B. LES RÉSEAUX SOCIAUX ET PLATEFORMES, DES DIFFUSEURS QUI FERMENT LES YEUX SUR LEURS RESPONSABILITÉS

Outre ces nouveaux diffuseurs de masse que sont devenus les tubes , la pornographie a également trouvé de nouveaux débouchés numériques, que ce soit les réseaux sociaux ou les plateformes alternatives, dites « personnelles », qui proposent du contenu pornographique payant et « exclusif ».

1. Les nouvelles plateformes numériques de partage de contenus personnels : « la pornographie à l'heure des circuits courts »
a) Le succès grandissant d'OnlyFans, « l'Instagram du porno »

Lors de son audition, le 20 janvier 2022, Céline Piques, porte-parole d' Osez le féminisme ! a indiqué aux membres de la délégation :

« Nous avons parlé des plateformes mainstream telles que Pornhub, Dorcel, xVideos ou Jacquie et Michel , mais tout un pan de la pornographie et de la prostitution se développe aujourd'hui sur des plateformes alternatives . J'appelle cela le proxénétisme 2.0. Je pense notamment à OnlyFans et Mym , qui fonctionnent comme Instagram , mais qui sont payantes. À l'origine, les consommateurs payaient pour accéder à des comptes de célébrités publiant des contenus exclusifs. Aujourd'hui, l'essentiel des revenus d' OnlyFans , qui prélève 20 % de ceux générés par les comptes, provient de contenus à caractère sexuel. Ces vidéos font littéralement de la publicité pour la prostitution et la pornographie. Elles incitent les jeunes filles, parfois mineures, à ouvrir un compte sur OnlyFans . Vous commencez à faire de la cam , ou des vidéos à caractère sexuel, sur OnlyFans . Les proxénètes et clients prostitueurs y recrutent ensuite des mineures ou des jeunes femmes. Un débat a porté sur le fait qu' OnlyFans devait bannir les contenus sexuels. Ils ont failli le faire en octobre dernier, mais ont fait machine arrière en se rendant compte que leur business model allait s'effondrer s'ils le faisaient . »

Le modèle économique de ces nouvelles plateformes numériques permettant le partage de contenus pornographiques est très différent de celui des tubes : les personnes qui détiennent un compte sur ces plateformes peuvent mettre en ligne leurs propres vidéos à caractère sexuel, souvent filmées avec un simple smartphone, et les vendent directement aux consommateurs, soit à l'unité soit via un système d'abonnement. La plateforme qui héberge ces contenus prélève une commission estimée entre 20 et 50 % des revenus générés par leur diffusion.

Ainsi, la plateforme propose le plus souvent à ses utilisateurs de s'abonner à des profils de « personnalités » afin de leur donner accès à des contenus exclusifs, pour un tarif pouvant varier de 4,99 à 49,99 dollars par mois en moyenne. Les producteurs de contenus invitent généralement leurs abonnés à les rejoindre sur cette plateforme depuis d'autres sites ou réseaux sociaux tels que Twitter ou Instagram .

Dans un article daté du 22 mai 2020, publié sur le site capital.fr , intitulé : « Pornhub, XVideos... les secrets des GAFA du sexe », le journaliste Jacky Goldberg indique au sujet de ces nouvelles plateformes de partage de contenus personnalisés : « le marché de ces sites, surnommés clipsites ou fansites , est estimé pour l'instant à 0,5 milliard de dollars, mais il ne cesse de croître. (...) les candidates sont chaque jour plus nombreuses. Il y a dans le monde entre 500 000 et un million de femmes qui vivent de ce business, calcule le PDG de l'hébergeur MojoHost , Brad Mitchell. C'est colossal ” ». Le journaliste poursuit en précisant qu'une des utilisatrices de la plateforme OnlyFans lui a révélé que son seul compte sur cette plateforme lui avait rapporté, en 2019, 150 000 dollars une fois retranchés les 20 % de commission et que, pour toucher une telle somme dans le circuit classique de la pornographie, il lui aurait fallu tourner 100 scènes à son tarif habituel de 1 500 dollars.

Lors de la table ronde organisée par la délégation avec des actrices, réalisatrices et productrices de films pornographiques, le 9 mars 2022, Carmina, actrice et réalisatrice de « films pornographiques alternatifs », a déclaré au sujet de ces nouvelles plateformes de partage de contenus : « en monétisant des contenus de manière indépendante, les plateformes comme OnlyFans ou même certains tubes permettent à qui le souhaite de se lancer facilement. On assiste à une diversification des contenus et des manières de filmer . »

De même, lors de la table ronde du 3 février 2022 autour de chercheurs et de juristes sur la production de contenus pornographiques, Béatrice Damian-Gaillard, docteur HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université Rennes 1, chercheuse à Arènes (laboratoire CNRS), a précisé devant la délégation que « les acteurs et actrices comptent de plus en plus sur les revenus qu'ils tirent, non plus des contrats avec les studios, mais des rémunérations qu'ils ou elles reçoivent sur leurs comptes personnels depuis des plateformes telles qu' OnlyFans . Les montages juridiques et économiques des structures vont donc aujourd'hui d'acteurs qui sont autoentrepreneurs à des groupes multinationaux . »

Fondée au Royaume-Uni en 2016, la plateforme de partage de contenus OnlyFans , qui visait à l'origine des fans de musique en leur proposant de suivre au plus près leurs artistes préférés, a commencé à attirer les producteurs de contenus à caractère sexuel après son rachat en 2018 par le propriétaire du site de streaming vidéo pour adultes MyFreeCams . Aujourd'hui, la plateforme affirme verser annuellement plus de 5 milliards de dollars à ses 1,5 million à 2 millions de créateurs de contenus dans le monde. Cette plateforme a vu sa fréquentation augmenter de 75 % en 2020, bénéficiant notamment de la crise sanitaire et des confinements successifs à travers le monde. Son audience serait aujourd'hui proche des 200 millions de visiteurs mensuels .

En outre, selon des projections publiées en mars 2021 par la société détentrice de la plateforme, OnlyFans projetait de passer d'un volume de transactions de 2,2 milliards de dollars en 2020 à près de 6 milliards de dollars en 2021 et 12,5 milliards de dollars en 2022, son chiffre d'affaires devant également être multiplié par cinq pour atteindre 2,5 milliards de dollars en 2022.

Source : statista.com 6 ( * )

Le 19 août 2021, OnlyFans avait pourtant annoncé son intention d'interdire, à compter du mois d'octobre 2021, « la publication de tout contenu sexuellement explicite », notamment les vidéos pornographiques payantes, alors même que ce site est connu et prisé pour le large catalogue d'images et de vidéos pornographiques qu'il propose, accessible sur abonnement principalement. Lors de cette annonce, la plateforme avait notamment indiqué que ces changements étaient nécessaires pour se conformer aux requêtes de leurs partenaires financiers et des services de paiement en ligne. Revenant sur cette décision une semaine plus tard, le 25 août 2021, la plateforme OnlyFans a finalement annoncé renoncer à son projet d'interdiction des contenus pornographiques ou sexuellement explicites.

Ce revirement s'explique sans doute par la véritable manne financière que représente, pour la plateforme, le partage de contenus pornographiques exclusifs par ses créateurs de contenus avec des utilisateurs de plus en plus nombreux à payer des abonnements pour accéder à ces contenus personnalisés.

b) La multiplication et la concurrence d'autres plateformes de monétisation de contenus pornographiques sur Internet

D'autres plateformes de partage de contenus personnels, pour la plupart à caractère sexuel, et proposant un service similaire à celui d' OnlyFans , ont récemment vu le jour dans la lignée du site aujourd'hui surnommé « l'Instagram du porno ».

Ainsi, des sites construits sur le modèle d' OnlyFans , avec un fonctionnement similaire basé sur un système d'abonnement pour un accès à du contenu exclusif, se multiplient, attirés par les revenus exponentiels générés par ce type d'activités.

C'est le cas par exemple du site français MYM , autre plateforme personnelle proposant également du contenu exclusif à caractère sexuel. Créée en 2019, elle a vu son nombre d'utilisateurs plus que doubler en 2020 et en recense à ce jour près de 9 millions, d'après des données publiées par le journal Le Monde 7 ( * ) au mois de septembre 2022. Des sites analogues tels que MyFreeCams , AVN Stars , Just For Fans , Unlocked ou encore Top4Fans , plateforme française, ont été créés pour rivaliser avec OnlyFans qui continue toutefois à dominer le marché de la monétisation de contenus pornographiques sur Internet.

Si ces sites exigent d'avoir plus de 18 ans pour être en mesure d'ouvrir un compte et de partager du contenu, il n'est pas rare que des mineurs parviennent à ouvrir un compte et à créer du contenu à caractère pornographique en utilisant une fausse identité ou en usurpant l'identité d'autrui, comme l'a révélé une enquête britannique de la BBC 8 ( * ) , publiée le 27 mai 2021, intitulée : The children selling explicit videos on OnlyFans .

La multiplication de ces plateformes pose donc question en matière de protection des mineurs et de lutte contre la prostitution virtuelle des mineurs .

2. Les réseaux sociaux et messageries privées, nouveaux vecteurs numériques de la pornographie

Outre l'apparition récente de ces plateformes de partage et de monétisation de contenus à caractère sexuel, les réseaux sociaux sont également devenus un vecteur grandissant de diffusion numérique de la pornographie. C'est le cas notamment de médias sociaux tels que Twitter ou Instagram . S'agissant des messageries privées, les échanges et téléchargements de contenus pornographiques via WhatsApp ou Snapchat sont également de plus en plus fréquents, surtout au sein du public adolescent.

Ainsi, une récente étude allemande 9 ( * ) , publiée au mois d'avril 2022, sur les habitudes des adolescents français concernant la pornographie en ligne a révélé les résultats d'un sondage Ifop réalisé en avril 2021, auprès de 1 000 jeunes, âgés de 15 à 17 ans, selon lesquels :

- 30 % d'entre eux ont été exposés à du contenu sexuel explicite via des vidéos ou images pornographiques, directement sur les réseaux sociaux ( Instagram , Twitter ou Reddit ), sans passer par des sites pornographiques ;

- 24 % d'entre eux déclarent avoir été exposés à ce type de contenus en le recevant ou le téléchargeant via des messageries privées , telles que WhatsApp ou Snapchat ;

- 17,6 % d'entre eux ont visionné ce type de contenus sur YouTube ;

- 29,5 % d'entre eux déclarent également accéder à ce type de contenus via des moteurs de recherche sur Internet tels que Google .

Ainsi que le déclarait devant la délégation, lors d'une table ronde organisée le 9 mars 2022, l'actrice, réalisatrice et productrice de films pornographiques Nikita Bellucci : « il n'est pas rare de trouver du contenu pornographique non flouté sur Twitter , même après plusieurs signalements. Twitter ne propose aucun dispositif pour réguler ces contenus, pas plus que Google , puisqu'il suffit de taper un mot clé à caractère sexuel dans la barre de recherche “ images ” pour découvrir des milliers de contenus pornographiques sans même avoir ouvert la moindre page d'un site porno . »

Les contenus pornographiques ou du moins en faisant la promotion ne sont également pas rares sur Instagram . Il convient néanmoins de noter qu'en septembre 2022 ce réseau social a décidé de supprimer le compte de Pornhub .

*

L'arrivée des tubes , véritables robinets à images pornographiques, a donc profondément bouleversé le secteur économique de la pornographie qui reposait auparavant essentiellement sur une consommation payante, à l'accès relativement encadré et règlementé, de contenus vidéos produits de manière « classique » par des entreprises fonctionnant sur le modèle de grandes productions cinéma.

Le besoin massif de nouveaux contenus pour alimenter ces plateformes a notamment constitué le point de départ de pratiques favorisant les violences sexistes et sexuelles envers les femmes, leur exploitation sexuelle ainsi que la production de contenus de plus en plus « trash » et violents pour alimenter les intérêts économiques de cette véritable industrie du sexe .


* 6 « OnlyFans ne pouvait pas renoncer à sa poule aux oeufs d'or », article de Tristan Gaudiaut, 26 août 2021.

* 7 OnlyFans, Mym... Ces réseaux sociaux où des jeunes font commerce de leur vie sexuelle , article de Margherita Nasi, publié le 23 septembre 2022 sur le site du Monde .

* 8 The children selling explicit videos on OnlyFans , article de Noel Titheradge et Rianna Croxford, publié le 27 mai 2021 sur le site de BBC News .

* 9 Lessons from France on the regulation of Internet pornography : How displacement effects, circumvention, and legislative scope may limit the ef?cacy of Article 23 , article de Neil Thurman, Asmik Nalmpatian et Fabian Obster, publié le 5 avril 2022.

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