II. PRÉVENIR LE RISQUE INCENDIE DE FORÊT ET DE VÉGÉTATION EN MOBILISANT L'ENSEMBLE DES POLITIQUES PUBLIQUES
Il convient tout d'abord de rappeler que l'atteinte de nos objectifs climatiques et le respect de l'Accord de Paris est le levier de prévention le plus transversal et structurant à disposition des pouvoirs publics. En effet, la r éduction significative des émissions mondiales de gaz à effet de serre contribuera de manière évidente à maîtriser la dégradation des conditions météorologiques, facteur structurant dans l'intensification et l'extension du risque incendie en France.
Toutefois, cet aspect, exogène, ne fera l'objet d'aucune recommandation spécifique. En effet, comme l'a indiqué le Commissaire européen à la gestion des risques lors de son audition devant les rapporteurs, sur les quatre principaux facteurs de risque incendie - sécheresse, chaleur, vent et présence de combustible -, les trois premiers sont exogènes à la forêt, le seul des facteurs sur lequel il est possible d'agir directement dans le cadre de la politique de prévention étant la présence de combustible en forêt.
À cette fin, les rapporteurs ont souhaité engager une réflexion transversale , convaincus que le succès que la « guerre contre le feu » ne sera gagnée qu'en activant conjointement de nombreux leviers : urbanisme, aménagement du territoire, gestion forestière et des espaces naturels, aménagement de la forêt, mobilisation du monde agricole, sensibilisation, lutte, reboisement intégrant le risque incendie...
A. ANTICIPER : ÉLABORER UNE STRATÉGIE NATIONALE ET TERRITORIALE PRENANT EN COMPTE L'ÉVOLUTION DU RISQUE INCENDIE ET SON EXTENSION SUR LE TERRITOIRE NATIONAL
1. Établir une stratégie nationale, articulant prévention et sécurité civile, et améliorer la coordination interministérielle
Les politiques publiques de prévention et de lutte contre les incendies de forêt et de végétation se caractérisent par un portage politique et administratif complexe, que les rapporteurs ont pu pleinement éprouver lors des auditions des nombreuses entités publiques en charge de sa conduite.
Au sein de l'État , plusieurs ministères sont en effet compétents : agriculture et souveraineté alimentaire, transition écologique et cohésion des territoires, et intérieur.
Ces politiques publiques mobilisent par ailleurs les établissements publics de l'État compétents , en particulier l'Office national des forêts (ONF), le Centre national de la propriété forestière (CNPF), Météo-France, et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).
À l'échelle territoriale , la cohérence globale des actions menées est en principe assurée par une mise en oeuvre déconcentrée sous l'autorité des préfets , en lien avec les collectivités territoriales compétentes - en particulier les départements en charge des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).
De nombreux progrès attestant de progrès dans le renforcement de la coordination de la politique publique ont été portés à la connaissance des rapporteurs. Toutefois, compte tenu de l'évolution rapide du risque , l'élaboration d'une stratégie nationale et interministérielle de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies semble aujourd'hui inévitable .
L'établissement d'une telle approche permettrait d' acter la dimension nationale du risque, auparavant circonscrit à quelques territoires bien identifiés. Elle constituerait ainsi un des vecteurs d'une indispensable prise de conscience nationale.
Cette stratégie faciliterait en outre la prise en compte appropriée et progressive de l'augmentation du risque dans les territoires aujourd'hui moins exposés, ainsi qu'une meilleure articulation entre lutte et prévention , que la mission de contrôle appelle de ses voeux.
Compte tenu de l'évolution de l'aléa, plusieurs priorités transversales devraient être données à cette pratique interministérielle : consolidation de nos connaissances et de nos prévisions , adaptation de notre doctrine de prévention et de lutte en fonction de l'accroissement du risque, identification et réponse à de potentiels conflits entre les différents volets de la politique publique (par exemple entre les objectifs de préservation de la biodiversité et ceux de prévention du risque incendie), établissement d'une communication nationale harmonisée...
Cette stratégie nationale donnera bien entendu lieu à une application adaptée aux territoires , s'appuyant sur les services déconcentrés de l'État ainsi que les élus locaux .
Pour en assurer l'adaptation et l'évaluation, cette stratégie devrait être dotée de jalons temporels et d'indicateurs de progression .
Enfin, si une telle stratégie était élaborée, elle trouverait une résonance forte avec les objectifs du plan national d'adaptation au changement climatique ( PNACC ) et devrait donc être articulée avec ce dernier.
Axe n° 1 - Recommandation n° 1 : Élaborer une stratégie nationale et interministérielle de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies, articulant prévention et sécurité civile (ministère de l'agriculture et de la soutenabilité alimentaire, ministère de l'intérieur, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires).
Les rapporteurs considèrent que le renforcement de l'effort de coordination interministérielle ne doit pas se limiter à l'administration centrale . L'interministérialité doit se concrétiser, dans chaque territoire, par une mise en cohérence des politiques publiques participant de façon transversale à la prévention du risque incendie , sous l'autorité du préfet de département , qui représente chacun des membres du Gouvernement.
Aussi convient-il tout d'abord de s'assurer que les différentes administrations déconcentrées (DDT, unités territoriales des DREAL, direction de la sécurité civile) et acteurs (unité territoriale de l'ONF, CRPF, SDIS) n'agissent pas en silo. Elles devraient au contraire se concerter davantage et faire remonter, dès qu'une difficulté d'articulation se présente, l'information au niveau du préfet, garant de la cohérence de l'action de l'État dans les territoires.
C'est dans cet esprit de dialogue et de constitution d'une culture commune du risque incendie que la Délégation à la protection de la forêt méditerranéenne (DPFM), a été créée en 1987 (art. 1311-29-1 du code de la défense), et placée auprès du préfet de zone de défense et de sécurité Sud. Cette structure permet de sensibiliser chaque administration aux contraintes des autres politiques publiques . L'échelon zonal permet en outre d' adapter plus facilement la stratégie nationale de prévention à la réalité de chaque territoire , en harmonisant autant que cela se justifie les pratiques d'un département à l'autre, grâce à des retours d'expérience consolidés sur quinze départements de la région méditerranéenne (Corse, région Sud, ex-Languedoc-Roussillon, ainsi que départements de l'Ardèche et de la Drôme).
Dotée de près de 10 millions d'euros sur la mission d'intérêt général DFCI, elle est notamment en charge de la gestion de la base de données Prométhée qui recense les feux de forêt de la région méditerranéenne ; elle coordonne aussi les actions de prévention (équipements DFCI, surveillance, prévision...). Dotée de 4 ETP (2 relevant du ministère de l'agriculture et 2 du ministère de l'intérieur), cette structure souple gagnerait à se voir affecter des agents relevant du ministère de la transition écologique , afin notamment d'appréhender la prévention du risque incendie par le prisme de l'urbanisme.
Sans nécessairement calquer la structure de mission qu'est la DPFM dans d'autres régions, et en préservant la souplesse nécessaire à l'action, il serait intéressant tout au moins de s'inspirer de l'effort d'interministérialité qu'elle incarne dans d'autres zones, par exemple dans la zone Sud-Ouest en synergie avec les organisations existantes (GIP ATGeRi, associations de DFCI) ou, à plus long terme, sur l'ensemble du territoire national.
Axe n° 1 - Recommandation n° 2 : Prévoir que chaque administration participant à la politique de prévention et de lutte contre les feux de forêt ait au moins un référent au sein de la Délégation à la protection de la forêt méditerranéenne (DPFM), afin d'en renforcer l'interministérialité. S'inspirer de cette structure interministérielle dans d'autres zones, en envisageant par exemple la création d'une Délégation à la protection de la forêt aquitaine (DPFA), placée auprès du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest.
La stratégie nationale et interministérielle que les rapporteurs appellent de leurs voeux devrait également être cohérente et complémentaire du programme national de la forêt et du bois ( PNFB ).
Le risque incendie devrait également être mieux intégré au PNFB à l'occasion de sa prochaine révision en 2026. Cette dimension devrait alors être déclinée de façon adaptée dans chaque Programme régional de la forêt et du bois ( PRFB ) en fonction des enjeux.
Axe n° 1 - Recommandation n° 3 : Intégrer de façon plus cohérente le risque incendie à l'occasion de la prochaine révision du Programme national de la forêt et du bois (PNFB) en 2026, et décliner cette dimension de façon adaptée à chaque territoire dans les Programmes régionaux de la forêt et du bois (PRFB).
Le succès de cette stratégie dépendra grandement des moyens alloués à la prévention et à la lutte contre le risque incendie.
Au regard de l'intensification et de l'extension du risque, de l'ampleur des coûts évités par les politiques de prévention et de lutte (« valeur du sauvé ») et de la multiplication du nombre d'événements en cet été 2022, l'augmentation significative des moyens semble non seulement inévitable, mais urgente : il en va, en définitive, de la capacité de notre pays à éviter l'embrasement.
Un effort transversal, activant conjointement de nombreux leviers, sera indispensable : lutte et prévention devront ainsi être soutenues parallèlement, à la hauteur du risque .
Les rapporteurs sont néanmoins convaincus de la nécessité d'un accroissement tout particulier des moyens consacrés à la prévention : aménagement du territoire et de la forêt, valorisation de cette dernière, gestion durable par le développement d'une sylviculture adaptée au risque, mobilisation du monde agricole, sensibilisation... C'est bien sur ce volet préventif, « parent pauvre » de notre politique de guerre contre le feu, que notre pays dispose aujourd'hui des plus grandes de marges d'amélioration .
Les montants consacrés à la prévention et à la lutte contre les feux de forêt ne sont à ce jour pas identifiés clairement : le rapport « Chatry » de 2010 31 ( * ) estimait en 2008 à environ 540 millions d'euros ces dépenses, essentiellement publiques (UE, État, collectivités territoriales) mais aussi privées (propriétaires), dont environ 170 millions d'euros pour la prévention (soit environ un tiers), tout en précisant les difficultés méthodologiques que ce calcul pose - de nombreux personnels réalisant au quotidien autant des tâches de prévention que de lutte.
Les services déconcentrés et l'ensemble des autres acteurs intervenant localement au titre de la DFCI devront en particulier être dotés de moyens humains largement accrus pour engager de manière efficace ces actions préventives, absolument essentielles à la maîtrise du risque incendie.
L'État, au nom de la solidarité nationale, devra assumer une large part de cet effort accru .
Axe n° 1 - Recommandation n° 4 : Accroître significativement les moyens alloués à la prévention et à la lutte contre le risque incendie, en doublant en particulier les moyens consacrés à la prévention (aménagement des pistes de défense des forêts contre l'incendie, surveillance de la forêt, communication, contrôle des obligations légales de débroussaillement...).
Pour assurer le suivi exhaustif des moyens de lutte et de prévention mobilisés par le budget général - dispersés entre différents missions et programmes - un « document de politique transversale » (ou « orange budgétaire ») devrait être élaboré. En permettant de compiler l'ensemble de ces dépenses et de les mettre en regard , ce document pourrait constituer un élément clef de la stratégie nationale et interministérielle de prévention et de lutte contre les incendies de forêt et de végétation proposée par ce rapport.
Axe n° 1 - Recommandation n° 5 : Assurer le suivi exhaustif des moyens de prévention et de lutte de l'État à travers un « document de politique transversale » (ou « orange budgétaire ») permettant de les mettre en regard.
2. Appuyer cette stratégie sur une amélioration des connaissances
Le succès de cette stratégie nationale et interministérielle repose sur une amélioration des connaissances et des données afférentes aux feux de forêt et de végétation.
En premier lieu, une meilleure remontée des données dans la base de données sur les incendies de forêts en France (BDIFF) devrait être assurée, par une harmonisation des méthodologies et des règles d'enrichissement de la base sur l'ensemble du territoire. En particulier, les remontées d'information par le groupement d'intérêt public ATGeRi en Aquitaine ne sont pas aussi fréquentes que les remontées effectuées dans le cadre de la base Prométhée en région méditerranéenne.
En particulier, les feux hors saison et les feux de végétation ne sont pas systématiquement renseignés dans la BDIFF : cette situation ne peut pas perdurer, compte tenu du poids croissant des incendies de surfaces non boisées et en dehors des périodes estivales.
Axe n° 1 - Recommandation n° 6 : Améliorer la remontée des données dans la base de données sur les incendies de forêts en France.
Les nombreux coûts associés aux incendies , de diverses natures (cf. supra) , mériteraient d'être quantifiés et agrégés pour identifier de manière exhaustive les dégâts environnementaux et économiques des feux . Évaluer l'ensemble des dégâts causés par les feux, c'est en réalité estimer le coût de ce qui peut être sauvé par les politiques de lutte et de prévention : plusieurs acteurs auditionnés se réfèrent à ce titre à la notion de « coût du sauvé ».
Cet effort de synthèse demeure pourtant incomplet.
Dans son rapport flash consacré à la prévention des incendies de forêt et de végétation, la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale regrettait ainsi « l'absence de tentative officielle de chiffrage complet du coût des incendies 32 ( * ) », alors que leurs conséquences, environnementales et économiques, sont théoriquement connues.
Cette observation n'est pourtant pas nouvelle : en 2009 déjà, dans son rapport public annuel, la Cour des comptes 33 ( * ) estimait que « le recensement, l'identification et l'estimation des coûts induits par les incendies de forêt présentent d'importantes lacunes. L'évaluation des coûts écologiques des feux de forêt reste inexistante ».
Les rapporteurs notent toutefois que des initiatives ponctuelles ont depuis été engagées pour mieux estimer ce coût.
En mars 2021 , une étude évaluait par exemple à 7,3 millions d'euros la valeur moyenne sauvée par incendie de forêt par l'intervention des pompiers dans les Bouches-du-Rhône 34 ( * ) , soit 1,4 milliard d'euros pour 202 feux.
De plus, une évaluation nationale et exhaustive du « coût du sauvé » - compilant l'ensemble des valeurs de la forêt, économiques et environnementales - mériterait d'être engagée, en dépit des complexités inhérentes à l'établissement d'une telle méthodologie. Cette évaluation permettrait une comparaison avec les montants déployés en matière de lutte et de prévention et inciterait au développement d'une politique de défense contre les incendies plus ambitieuse, particulièrement dans les territoires où la forêt n'est pas ou peu valorisée économiquement.
Dans ce cadre, l'impact sanitaire des feux de forêt en matière de qualité de l'air devrait tout particulièrement être mieux étudié, la connaissance de ces impacts étant encore trop limitée, comme l'a notamment rappelé le récent rapport du groupe II du GIEC.
Axe n° 1 - Recommandation n° 7 : Mieux évaluer la « valeur du sauvé » pour contribuer à l'évaluation optimale des moyens alloués à la prévention et à la lutte contre l'incendie. S'appuyer sur une évaluation exhaustive des services rendus par la forêt (en matière environnementale, économique et sociale) et des coûts liés aux destructions des incendies. En particulier, mieux évaluer l'impact sanitaire des feux de forêt en matière de qualité de l'air.
Le suivi de la stratégie nationale devrait également s'articuler avec la Stratégie nationale bas carbone ( SNBC ), feuille de route française de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
À ce jour, les émissions provoquées par les feux, ramenées à l'ensemble des émissions nationales s'avèrent modestes (environ un millième du total).
Toutefois, la répétition des incendies sur de courtes périodes pourrait entraîner une régression des peuplements forestiers dans les régions les plus exposées, limitant plus durablement les capacités d'absorption du carbone par la biomasse.
Par ailleurs, les incendies provoquent d'ores et déjà des relargages massifs de gaz à effet de serre dans les pays sévèrement touchés : c'est par exemple le cas de l'Australie, où les feux extrêmes de 2019-2020 ont émis en quatre mois et demi la quantité moyenne annuelle de gaz à effet de serre du pays.
Si la situation de pays tels que l'Australie n'est en rien comparable à celle de la France, elle invite, par anticipation, à mieux identifier les émissions associées aux incendies de forêt ainsi que les pertes de capacité d'absorption des forêts au sein du secteur dédié dans la SNBC, celui de l'Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie ( UTCATF ).
À cette fin, les méthodologies de calcul des émissions de gaz à effet de serre et des pertes capacités d'absorption devront être clarifiées et harmonisées sur l'ensemble du territoire et rendues transparentes.
De surcroît, les émissions de gaz à effet de serre associées aux incendies et les pertes de capacités d'absorption des forêts devraient être intégrées dans les plans climat air énergie territoriaux (PCAET), documents intercommunaux de planification climatique et énergétique.
Axe n° 1 - Recommandation n° 8 : Au titre de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), identifier au sein du secteur de l'Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie (UTCATF) les émissions de gaz à effet de serre associées aux incendies de forêt et les pertes de capacités d'absorption associées. Intégrer ces émissions et pertes de capacités d'absorption dans les plans climat air énergie territoriaux (PCAET).
Comme l'a souligné le chercheur de l'INRAE François Pimont lors de la table ronde des deux commissions réunies, « les connaissances ne sont pas si nombreuses » en ce qui concerne le choix des essences et les modes de sylviculture conciliant adaptation au changement climatique, résistance aux risques biotiques et abiotiques (dont les incendies) et valorisation de bois pour approvisionner la filière et décarboner nos usages.
Une forme de fatalisme selon lequel, quoi qu'il en soit, le bois brûle, et l'enjeu économique relativement limité pour la filière bois jusqu'à présent (cf. supra ), n'ont vraisemblablement pas aidé à mener des investigations sur le sujet comme il l'aurait mérité pour améliorer les connaissances en la matière. Or, les paramètres à prendre en compte sont nombreux et parfois contradictoires, les forêts étant des écosystèmes particulièrement complexes .
Avec la temporalité longue de la forêt, les décisions d'aujourd'hui devraient déjà tenir compte de l'évolution prévisible des stations forestières à horizon 2050 et au-delà. Dans ce contexte, la recherche appliquée et le transfert de connaissances vers les gestionnaires forestiers se jouent dès maintenant. Les propriétaires et gestionnaires ont besoin d'être guidés dans leurs décisions, dans une optique de sage gestion économique.
En complément de l'INRAE, davantage chargé de la recherche fondamentale, les deux établissements publics compétents en matière de forêt privée (CNPF) et publique (ONF) disposent chacun de leur propre cellule de recherche et développement), avec :
• le département Recherche, développement et innovation (RDI) de l'ONF ;
• l'Institut pour le développement forestier (IDF) du CNPF.
Ces deux organismes de recherche appliquée collaborent de longue date ensemble, par exemple via le réseau du département santé des forêts (DSF, rattachée au MASA) , ses correspondants-observateurs étant souvent des forestiers d'unités territoriales de l'ONF ou des CRPF. Cette collaboration pourrait être renforcée dans d'autres cadres, par exemple pour appréhender la montée du risque incendie de façon globale pour la forêt française (forêt publique et privée, amont et aval) et, en lien avec les instituts techniques, ses conséquences pour la filière bois.
Des outils de diagnostic et d'aide à la décision pourraient être diffusés plus largement grâce au réseau mixte technologique AFORCE (adaptation des forêts au changement climatique), chargé d'étudier l'adaptation des forêts au changement climatique. Les administrations centrales financent insuffisamment cette initiative, pourtant peu onéreuse et permettant des retombées rapides sur les parcelles. La participation financière de l'État aux appels à projets de ce réseau donc être pérennisée .
Axe n° 1 - Recommandation n° 9 : Accroître l'effort de recherche sur les forêts publiques et privées. Renforcer tout particulièrement la recherche appliquée sur l'adaptation des essences au changement climatique, sur leur résilience face aux incendies et sur leur valorisation.
3. Étendre les politiques de défense contre les incendies, en les adaptant à la réalité de chaque territoire
Face à l'extension géographique du risque incendie, la mise en oeuvre territoriale de la stratégie nationale de défense contre les incendies devra nécessairement être adaptée .
Cette adaptation devra être mesurée et progressive : les dispositifs aujourd'hui appliqués dans les zones exposées de longue date ne pourront pas être reproduits à l'identique dans les zones plus septentrionales, moins ou pas exposées.
Une telle différenciation territoriale est déjà possible, le code forestier opérant ainsi une distinction entre les mesures applicables sur l'ensemble du territoire national (L. 131-1 à L. 131-18), les mesures applicables aux bois et forêts classés à « risque d'incendie » (L. 132-1 à L. 132-3) et les mesures applicables aux territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendie (L. 133-1 à L. 133-11). Cette gradation législative , qui permettra de définir des règles territorialement différenciées pour faire face au risque, conserve toute sa pertinence dans un contexte d'extension géographique de l'aléa, le risque devant augmenter également dans les zones déjà exposées.
Des ajustements législatifs et réglementaires semblent néanmoins indispensables à une meilleure anticipation de l'évolution territoriale du risque.
En premier lieu, le périmètre des territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendie, qui procédait d'une mise en conformité au règlement (CEE) n° 2158 du Conseil du 23 juillet 1992 relatif à la protection des forêts dans la communauté face aux incendies, semble aujourd'hui trop strictement encadré par l'article L. 133-1 du code forestier : des régions du sud-ouest et du sud-est de la France 35 ( * ) ainsi que deux départements 36 ( * ) y sont en principe inclus, bien qu'il soit reconnu au préfet la possibilité d'exclure de ce périmètre une liste de massifs forestiers à moindre risque 37 ( * ) .
Une réécriture de l'article L. 133-1 du code forestier , afin que la liste des territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendie soit fixée par voie réglementaire , faciliterait l'actualisation du zonage afin de tenir compte de l'évolution géographique du risque. À cette même fin, il pourrait être envisagé de cibler non plus des régions, mais des départements . Cette liste pourrait être révisée périodiquement afin de tenir compte de l'évolution de l'aléa.
Axe n° 1 - Recommandation n° 10 : Afin de tenir compte de l'évolution géographique du risque, définir par voie réglementaire - plutôt que par voie législative - les territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendies .
Les rapporteurs préconisent en outre d'intégrer systématiquement le risque incendie dans les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques ( SDACR ), en adaptant cette intégration en fonction de l'intensité et de l'exposition aux risques.
Le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques, prescrit par l'article L. 1424-7 du code général des collectivités territoriales, dresse l'inventaire des risques de toute nature pour la sécurité des personnes et des biens auxquels doivent faire face les services d'incendie et de secours dans le département, et détermine les objectifs de couverture de ces risques par ceux-ci. Il est élaboré, sous l'autorité du préfet, par le service départemental ou territorial d'incendie et de secours. Les rapporteurs souhaitent mobiliser cet instrument parce qu'il existe déjà et permet une prise en compte souple de l'augmentation du risque.
Axe n° 1 - Recommandation n° 11 : Intégrer systématiquement le risque incendie dans les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR), en adaptant cette intégration en fonction de l'intensité et de l'exposition aux risques .
Par ailleurs, les bois et forêts simplement classés « à risque d'incendies » par le préfet après avis des conseils municipaux concernés et du conseil départemental (L. 132-1 du code forestier), ne sont à ce jour pas obligatoirement couverts par un plan départemental ou interdépartemental de prévention des forêts contre les incendies ( PPFCI ), dont l'élaboration n'est aujourd'hui obligatoire que pour les territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendie par l'article L. 133-2.
Dans les territoires qui se sont pleinement approprié cet outil, le PPFCI constitue le socle de l'action collective en matière de défense des forêts contre les incendies : il caractérise le risque incendie pour un territoire donné, élabore la stratégie générale de protection de la forêt, constitue un guide pluriannuel pour la programmation et la coordination des équipements et des actions, et fixe le cadre de la gouvernance.
Les thématiques abordées sont larges : moyens de surveillance, établissement et cartographie des voies d'accès et des points d'eau, mise en oeuvre des obligations légales de débroussaillement, mobilisation des activités agricoles comme pare-feu naturel, conciliation avec les objectifs de protection de la biodiversité...
Sa mise en oeuvre est certes variable en fonction des départements et des services préfectoraux et dépendante de la volonté politique des élus. Le plan de protection des forêts contre les incendies n'en demeure pas moins la pierre angulaire de la politique territoriale de prévention du risque incendie.
À ce titre, et compte tenu de l'extension géographique du risque incendie, la rédaction du plan de protection des forêts contre les incendies pourrait être envisagée dans les territoires aujourd'hui classés à risque au titre de l'article L. 132-1 du code forestier, sans pour autant le rendre obligatoire. Plusieurs territoires se sont déjà engagés dans cette démarche de manière volontaire (Loire, Isère, Bretagne, Centre, Réunion, ...), afin notamment de pouvoir bénéficier du FEADER.
Cette démarche ne serait en rien contradictoire avec le principe précédemment posé - celui d'une adaptation mesurée et progressive de la politique de défense contre les incendies sur le territoire. Le plan de protection des forêts contre les incendies a, au contraire, vocation à être le vecteur d'une politique territorialisée, dimensionnée à la réalité de chaque territoire.
Axe n° 1 - Recommandation n° 12 : Encourager l'élaboration de plans de protection des forêts contre les incendies, pierre angulaire de la politique de prévention au niveau local, dans les territoires simplement classés à risque d'incendie.
Pour mieux s'adapter à l'évolution du risque, une évaluation récurrente des plans de protection des forêts contre les incendies, dont la validité peut aller jusqu'à 10 ans (article R. 133-1 du code forestier) devrait par ailleurs être systématisée .
Cette évaluation semble également essentielle pour maintenir une mobilisation dans le temps de l'ensemble des acteurs engagés autour de l'État.
Axe n° 1 - Recommandation n° 13 : Prévoir une évaluation récurrente des plans de protection des forêts contre les incendies pour favoriser leur adaptation à l'évolution de l'aléa.
Anticiper l'évolution du risque incendie implique enfin de mieux appréhender l'émergence de feux affectant des surfaces autres que boisées (terres agricoles, surfaces de végétation, friches issues de la déprise agricole).
En effet, les feux de surfaces non boisées ont vocation à se développer dans des territoires aujourd'hui peu ou pas affectés par le risque incendie. Dans certains départements, le nombre de départs de feux est déjà plus important pour cette catégorie de surfaces que pour les forêts.
La nécessité d'une approche intégrée est d'autant plus pertinente que des incendies de surfaces non boisées, par exemple des friches en intervalle de massifs boisés, peuvent offrir des continuums de végétation propices aux incendies de grandes superficies . Des incendies de forêt peuvent également être causés par des départs de feux sur des surfaces non boisées situées à proximité.
Les rapporteurs proposent donc d' étendre la politique de défense des forêts contre les incendies (DFCI) aux surfaces de végétation et aux surfaces agricoles en les incluant au périmètre des plans de protection des forêts contre les incendies.
Lorsque cela est pertinent, les surfaces de végétation urbaines ou périurbaines doivent également être intégrées à cette réflexion. Comme l'a notamment soulevé la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, le développement de la végétalisation urbaine peut constituer une nouvelle source de vulnérabilité , qui doit mieux être prise en compte dans les plans de protection contre les incendies.
Axe n° 1 - Recommandation n° 14 : Étendre la politique de défense des forêts contre les incendies (DFCI) aux surfaces de végétation, y compris urbaines et périurbaines, et aux surfaces agricoles en les incluant dans le périmètre des plans de protection des forêts contre les incendies .
Enfin, l'intensification et l'évolution géographique et temporelle du risque imposeront d' adapter progressivement les moyens d'assistance de Météo-France sur le territoire national.
Météo-France apporte déjà un appui opérationnel aux services de sécurité civile différencié en fonction de l'intensité du risque. Ainsi, les zones de défense Sud-Est (ainsi que la Drôme et l'Ardèche) et Sud-Ouest bénéficient de longue date d'une assistance renforcée, par le biais d'une présence dédiée sur site pendant toute la saison en zone Sud-Est et pendant les épisodes les plus marquants en zone Sud-Ouest.
Si les autres zones de défense ne disposent pas d'une assistance sur site, elles bénéficient néanmoins de bulletins réguliers . À l'issue de l'été 2019, marqué par des incendies de milliers d'hectares de surfaces non-boisées brûlées, ces bulletins « Feux de Végétation et d'Espaces Naturels » ont ainsi été étendus à la moitié Nord du pays.
Les moyens de Météo-France ont donc déjà évolué pour répondre à l'extension et l'intensification des conditions météorologiques défavorables . Cet effort d'adaptation devra être prolongé , en élargissant progressivement les modalités d'assistance, différenciées territorialement en fonction de l'intensité du risque.
Axe n° 1 - Recommandation n° 15 : Adapter les moyens d'assistance de Météo-France en renforçant et en étendant progressivement son appui opérationnel sur le territoire national.
L'intensification et l'évolution géographique et temporelle du risque imposeront également de mobiliser les moyens de l'ONF, en adaptant cet appui à la réalité des territoires, même s'ils rappellent que la hausse des moyens devrait principalement bénéficier à la forêt privée (cf. infra , promouvoir la sylviculture).
Longtemps sanctuarisés malgré la rationalisation des effectifs, les moyens relatifs à la défense des forêts contre l'incendie de l'ONF , bien identifiés au sein de l'agence spécialisée d'Aix-en-Provence, ont pour la première fois été réduits à partir de 2020. Des suppressions de postes ont affecté des Agents de protection de la forêt méditerranéenne (APFM), des ouvriers forestiers chargés l'été de patrouilles de surveillance des massifs et, l'hiver, de réaliser des aménagements de prévention. Auparavant 200, ils ne sont plus que 190, évolution paradoxale dans un contexte d'augmentation du risque.
Plus préoccupant encore, le schéma d'emplois du contrat État-ONF 2021-2025 prévoit une nouvelle vague de suppression de 500 postes, y compris au sein de l'agence DFCI d'Aix-en-Provence.
Les rapporteurs proposent de geler cette suppression programmée de 500 postes , et d'utiliser ces marges de manoeuvre retrouvées pour redéployer en interne les moyens. L es postes d'APFM supprimés pourraient ainsi être rétablis ; de façon plus générale, le périmètre de la subvention « mission d'intérêt général DFCI » gagnerait à être étendu à l'ensemble du territoire national, pour financer des experts DFCI dans d'autres régions, en soutien des unités territoriales de l'ONF et des collectivités territoriales . Les rapporteurs souhaitent toutefois que la transparence soit faite sur les redéploiements, le service rendu par l'ONF dans d'autres régions ou pour d'autres missions ne devant pas pâtir de cette priorité donnée à la DFCI. Les rapporteurs n'appellent pas en outre à créer des postes au-delà des 500 dont la suppression était programmée, dans un souci de réalisme budgétaire.
Pour autant, l'augmentation récente des recettes liées aux ventes de bois, après plusieurs années à un niveau historiquement bas, permet d'envisager sereinement la remise en cause du schéma d'emplois et d'augmenter la subvention « mission d'intérêt général DFCI » de l'État (aujourd'hui 14 millions d'euros). Cette mobilisation de moyens supplémentaires se justifie par l'extension de l'aléa , d'autant qu'il s'agit de l'une des seules contributions directes de l'État aux ouvrages DFCI, sinon largement financés par les collectivités et l'Europe.
Du reste, les rapporteurs tiennent à rappeler que l'extension du risque s'entend aussi bien dans le temps que dans l'espace. Or, comme l'a rappelé le chercheur François Pimont lors de la table ronde devant les deux commissions réunies 38 ( * ) , la situation budgétaire du Réseau Hydrique de l'ONF, chargé du suivi de l'état hydrique des végétaux, l'oblige à commencer ses relevés de plus en plus tard, alors que la saison des feux tend au contraire à s'étendre . Aussi convient-il de donner à ce réseau les moyens de fonctionner.
Axe n° 1 - Recommandation n° 16 : Revenir sur les 500 suppressions de postes de l'ONF prévues dans le contrat État-ONF 2021-2025, pour rétablir les postes d'agents de protection de la forêt méditerranéenne (APFM) supprimés ces dernières années et pour redéployer plus de postes sur l'expertise DFCI hors région méditerranéenne, en étendant le périmètre géographique de la mission d'intérêt général DFCI à l'ensemble du territoire national.
* 31 Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêt , Rapport de la mission interministérielle CGEDD, CGAAER, IGF, juillet 2010, p. 44 . En ligne : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000494.pdf
* 32 Mission « flash » sur la prévention des incendies de forêt et de végétation, communication de MM. Alain Perea et François-Michel Lambert, 5 janvier 2022. En ligne : https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/455076/4428909/version/2/file/COMMUNICATION_MI_flash_prevention_incendies.pdf
* 33 Cour des comptes, rapport public annuel, « L'État face à la gestion des risques naturels : feux de forêt et inondations », 2009.
* 34 Virginie Pastor, « Approche d'une technique standardisée d'évaluation de la surface et des valeurs sauvées au cours de la lutte contre un feu de forêt », Forêt méditerranéenne, t. XLII-001, mars 2021.
* 35 Aquitaine, Corse, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes, Provence-Alpes-Côte-d'Azur.
* 36 Ardèche et Drôme.
* 37 Dans certains départements visés par l'article L. 133-1 du code forestier (ex. Gers, Tarn-et-Garonne...), la totalité des bois et forêts est aujourd'hui exclue, par décision préfectorale, de l'application des mesures en principe applicables aux territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendie. L'exclusion peut aussi être partielle, comme dans les Alpes-Maritimes, où seuls les massifs en-deçà de 1500 mètres d'altitude, sont régis par les articles L. 133-1 et suivants du code forestier.
* 38 Compte rendu en ligne : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220613/ecos.html