Guyane Nature Environnement
En 2022, l'association a mis en place l'outil Sentinelles de la Nature. Il permet aux citoyens d'alerter en ligne sur les dégradations environnementales dont ils sont témoins. Il a révélé un nombre important de dépôts sauvages sur le territoire. Au fur et à mesure des signalements, l'association peut suivre l'évolution des dépôts présents. La localisation par points GPS, des photos et des informations complémentaires permettent d'évaluer et de cibler les dépôts de grande ampleur.
Selon l'association, le projet de plan régional fait un état des lieux des dépôts sauvages qui n'est pas exhaustif, et qui ne permet pas d'appréhender l'ampleur réelle du phénomène.
Les données récoltées via l'outil Sentinelles sont publiques (www.sentinellesdelanature.fr).
Source : DSOM
Les communes et les EPCI en particulier sont en première ligne pour éliminer et sanctionner le cas échéant les dépôts sauvages. Le coût est élevé, en particulier dans les terrains difficiles. Souvent, c'est un travail de Pénélope : il faut recommencer le lendemain, à peine après avoir fait place nette.
Exemple d'une action de nettoyage sur la commune de
Salazie
par la CIREST à La Réunion
À la demande de la commune de Salazie, la CIREST a mené en 2021 une action exceptionnelle de résorption d'un dépôt sauvage sur un site difficile d'accès à Salazie. Ce dépôt aurait été alimenté quotidiennement depuis au moins trois décennies selon les riverains.
10 agents furent mobilisés ainsi qu'une entreprise spécialisée. En effet, au vu du terrain escarpé et pentu (+ 20 %), la CIREST a dû lancer une consultation pour recourir à une entreprise spécialisée en travaux sur cordes et manutentions de déchets en hauteur. La société retenue a déployé des cordistes expérimentés qui ont utilisés des techniques de récupération et de remontée des déchets, avec des équipements spécifiques (tyroliennes, poulies, bigbag). Les déchets avaient été déversés à 30 mètres de profondeur sur une épaisseur d'environ de 2 mètres.
Le gisement total était de 74 m 3 :
- encombrants : 60 m 3 (cadavres d'animaux, sacs d'engrais usagés (+ 1 000), poussettes, lits, canapés...) ;
- déchets métalliques : 11,5 m 3 (carcasses de voiture découpées, lits, vélos, caddies de supermarché...) ;
- DEEE : 47 unités (fers à repasser, plaques de cuisson, robots...) ;
- verre : 3 m 3 .
Au sein du gisement, il a été relevé la présence de plusieurs éléments permettant de retrouver les éventuels mis en cause. Un rapport d'information au parquet a été transmis.
Une communication a été faite auprès des usagers à la suite de cette opération.
Coût total : 11 000 euros (hors traitement des déchets et charge de personnel.
Source : CIREST
Malgré ces actions et cette mobilisation à la fois de la société civile et des collectivités, force est aussi de constater que la lutte contre les dépôts sauvages s'apparente à un puits sans fond.
c) Un dispositif légal renforcé, mais perfectible
Plusieurs lois ont récemment renforcé le dispositif répressif pour lutter contre les dépôts sauvages.
La loi AGEC offre désormais la possibilité de mettre sous séquestre les véhicules ayant servi à commettre l'infraction. Elle permet aussi d'utiliser des vidéos de caméras thermiques comme base d'une action en justice contre un contrevenant.
Les amendes pénales ont été renforcés et peuvent aller de 1 500 euros à 150 000 euros, avec des astreintes journalières jusqu'au nettoyage du site.
Par ailleurs, les sanctions administratives ont été renforcées.
La loi Agec a notamment clarifié la répartition des compétences entre le maire et l'intercommunalité , avec la possibilité de transférer à l'intercommunalité le pouvoir de police administrative spéciale de lutte contre les dépôts sauvages 84 ( * ) .
L'article L. 541-3 prévoit également que les amendes administratives payées par les auteurs de dépôts sauvages sont dorénavant perçues par la commune ou le groupement de collectivités, apportant ainsi un complément budgétaire, en contrepartie de leur mobilisation contre les dépôts sauvages. Enfin, la loi AGEC est venue renforcer les sanctions en cas de dépôts sauvages, notamment en permettant d'habiliter de nouveaux agents pour constater les infractions relatives aux déchets prévues par le code pénal, notamment les agents des groupements de collectivité.
L'objectif est de pousser à la création de polices municipales intercommunales 85 ( * ) pour lutter administrativement et pénalement contre les dépôts sauvages de déchets.
À côté des sanctions contre les contrevenants, la loi Agec a aussi accru la responsabilité des éco-organismes. Dès lors qu'un dépôt sauvage est principalement constitué de déchets relevant de la filière d'un éco-organisme (DEEE par exemple), la collectivité peut faire financer la résorption de ces dépôts par les filières REP correspondantes au prorata des types de déchets composant le dépôt. Les éco-organismes prennent en charge les coûts à 80 %, les 20 % restant demeurant à la charge des collectivités.
La portée de la loi a néanmoins été amoindrie par les textes d'application qui ont fixé un seuil élevé de déclenchement. Seuls les dépôts sauvages de plus de 100 tonnes contraignent les filières REP86 ( * ), ce qui les en exonère dans de nombreux cas . Par ailleurs, une filière REP ne participera à cette prise en charge que si les déchets qui relèvent de sa responsabilité pèsent au moins une tonne (100 kg s'il s'agit de déchets dangereux).
Pour reprendre les propos de Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, « en dépit de quelques avancées, les communes restent esseulées en matière de résorption des dépôts sauvages, laquelle représente pourtant un coût considérable ». Et c'est encore plus vrai dans les outre-mer.
L'association Amorce préconise d'abaisser le seuil de 100 tonnes à une tonne. En citant encore Nicolas Garnier « Tout dépôt sauvage constitué principalement de véhicules devrait être géré à terme par la REP véhicules hors d'usage (VHU), tout dépôt sauvage de pneus par Aliapur, tout dépôt sauvage d'ordures ménagères résiduelles par Citeo et tout dépôt sauvage de matériaux par Valobat (pour les produits du bâtiment) et Ecominero (pour les matériaux de construction d'origine minérale). Aujourd'hui, le scénario d'un contrevenant identifié et solvable qui financerait lui-même la résorption du dépôt sauvage dont il est l'auteur est extrêmement rare et illusoire ».
Une autre proposition émane de Stéphane Murignieux, président de l'Institut de la transition écologique des outre-mer, qui propose un fonds mutualisé entre tous les éco-organismes qui financerait la résorption des dépôts sauvages. Les éco-organismes cotiseraient à due proportion de la part moyenne de leurs déchets dans les dépôts sauvages.
Il est encore trop tôt pour faire un bilan rigoureux de l'application de ces dispositions entrées en vigueur le 1 er janvier 2021, aussi bien au niveau national qu'en outre-mer.
Toutefois, en pratique, on peut d'ores et déjà deviner que l'immense majorité des dépôts sauvages sera en dehors du champ de la prise en charge financière par les filières REP.
Les collectivités des outre-mer, qui sont les plus impactées par ces dépôts, continueront donc à supporter largement le coût de leur résorption.
Le seuil de 100 tonnes aboutit en réalité à faire payer deux fois les collectivités . En effet, ce seuil correspond au seuil au-delà duquel les collectivités ne sont pas redevables de la TGAP pour les tonnages mis en décharge en provenance de dépôts sauvages. Cela signifie donc qu'en deçà de 100 tonnes, les dépôts sauvages coûtent deux fois aux collectivités : le coût de leur résorption et le coût de la TGAP.
Il est donc proposé d'abaisser ce seuil de 100 à 1 tonne dans les outre-mer, compte tenu de l'étendu du fléau des dépôts sauvages dans ces territoires.
Proposition n° 19 : Dans les outre-mer, abaisser à une tonne le seuil à partir duquel le coût du nettoiement d'un dépôt sauvage est pris en charge par les éco-organismes.
Enfin, parmi les autres dispositions de la loi Agec qui devraient contribuer à lutter contre les dépôts sauvages, il faut citer la création de la filière REP sur les produits ou matériaux de construction du bâtiment. Elle débutera au 1 er janvier 2023, dans les outre-mer comme dans l'Hexagone. Les déchets du bâtiment, qui représentent la majeure partie des dépôts sauvages, devront être repris gratuitement, lorsqu'ils sont triés, par la filière REP. Un réseau de points de collecte qui ne doit laisser aucun territoire isolé à plus de 20 km de l'un d'entre eux, devrait voir le jour. Sa mise en oeuvre dans certains territoires d'outre-mer devra être suivi de très près.
On citera aussi l'obligation faite à certains éco-organismes de contribuer financièrement aux opérations de nettoiement de quatre catégories de déchets : les emballages ménagers, les mégots de cigarettes, les chewing-gums et les textiles sanitaires à usage unique. Le nettoiement concerne les déchets abandonnés dans les espaces publics et les espaces naturels. Un barème a été défini par chaque éco-organisme avec des majorations outre-mer.
Citéo a signé les premières conventions avec Saint-Denis de La Réunion et Mamoudzou. Citéo devra notamment réaliser une cartographie des sites les plus touchés sur cette commune et une aide financière de 500 000 euros lui a été versée. D'autres communes ultramarines devraient suivre. Des discussions sont aussi engagées avec les gestionnaires d'espaces naturels comme le parc amazonien de Guyane, le parc national de La Réunion et le parc national de la Guadeloupe.
d) La répression : passer aux actes
Les auditions et déplacements n'ont pas permis d'obtenir de données générales sur le nombre de procédures pénales ou administratives engagées à la suite de la constatation de dépôts sauvages.
Comme au niveau national, l'identification des auteurs demeure compliquée. Par ailleurs, priorité a longtemps été donnée à la sensibilisation et à l'information plutôt qu'à la répression, en particulier dans les zones où les solutions de collecte sont imparfaites ou partielles.
Toutefois, un changement d'attitude est perceptible. Les territoires ultramarins commencent à s'emparer de l'aspect répressif , les actions de sensibilisation et de prévention ayant manifestement échoué. Par ailleurs, la société civile est de moins en moins tolérante, comme le démontrent les multiples actions citoyennes de ramassage.
Des polices intercommunales commencent à se créer, tout particulièrement pour lutter contre les dépôts sauvages et les infractions environnementales.
Ainsi, la Communauté d'Agglomération des Communes du Littoral en Guyane a mis en place une police de l'environnement en 2022.
À Mayotte, la Communauté de Communes du Sud dispose également d'une police intercommunale très active.
À La Réunion, la CIREST dispose d'une brigade de l'environnement qui verbalise depuis 2020, notamment grâce aux nombreux signalements des riverains. Des caméras nomades sont posées en zone naturelle. Selon la CIREST, cette action résolue et d'autres mesures comme les déchetteries mobiles auraient permis de réduire le nombre de dépôts sauvages. La CASUD dispose aussi d'une brigade verte.
Les EPCI ultramarins doivent se saisir des nouvelles facultés offertes par les lois Agec et « Climat et résilience 87 ( * ) » pour déployer une politique de répression systématique des dépôts sauvages. Les EPCI exerçant les missions de collecte, la cohérence invite à transférer la lutte contre les dépôts sauvages à ces derniers, comme la loi y invite.
Proposition n° 20 : Créer des polices municipales intercommunales dans tous les EPCI outre-mer pour lutter contre les dépôts sauvages.
5. La résorption des anciennes décharges
Si tous les territoires, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, disposent désormais d'ISDND aux normes, la situation reste imparfaite. En Guyane, les deux ISDND existantes ne suffisent pas à couvrir les besoins de ce territoire grand comme le Portugal. Plus généralement, les territoires isolés comme les archipels polynésiens ou les villages amazoniens en Guyane ne stockent pas leurs déchets dans les ISDND aux normes.
Enfin, il y a les décharges anciennes ou historiques, la plupart fermées, mais qui n'ont pas toutes été résorbées ou réhabilitées dans les règles de l'art. Il y a donc un stock historique de déchets à collecter, pour les orienter vers les filières de traitement actuelles.
a) Un plan national pour les décharges littorales
En février 2022, l'État a annoncé le lancement d'un plan national de résorption des décharges littorales présentant des risques de relargage des déchets en mer. La hausse du niveau de la mer et l'érosion du trait de côte ont rendu ces interventions encore plus urgentes.
Ce plan a identifié 55 décharges littorales à risque. 14 sont situées dans les DROM : 4 en Guadeloupe, 6 en Martinique, 1 en Guyane et 3 à La Réunion.
Dès 2022, le premier chantier de traitement doit démarrer à l'Anse Charpentier en Martinique (10 000 m 3 de déchets estimés). Le projet est porté par l'EPCI Cap Nord. L'objectif est de toutes les résorber en 10 ans.
Lorsque la maîtrise d'ouvrage appartient aux collectivités, le plan prévoit que le Cerema apporte gratuitement son expertise pour les assister dans la conception des projets de résorption. Côté financement, l'État apporte jusqu'à 50 % du coût via un fonds dédié porté par l'Ademe et doté de 30 millions d'euros pour 2022.
b) La réhabilitation des anciennes décharges
À Mayotte, les 5 anciennes décharges ont toutes fermées en 2014, lorsque l'ISDND de Dzoumogné est entrée en service. Un projet de réhabilitation, cofinancé par l'Ademe et l'État, a été validé en 2017 les travaux ont démarré en 2019 et 2020 sur les 5 sites.
À Wallis-et-Futuna, les autorités ont indiqué résorber progressivement les anciens cratères de lave qui servaient de dépotoirs.
En Guadeloupe aussi, un effort particulier est mené depuis 2008 pour réhabiliter les anciennes décharges comme celle de la commune de Morne-à-l'Eau pour un coût total de 2,2 millions d'euros.
Ce souci d'aller collecter les déchets historiques et de sécuriser les sites avec la pose de géomembrane est commun à tous les territoires ultramarins. Il est essentiel de ne pas laisser ces bombes à retardement tomber dans l'oubli.
L'effort doit naturellement être poursuivi, à commencer par la fermeture des décharges illégales encore en fonctionnement. C'est en particulier le cas en Guyane (7 décharges) et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
6. Le casse-tête des territoires très isolés
Certains territoires ultramarins se trouvent dans des situations d'isolement qui rendent quasi-impossible la création d'ISDND aux normes. Sont particulièrement concernés l'intérieur de la Guyane et les archipels de la Polynésie.
Cette particularité des zones très isolées est d'ailleurs prise en compte par les textes européens qui prévoient une dérogation aux règles d'enfouissement.
En Guyane, des solutions alternatives ont été testées pour collecter et regrouper les déchets dans les villages isolés. C'est en particulier le cas des infrastructures dénommées « éco-carbets » expérimentées à Trois-Sauts, village isolé de quelques centaines d'habitants situé à l'extrémité sud du territoire (accessible par 1 à 2 jours de pirogue sur le fleuve Oyapock).
Ce sont des solutions simplifiées à la fois de collecte et de stockage de déchets non dangereux, en site isolé. Implantés en 2004, une évaluation réalisée en 2017 a montré un retour d'expérience positif. En 2018, la règlementation a été adaptée pour permettre une instruction simplifiée de ces installations en site isolé.
Cette évolution était très attendue, car elle ouvre la porte à des solutions légales adaptées au contexte d'isolement et aux possibilités techniques et financières des collectivités (un « éco-carbet » coûte entre 20 et 30 000 euros contre plusieurs millions d'euros pour une ISDND aux normes). Cette solution pourrait être étendue à d'autres sites isolés de Guyane.
Les « éco-carbets » peuvent être combinés avec une autre expérimentation innovante de collecte.
Cette expérimentation, en lien avec les associations locales, Citéo, le parc amazonien et l'EPCI, consiste à utiliser des pirogues arrivées pleines de produits ou denrées et de les charger au retour de sacs de déchets recyclables. Des jeunes du village sont embauchés et formés pour sensibiliser et animer la collecte sélective. La démarche est prometteuse (les taux de collecte sélective sont parmi les meilleurs de Guyane) mais nécessite l'implication d'une association locale solidement implantée, qui n'a pas toujours la solidité financière pour gérer un projet d'une telle ampleur.
Une implication forte des éco-organismes est un enjeu essentiel pour pérenniser cette solution à Trois-Sauts et permettre son extension à d'autres sites et d'autres filières de déchets.
Cette expérimentation peut être rapprochée de celle de la société LVD Environnement Mayotte qui s'appuie sur les doukas (épiceries de quartier) pour amener les populations vers le geste du tri. Elle pourrait être complétée par une gratification comme à Mayotte.
En développant le tri dans ces zones isolées, les « éco-carbets » réceptionneraient des déchets moins polluants et en quantité réduite.
Ces expérimentations mériteraient d'être diffusées, notamment en Polynésie française .
Proposition n° 21 : Dans les zones très isolées, développer les « éco-carbets » et des méthodes innovantes de collecte sélective avec gratification du tri.
7. Le défi des biodéchets
Comme dans l'Hexagone, les DROM devront mettre en oeuvre au 1 er janvier 2024 le tri à la source des biodéchets des particuliers et des professionnels 88 ( * ) . Cela n'implique pas obligatoirement la collecte en porte-à-porte. L'obligation consiste à proposer une solution de tri.
Au niveau national, on observe d'ailleurs que depuis 2007, les putrescibles sont la composante des déchets ménagers qui a le plus diminué. La lutte contre le gaspillage alimentaire, le compostage domestique ou les apports volontaires expliquent cette tendance.
Pour autant, les putrescibles ou biodéchets représentent encore 38 % de la poubelle grise (déchets en mélange).
Cet objectif ambitieux suscite de nombreuses inquiétudes dans les outre-mer. La principale est liée au climat, souvent très chaud et humide, qui multiplie les risques d'odeurs et de prolifération des nuisibles. Dans les zones rurales d'habitat individuel, le compostage domestique est la solution privilégiée. Mais dans les habitats collectifs et en zone urbaine, les élus sont très inquiets.
On notera néanmoins que Saint-Pierre-et-Miquelon a été précurseur en mettant en place une collecte des biodéchets en porte-à-porte depuis 2018. Mais les conditions climatiques le permettent plus facilement que dans le centre de Cayenne.
Compte tenu des difficultés auxquelles les collectivités sont déjà confrontées avec le traitement des déchets, force est de reconnaître que l'échéance du 1 er janvier 2024 ne sera probablement pas tenue dans de nombreux territoires.
Pour prendre l'exemple de La Réunion, la CIREST a indiqué être en phase de sélection d'un assistant à maîtrise d'ouvrage. Un autre EPCI, le TCO a pris les devants. Son marché a déjà été lancé, ce qui est le délai minimum pour que les véhicules adaptés soient livrés en temps et en heure. En revanche, la CINOR - qui couvre Saint-Denis de La Réunion - est partie trop tôt. Les bacs ont été déployés dès 2021 sur l'agglomération de Saint-Denis, mais ils se sont révélés inadaptés et la communication a failli. Ils ont été retirés du service pour le moment. La stratégie est en train d'être remise à plat.
En Martinique, le SMTVD s'inquiète des conditions et de la fréquence de cette nouvelle collecte potentielle et de son coût qui ne pourra qu'aggraver les difficultés financières des EPCI. Le compostage individuel serait répandu dans 8 % de la population et 59 % de la population seraient desservis par un dispositif de tri à la source de biodéchets (par exemple un compostage en pied d'immeuble).
L'opportunité de solliciter un délai supplémentaire se pose. Le principe de réalité commanderait de repousser l'échéance. Toutefois, des dynamiques se mettent en place. Un report pourrait les casser , alors même que les biodéchets sont un gisement facilement mobilisable pour réduire le poids des déchets collectés. Il est plus aisé de gérer un composteur ou méthaniseur que de créer une filière industrielle de recyclage du plastique ou de déchets dangereux. Le besoin en capital est nettement plus faible.
Un compromis pourrait consister à maintenir l'échéance pour les professionnels et à la décaler de deux ans pour les particuliers .
* 82 10 tonnes de déchets ont été ramassés sur vingt-quatre sites naturels de Martinique en un week-end.
* 83 Créée en 2020, l'association a obtenu en 2021 les agréments pour signer un total de 204 postes en contrat à durée déterminée d'insertion. Elle déploie son action sur toute l'île. Environ 20 tonnes de déchets sont ramassées chaque semaine dans les ravines et le long du littoral.
* 84 Article L.5211-9-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Jusqu'à présent, seul le pouvoir de police administrative spécial en cas de non-respect du règlement de collecte était transférable (exemple : dépôt des poubelles aux mauvaises heures ou en dehors des bacs...).
* 85 L `article L.512-2 du code de la sécurité intérieure permet aux EPCI de recruter des policiers municipaux.
* 86 Articles R.541-111 du code de l'environnement et suivants.
* 87 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets
* 88 Pour les professionnels, l'obligation est en vigueur depuis le 1 er janvier 2012 pour les plus gros producteurs de biodéchets. Les seuils ont été progressivement abaissés au cours de la décennie. Au 1 er janvier 2024, tous les professionnels y seront soumis.