C. CONSOLIDER LA RSE DANS LES ENTREPRISES

1. Une RSE équilibrée entre les trois piliers de l'ESG.

Afin de mieux s'approprier les impacts de leurs activités, les entreprises doivent s'intéresser à leur performance globale et intégrer à leurs outils de pilotage interne des métriques contribuant à la quantifier.

L'accent est actuellement fortement mis sur la contribution des entreprises à la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, la RSE ne peut se résumer à sa dimension environnementale, laquelle ne doit être une priorité que pour les entreprises ayant un fort impact négatif et qui doivent rendre compatible leur business model avec la lutte contre le changement climatique (limitation de la hausse de la température mondiale à 2°C) ou une gestion durable des ressources.

La dimension sociale et la gouvernance ne doivent pas être négligées, afin de contribuer à transformer profondément l'entreprise.

Dans le précédent rapport de la Délégation aux entreprises consacrée à la RSE, la logique d'approche globale était rappelée, soulignant que l'inclusion du social « constituerait un moyen de mieux impliquer les salariés, de les faire adhérer davantage à la RSE de leur entreprise, et de concilier le global, les enjeux climatiques, et le local, le bien-être en entreprise ».

Cette approche est constante depuis les travaux du Commissariat général du Plan (1997), « évaluer la performance globale d'une entreprise c'est considérer que sa performance économique sans prise en compte des externalités négatives de son activité sur son environnement (social et écologique) ne constitue pas une « juste évaluation » de la performance », et dans les rapports de la Plateforme RSE.

Recommandation n° 10 :

Équilibrer les trois piliers de l'ESG, qui ne peut se résumer aux actions de lutte contre le réchauffement climatique mais doit englober le social et la gouvernance de l'entreprise.

2. Protéger les entreprises s'engageant dans une démarche RSE des fonds spéculatifs

Une entreprise s'engageant dans une démarche RSE doit être protégée de certains investisseurs, d'abord en communiquant clairement : « les dirigeants d'entreprises qui envisagent d'investir dans la RSE doivent être conscients que se démarquer ainsi peut attirer les fonds activistes, surtout lorsque la stratégie de création de valeur n'est pas limpide. C'est pourquoi les dirigeants doivent communiquer clairement leur stratégie de RSE aux actionnaires existants, pour s'assurer de leur soutien lorsqu'ils décident d'allouer des capitaux à des activités de RSE », estimait ainsi HEC dans son communiqué de presse du 24 juin 2020.

Cette démarche peut ne pas suffire. Un abaissement des seuils de déclaration lorsqu'un actionnaire franchit un certain niveau dans le capital d'une entreprise cotée permettrait aux dirigeants et au conseil d'administration de « prendre très tôt la mesure du danger qui les guette avec l'arrivée de fonds activistes » 142 ( * ) .

La position de l'AFEP sur l'activisme actionnarial de décembre 2019 excluait « les propositions visant à abaisser le premier seuil légal à 3 % (actuellement à 5 %) ou à abaisser à 5 % le premier seuil des déclarations d'intention (actuellement à 10 %), mesures jugées trop contraignantes car pesant sur l'ensemble de la communauté des investisseurs ». Toutefois l'AMF, dans sa communication d'avril 2020, relevait que « les contraintes inhérentes à un tel abaissement du seuil légal pourraient être significativement réduites si celui-ci ne s'appliquait pas à toutes les valeurs (par exemple, en exemptant les valeurs inscrites sur un marché de croissance des PME), à tous les détenteurs (par exemple, en exemptant les OPCVM) ou ne visait que les droits de vote ». L'AMF avait toutefois préconisé, en 2008 143 ( * ) , l'instauration d'un nouveau seuil à 3 % du capital ou des droits de vote et une proposition de loi avait été déposée au Sénat en 2011 144 ( * ) . Cette préconisation a également été formulée dans un rapport d'information de l'Assemblée nationale de 2019 145 ( * ) .

Un investisseur devrait préciser ses intentions quant à la société dont il conteste la démarche RSE, afin de permettre à cette dernière d'accélérer l'alignement de sa stratégie sur les objectifs ESG qu'elle se propose d'atteindre, de mieux communiquer, et de rassurer ainsi investisseurs et marchés.

À cet effet, le seuil minimal de déclaration d'intention, actuellement de 10 %, doit être abaissé à 5 % afin d'indiquer clairement :

- s'il agit de concert ;

- sa stratégie vis-à-vis de l'émetteur et les opérations qu'il envisage pour la mettre en oeuvre ;

- s'il envisage de demander des nominations d'administrateur ;

- s'il envisage ou non d'acquérir le contrôle de la société.

L'AMF contrôle le respect de ces obligations de déclarations et de transparence afin d'assurer la clarté de l'information diffusée au marché.

Ce relèvement des seuils pourrait être réservé aux entreprises engagées dans une démarche RSE (celles qui ont entrepris une modification de la raison d'être ou adopté le statut d'entreprise à mission). Elle leur permettrait de la protéger des fonds activistes le temps qu'elles adaptent leurs outils d'évaluation de la performance financière et extra-financière pour rassurer ses actionnaires et les investisseurs.

Recommandation n° 11 :

Abaisser le niveau de déclaration de franchissement de seuil à 3 % du capital ou des droits de vote, et à 5 % pour les déclarations d'intentions, pour les entreprises engagées dans une démarche RSE.

3. Mieux accompagner les ETI et PME dans l'évaluation du risque climatique

Les ETI et PME doivent être davantage sensibilisés, accompagnées, et préparées à l'évaluation du risque climatique, qui constitue un élément essentiel de la RSE.

En matière de risque climatique, si 80 % des dirigeants de PME et ETI françaises disent en avoir conscience , peu intègrent cette donnée dans leur stratégie et seuls 13 % déclarent pouvoir réduire leurs émissions de carbone de manière importante dans les cinq prochaines années, selon BPIFrance 146 ( * ) .

A l'égard du tsunami des informations qu'ils doivent désormais fournir, beaucoup de chefs d'entreprise se sentent démunis . A l'occasion des consultations des CCI pour le Grand Débat, les entrepreneurs avaient fait part de leurs appréhensions et de leur sentiment d'être « insuffisamment outillés » et « mal préparés » pour faire face à ces enjeux.

CCI-France recommande ainsi 147 ( * ) de « renforcer l'accompagnement par les pouvoirs publics des petites et moyennes entreprises afin de les inciter à cartographier leurs risques en matière climatique ». L'Ademe ou les CCI, qui oeuvrent déjà très intensément en ces domaines, pourraient en être chargées.

La diffusion de bonnes pratiques doit être encouragée, à l'exemple du guide d'application de la taxinomie européenne dans le secteur de l'immobilier réalisé en février 2022 par l'Observatoire de l'immobilier durable.

« L'imagination des chefs d'entreprise est fertile. Elle l'est plus encore quand, en réseau, ils échangent ou élaborent des standards à partir de procédures mises en place au sein de leurs entreprises pour limiter les effets du réchauffement climatique. L'appropriation de procédures ciblées, circonscrites et facilement transposables permettra à ceux qui s'y attèlent de s'engager, par la suite, dans des actions de plus grande envergure » selon CCI France, et cette démarche est transposable à l'ensemble de la RSE.

Deux autres pistes, déjà évoquées dans le précédent rapport de la Délégation aux entreprises de 2020, ont été reprises dans un récent rapport de la commission des Finances du Sénat :

- Instaurer une comptabilité carbone pour les entreprises amenées à être couvertes par la future directive européenne sur le reporting de durabilité (CRDS), puisqu'elles auront « déjà fait l'effort en amont de rassembler des données pour ce reporting, appuyé sur les standards proposés par l'Efrag concernant notamment la double matérialité et la mesure des émissions de scope 3 », ce qui permettra que l'externalité carbone ne soit plus « quelque chose que l'entreprise gère « à côté » de ses activités, mais un élément inhérent à sa stratégie et à ses processus ». Le rapport de la Délégation aux entreprises de 2020 avait alors cité la méthodologie CARE (Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l'Environnement), qui met au passif du bilan d'une entreprise, outre le capital financier, le capital humain et le capitale naturel, qui avait jusqu'à présent un coût nul ;

- introduire à moyen terme une composante d'efficience énergétique au sein du calcul de l'impôt sur les sociétés dû par les entreprises couvertes par la directive sur le reporting de durabilité, « une partie de l'imposition due par les entreprises serait ainsi modulée en fonction du bilan carbone des entreprises, afin de les inciter à devenir les plus efficientes possibles dans leur consommation d'énergie et dans la composition de leur mix énergétique ». Le rapport de la Délégation aux entreprises de 2020 avait regretté qu'une entreprise qui s'investit dans la RSE ne bénéficie d'aucune incitation fiscale par rapport à une entreprise se désintéressant de cette démarche. Cependant, comme les entreprises devront investir fortement pour se décarboner, celles qui ont une haute intensité carbone dans leur processus de production risquent d'être doublement pénalisées par un IS plus élevé. Il faudrait donc préciser que cette modulation s'apprécie par rapport aux efforts moyens de décarbonation du secteur auquel elles appartiennent.


* 142 « Danone, une illustration des fragilités du statut d'entreprise à mission », par Bertrand Valiorgue Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, Université Clermont Auvergne (UCA), The Conversation, 8 mars 2021.

* 143 Rapport du groupe de travail présidé par Bernard Field, sur les déclarations de franchissement de seuil de participation et les déclarations d'intention, octobre 2008.

* 144 Proposition de loi de M. Philippe Marini, n° 695 (2010-2011), du 29 juin 2011, tendant à améliorer l'information du marché financier en matière de franchissements de seuils en droit boursier.

* 145 Rapport n°2287 du 2 octobre 2019 publié en conclusion des travaux d'une « mission d'information relative à l'activisme actionnarial », constituée par la Commission des finances de l'Assemblée nationale, qui avait pour co-rapporteurs Eric Woerth et Benjamin Dirx.

* 146 « Les dirigeants de PME-ETI face à l'urgence climatique », juin 2020.

* 147 « PME, les enjeux du reporting climatique : comment accompagner le changement ? », décembre 2021.

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