N°882
SÉNAT
2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 septembre 2022
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires
économiques (1) et de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du Règlement
et
d'administration générale (2) par la mission conjointe de
contrôle sur la
sécurisation
de la
chasse
,
Par Mme Maryse CARRÈRE,
Présidente
M. Patrick CHAIZE,
Rapporteur
Sénatrice et Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .
(2) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
L'ESSENTIEL
Suite à la pétition du collectif « Un jour, un chasseur » qui a recueilli plus de 120 000 signatures en novembre 2021, le Sénat a créé une mission de contrôle commune aux commissions des affaires économiques et des lois. Après avoir rencontré plus de 170 personnes pendant près de 48 heures d'auditions, majoritairement diffusées sur internet, et cinq déplacements sur le terrain pour étudier toutes les demandes de la pétition, la mission salue la forte baisse des accidents depuis 20 ans. Elle formule toutefois 30 propositions pour progresser encore et répondre aux attentes des non-chasseurs et des chasseurs, car la sécurité est un enjeu pour l'avenir de la chasse.
I. ACCIDENTS ET SÉCURITÉ À LA CHASSE, OÙ EN EST-ON ?
La chasse : 4 % des accidents
|
d'accidents de chasse en 20 ans |
de morts à la chasse en 20 ans |
• Des accidents en forte baisse et marginaux dans l'accidentologie en France
Selon les dernières données de l'Office français de la biodiversité (OFB), depuis vingt ans, le nombre d'accidents de chasse a baissé de 46 % et le nombre de morts de 74 %. Dans le même temps, le nombre des chasseurs ne diminuait que de 29 % et le nombre de grands gibiers tués augmentait de 75 %. 55 % des accidents ont d'ailleurs lieu à l'occasion d'une battue au grand gibier (sanglier, chevreuil ou cerf).
Selon le dernier rapport de l'Institut national de veille sanitaire (INVS) de janvier 2020 , la chasse représente 4 % des accidents traumatiques liés au sport, dix fois moins que les sports de montagne. Sur la route, les collisions avec les animaux sauvages causent plus de victimes que la chasse. La part des accidents liés à l'alcool est également plus faible à la chasse (9%) que sur la route (13 à 28 % selon les circonstances). Néanmoins, chaque accident est un accident de trop et les accidents de chasse ont deux spécificités : l'utilisation d'armes à feu et le fait que 12 % des victimes soient des non-chasseurs.
Cependant, plus des deux tiers des accidents résultent de fautes graves enfreignant les règles élémentaires de sécurité . S'y ajoute une centaine d'incidents par an, c'est-à-dire des tirs sur des véhicules ou des maisons, qui auraient pu avoir des conséquences dramatiques , et des tirs sur des animaux domestiques ou d'élevage.
• Des poursuites judiciaires systématiques
Selon les ministères de l'intérieur et de la justice, les accidents de chasse font l'objet de poursuites systématiques. Ils sont réprimés comme des homicides ou blessures involontaires. Le taux de réponse pénale est de 90 à 95 % . Aucun élément ne vient accréditer un phénomène de refus de plainte , le dépôt de plainte étant d'ailleurs possible dans n'importe quelle brigade ou commissariat, directement auprès du procureur ou en ligne (pré-plainte).
• Une indemnisation intégrale et sans plafond des victimes
En matière de chasse, l'assurance est légalement obligatoire et systématiquement vérifiée . L'indemnisation des victimes s'effectue sur la base d'une réparation intégrale sans limitation de montant. La responsabilité du tireur est présumée . S'il ne peut être identifié, le Fonds de garantie des assurances obligatoires prend en charge la victime.
• Armes et sécurité : une législation déjà renforcée
Depuis 2014, l'examen pratique du permis de chasser est axé sur la sécurité . Toute faute est éliminatoire. Environ 30 % des candidats échouent. Depuis 2019, la loi a imposé des règles de sécurité pour la chasse en battue (gilet fluorescent, panneaux d'information), rendu obligatoire une formation décennale sur la sécurité, renforcé les pouvoirs de l'OFB et créé un fichier national du permis de chasser.
Ce fichier national sera mis en relation avec deux autres dédiés au contrôle des armes. Le premier, créé en 2011, est le Fichier national automatisé nominatif des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes (Finiada), le second, le Système d'information sur les armes (SIA), est en cours de déploiement. L'ensemble vise à assurer un suivi complet des armes et de leurs détenteurs et une effectivité des interdictions d'acquisition et de détention d'armes.
II. LA SÉCURITÉ, UNE QUESTION DE CRÉDIBILITÉ ET DE CONFIANCE
Malgré ces résultats, les chasseurs doivent encore progresser. C'est une question de crédibilité et de confiance vis-à-vis des non-chasseurs mais c'est aussi une attente des chasseurs eux-mêmes qui sont neuf fois sur dix les victimes des accidents . Bien entendu, le risque zéro n'existe pas, mais cela ne doit pas empêcher d'adopter le zéro accident comme objectif . La sécurité doit faire partie de la culture des chasseurs.
A. LA SÉCURITÉ AVANT LA CHASSE
• Formation
Pour la mission, il convient tout d'abord d'améliorer la formation des chasseurs . Concernant le permis de chasser , l'examen devrait mieux prendre en compte la croissance de la chasse au grand gibier et la diffusion des armes semi-automatiques et intégrer une épreuve vérifiant l'habileté au tir . La mission propose ensuite de développer le tutorat des jeunes permis , mineurs ou non, pour faciliter la transmission des règles. Les chasseurs devraient être en capacité de réaliser les gestes de premiers secours et de disposer des moyens adéquats. La mission formule trois autres propositions : généraliser la formation des organisateurs de battue qui est déjà obligatoire dans la plupart des fédérations ; il s'agit ensuite de compléter la formation décennale sur la sécurité par un volet pratique pour s'assurer de l'assimilation de la partie théorique ; enfin, les gestes dangereux pourraient entraîner une obligation de formation.
• Aptitude médicale et alcool
La mission estime ensuite qu'il convient de s'assurer de manière plus approfondie de l'aptitude des chasseurs à détenir une arme et à s'en servir dans la nature . À cet égard, elle propose d'aligner la chasse sur les sports se pratiquant avec une arme (tir sportif, ball-trap et ski-biathlon) et d'exiger donc un certificat médical annuel . Depuis 2005, un seul certificat est demandé au moment du passage du permis. Il est également nécessaire d'interdire la chasse en état d'ébriété ou après la prise de stupéfiants . De nombreux chasseurs ne veulent plus être stigmatisés en raison de l'attitude d'une petite minorité.
• Audit de sécurité des territoires
Certains voudraient instaurer des distances de sécurité autour des habitations ou des routes mais elles conduiraient, compte tenu de la portée des armes, à interdire la chasse dans une grande partie de la France et poseraient des problèmes de régulation en créant des zones refuge. Les accidents résultent de tirs mal maîtrisés et d'une prise en compte insuffisante de l'environnement. Il convient donc d'agir en amont et de mener des audits de sécurité des territoires pour mieux déterminer quand, où et comment chasser. L'ONF et plusieurs fédérations ou associations de chasseurs se sont déjà engagées dans cette démarche de longue haleine qu'il convient d'amplifier.
B. LA SÉCURITÉ PENDANT LA CHASSE
• Renforcer les règles et dispositifs de sécurité
Aujourd'hui, la plupart des règles de sécurité figure dans les Schémas départementaux de gestion cynégétiques (SDGC) élaborés par les fédérations des chasseurs. Ils ne sont pas homogènes et certaines règles fondamentales n'y figurent pas ou sous forme de recommandations ce qui empêche l'OFB de sanctionner leur non-respect voire entraîne l'annulation d'une sanction. Une harmonisation, au besoin par la loi, est nécessaire.
La mission demande également le développement des postes surélevés de tir pour garantir un tir fichant. Elle propose d'ailleurs que le vol, ou le sabotage de tels outils de sécurité soient plus gravement punis . Des méthodes de chasse alternatives à la battue pourraient en outre être popularisées comme la traque-affût.
• Déclaration obligatoire des battues et création d'un délit d'entrave
La loi exige que les battues au grand gibier soient signalées par des panneaux. Mais les autres usagers de la nature en prennent connaissance trop tardivement voire risquent d'être déjà sur place avant que les panneaux ne soient posés. Les élus demandent également à savoir où l'on chasse sur leur commune. Plusieurs expérimentations ont été menées avec succès et incitent la mission à proposer la déclaration préalable et systématique des battues notamment via des applications mobiles .
En contrepartie, les maires pourraient prendre plus souvent des arrêtés d'interdiction des zones de chasse lorsque la sécurité le justifie. D'autre part, pour éviter que ces déclarations ne soient utilisées pour faire obstruction à la chasse, la mission demande la création d'un délit d'entrave , inspiré de ce que le Sénat avait voté en 2019.
• Renforcer la police de la chasse
Pour la mission, cet objectif passe par un rôle renforcé du préfet dans l'élaboration des SDGC et la possibilité de limiter les jours et heures de chasse pour garantir la sécurité des personnes. Cela passe également par le fait de conforter les effectifs et les moyens juridiques de l'OFB mais aussi de renforcer les compétences ou les moyens d'autres acteurs. La mission propose de donner compétence aux policiers municipaux en matière de chasse et de clarifier les prérogatives des agents de développement des fédérations et des gardes particuliers .
La suspension ou le retrait du permis de chasser pourrait être mieux gradués en fonction de la gravité des faits. En cas d'homicide par tir direct, le retrait du permis pourrait être systématique et une interdiction de le repasser pendant dix ans instituée .
III. CHASSEURS OU NON : VIVRE ENSEMBLE LA NATURE
A. PRÔNER LA COHABITATION PLUTÔT QUE LE PARTAGE
Instaurer un ou plusieurs jours sans chasse serait censé assurer la tranquillité des autres usagers et le « partage » de la nature. Mais cette idée de partage a une dimension d'exclusion de certains au profit d'autres à laquelle la plupart des fédérations de sport d'extérieur et de nombreux autres acteurs s'opposent, craignant un « saucissonnage » de la nature et l'exacerbation des conflits dont ils sont déjà les témoins. Les chasseurs soulignent pour leur part qu'ils ne monopolisent pas l'espace, les jours et lieux de chasse étant limités, qu'ils exercent souvent ce loisir sur leur propriété ou contre un loyer et qu'ils doivent réguler le gibier dont ils payent seuls les dégâts.
La mission n'a donc pas retenu une règle nationale uniforme, mais elle est convaincue que localement des demandes doivent être entendues. Elle prône la cohabitation et un cadre de dialogue pour qu'émergent les solutions adaptées. La chasse ne peut se pratiquer dans les mêmes conditions aux abords des métropoles et dans les zones peu peuplées.
B. CRÉER DES OUTILS DE DIALOGUE
• Objectiver et traiter les incidents et conflits d'usage autour de la chasse
Plusieurs associations de défense des non-chasseurs ont réalisé des enquêtes d'opinion faisant ressortir les craintes et les conflits que suscite la chasse. Certaines ont mis en place des plateformes de recueil de témoignages. Mais, souvent, ces démarches ne permettent pas de vérifier les faits et d'alimenter le réseau sécurité à la chasse de l'OFB. C'est pourquoi il est proposé que l'OFB crée une plateforme de recueil des incidents et conflits d'usage pour en avoir une vision globale et objective .
• Des outils et des lieux pour dialoguer
D'ores et déjà, la FNC et des FDC ont signé des chartes dans ce but avec d'autres usagers de la nature. Cela pourrait être amplifié. Ensuite, les FDC pourraient être membres des syndicats mixtes des parcs naturels régionaux (PNR) et des commissions départementales des espaces, sites et itinéraire (CDESI) . Enfin, la mission demande à ce que le ministère des sports intègre les chasseurs au réseau Suricate de signalement des incidents et pollutions dans la nature puisqu'ils sont gestionnaires de sites et jouent déjà le rôle de sentinelles de l'environnement dans d'autres domaines.