C. MIEUX DÉFINIR LE MECANISME DE PRESOMPTION LÉGALE (CHAPITRE II)
1. Revoir les critères et le seuil fixés (article 4)
Le choix des critères et du seuil permettant d'établir la présomption légale constitue l'enjeu principal de ce texte.
a) Le seuil et la nature des critères questionnés
Deux approches cohabitent sur cette question du seuil et de la nature des critères :
· L'approche de la Commission (soutenue par certains États membres): conserver des critères les plus larges possibles, fixés dans la directive, afin d'encourager le déclenchement de la présomption de salariat pour un maximum de travailleurs, et de couvrir le maximum de cas de figures d'une économie qui n'a pas encore développé toutes ses potentialités (l'approche maximaliste consistant même à ne plus avoir de critères figurant dans le texte, pour favoriser une présomption automatique, comme le propose la rapporteure E. Gualmini) ;
· L'approche de certains États membres, dont la France : préciser les critères afin de limiter l'application de la présomption de salariat aux « vrais » travailleurs salariés, en augmentant éventuellement le seuil qui permet de déclencher la présomption (l'approche maximaliste consistant à supprimer les dispositions de la présomption légale, pour une approche non contraignante et à préférer un code de bonne conduite ou encourager les plateformes à trouver des accords avec les travailleurs pour améliorer leurs conditions de travail).
Sur cette question des critères, la Commission européenne indique justement avoir essayé de trouver des critères durables, en évitant de se référer à certaines spécificités qui pourraient évoluer. Elle s'est fondée sur la jurisprudence de la CJUE et des États membres. Ainsi, les critères définis dans l'ordonnance Yodel sont repris dans les critères d et e. De même, le critère b se retrouve dans la jurisprudence française. Sur la question du seuil, l'établissement de 2 critères sur 5 à atteindre est pour la Commission européenne un bon équilibre évitant la requalification de tous et le maintien de vrais indépendants. Dans ses travaux préparatoires, la Commission avait envisagé la hiérarchisation des critères mais a abandonné cette option trop complexe.
En tout état de cause, il semblerait que ce soit les critères a, b et c qui soulèvent le plus de difficultés, notamment pour la France, pour qui les critères a et c correspondent à la définition des plateformes à responsabilité sociale (présentes sur le secteur de la mobilité). Ces plateformes entreraient ainsi de facto dans le champ de la présomption de salariat puisque les deux critères posés par l'article 7342-1 du code du travail pour les définir (déterminer les caractéristiques et fixer le prix de la prestation de service) font partie des cinq critères proposés par la Commission dans sa directive.
Des nombreux débats existent sur chacun des critères. Ainsi, certains, par exemple, estiment que le critère c (superviser l'exécution du travail ou vérifier la qualité des résultats du travail) serait susceptible de couvrir de nombreux véritables travailleurs indépendants, puisque cette supervision fait partie des caractéristiques courantes de la relation contractuelle entre donneurs d'ordre et prestataires indépendants. La Commission considère, quant à elle, que les critères a, b et c peuvent s'appliquer aux indépendants dans une relation bilatérale avec un donneur d'ordre ; pour autant, dans une relation triangulaire avec une plateforme, elle a rappelé que c'est bien cette dernière qui est susceptible de fixer la rémunération et contrôler le travail, et non le client, et qu'elle se comporte donc comme un employeur.
Sur cette question des critères, certains - comme l'avocat Kevin Mention, spécialisé en droit du travail, ayant représenté un certain nombre de travailleurs dans des affaires de requalification, et auditionné par les rapporteurs - considèrent que les plateformes peuvent échapper à la plupart des critères, en abandonnant certaines pratiques qui constituent des éléments de subordination (comme le suivi GPS des travailleurs ou la tenue obligatoire etc.).
Sur le principe de la présomption de salariat, la France estime même qu'il serait en contradiction avec la présomption d'indépendance plus large posée par l'article L. 8221-6 du code du travail. Toutefois, pour certains observateurs, notamment Jean-Yves Frouin, ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans son rapport précité remis au Premier ministre en décembre 2020, cette présomption d'indépendance n'empêche pas de prévoir une présomption de salariat pour les travailleurs de plateformes, à l'instar d'autres professions qui bénéficient d'une telle exemption : « il existe en effet des précédents dans la partie septième du code du travail (cf. article L. 7313-1 du code du travail) consistant en ce que des professions essentiellement caractérisées par une grande autonomie d'exercice bénéficient d'une présomption de salariat et partant de l'application de tout ou partie des dispositions du code du travail. Il suffirait de faire la même chose avec les travailleurs des plateformes en y ajoutant le cas échéant, comme pour les professions évoquées, des dispositions propres justifiées par le particularisme de leur activité »37(*).
b) Préciser les critères et éventuellement le seuil proposés par la directive afin de limiter la présomption de salariat aux réelles situations de subordination
La PFUE, dans son texte de compromis, et les eurodéputés, dans leurs amendements au rapport Gualmini, ont proposé des modifications relatives aux critères et au seuil. La présidence tchèque a également proposé une nouvelle option sur la question des critères.
(1) Le texte de compromis de la France ne fait pas l'unanimité
La présidence française a modifié, au sein du texte de compromis, la rédaction de l'article 4 relatif à la présomption légale, non sans créer de dissensions au sein du Conseil.
La proposition de compromis précise les circonstances dans lesquelles s'appliquerait la présomption : il ne s'agirait plus du seul contrôle de l'exécution du travail, mais de la restriction de la liberté du travailleur d'organiser son travail, y compris par des sanctions, et du contrôle de l'exécution du travail par la plateforme. De ce fait, la notion de restriction de liberté, extraite du critère d, serait utilisée pour constituer une matrice pour l'ensemble des critères.
Réaction mitigée des États membres à la proposition de la PFUE Lors du groupe de questions sociales de présentation du texte de compromis, la Belgique, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal se sont interrogés sur l'objectif poursuivi par cet ajout et sur son impact. L'Espagne et les Pays-Bas ont indiqué leur préférence pour la rédaction initiale de la Commission et la notion de contrôle. L'Italie a estimé que l'inclusion du critère de restriction de la liberté complique davantage la présomption sans clarifier le texte ; le cumul des notions de contrôle et de restriction de liberté restreignant fortement l'application de la présomption. La Hongrie a également exprimé son incompréhension sur l'application de la présomption, avec la triple dimension de la notion de restriction de la liberté, de la notion de contrôle et des critères. La Commission a indiqué qu'elle ne pourra pas soutenir la notion de restriction de la liberté d'organiser son travail. Elle a estimé qu'un tel concept ne fait pas partie du concept juridique de subordination et qu'il donnerait l'impression que le statut par défaut est celui de l'indépendant. Elle a par ailleurs indiqué qu'à son sens, ajouter la notion de restriction de la liberté à la notion de contrôle relèverait le seuil de déclenchement de la présomption. |
(2) Le texte de compromis de la présidence tchèque propose une nouvelle solution visant à encadrer les modalités de déclenchement de la présomption de salariat
Dans son texte de compromis du 19 septembre dernier, la présidence tchèque introduit ainsi une dérogation, dans le chapitre 4 sur la présomption légale, par le biais d'un nouveau paragraphe 2.a.
Si le texte de compromis tchèque reprend le principe des deux critères à remplir sur cinq, comme prévu dans la proposition de la Commission, il prévoit que, par voie de dérogation à ce principe, une relation de travail puisse ne pas être automatiquement considérée comme une relation de salariat si la plateforme ne remplit que les deux premiers critères (a et b), c'est-à-dire le fait que « la plateforme numérique de travail [...] détermine ou fixe des limites supérieures pour le niveau de rémunération par mission ou par période de travail (a)» et qu'elle exige « de la personne qui effectue le travail de la plateforme qu'elle respecte des règles spécifiques en ce qui concerne l'apparence, le comportement à l'égard du destinataire du service ou l'exécution du travail (b) ».
Ainsi, ces deux critères spécifiques ne suffiraient pas à eux seuls à déclencher la présomption légale : un troisième critère serait nécessaire.
Par ailleurs, le texte de compromis prévoit un nouveau paragraphe (2.b) à l'article 4 qui prévoit que: « le respect des obligations légales spécifiques de la plateforme numérique de travail conformément au droit de l'Union, au droit national et aux conventions collectives ou qui sont nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des destinataires du service n'est pas pris en compte pour évaluer si les critères du paragraphe 1 sont remplis ». Ainsi, les obligations visant à assurer la sécurité et la santé d'un travailleur, comme le port d'un casque pour un livreur à moto, par exemple, ne seraient pas prises en compte dans les critères déclenchant la présomption de salariat.
Réaction mitigée des États membres
- L'Autriche, la Pologne, la Suède, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie et l`Irlande ont salué la proposition de la Présidence et/ou ont proposé différents amendements visant à amoindrir la portée des critères ;
- La France a proposé l'introduction du critère c (superviser l'exécution du travail ou vérifier la qualité des résultats du travail) dans le cadre de cette dérogation au motif que ce critère ne suffisait pas à lui seul à établir un lien de subordination entre un travailleur et une plateforme. Elle a été soutenue par certains États membres comme la Lettonie, la Lituanie, l'Estonie, la Grèce et la Hongrie. Concernant le critère c, la France a d'ailleurs proposé de le retravailler pour mettre l'accent sur le degré de supervision et de contrôle et combiner de façon cumulative ces deux aspects ;
- L'Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, le Portugal, le Luxembourg, Malte et la Slovénie se sont opposés à une telle dérogation arguant que cela complexifiait l'application de la présomption et amoindrissait sa portée. La Commission s'est positionnée sur cette même ligne en indiquant qu'une telle dérogation était inacceptable, puisqu'elle revenait à rehausser de facto le seuil de critères exigé de deux à trois, ce qui était inacceptable
- L'Allemagne a rappelé son soutien constructif à la proposition de la Commission. Elle a toutefois indiqué ne pas être en capacité de faire part d'une position sur ce nouveau compromis, en raison de consultations ministérielles en cours.
Sur la question de la présomption de salariat, il convient également de noter que la présidence tchèque a introduit un nouvel article (article 4a, paragraphe 3) prévoyant que l'application de la présomption légale s'applique dans toutes les procédures administratives et judiciaires pertinentes lorsque la détermination correcte du statut professionnel de la personne qui effectue le travail sur la plateforme est soit l'aspect central de la procédure, soit une question préliminaire à laquelle il faut répondre. Cet article prévoit cependant que «les procédures fiscales et pénales ne sont en revanche pas des procédures pertinentes au sens de la présente directive et les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présomption dans les procédures de sécurité sociale ».
Ce nouvel article ne fait pas l'unanimité parmi les États membres, certains estimant notamment que les décisions prises en matière de requalification du contrat de travail avaient des incidences en droit national sur d'autres matières, pénales, fiscales et sociales. La Commission a estimé que la directive serait grandement amoindrie si seules les procédures en matière de droit du travail devaient être concernées par la présomption.
(3) Certains amendements du Parlement européen visant un juste équilibre sont des pistes intéressantes aux yeux des rapporteurs
Les articles 4 et 5 ont fait l'objet de plusieurs dizaines d'amendements de la part des eurodéputés. Parmi ces amendements, de nombreux proposent une modification du seuil et des critères, dont certains sont particulièrement intéressants en ce qu'ils constituent un rééquilibrage du texte.
La rapporteure fictive de Renew, Lucia Ïuri Nicholsonová, et plusieurs de ses collègues dont Sylvie Brunet ont présenté des amendements suggérant de passer de l'exigence de réunir deux critères pour déclencher la présomption à une « majorité » de critères. Selon la rapporteure fictive, « il est important de souligner que la présomption légale d'une relation de travail ne doit pas conduire à une classification automatique de toutes les personnes effectuant un travail sur une plateforme » et que « les véritables travailleurs indépendants peuvent le rester et continuer à accéder au travail par le biais de plateformes ». Plusieurs autres amendements co-signés par la rapporteure fictive et plusieurs de ses collègues resserrent également les critères.
A l'instar du groupe Renew, l'eurodéputée du PPE Sara Skyttedal et plusieurs de ses collègues suggèrent qu'une « majorité » de critères doivent être remplis - au lieu des deux prévus dans la proposition de directive - tout en resserrant les critères eux-mêmes.
Les rapporteurs jugent que ces améliorations pourraient figurer dans le texte final de la directive.
Texte de la Commission |
Amendements Lucia Ïuri Nicholsonová (Renew) |
Amendements Sara Skyttedal (PPE) |
a) déterminer effectivement le niveau de rémunération, ou en fixer les plafonds |
a) déterminer de facto ou fixer le niveau de rémunération; |
a) déterminer de facto le niveau total de rémunération, ou le fixer, |
b) exiger de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles impératives spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail; |
b) exiger de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles impératives spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail, au-delà de ce qui est requis par la loi ou de ce qui est nécessaire pour protéger la santé et la sécurité des destinataires du service ou pour garantir le bon fonctionnement du service; |
b) exiger de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles impératives étendues en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail, au-delà de ce qui est requis par la loi ou de ce qui est raisonnablement nécessaire pour protéger la santé et la sécurité ou pour garantir le bon fonctionnement du service ; |
c) superviser l'exécution du travail ou vérifier la qualité des résultats du travail, notamment par voie électronique; |
c) superviser étroitement l'exécution du travail ou vérifier minutieusement la qualité des résultats du travail, notamment par voie électronique, au-delà de ce qui est requis par la loi ou de ce qui est nécessaire pour protéger la santé et la sécurité des destinataires du service ou pour garantir le bon fonctionnement du service; |
c) superviser l'exécution du travail, notamment par voie électronique, au-delà de ce qui est requis par la loi ou de ce qui est raisonnablement nécessaire pour protéger la santé et la sécurité ou pour garantir le bon fonctionnement du service; |
d) limiter effectivement, notamment au moyen de sanctions, la liberté de la personne exécutant un travail via une plateforme d'organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence, d'accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants; |
d) limiter de facto, notamment au moyen de sanctions, la liberté de la personne exécutant un travail via une plateforme d'organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence, d'accepter ou de refuser des tâches, notamment celles proposées par d'autres plateformes numériques, ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants; |
d) limiter de facto, notamment au moyen de sanctions, la liberté de la personne exécutant un travail via une plateforme d'organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence, d'accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants; |
e) limiter effectivement la possibilité de la personne exécutant un travail via une plateforme de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers. |
e) limiter de facto la possibilité de la personne exécutant un travail via une plateforme de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers. |
e) limiter de facto la possibilité de la personne exécutant un travail via une plateforme de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers. |
Pour mémoire, les amendements, portés par Mme Gualmini, rapporteur socialiste du texte, visent à transférer une liste élargie de critères dans un considérant.
Comme indiqué précédemment, des négociations sont en cours au Parlement européen. Toutefois, selon les informations communiquées aux rapporteurs, il ne semble pas, qu'à ce stade, les amendements ci-dessous soient susceptibles d'être repris dans le texte de compromis du Parlement européen.
(4) Clarifier la marge de manoeuvre laissée aux États membres dans l'application du mécanisme de présomption ?
Par ailleurs, à des fins de clarification, il pourrait être intéressant d'ajouter un article dans le texte de la directive afin de faire apparaître plus clairement la marge de manoeuvre laissée aux autorités compétentes pour ne pas appliquer la présomption.
La Commission européenne avait en effet indiqué, lors des groupes de questions sociales avec les États membres, que ceux-ci disposaient d'une marge pour ne pas appliquer la présomption de salariat dans les cas où la relation contractuelle ne relevait manifestement pas du salariat selon les critères nationaux.
Cette clarification a été faite dans le texte de compromis de la PFUE, par l'ajout d'un paragraphe à l'article 4.3 de la directive. Toutefois, un certain nombre d'États membres et la Commission ont estimé que le texte de compromis affaiblissait la présomption proposée par la Commission et augmentait considérablement la marge de manoeuvre des États membres. Lors d'une réunion précédente, la Commission s'était montrée ouverte à une clarification possible, mais plutôt via un considérant (à la fin du considérant 24 par exemple).
Le texte de compromis de la présidence tchèque va plus loin sur cette question, puisqu'il insère un nouvel article 4.a, point 3 qui prévoit que « par dérogation au paragraphe 1, les autorités administratives nationales compétentes qui vérifient le respect ou l'application de la législation pertinente ont la possibilité de ne pas appliquer la présomption s'il est clair que la présomption serait réfutée avec succès conformément au paragraphe 2. Cette dérogation ne s'applique pas aux procédures dans lesquelles une personne effectuant un travail sur une plate-forme demande une détermination correcte de son statut professionnel. »
2. Exclure de l'application de la présomption légale les travailleurs exerçant une activité marginale via des plateformes ne semble pas une piste à suivre
Une des idées pour encadrer l'application de la présomption légale, serait d'exclure les travailleurs exerçant une activité marginale via des plateformes. Pour la Commission européenne, cela ne serait pas souhaitable, le secteur des plateformes se distinguant par une durée du travail plus réduite qui rend complexe l'établissement d'une définition et d'un seuil commun qui déterminerait valablement le caractère marginal de l'activité dans tous les États membres. La Commission a également souligné le risque de créer une incitation pour les plateformes à limiter le temps de travail dans l'objectif de contourner la présomption.
3. Revenir sur le principe d'effet suspensif des procédures visant à renverser la présomption ? (article 5)
La proposition de directive précise que la présomption de salariat doit pouvoir être renversée devant les juridictions, à charge pour les plateformes d'apporter la preuve de l'absence de lien de subordination dans la relation avec le travailleur. Cette procédure n'aurait pas d'effet suspensif sur l'application de la présomption de salariat.
Cette disposition fait débat, et deux approches s'affrontent là aussi sur ce sujet :
- certains acteurs, comme les plateformes, ou certains États, comme la France, estiment que cette absence d'effet suspensif peut conduire les acteurs économiques à devoir bouleverser leur modèle économique plusieurs fois en peu de temps, ce qui mettrait les travailleurs en difficulté. En France, en droit de la sécurité sociale, le recours devant le tribunal aux affaires sociales ou la Cour d'appel a un effet suspensif. Ainsi, l'URSSAF ne peut pas réclamer le recouvrement des sommes dues par le présumé employeur durant la procédure. En application de la directive, la plateforme concernée pourrait avoir à verser les cotisations sociales et le travailleur pourrait bénéficier des prestations correspondantes durant la procédure. En cas de renversement de la présomption de salariat à l'issue de celle-ci, de nombreux États membres se sont interrogés sur l'impact pour le travailleur concerné qui devrait rembourser l'ensemble des prestations perçues, ce qui pourrait représenter des montants non négligeables. La France considère que cette question du caractère suspensif ou non des recours devrait être laissée à la discrétion des États membres, au titre de l'autonomie procédurale dont ils jouissent.
- les partisans de l'absence de l'effet suspensif comme la Commission estiment qu'un effet suspensif risquerait d'affecter l'effectivité de la présomption.
Les États membres partagés sur cette question
Durant les derniers groupes de questions sociales, la Belgique, la Bulgarie, l'Espagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal se sont exprimés en faveur de l'absence d'effet suspensif d'un recours contre une décision appliquant la présomption légale.
L'Autriche, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte et la Suède ont estimé que cette question devait être laissée à la main des États membres, notamment afin d'éviter des inégalités de traitement entre les travailleurs concernés par la directive et ceux qui ne le sont pas. L'Allemagne et la Bulgarie se sont également montrées a priori plutôt favorables à un effet suspensif.
* 37 Jean-Yves FROUIN, Réguler les plateformes numériques de travail, rapport remis au Premier ministre le 1er décembre 2020