EXAMEN EN DÉLÉGATION
La Délégation aux entreprises s'est réunie le jeudi 27 octobre 2022 pour l'examen du présent rapport.
M. Serge Babary, président. - Après avoir examiné, le 6 octobre 2022, le rapport de notre délégation sur la transmission d'entreprises, nous nous penchons aujourd'hui sur le sujet de la RSE.
Ce thème avait donné lieu à l'adoption par notre délégation, en juin 2020, d'un rapport intitulé « Responsabilité sociétale des entreprises : une exemplarité à mieux encourager », présenté à l'époque par nos collègues Elisabeth Lamure et Jacques Le Nay. Le suivi de ce rapport a été confié à nos collègues Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Jacques Le Nay.
Comme celui de la transmission d'entreprises, ce sujet est à la fois macroéconomique et social (puisque sont en jeu la transition environnementale, la lutte contre le réchauffement climatique, l'égalité professionnelle, etc.) mais aussi microéconomique, dans la mesure où il impacte - et impactera encore davantage dans un avenir proche - quasiment toutes les entreprises, directement ou indirectement.
L'urgence climatique et environnementale a entrainé tous les acteurs publics et privés dans une marche accélérée. Depuis 2020, la France et l'Union européenne entrainent les entreprises dans un nouveau tourbillon de règles, normes et obligations. Si ce virage doit être pris, les préoccupations de notre délégation sont essentiellement de deux ordres :
• premièrement, faire en sorte que la RSE ainsi renforcée soit accessible à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ;
• deuxièmement, qu'elle le soit dans des conditions économiques et de concurrence supportables et permettant aux entreprises européennes de se battre à armes égales avec leurs concurrentes étrangères - la vertu devant pouvoir se partager et s'exporter.
Je cède à présent la parole à nos rapporteurs, en soulignant qu'il nous faudra continuer à suivre ce sujet complexe dans les années à venir. Nous continuerons ainsi à suivre avec vigilance la mise en application de nos travaux.
M. Jacques Le Nay, co-rapporteur . - Le rapport que nous vous présentons actualise celui que j'avais rédigé en juin 2020 avec la présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises de l'époque, Élisabeth Lamure.
Nous avions alors formulé 18 recommandations, dont certaines ont été relayées par la Plateforme RSE, qui réunit tous les acteurs concernés par ce sujet, mais également par la Convention citoyenne pour le climat.
Ce rapport a été enrichi à l'occasion de notre 6 ème Journée des entreprises le 13 octobre 2022, au cours de laquelle les débats ont montré que la RSE était au coeur de la transformation profonde du modèle européen de l'entreprise.
Pendant la crise sanitaire, certaines entreprises ont mis la RSE en pause. Face aux problèmes d'approvisionnement en matières premières, de tensions inflationnistes et salariales, les entreprises pourraient de nouveau être tentées de reléguer leurs efforts en matière de RSE au second plan. Cependant, cette attitude ne serait guère soutenable.
La vice-présidente et porte-parole du MEDEF, Dominique Carlac'h, que nous avons entendue le 20 septembre 2022, a ainsi souligné « qu'une entreprise qui n'inclurait pas dans sa stratégie des sujets comme l'inclusion, la diversité, et l'innovation managériale ne pourrait plus être performante ou attractive ». Pour le MEDEF, la RSE constitue ainsi de plus en plus « un facteur de différenciation et de compétitivité ».
La ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, Olivia Grégoire, a quant à elle formulé le constat suivant lors de son audition le 4 octobre 2022 par notre délégation et la commission des Affaires économiques : « Avec la performance extra-financière, qui deviendra la norme d'ici à 2025, faute d'un diagnostic environnemental et social, nos PME pourraient être évincées de certains marchés en tant que sous-traitants. Il faut anticiper ce risque systémique » .
Pourtant, la RSE a connu quelques soubresauts pendant la période du déroulement de notre mission, en particulier au printemps dernier.
Le P.D.G. de Danone, société ayant adopté le statut d'entreprise à mission dès mai 2020, a été « démissionné » en mars 2021, à l'initiative de deux fonds d'investissement activistes, défendant la primauté de la création de valeur à court terme sur les engagements RSE.
Elon Musk, P.D.G. de Tesla, a quant à lui qualifié sur Twitter l'ESG de « vaste arnaque » et « d'escroquerie », suite à l'expulsion en mai 2022 de sa société de l'indice S & P Dow Jones 500, en raison de l'existence de plaintes pour discrimination raciale contre celle-ci, de l'opposition de sa direction à la création de syndicats et de sa gestion d'une enquête gouvernementale après des accidents liés à ses véhicules à pilotage automatique.
The Economist , dans son édition du 23 juillet 2022, a considéré que les investissements ESG étaient devenus « une mode ».
En octobre 2021, le rapport de M. Bris Rocher, consacré au bilan de la loi PACTE, a pointé un risque de « purpose washing », c'est-à-dire d'affichage d'une raison d'être, d'une mission ou d'un engagement social et environnemental, sans que cela soit sincère, effectif et transparent - l'écoblanchiment ou « greenwashing » existant également.
En juillet 2021, une enquête BVA a indiqué que 69 % des salariés considéraient la raison d'être de leur entreprise avant tout comme une « opération de communication » ; et que 46 % des dirigeants considéraient les changements statutaires associés comme « de l'affichage ne garantissant en rien que l'entreprise s'engage vraiment ».
Enfin, un rapport de l'Inspection générale des finances de décembre 2020 a exigé une évolution radicale du label public ISR (Investissement socialement responsable), sous peine d'exposer celui-ci à « une perte inéluctable de crédibilité et de pertinence ».
Depuis les Accords de Paris de 2015, la France veut des entreprises exemplaires en matière de RSE. Cependant, notre pays demeure classé 154 ème sur 163 pays pour le respect des Objectifs du Développement Durable en matière climatique, en raison d'externalités négatives. Ces externalités sont notamment dues à notre niveau élevé d'importations ; ces dernières représentent près de la moitié de nos émissions de carbone - ce constat rejoignant celui fait par la mission de notre délégation sur le commerce extérieur.
Depuis notre rapport de 2020, nous avons assisté à un véritable tsunami d'obligations ou de demandes d'informations, qui pèsent en théorie sur les grandes entreprises mais également sur beaucoup de PME dès lors que celles-ci sont prises dans la chaîne de valeur.
Le règlement SFDR, destiné à mesurer l'impact ESG des investissements, concerne surtout le secteur financier mais entraine des conséquences pour les entreprises en renforçant les besoins d'informations extra-financières des investisseurs. Même pour les acteurs du secteur financier et les gérants d'actifs, la complexité et le calendrier accéléré de mise en oeuvre de ce règlement représentent un défi.
La taxinomie européenne, pilier central du Plan d'action pour la finance durable de l'Union européenne de mars 2018, constitue quant à elle un véritable dictionnaire de durabilité pour orienter les investissements, sur lequel s'adossent de nombreuses législations, comme la directive NFRD et la prochaine directive CSRD (toutes deux porteuses d'obligations en matière de reporting extra-financier) ou encore le règlement SFDR précédemment cité. Ces réglementations obligent ou sont appelées à obliger les différents acteurs économiques et financiers à publier des informations quant à la part durable sur le plan environnemental de leurs activités, sur la base des critères de la taxinomie.
La directive CSRD, devant être examinée par le Parlement européen le 9 novembre 2022, a vocation à harmoniser et à standardiser le reporting ESG, comme l'avait demandé notre délégation dans son précédent rapport. La mise en oeuvre et l'applicabilité aux entreprises de cette directive soulève toutefois des préoccupations. Cette directive est appelée à multiplier par cinq le nombre des grandes entreprises et ETI concernées par le reporting ESG en Europe, mais impactera également indirectement les PME situées dans leur chaîne de valeur. Elle est ainsi appelée à accroître la quantité d'informations à publier par les entreprises - informations qui devront être certifiées par un tiers indépendant, autour du concept de double matérialité (financière et non financière).
Après la loi française de 2017, une proposition de directive pourrait par ailleurs assujettir au devoir de vigilance les entreprises de plus de 500 salariés. Le Sénat, dans sa résolution du 1 er août 2022, a demandé le doublement de ce seuil. L'imprécision du champ d'application de cette directive et de la définition retenue de « relation commerciale établie » inquiète, à juste titre, les PME.
Avec l'affichage environnemental puis l'affichage social, deux nouvelles obligations font descendre le référentiel RSE de l'entreprise, dans sa globalité, vers ses productions de biens agricoles ou manufacturés. Outre les difficultés méthodologiques, les entreprises sont confrontées à une incertitude quant au coût de ces nouvelles obligations.
Enfin, le bilan des émissions de gaz à effet de serre, pratiqué depuis 2010 par les entreprises de plus de 500 salariés, a été étendu, d'une part, aux entreprises de plus de 50 salariés bénéficiant d'une aide dans le cadre du plan de relance (sous forme simplifiée) et, d'autre part, à celles de plus de 250 salariés, lesquelles devront par ailleurs intégrer l'ensemble de leurs émissions indirectes.
Mme Martine Berthet, co-rapporteure . - Notre conviction est que la RSE doit être un atout pour les entreprises et non un handicap. Or nos entreprises se heurtent aujourd'hui à un défaut d'harmonisation en la matière, au sein de l'Union européenne et vis-à-vis du reste du monde, dans un environnement compétitif dégradé par la crise énergétique.
Les normes RSE ne doivent pas créer un décalage compétitif supplémentaire particulièrement dommageable entre les entreprises européennes et extra-européennes. Il faut donc engager résolument un chantier non seulement d'harmonisation mais aussi de simplification en la matière, y compris pour limiter les rentes de complexité se développant au gré de l'inflation des normes et aux dépens des entreprises.
Dans son rapport de 2020, la Délégation aux entreprises avait demandé un moratoire sur les nouvelles informations extra-financières qui pourraient être demandées aux entreprises. Or l'inverse s'est produit. Le coût de ces nouvelles obligations en matière de RSE pour les entreprises est par ailleurs peu pris en compte.
Même les grandes entreprises paraissent à la peine pour satisfaire ces obligations - l'Autorité des marchés financiers ayant mis en évidence que « très peu d'informations relatives aux impacts du changement climatique apparaissent aujourd'hui dans les états financiers » de 19 sociétés françaises cotées membres du SBF 120. Les PME et ETI sont également inquiètes face à ces nouvelles obligations, même lorsqu'elles pratiquent la RSE sans le savoir.
Dans ce contexte, pour que les entreprises aient une vision claire du coût direct et indirect de ces obligations, notre recommandation n° 1 serait que l'État réalise et publie une étude d'impact du coût financier et organisationnel de leur cumul, par catégorie d'entreprises.
Face au choc de complexité annoncé en matière de reporting, notre recommandation n° 2 serait de poser, dans le cadre de la transposition de la future directive CSRD, un principe de proportionnalité du contenu des informations extra-financières demandées aux entreprises, en fonction de leur taille et de leurs moyens - ce principe ayant déjà été posé dans la résolution du Sénat du 1 er août 2022 pour ce qui concerne le devoir de vigilance.
Dans le cadre de l'expérimentation du nouvel affichage social prévu par la loi Climat, nous demeurerons attentifs au coût de celui-ci pour les PME, ainsi qu'à son articulation avec les autres obligations en matière de RSE.
Pour permettre à toutes les entreprises de répondre aux exigences de la future directive CSRD, notre recommandation n° 3 serait d'accompagner les ETI et PME par une simplification des normes et une approche sectorielle différenciée. Notre recommandation n° 4 serait d'appliquer progressivement les nouveaux référentiels RSE dans les ETI et PME, après avoir confié la réalisation d'un test d'opérationnalité à un tiers indépendant. Notre recommandation n° 5 serait d'assurer un traitement identique de reporting pour les entreprises non européennes.
Actuellement, il est prévu que seules les entreprises non européennes au chiffre d'affaires net supérieur à 150 millions d'euros et exerçant une activité au sein du marché unique européen doivent publier un reporting sur leurs impacts ESG. Or il conviendrait que les entreprises non européennes soient soumises aux mêmes obligations de publication d'informations que les entreprises européennes de même taille. L'enjeu sera par ailleurs de veiller à ce que la vérification dans les pays non européens par des tiers indépendants soit robuste. À défaut, les PME européennes risquent d'être handicapées pour la préservation de leurs parts de marché ou la conquête de nouveaux marchés, au sein comme en dehors de l'Union européenne.
Pour les entreprises de l'Union européenne, la RSE a vocation à constituer un outil de différenciation. Les normes européennes en la matière sont les plus en avance. L'enjeu serait donc de préserver leur souveraineté et de défendre l'autonomie de l'Europe dans leur définition, au risque de voir, comme pour les normes financières, une harmonisation s'opérer sur la base de standards nord-américains, dans un contexte de rachat massif des agences de notation européennes par des fonds américains.
La directive CSRD est appelée à élargir le champ d'application des normes RSE à de nombreuses entreprises, dont un certain nombre d'ETI (avec un seuil ramené à 250 salariés) et de PME (indirectement, de par leur inclusion dans la chaine de valeur des entreprises assujetties).
Dans ce cadre, il est positif que la crédibilité des informations extra-financières puisse être renforcée et qu'une plus grande ouverture de ces données puisse être envisagée. Toutefois, les entreprises font valoir le risque de devoir divulguer des informations commercialement sensibles alors que leurs concurrents non européens ne sont pas contraints au même degré de transparence.
Avec une mesure de la performance au regard du principe de durabilité ou de soutenabilité, la stratégie économique des entreprises devra par ailleurs s'aligner sur la résilience de leur modèle. Leurs plans devront garantir la compatibilité de leur stratégie et de leur modèle avec la transition vers une économie durable et neutre sur le plan climatique, en cohérence avec les objectifs de l'Accord de Paris de limitation du réchauffement planétaire à 2°C maximum à l'horizon 2100.
L'efficacité de cette directive destinée à concrétiser le concept de RSE sera conditionnée à l'établissement de normes européennes d'information en matière de durabilité, avec un risque de concurrence entre les standards européens et nord-américains.
Pour préserver l'autonomie de l'Union européenne en la matière, notre recommandation n° 6 serait de confier l'évaluation de ces normes à l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), comme le préconisait déjà le rapport de la Délégation de 2020.
Notre recommandation n° 7 serait de poursuivre le dialogue avec les entités nord-américaines chargées de la normalisation RSE, en veillant à ne pas renoncer au concept de double matérialité financière et extra-financière, permettant d'analyser à la fois l'impact des risques ESG sur l'entreprise et l'impact de l'entreprise sur la société.
L'entreprise de demain qui réussit pourra ainsi être celle qui met la question de son impact positif au coeur de sa gouvernance.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Pour consolider la RSE des entreprises, notre recommandation n° 8 serait d'implanter la culture RSE au coeur de la gouvernance de celles-ci, au sein des conseils d'administration ou des comités de direction, voire auprès des actionnaires, à travers un effort de formation (y compris des administrateurs salariés), afin que les enjeux de la RSE puissent être évoqués à chaque réunion et que les décisions stratégiques intègrent de façon équilibrée les trois dimensions environnementale, sociale et de gouvernance de la RSE (bien que le risque climatique demeure difficile à intégrer au plan méthodologique).
Notre recommandation n° 9 serait de renforcer la culture RSE dans l'enseignement supérieur et les grandes écoles, à travers le développement de formations obligatoires aux enjeux de la RSE et de la transition climatique - le Gouvernement ayant déjà annoncé, le 20 octobre 2022, la définition en 2023 d'un socle de compétences et de connaissances pluridisciplinaires liées à la transition écologique indispensable pour être diplômé du premier cycle universitaire. En parallèle, l'enjeu serait de pouvoir labelliser les établissements s'inscrivant dans une telle démarche d'enseignement obligatoire, s'agissant notamment des écoles de commerce et d'ingénieurs, pour valoriser leurs efforts et leurs formations et créer une émulation positive entre eux.
Pour que la RSE puisse transformer en profondeur les entreprises, notre recommandation n° 10 serait de veiller à une approche équilibrée de la RSE, donnant toute sa place à la dimension sociale et à la gouvernance, au-delà de la focalisation actuelle sur la lutte contre le réchauffement climatique et la gestion durable des ressources - la dimension environnementale ne devant constituer une priorité que pour les entreprises ayant un fort impact négatif en la matière. À cet égard, le précédent rapport de la Délégation présentait déjà l'inclusion de la dimension sociale de la RSE comme « un moyen de mieux impliquer les salariés, de les faire adhérer davantage à la RSE de leur entreprise, et de concilier le global, les enjeux climatiques, et le local, le bien-être en entreprise ».
Notre recommandation n° 11 serait de mieux protéger les entreprises engagées dans une démarche RSE de l'activisme actionnarial des fonds spéculatifs, à travers un abaissement du niveau de déclaration de franchissement du seuil de participation à 3 % du capital ou des droits de vote, ainsi qu'un abaissement à 5 % du seuil de déclaration d'intentions, en cohérence avec les préconisations formulées par l'AMF dès 2008.
La commande publique constitue par ailleurs un levier important pour engager les entreprises dans la RSE, y compris pour les inciter à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à toutes les étapes du cycle de vie de leurs biens, produits, services ou travaux.
Un « verdissement » de la commande publique a déjà été engagé au travers de la révision en date du 1 er avril 2021 des cahiers de clauses administratives générales (CCAG), de l'article 58 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, ainsi que de l'article 35 de loi du 22 août 2021 dite loi Climat et Résilience.
L'UGAP, se voulant le « bras armé d'un achat public socialement responsable », s'est également dotée d'une feuille de route « stratégie RSE 2025 », prévoyant que d'ici 2025, ses marchés notifiés intègrent à 100 % au moins une considération environnementale et à 30 % au moins une considération sociale.
Le rapport parlementaire « Pour une commande publique sociale et environnementale : état des lieux et préconisations », de Mmes Sophie Beaudouin-Hubière (députée de la Haute-Vienne) et Nadège Havet (sénatrice du Finistère), remis au Premier ministre le 20 octobre 2021, a quant à lui recommandé d'encourager les acteurs de la commande publique, au sein des collectivités locales notamment, à prendre des mesures plus incitatives en faveur de l'achat durable.
Afin de mieux mobiliser ce levier de la commande publique, notre recommandation n° 12 serait d'introduire dans le Code de la commande publique :
• un principe général faisant référence à la « performance sociale et environnementale des biens, produits et services » ;
• la notion « d'offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » afin de mieux appréhender les considérations environnementales ;
• un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de RSE, à égalité de prix ou à équivalence d'offre.
M. Jacques Le Nay, co-rapporteur . - Un tableau synthétique reprenant les recommandations formulées, les acteurs concernés, ainsi que des éléments de calendrier sera annexé à notre rapport.
M. Michel Canévet . - Merci aux rapporteurs et aux équipes de la Délégation pour la qualité de ce rapport.
Les obligations en matière de RSE risquent d'être perçues par certains entrepreneurs comme trop contraignantes, au niveau administratif notamment. Néanmoins, elles traduisent la nécessité de prendre en compte les évolutions sociétales et les enjeux climatiques.
Dans le cadre de la commande publique, l'important serait de pouvoir intégrer d'autres considérations que le seul critère économique. Cela, plaide en faveur de l'introduction dans le Code des marchés publics de la notion d'offre « économiquement, écologiquement et socialement la plus avantageuse ».
Lors du récent Salon mondial de l'automobile, nous avons pu constater que les constructeurs automobiles s'efforçant de proposer des véhicules plus propres pour répondre aux enjeux de 2035 étaient confrontés à l'arrivée sur le marché européen de véhicules à bas prix produits en Asie, aux coûts de production ne pouvant être concurrencés. On observe la même problématique dans le secteur des énergies renouvelables, avec des opérateurs étrangers, en provenance de Chine notamment, risquant de s'accaparer le marché européen.
L'introduction de la notion d'offre socialement la plus avantageuse permettrait d'apporter une réponse à cette problématique.
M. Jacques Le Nay, co-rapporteur . - Nous avons débattu de ce sujet. Notre recommandation n°12 viserait à faire en sorte que, dans le cadre de la commande publique, le critère retenu soit le mieux-disant, au regard de l'ensemble des dimensions, et non plus seulement le moins-disant au plan économique, à offre égale.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Du reste, les syndicats patronaux nous ont fait remarquer que, dans le cadre de l'attribution des marchés publics, le critère de prix demeurait encore trop souvent prépondérant. L'enjeu sera donc de former les acteurs de la commande publique au sein des collectivités, pour que toutes les dimensions de la RSE soient réellement prises en compte dans la construction et la mise en oeuvre des marchés publics.
Mme Martine Berthet, co-rapporteure . - L'UGAP a déjà intégré la dimension sociale et environnementale dans ses critères de marchés publics. Il conviendrait d'aller le plus loin possible dans cette logique, face à une concurrence extérieure à l'Union européenne risquant de devenir de plus en plus problématique.
M. Serge Babary, président . - Je propose de matérialiser ce principe dans notre rapport, en faisant référence à la notion d'offre « économiquement, écologiquement et socialement la plus avantageuse ».
Annick BILLON - Serait-il opportun de créer une « matière RSE » au sein des établissements d'enseignement supérieur, alors que la démarche RSE des entreprises a vocation à être transversale et à évoluer dans le temps, au gré des innovations technologiques notamment ?
Ne faudrait-il pas par ailleurs distinguer les difficultés rencontrées par les ETI et les PME vis-à-vis des normes RSE, au regard de leur capacité à exporter et des exigences associées à ces normes ? En pratique, ces entreprises pourraient ne pas toutes être confrontées aux mêmes obligations.
Au niveau de la commande publique, la démarche RSE apparait effectivement intéressante. Dans ce cadre, il conviendrait toutefois d'éviter l'engagement de certaines entreprises dans une démarche purement cosmétique. L'enjeu serait également de veiller à ce que les critères RSE n'excluent pas les entreprises de proximité des appels d'offres des collectivités, s'agissant notamment des ETI et PME.
Enfin, il a été fait état d'une possible distorsion de la concurrence à l'échelle de l'Union européenne. La démarche RSE aurait-elle vocation à mettre les entreprises en capacité de répondre aux marchés européens ?
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - La RSE est effectivement transversale et pluridisciplinaire. Néanmoins, certains établissements font aujourd'hui état d'un enseignement autour de la RSE, au travers de modules facultatifs. L'enjeu serait d'aller plus loin, pour ancrer véritablement la RSE dans l'enseignement supérieur et en faire un élément de différenciation pour les établissements engagés dans cette démarche. À cet égard, nous suivrons la mise en oeuvre des propositions du Gouvernement visant à définir une formation obligatoire en premier cycle.
Mme Martine Berthet, co-rapporteure . - Le développement d'un tel enseignement pourrait également permettre de mieux valoriser les éléments de RSE déjà mis en oeuvre par certaines entreprises, pour les accompagner dans le respect des obligations associées.
Mme Annick Billon . - Pour mettre la RSE à la portée des ETI et PME, cet enseignement nécessiterait d'être également développé dans la filière de l'apprentissage.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Cet enseignement aurait effectivement vocation à être développé dans la formation technique supérieure et la formation technique professionnalisante.
Mme Martine Berthet, co-rapporteure . - De fait, les ETI, PME ou TPE sous-traitantes sont appelées à être concernées indirectement par les normes RSE. À terme, certaines d'entre elles pourraient également y être soumises directement.
Pour ce qui est de distinguer les enjeux auxquels sont confrontés les PME et les ETI, il convient de rappeler que la notion d'ETI n'existe pas au niveau européen. Nous proposerions donc d'inscrire une proportionnalité des obligations dans le cadre de la transposition en France de la directive CSRD. L'enjeu serait ainsi d'éviter d'engendrer des contraintes supplémentaires trop importantes pour les entreprises françaises, afin d'éviter des distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne, ainsi qu'entre les entreprises européennes et extra-européennes.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Les PME ne devraient pas être concernées directement par la directive CSRD, celle-ci ayant vocation à s'appliquer aux entreprises de plus de 250 salariés. Elles pourraient néanmoins être concernées indirectement en tant que sous-traitantes de grandes entreprises soumises à la directive.
M. Jacques Le Nay, co-rapporteur . - Dans le cadre des appels d'offres des collectivités, le critère « circuit court » a vocation à permettre l'attribution de marchés publics à des entreprises locales.
M. Serge Babary, président . - La recommandation n° 5 du rapport, insistant sur la nécessité d'exigences de reporting identiques pour les entreprises extra-européennes pourrait être développée, s'agissant d'éviter de la part de ces dernières une concurrence déloyale, organisée par l'Union européenne elle-même. Comment faire valoir ce principe ?
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - L'enjeu sera avant tout de veiller à ce que le cadre normatif européen en matière de RSE, constituant aujourd'hui un « mieux-disant » à l'échelle mondiale, s'impose au niveau international. Il conviendra ensuite d'être vigilant quant au respect de ce cadre par les entreprises extra-européennes.
Mme Martine Berthet, co-rapporteure . - S Se posera également la question de la vérification de l'application des obligations de reporting par des tiers indépendants dans les pays extra-européens. Ce levier pourrait être complexe à mobiliser.
M. Jacques Le Nay, co-rapporteur . - La mise en pratique de ce principe sera en effet complexe vis-à-vis d'entreprises évoluant sur des marchés aux règles différentes, en Chine ou en Afrique par exemple.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Nous pourrions proposer une résolution européenne relative à la proposition de directive CSRD, afin d'affirmer encore davantage cette nécessité de protéger nos entreprises.
M. Serge Babary, président . - Il serait effectivement important d'affirmer ce principe, pour ne pas mettre en difficulté nos entreprises. Le risque serait que les efforts de celles-ci en matière de RSE soient balayés par la concurrence de productions à bas coûts, ne respectant pas les mêmes exigences.
M. Rémi Cardon . - Le sigle RSE est aujourd'hui connu des entreprises françaises. Il conviendrait cependant d'en clarifier et d'en démocratiser la déclinaison pratique. Tel me semble être l'intérêt de ce rapport et des recommandations formulées. De fait, la RSE n'a pas vocation à être qu'un label, mais à constituer une démarche reposant sur de vrais objectifs.
Du reste, comment mesurer le taux de transformation des objectifs de la RSE ? Comment mesurer la capacité des entreprises à passer de la compréhension des enjeux de la RSE à la mise en oeuvre de mesures concrètes ?
Dans le cadre des nombreux sondages réalisés autour de la RSE, les entreprises indiquent souvent avoir le « sentiment » de poursuivre une démarche RSE. Comment objectiver ce sentiment, au-delà des certifications existantes ?
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - De nombreuses entreprises mettent en oeuvre sans le savoir des éléments de RSE. L'enjeu serait donc de leur permettre de s'inscrire dans une démarche structurée. Le reporting appelé à être mis en place devrait permettre de mesurer cet engagement. Les entreprises concernées devront également solliciter un certain nombre d'indicateurs auprès de leurs sous-traitants - certains sous-traitants s'étant déjà engagés dans une démarche de certification pour répondre aux exigences de leur donneur d'ordres.
Mme Martine Berthet, co-rapporteure . - Il nous faudra ainsi être attentifs à la déclinaison en 2023 de la directive CSRD. Nous suivrons également la mise en oeuvre de l'affichage social sur les produits.
M. Jacques Le Nay, co-rapporteur . - De fait, les PME s'inscrivent souvent dans une démarche RSE sans le savoir. L'enjeu serait donc de les sensibiliser, pour permettre à leurs personnels de s'approprier la démarche - la démarche RSE ayant également vocation à créer une dynamique et à favoriser l'esprit d'entreprise.
M. Serge Babary, président . - Les fédérations et branches professionnelles auront également un rôle à jouer. Certaines s'efforcent déjà de définir des modèles d'analyses des procédures, pour que leurs entreprises qui ne sont pas soumises règlementairement aux normes RSE puissent s'en approcher et, le cas échéant, se prévaloir d'une démarche RSE dans le cadre d'appels d'offres.
Je vous propose de conclure l'examen de ce rapport, en le soumettant à votre approbation.
La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.