LISTE DES RECOMMANDATIONS
Axe 1 : Anticiper : élaborer une stratégie nationale et territoriale prenant en compte l'évolution du risque incendie et son extension sur le territoire national
Établir une stratégie nationale, articulant prévention et sécurité civile, et améliorer la coordination interministérielle
Recommandation n° 1 : Élaborer une stratégie nationale et interministérielle de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies, articulant prévention et sécurité civile (ministère de l'agriculture et de la soutenabilité alimentaire, ministère de l'intérieur, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires).
Recommandation n° 2 : Prévoir que chaque administration participant à la politique de prévention et de lutte contre les feux de forêt ait au moins un référent au sein de la Délégation à la protection de la forêt méditerranéenne (DPFM), afin d'en renforcer l'interministérialité. S'inspirer de cette structure interministérielle dans d'autres zones, en envisageant par exemple la création d'une Délégation à la protection de la forêt aquitaine (DPFA), placée auprès du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest.
Recommandation n° 3 : Intégrer de façon plus cohérente le risque incendie à l'occasion de la prochaine révision du Programme national de la forêt et du bois (PNFB) en 2026, et décliner cette dimension de façon adaptée à chaque territoire dans les Programmes régionaux de la forêt et du bois (PRFB).
Recommandation n° 4 : Accroître significativement les moyens alloués à la prévention et à la lutte contre le risque incendie, en doublant en particulier les moyens consacrés à la prévention (aménagement des pistes de défense des forêts contre l'incendie, surveillance de la forêt, communication, contrôle des obligations légales de débroussaillement...).
Recommandation n° 5 : Assurer le suivi exhaustif des moyens de prévention et de lutte de l'État à travers un « document de politique transversale » (ou « orange budgétaire ») permettant de les mettre en regard.
Appuyer cette stratégie sur une amélioration des connaissances
Recommandation n° 6 : Améliorer la remontée des données dans la base de données sur les incendies de forêts en France.
Recommandation n° 7 : Mieux évaluer la « valeur du sauvé » pour contribuer à l'évaluation optimale des moyens alloués à la prévention et à la lutte contre l'incendie. S'appuyer sur une évaluation exhaustive des services rendus par la forêt (en matière environnementale, économique et sociale) et des coûts liés aux destructions des incendies. En particulier, mieux évaluer l'impact sanitaire des feux de forêt en matière de qualité de l'air.
Recommandation n° 8 : Au titre de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), identifier au sein du secteur de l'Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie (UTCATF) les émissions de gaz à effet de serre associées aux incendies de forêt et les pertes de capacités d'absorption associées. Intégrer ces émissions et pertes de capacités d'absorption dans les plans climat air énergie territoriaux (PCAET).
Recommandation n° 9 : Accroître l'effort de recherche sur les forêts publiques et privées. Renforcer tout particulièrement la recherche appliquée sur l'adaptation des essences au changement climatique, sur leur résilience face aux incendies et sur leur valorisation.
Étendre les politiques de défense contre les incendies, en les adaptant à la réalité de chaque territoire
Recommandation n° 10 : Afin de tenir compte de l'évolution géographique du risque, définir par voie réglementaire - plutôt que par voie législative - les territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendies.
Recommandation n° 11 : Intégrer systématiquement le risque incendie dans les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR), en adaptant cette intégration en fonction de l'intensité et de l'exposition aux risques.
Recommandation n° 12 : Encourager l'élaboration de plans de protection des forêts contre les incendies, pierre angulaire de la politique de prévention au niveau local, dans les territoires simplement classés à risque d'incendie.
Recommandation n° 13 : Prévoir une évaluation récurrente des plans de protection des forêts contre les incendies pour favoriser leur adaptation à l'évolution de l'aléa.
Recommandation n° 14 : Étendre la politique de défense des forêts contre les incendies (DFCI) aux surfaces de végétation, y compris urbaines et périurbaines, et aux surfaces agricoles en les incluant dans le périmètre des plans de protection des forêts contre les incendies.
Recommandation n° 15 : Adapter les moyens d'assistance de Météo France en renforçant et en étendant progressivement son appui opérationnel sur le territoire national.
Recommandation n° 16 : Revenir sur les 500 suppressions de postes de l'ONF prévues dans le contrat État ONF 2021 2025, pour rétablir les postes d'agents de protection de la forêt méditerranéenne (APFM) supprimés ces dernières années et pour redéployer plus de postes sur l'expertise DFCI hors région méditerranéenne, en étendant le périmètre géographique de la mission d'intérêt général DFCI à l'ensemble du territoire national.
Axe 2 - Aménager le territoire : mieux réguler les interfaces forêt zones urbaines pour réduire les départs de feux et la vulnérabilité des personnes et des biens
Améliorer l'application des obligations légales de débroussaillement
Recommandation n° 17 : Développer une « pédagogie des obligations légales de débroussaillement (OLD) » auprès des personnes concernées, en les informant, en mettant à leur disposition des conseils personnalisés et en réalisant des contrôles plus réguliers. Pour mettre en oeuvre ces opérations d'information, de conseil et de contrôle, établir une stratégie collective concertée à l'échelle des massifs.
Recommandation n° 18 : Intégrer le périmètre des obligations légales de débroussaillement dans les documents d'urbanisme, pour rendre plus visibles et explicites les périmètres concernés et pour mieux informer les particuliers de l'existence de l'obligation au moment de la délivrance des permis de construire.
Recommandation n° 19 : Dans l'arrêté préfectoral de définition des obligations légales de débroussaillement, adapter les modalités de mise en oeuvre du débroussaillement selon la nature du risque et la réalité des territoires, comme le permet l'article L. 131-10 du code forestier.
Recommandation n° 20 : Conditionner la mutation d'une propriété à la réalisation des obligations légales de débroussaillement sur le terrain concerné.
Recommandation n° 21 : Instaurer un crédit d'impôt pour la réalisation des obligations légales de débroussaillement.
Recommandation n° 22 : Valoriser systématiquement les bois et la végétation issus des travaux de débroussaillement, grâce à l'impulsion des communes et des EPCI, qui peuvent coordonner l'action des propriétaires en organisant des travaux collectifs.
Recommandation n° 23 : Rendre la franchise obligatoire dans les contrats d'assurance habitation en cas de non-respect des obligations légales de débroussaillement et accroître son montant au-delà de la limite maximale actuellement prévue.
Recommandation n° 24 : Renforcer les sanctions pénales pour non-respect des obligations légales de débroussaillement, en passant d'une contravention de quatrième catégorie à une contravention de cinquième catégorie tout en permettant de recourir à une amende forfaitaire.
Intégrer le risque incendie dans les documents d'urbanisme
Recommandation n° 25 : Étendre plus largement la réalisation de plans de prévention des risques incendies de forêt (PPRIf) dans les territoires particulièrement exposés au risque incendie, par la simplification des modalités d'élaboration, de modification et de révision de ces plans.
Recommandation n° 26 : Systématiser l'envoi de « cartes d'aléas », adressées par le préfet aux collectivités territoriales, dans l'ensemble des territoires exposés au risque incendie et particulièrement exposés au risque incendie.
Recommandation n° 27 : Lorsque cela est pertinent, dans les territoires particulièrement exposés au risque incendie et dans ceux simplement exposés au risque incendie au titre du code forestier, intégrer dans les documents d'urbanisme des recommandations tendant à accroître la résistance des bâtiments aux incendies de forêt.
Recommandation n° 28 : Lutter plus fermement contre l'installation d'habitats légers dans les zones à risque en s'appuyant 1) sur les documents d'urbanisme existants, 2) sur une doctrine plus stricte des commissions de préservation des espaces naturels et forestiers (CDPENAF) et 3) sur une application stricte du refus d'autorisation de défrichement pour l'installation d'habitats dans les zones exposées à l'aléa.
Axe 3 : Gérer la forêt : promouvoir la sylviculture face au risque incendie, premier des pare feux pour la forêt privée
L'intégration plus cohérente du risque incendie dans les documents de gestion durable et dans la certification privée
Recommandation n° 29 : Confier aux commissions régionales des forêts et du bois le soin d'enrichir les schémas régionaux de gestion sylvicole (SRGS) par des orientations spécifiques au risque incendie (choix des essences, type de gestion...), prescriptrices pour les documents de gestion durable. Faire apparaître de façon plus cohérente ces orientations dans les documents de gestion durable.
Recommandation n° 30 : Dans le cadre de de la révision des certifications de gestion durable des forêts privées (PEFC / FSC), renforcer dans les meilleurs délais la dimension prévention face au risque incendie dans les référentiels afin d'en faire une composante à part entière de la gestion durable.
Augmenter le taux de documents de gestion durable, par un abaissement du seuil obligatoire de réalisation de ces documents et par une incitation à la gestion groupée des parcelles
Recommandation n° 31 : Abaisser le seuil d'obligation d'élaboration de documents de gestion durable pour la forêt privée à 20 hectares (contre 25 aujourd'hui) (500 000 hectares supplémentaires ainsi concernés) et donner la possibilité au préfet de région d'abaisser encore ce seuil, selon l'opportunité, après avis de la commission régionale de la forêt et du bois.
Recommandation n° 32 : Pérenniser le DEFI (dispositif de défiscalisation des investissements en forêt) et en élargir le périmètre (plafond, taux).
Adapter en conséquence les moyens du Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour l'instruction des documents de gestion durable, l'animation territoriale et la prévention du risque incendie
Recommandation n° 33 : Adapter les effectifs du Centre national de la propriété forestière (CNPF), chargé de l'agrément des documents de gestion durable, hiérarchiser le contenu de ces derniers et généraliser la télédéclaration pour réduire les délais d'instruction.
Recommandation n° 34 : Augmenter les moyens du CNPF sur le terrain pour dynamiser et regrouper la gestion, notamment pour les parcelles en dessous des seuils obligatoires d'élaboration de documents gestion durable. Développer les « visites à mi-parcours » (8 à 12 ans) des documents de gestion durable afin de dynamiser la gestion forestière.
Recommandation n° 35 : Dans le but de constituer une culture commune du feu, créer des postes supplémentaires de référent risque incendie au sein de chaque Centre régional de la propriété forestière (CRPF).
Axe 4 : Aménager et valoriser la forêt : appréhender la défense des forêts contre l'incendie à l'échelle du massif
Planifier et financer l'aménagement de la forêt
Recommandation n° 36 : Pour mieux adapter la gestion du risque aux réalités territoriales et assurer une meilleure association des élus locaux à la politique de DFCI, promouvoir une approche préventive par massif, en déclinant les PPFCI départementaux ou interdépartementaux au niveau des massifs, en recherchant les synergies avec les stratégies locales de développement forestier (SLDF).
Recommandation n° 37 : Dans le cadre du PPFCI, identifier et mobiliser les sources de financement, publiques et privées, pour l'entretien et l'élaboration de pistes DFCI. Associer les régions à cette démarche, afin notamment de faciliter la mobilisation des fonds européens.
Recommandation n° 38 : Instaurer un droit de préemption des parcelles forestières sans document de gestion durable et présentant un enjeu au regard de la défense des forêts contre l'incendie, au profit des communes, en particulier dans les zones péri-urbaines, dès lors que ces parcelles ont été préalablement identifiées comme stratégiques, que la commune est en mesure de justifier son acquisition par un projet de gestion forestière et qu'elle s'engage à intégrer la parcelle au régime forestier.
Recommandation n° 39 : Intégrer aux objectifs des stratégies locales de développement forestier (SLDF) - chartes forestières de territoire ou plans de massifs -, la prévention du risque incendie, aujourd'hui absente, afin de faire de la structuration de filières en circuits courts un atout dans la connaissance et la gestion des massifs.
Recommandation n° 40 : Afin de favoriser les synergies entre voies d'accès à la forêt et pistes DFCI, prévoir un cahier des charges SDIS-CRPF. Prévoir un avis consultatif des SDIS dans l'élaboration des schémas de desserte forestière collectifs par les Commissions régionales de la forêt et du bois.
Recommandation n° 41 : Établir une cartographie des synergies actuelles et potentielles de la desserte forestière et des voies de défense des forêts contre l'incendie au niveau régional.
Concilier défense des forêts contre l'incendie et protection de la biodiversité
Recommandation n° 42 : Adresser une instruction générale aux parquets pour une meilleure conciliation entre DFCI et biodiversité dans le prononcé des sanctions en matière d'atteintes à la biodiversité. À l'occasion de la révision prévue de la Stratégie nationale de contrôle de l'OFB, intégrer davantage la prise en compte de la prévention du risque incendie.
Recommandation n° 43 : Clarifier le droit existant, par une instruction technique adressée aux préfets, pour qu'en cas de conflit entre la défense des forêts contre l'incendie (DFCI) et la protection de la biodiversité, la première soit priorisée dans les zones particulièrement exposées au risque incendie. Associer en amont l'ensemble des parties prenantes à l'élaboration de cette politique intégrée de gestion du risque, afin d'anticiper les oppositions et de trouver des solutions territoriales et pragmatiques.
Recommandation n° 44 : À l'occasion de l'élaboration ou de la révision des plans de gestion des aires protégées, intégrer les enjeux relatifs à la prévention du risque incendie.
Axe 5 : Mobiliser le monde agricole : renforcer les synergies entre pratiques agricoles et prévention du risque incendie
Restaurer le rôle de pare feu des activités agricoles et pastorales
Recommandation n° 45 : Favoriser la mobilisation des activités agricoles comme pare-feu naturel en finançant les agriculteurs pour les services environnementaux ainsi rendus :
- par une pérennisation des contrats d'entretien de « coupures de combustible », finançant des exploitations pastorales depuis plus de trente ans en région Sud et Occitanie ;
- en étendant ces contrats à d'autres productions agricoles (ex. viticulture), pour autant que ces productions soient peu conductrices de l'incendie.
Recommandation n° 46 : Orienter des moyens de prévention locaux, nationaux et européens. À ce titre, mobiliser des mesures agro environnementales et climatiques (MAEC) de la PAC pour cofinancer ce mode agricole ou pastoral de prévention.
Concilier fermeté et ouverture en matière de défrichement
Recommandation n° 47 : Sous certaines conditions, minorer par défaut le coefficient de superficie à compenser ou d'indemnité de défrichement (article L. 341-6 du code forestier), dans le cas de défrichement de ces surfaces à but agricole ou pastoral.
Recommandation n° 48 : Affecter intégralement l'indemnité de défrichement, aujourd'hui reversée au budget général au-dessus d'un plafond de 2 M€, au Fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB). Confier au FSFB la mission de rechercher des synergies entre la desserte forestière et la défense des forêts des incendies.
Appréhender de façon intégrée le risque feux agricoles et de forêt
Recommandation n° 49 : Renforcer la sensibilisation des acteurs agricoles pour limiter les départs de feux sur des surfaces non boisées.
Recommandation n° 50 : En concertation avec les organisations de producteurs, donner la possibilité pour le préfet de prescrire la réalisation des travaux agricoles (en particulier moissons) la nuit en cas de risque « très sévère » et compenser le cas échéant les agriculteurs pour les coûts induits (hausse de charges, récolte détériorée).
Recommandation n° 51 : Permettre au préfet de prescrire, selon les conditions locales, des coupures sur les terres agricoles aux interfaces avec la forêt.
Axe 6 : Sensibiliser : renforcer la prise de conscience, en mobilisant une large palette d'outils, allant de la communication à la répression
Renforcer la prise de conscience par une communication d'envergure, à la hauteur des moyens mobilisés pour d'autres causes nationales
Recommandation n° 52 : Renforcer très largement les moyens alloués à la communication, à la hauteur des moyens mobilisés pour d'autres causes nationales (ex. sécurité routière), et prévoir autour du préfet et des élus une communication à l'automne et à l'hiver sur les actes de prévention, notamment en matière de débroussaillement.
Recommandation n° 53 : Mieux coordonner les campagnes de communication à l'échelle nationale et à l'échelle des zones.
Recommandation n° 54 : Mobiliser le budget des collectivités territoriales pour recruter, former et équiper des jeunes du Service national universel (SNU), afin de prévenir et sensibiliser les usagers en forêt, ainsi que de surveiller les massifs lors des périodes à risque.
Recommandation n° 55 : S'appuyer sur la filière de responsabilité élargie du producteur (REP) mégots pour financer des actions de communication d'envergure, notamment sur les autoroutes.
Recommandation n° 56 : Sensibiliser les plus jeunes dans les établissements scolaires, en recourant à des intervenants extérieurs.
Renforcer et clarifier les sanctions relatives à la prévention du risque d'incendie
Recommandation n° 57 : Augmenter et uniformiser les sanctions relatives à la prévention du risque d'incendie (notamment celles relatives aux jets de mégots), pour les rendre plus lisibles et dissuasives.
Recommandation n° 58 : Consacrer au niveau législatif l'interdiction de fumer dans un bois ou une forêt classé à « risque d'incendie » ou particulièrement exposé à ce risque sur les périodes à risque.
Axe 7 : Lutter : financer et équiper la lutte incendie à la hauteur du risque
Recommandation n° 59 : Renforcer et développer les moyens aériens (avions et hélicoptères) de la sécurité civile à la hauteur du risque. Pour accroître la durée de vol des avions bombardiers, s'assurer que la flotte renouvelée soit équipée de dispositifs permettant une intervention de nuit. En attendant la livraison des nouveaux avions et hélicoptères, s'appuyer, en tant que de besoin, sur des locations d'équipements. Adapter et moderniser les infrastructures associées et garantir l'adéquation des moyens de maintenance.
Recommandation n° 60 : Étudier l'opportunité de créer une deuxième base aérienne de la sécurité civile pour plus de rapidité dans la mobilisation des moyens de lutte.
Recommandation n° 61 : Augmenter significativement, dans un cadre pluriannuel, la dotation de soutien de l'État à l'investissement des SDIS, notamment pour permettre l'acquisition de véhicules et leur renouvellement.
Recommandation n° 62 : Exonérer de TICPE les carburants utilisés par les véhicules d'intervention des SDIS, sous réserve de compatibilité avec le droit de l'Union européenne. Exonérer de malus écologique l'ensemble des véhicules de lutte contre l'incendie des SDIS, et pas seulement les véhicules porteurs d'eau.
Recommandation n° 63 : Accompagner les SDIS pour développer et acquérir des nouvelles technologies utiles à la surveillance et à la réponse opérationnelle (robots, drones, nouveaux capteurs...).
Recommandation n° 64 : Pour atteindre d'ici 2027 l'objectif de 250 000 sapeurs-pompiers volontaires, instaurer une réduction de cotisations patronales pour les entreprises et administrations en contrepartie de la disponibilité de leurs employés et agents exerçant en tant que sapeurs-pompiers volontaires.
Recommandation n° 65 : Permettre une application territoriale, et non centralisée, du dispositif de cell broadcast afin d'en renforcer la réactivité.
Axe 8 : Reboiser : financer la reconstitution de forêts plus résilientes après l'incendie
Une réhabilitation des terrains incendiés nécessitant en tout état de cause un financement public
Recommandation n° 66 : Consacrer de nouveaux crédits dans le cadre du plan France 2030 à la reconstitution post incendie.
Renforcer l'éco conditionnalité pour des forêts plus résilientes
Recommandation n° 67 : Conditionner plus strictement les crédits de l'État à un choix d'essences adaptées aux stations forestières et à leur évolution prévisible en raison du changement climatique, en expérimentant notamment des corridors d'essences feuillues et en maintenant des pare feux.
Mobiliser aussi des fonds privés et l'outil assurantiel face à la montée des risques
Recommandation n° 68 : Promouvoir l'intérêt de l'assurance contre les risques incendie et tempête en s'appuyant sur le Centre national de la propriété forestière (CNPF), en lien avec les syndicats de propriétaires forestiers.
Recommandation n° 69 : Créer un dispositif d'encouragement fiscal (DEFI) « assurance incendie » dont la seule condition serait de souscrire à une assurance incendie (seule l'assurance tempête ou tempête incendie y donnant aujourd'hui accès).
Recommandation n° 70 : Élargir le Compte d'investissement forestier et d'assurance (CIFA) en le complétant par un dispositif pouvant concerner davantage de propriétaires forestiers.
I. UNE INTENSIFICATION ET UNE EXTENSION DU RISQUE INCENDIE MENAÇANT LA CAPACITÉ DE RÉSISTANCE DES FORCES DE SÉCURITÉ CIVILE
A. LE RISQUE INCENDIE, GLOBALEMENT CONTENU DEPUIS LES ANNÉES 1990 PAR UNE POLITIQUE VOLONTARISTE DE DÉFENSE DES FORÊTS, DEVRAIT S'ACCROÎTRE SIGNIFICATIVEMENT
1. Depuis les années 1990, une maîtrise globale des surfaces de forêt brûlées sur le territoire national
a) Des feux essentiellement concentrés sur la moitié Sud du pays, avec un contraste historiquement marqué entre zones méditerranéenne et aquitaine
En 2020 , les surfaces boisées parcourues par des incendies en métropole s'élevaient à 10 700 hectares de surfaces boisées . Ce chiffre est légèrement supérieur à la moyenne observée les cinq années précédentes (7 570 hectares en moyenne entre 2015 et 2019) 1 ( * ) . Ces incendies se concentrent très majoritairement dans la moitié Sud du pays . Les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et Corse concentrent à elles seules près de 90 % des surfaces boisées brûlées et des feux de forêt 2 ( * ) .
En moyenne, depuis 1980 , la région méditerranéenne , dans le périmètre des quinze départements couverts par le système Prométhée, concentre les trois quarts des surfaces boisées brûlées en France. Cette proportion varie selon les années, mais est généralement supérieure aux deux tiers.
Source : IGN
L'année 2020 ne déroge pas à cette répartition, avec 7 700 hectares brûlés en zone Prométhée, contre 3 000 en dehors de la zone méditerranéenne.
Hors zone méditerranéenne, le massif forestier des Landes de Gascogne, situé en région Nouvelle-Aquitaine, sur les départements des Landes, de Gironde et du Lot-et-Garonne, est le premier territoire touché par les incendies de forêt ( environ 10 % des surfaces brûlées et près de 20 % des feux ) ; la Gironde et les Landes occupent en outre la première place du classement des départements subissant le plus grand nombre de feux de forêt.
Jusqu'alors, les incendies y étaient toutefois moins dévastateurs : lors de la décennie 2010-2019, la surface moyenne par feu y était inférieure à un hectare, contre plus de quatre hectares dans le Sud-Est.
Ces chiffres reflètent les différences d'approche du risque incendie entre zone méditerranéenne et aquitaine .
Peu rentable économiquement, caractérisée par morcellement de la propriété et une absence de gestion, y compris pour de plus grandes surfaces, la forêt méditerranéenne est principalement protégée par les actions de prévision et de lutte portées par la puissance publique, avec un rôle prépondérant des pouvoirs publics - État et collectivités territoriales - en particulier des départements, sous la tutelle desquels opèrent les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), faute d'investissements et d'actions de prévention suffisantes de la part des propriétaires privés.
A contrario , le système aquitain repose sur la gestion économique du massif, par une participation financière « volontaire » des propriétaires forestiers aquitains via des associations syndicales autorisées (ASA) de défense des forêts contre les incendies : ces associations, regroupant les propriétaires, assurent la protection du massif avec des actions de prévention fondées sur la gestion forestière (par le débroussaillement ou la création d'espaces pare-feu) et l'aménagement de l'espace (par la mise en place de pistes d'intervention ou encore de points de peau), permettant l'intervention rapide et optimale des forces de lutte, et ainsi d'éviter que beaucoup de feux ne détruisent plus d'un hectare. Les départs de feux y ont certes été nombreux, mais la politique de prévention ainsi mise en place a jusque récemment limité le risque de propagation du feu : en moyenne, le nombre d'hectares brûlés par incendie y a donc été plus faible qu'en zone méditerranéenne.
b) Une baisse significative de surfaces forestières incendiées et du nombre de feux de forêts, plaçant la France en bonne position dans la gestion du risque incendie
Depuis le début des années 1990 et jusqu'à la fin des années 2010, la France a connu un recul tendanciel des surfaces boisées incendiées , marqué par deux périodes de baisse clairement identifiables : celle des années 1990, ayant succédée aux grands feux des années 1989-1990, et celle suivant le milieu des années 2000, après l'été 2003, particulièrement meurtrier et marqué par des conditions météorologiques particulières.
En 2020 , les surfaces boisées parcourues par des incendies en métropole s'élevaient à 10 700 hectares de surfaces boisées . Ce chiffre, supérieur à la moyenne observée les cinq années précédentes (7 570 hectares en moyenne entre 2015 et 2019), est aussi largement inférieur à ceux observés lors des décennies précédentes : cinq fois moindre que la période 1980-1989 (42 360 hectares), trois fois que les périodes 1990-1999 (22 720 hectares) et 2000-2009 (19 680 hectares).
La même tendance favorable est observée pour le nombre d'incendies de forêt recensés chaque année, en baisse notable depuis la fin des années 1990, de 5 252 feux de forêt en moyenne annuelle entre 1980 à 1999, à 2 671 entre 2015 et 2019.
Source : IGN
Ces chiffres placent la France en bonne position dans la gestion du risque incendie.
Source : European Forest Fire Information System (EFFIS)
Le recensement des feux de forêt en France
Trois systèmes de recensement des feux de forêt existent en France :
- le système local opérant dans la zone Sud-Est, fondé sur la base Prométhée (couvrant 15 départements) ;
- celui du Groupement d'intérêt public Aménagement du territoire et gestion des risques (GIP ATGeRi), pour la région Nouvelle-Aquitaine ;
- le système national, la Base de données relative aux incendies de forêts en France (BDIFF), géré par l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN). Les deux bases locales - Prométhée et GIP ATGeRi - font remonter leurs données dans la BDIFF pour leur zone de compétence.
Ces données sont saisies par les services départementaux d'incendies et de secours (SDIS), les directions départementales des territoires/et de la mer (DDT (M)) et/ou les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), les services locaux de l'office national des forêts (ONF) et du centre national de propriété forestière (CNPF), les services locaux de police et/ou de gendarmerie.
La baisse importante de surfaces forestières incendiées et du nombre de feux de forêts n'a toutefois pas été uniforme sur l'ensemble du territoire. Des travaux récents de l'INRAE sur l'évolution des feux dans la zone Prométhée ont ainsi mis en évidence une situation contrastée, entre certains territoires ayant connu un recul particulièrement important des incendies, comme les Bouches du Rhône, le Var ou la Corse, et d'autres, comme l'Hérault ou certains points « chauds » de l'ex-région Languedoc Roussillon, ayant pu faire face, ponctuellement, à une augmentation de l'aléa.
c) Un recul largement imputable à l'efficacité de la stratégie française de défense des forêts contre les incendies, en particulier à sa doctrine d'attaque rapide des feux naissants
Le recul tendanciel du nombre de feux et des surfaces incendiées observé jusqu'à récemment, reflète les évolutions de la politique française de défense des forêts contre les incendies, ayant suivi les grands incendies de la fin des années 80 et de l'année 2003.
Cette période est notamment marquée par l'établissement d'une stratégie d'attaque rapide des feux naissants , inscrite dans le Guide de stratégie générale de protection de la forêt contre l'incendie publié en 1994 par la direction de la sécurité civile et consacrée par la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.
Cette doctrine s'appuie sur un équilibre entre prévention , pour empêcher les départs de feu et maîtriser les éclosions au stade initial, et lutte immédiate, massive et dynamique, pour limiter le développement des feux, avec un objectif d'intervention dans les dix premières minutes sur des foyers encore maîtrisables.
La doctrine consiste à détecter précocement et traiter le plus rapidement possible tout départ d'incendie. Elle repose sur la mobilisation prévisionnelle des moyens de lutte, qu'il s'agisse des sapeurs-pompiers des SDIS, déployés alors dans les massifs sensibles aux côtés des forestiers, des comités communaux feux de forêts, ou des moyens nationaux, via la mobilisation des militaires de la sécurité civile et ou des avions bombardier d'eau, effectuant des missions de guet aérien armé (GAAr) qui garantissent une première intervention rapide et massive.
La doctrine française s'oppose à la « culture du feu libre » , ayant cours notamment aux États-Unis, au Canada, ou en Australie, pays dans lesquels s'alternent des zones de peuplement, très concentrées, et de vastes espaces naturels inhabités. Pour Christian Pinaudeau, ancien secrétaire général du Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest, « autant il est possible de laisser brûler 900 000 hectares dans le nord du Québec, peu habité, autant la situation est différente dans les environs de Marseille, de Bordeaux, ou d'Arcachon, où la densité de population est très importante. Nous ne sommes plus dans des environnements naturels et il n'existe donc pas de solutions naturelles pour ces zones » 3 ( * ) .
Les personnes entendues par les rapporteurs s'accordent pour dire que cette stratégie a largement contribué à la baisse du nombre de feux et de surfaces incendiées , avec une capacité d'action renforcée sur les feux de petite taille; pour Jean-Luc Dupuy, directeur de recherche à l'INRAE, « les politiques de prévention et de lutte ont conduit à une baisse spectaculaire du nombre de feux de plus d'un hectare, c'est-à-dire les feux qui échappent à la première intervention des pompiers » .
Dans les régions les plus exposées au risque incendie - Aquitaine et zone méditerranéenne -, le taux d'extinction des feux naissants est supérieur à 80 %.
Cette doctrine française du traitement des feux naissants, appuyée par une coordination opérationnelle très forte et de moyens humains et matériels de grande qualité, a donc fait la preuve de son efficacité pour s'imposer comme « une des meilleures stratégies au monde » , pour Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'ONF, entendu par les rapporteurs.
d) Une amélioration d'autant plus remarquable compte tenu de l'augmentation facteurs de risque sur les années passées
La stratégie française de défense des forêts contre les incendies a permis un recul net des surfaces brûlées et des départs de feux, en particulier après 2003, en dépit d'une augmentation des facteurs de risque , exposant plus largement le territoire national aux incendies. Cette augmentation des facteurs de risque est due à :
- une dégradation des conditions météorologiques ;
- une augmentation du combustible en forêt ;
- un phénomène de déprise agricole .
(1) Une évolution défavorable des conditions météorologiques
Depuis les années 1980, le territoire national a connu une évolution défavorable des conditions météorologiques.
Les températures moyennes sur le territoire national se sont déjà élevées de 1,86 degré en moyenne par rapport à la période préindustrielle, avec une hausse actuellement observée de 0,4 degré par décennie.
En outre, la fréquence des vagues de chaleur a été multipliée par quatre depuis les années 1980 . Le paramètre ayant le plus évolué est la température maximale observée au cours des événements, plus que la durée, à l'instar des étés 2018, 2019 et 2020.
Source : Météo-France
Par ailleurs, la surface du territoire affectée en moyenne par la sécheresse est passée de 5 % jusque dans les années 1970 à près de 15 % aujourd'hui.
Source : Météo-France
On observe également une augmentation de l'assèchement estival dans la moitié Sud du pays , particulièrement dans la zone méditerranéenne.
Source : Météo-France
Par conséquent, compte tenu de ces évolutions défavorables au niveau des températures comme de la sécheresse, on constate une augmentation de la surface du territoire concernée par une sensibilité météorologique aux feux de forêt et donc une extension du risque d'incendies à l'ensemble du territoire hexagonal. La part du territoire métropolitain présentant des conditions météorologiques propices aux incendies - calculée sur le fondement de l'Indice forêt météo ( IFM ) de Météo-France (voir encadré ) - a ainsi doublé depuis les années 1980, en passant progressivement, en moyenne décennale glissante, de moins de 20 % du territoire à environ 40 % aujourd'hui.
Source : Météo-France
Dans chaque zone, on constate par ailleurs un phénomène d'augmentation du nombre de jours marqués par des conditions propices aux départs de feux de forêts.
Évolution du nombre moyen de jours marqués par des conditions propices aux départs de feux de forêt (IFM > 20)
Source : Météo-France
L'indice feux météo (IFM), outil de prévision des feux de forêt
L'Indice feux météo (IFM), fourni par Météo-France pour l'ensemble du territoire métropolitain, caractérise, pour une végétation standardisée, un niveau de danger d'éclosion et de propagation du feu, estimé à partir des données de pluviométrie, d'hygrométrie, de température et de vent.
L'indice rend compte de l'influence des conditions météorologiques journalières à saisonnières sur la teneur en eau des éléments combustibles de la végétation et de l'influence des conditions journalières de vent et d'humidité sur la propagation. Il est calculé à partir des données météorologiques suivantes : température, humidité de l'air, vitesse du vent et précipitations.
L'IFM peut être déduit des prévisions météorologiques pour le lendemain et les jours à venir. Dans l'assistance opérationnelle pour la direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), Météo-France calcule ces indices au pas horaire, jusqu'à J+ 3. Ces calculs sont mis à jour deux fois par jour, en début de matinée et en milieu d'après-midi.
L'indice permet également d'appréhender la sensibilité météorologique aux feux de forêts d'une année en évaluant le nombre de jours de dépassement du seuil IFM>20. Le critère appliqué est le calcul en chaque point du territoire du nombre de jours de dépassement du seuil. L'année est considérée comme sensible si on observe en ce point plus de 30 jours cumulés de dépassement par la valeur quotidienne du seuil IFM>20.
Il peut aussi être simulé jusqu'à des horizons lointains, en s'appuyant sur les scénarios d'évolution climatique du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
(2) Une augmentation du combustible en forêt, reflet d'un investissement insuffisant dans nos massifs forestiers
Deuxième facteur d'évolution défavorable au regard du risque incendie : la croissance du combustible en forêt . Depuis trente ans, la biomasse forestière augmente régulièrement, le volume sur pied ayant progressé de 50 % en passant de 1,8 à 2,8 milliards de mètres cube.
Cette évolution reflète tout d'abord la gestion active lacunaire des forêts dans des territoires où les massifs ne font pas l'objet d'une valorisation touristique ou d'une exploitation forestière, notamment dans le sud-est de la France.
Imaginés par le ministre de l'Agriculture Edgar Pisani en 1963, les plans simples de gestion (PSG) avaient pourtant pour but de favoriser la gestion durable des parcelles, dans un contexte où la forêt française était insuffisamment entretenue et donc faiblement valorisée et sujette aux risques. En plus de ces PSG, il existe des règlements types de gestion (pour les coopératives) et des codes des bonnes pratiques sylvicoles (document simplifié, facultatif, pour les petits propriétaires, donnant lieu à une « présomption de gestion durable »).
Obligatoires pour les propriétaires privés à partir de 25 hectares de forêt, les PSG font l'objet d'un agrément du Centre national de la propriété forestière (CNPF). Ils permettent en contrepartie d'être dispensé de formalités administratives pour la réalisation de coupes et travaux et donnent accès à des aides publiques et fiscales.
Malgré ces incitations, les deux tiers de la forêt privée française ne sont pas couverts par un plan simple de gestion . Ce faible taux de couverture s'explique notamment par le morcellement du foncier (3,5 millions de propriétaires) et la survivance de statuts juridiques hérités de l'histoire, complexifiant leur gestion (biens de section, forêt usagère, biens vacants et sans maître...).
Or, la fréquence de coupe est deux fois plus élevée dans les parcelles dotées d'un PSG. Le taux de prélèvement est pour les peuplements feuillus de 53 % avec PSG contre 30 % sans PSG, et pour les peuplements résineux de 84 % avec PSG contre 67 % sans PSG. On constate une hausse quel que soit le type de bois (petit bois, moyen bois, gros et très gros bois).
Source : IGN-IFN (2018)
Ces prélèvements contribuent à réduire la biomasse combustible en forêt , permettent une amélioration des peuplements par des éclaircies et réduisent la concurrence hydrique des végétaux. Ils encouragent la réalisation de schémas de desserte collectifs pour l'accès à la ressource. A fortiori lorsque le bois est destiné à des usages longs, ils participent à la réduction de nos émissions de CO 2 (effets de stockage et de substitution), ce qui atténue le changement climatique et, par des effets rétroactifs, améliore l'état de santé des forêts.
Or, on observe que c'est dans l'une des zones les plus à risque - dans le sud-est de la France - que les prélèvements sont les plus faibles.
Source : Agreste
(3) La déprise agricole, le déclin des activités agricoles, pastorales et des métiers de la ruralité
Troisième facteur d'évolution défavorable au regard du risque incendie : la déprise agricole .
La France a connu un accroissement de la quantité de combustible par la déprise agricole , traduisant l'abandon décidé ou subi des terres agricoles, au profit de friches ou d'accrues forestières. Outre l'effet de la déprise sur la quantité de combustible, il faut ajouter son effet de la déprise sur la structure de la végétation, en continu. De nombreuses études ont montré une hausse du risque d'incendie dans l'Europe méditerranéenne rurale, liée à des accrues forestières sur des terres anciennement agricoles ou pastorales, comme le résume le tableau ci-dessous 4 ( * ) .
Source : Moreira et al. , 2011
Les chercheurs de l'Inrae 5 ( * ) ne sont pas parvenus à retrouver ce lien en utilisant les données de la base Corine Land Cover sur l'occupation des sols, qui semble manquer de précision pour caractériser la déprise agricole. Entendu lors de la table ronde des deux commissions réunies, le chercheur François Pimont a indiqué que leurs travaux se poursuivront à l'automne 2022 à partir de données plus fines de la DDTM de l'Aude, département marqué par l'abandon d'activités viticoles dans la deuxième moitié du XX e siècle.
Comme le citait M. Jean-Louis Bianco dans son rapport de 1998, La Forêt : une chance pour la France 6 ( * ) , face au risque incendie, « le maintien d'une activité agricole, pastorale et forestière constitue la meilleure des préventions ». En zone méditerranéenne, « les quelques expériences menées montrent l'efficacité d'une « ligne Maginot agricole et pastorale » (...) constituées d'oliveraies, de vignes, d'amandiers, de figuiers ou de champs pâturés par des moutons ou des chèvres ».
Le pastoralisme , en particulier, a longtemps contribué, grâce au pâturage des ovins, bovins et équins sur des itinéraires de transhumance, de créer une discontinuité végétale et de réduire le combustible, permettant à tout le moins de ralentir la propagation des flammes, sinon même de la bloquer.
Par ailleurs, la hausse de la fréquentation touristique des massifs n'a pas compensé le déclin numérique des métiers ruraux et des activités qui impliquaient une connaissance fine des massifs. L'ancien député M. Alain Perea, co-auteur de la mission flash de l'Assemblée nationale sur la prévention des incendies de forêt et de végétation 7 ( * ) , a par exemple rappelé lors de son audition par les rapporteurs le rôle des chasseurs dans la connaissance des forêts et dans la détection des incendies.
De façon plus large, ce sont d'innombrables métiers liés à la forêt et à la connaissance des massifs forestiers et des territoires ruraux qui se sont perdus avec le temps. À titre d'exemple, le rapport du CGAAER et du CGEDD sur la forêt usagère de La Teste-de-Buch 8 ( * ) souligne que « l'arrêt du gemmage [récolte de la sève] a fait disparaître le contrôle de la végétation au sol, notamment les fougères, qu'assuraient les résiniers . »
La dévitalisation rurale , en diminuant la présence humaine et le maillage de la forêt, pourrait ainsi avoir augmenté le risque d'incendie.
2. Une intensification et une extension du risque, structurellement causées par le réchauffement climatique, combiné à l'évolution du combustible en forêt
a) Vers une intensification et une extension géographique et temporelle du risque incendie
Dans la continuité des évolutions météorologiques antérieures, les projections effectuées pour les années et décennies à venir attestent d'une intensification et d'une extension géographique et temporelle du risque incendie.
Cet accroissement de l'aléa sur le territoire national se manifeste en outre par le développement d'incendies de végétation ou de terres agricoles .
(1) Une intensification du risque : des feux plus nombreux et plus étendus dans les zones déjà exposées
Une intensification du risque incendie pourrait tout d'abord se traduire par une augmentation du nombre d'épisodes et une hausse des surfaces brûlées dans les zones déjà affectées par les feux .
En région méditerranéenne française, les surfaces brûlées pourraient ainsi augmenter de 80 % d'ici 2050 et se maintenir à ce niveau dans la deuxième partie du siècle dans le scénario intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre 9 ( * ) . Ces surfaces incendiées pourraient tripler à l'horizon 2100 dans le cas du scénario climatique le plus sévère 10 ( * ) . Les deux tiers de ces nouvelles activités de feu auraient lieu dans la zone à risque historique, par intensification .
Le même phénomène d'intensification est anticipé dans le reste de l'Europe : dans le scénario le plus pessimiste du GIEC 11 ( * ) , le danger d'incendie moyen pourrait y augmenter de 2 % à 4 % par décennie et ainsi induire une hausse des surfaces brûlées de 15 à 25 % 12 ( * ) .
(2) Une extension géographique du risque : un phénomène de « tâche d'huile » à partir de la moitié Sud, n'empêchant pas la survenue d'incendies dans la moitié Nord
Les études conduites au niveau national attestent en outre d'une extension future des zones à risque .
En 2050, près de 50 % des landes et forêts métropolitaines pourraient être concernées par un niveau élevé de l'aléa feux de forêts, contre seulement un tiers en 2010 13 ( * ) .
Selon François Pimont (INRAE) 14 ( * ) , cette extension devrait prendre la forme d'une « tâche d'huile » : elle devrait progresser de manière régulière, à la marge de la zone sud aujourd'hui exposée. Dans le sud-est, un tiers des nouvelles activités de feu découlerait de ce phénomène d'expansion du risque.
La proportion du territoire exposée à des conditions météorologiques favorables aux incendies présente néanmoins de fortes variations interannuelles.
Ainsi, si la moitié nord du pays devrait ne pas connaître un degré de risque similaire à celui observé aujourd'hui dans le sud-ouest ou le sud-est, la survenue ponctuelle d'épisodes de sécheresses intenses pourrait créer occasionnellement des conditions propices aux incendies . Les départs de feu et leur propagation pourraient y être facilités par un état de santé dégradé des forêts (voir infra ). Dans les zones septentrionales aujourd'hui peu ou pas affectées par les incendies, les feux de surfaces non boisées, notamment de surfaces agricoles, susceptibles de se propager à la forêt située à proximité, constituent en outre un nouveau facteur de risque (voir infra ).
(3) Une extension temporelle : un triplement de la période à risque fort, le développement de feux hivernaux
Les projections prévoient par ailleurs une extension temporelle du risque incendie.
Concentrée aujourd'hui de la moitié du mois de juillet à la fin du mois d'août dans les zones exposées, la période à risque fort devrait s'étaler plus précocement au mois de juin à la faveur d'une sécheresse chronique ou d'épisodes caniculaires précoces et parfois jusqu'au début du mois d'octobre lorsque les premières précipitations automnales tardent à toucher la moitié sud, particulièrement l'aire méditerranéenne. On observerait donc dans ces territoires un triplement de la période à risque fort.
Cette extension temporelle du risque constitue une réalité déjà prégnante les années marquées par une sécheresse prononcée et des vagues de chaleur précoce . Les rapporteurs constatent à cet égard que les grands feux portugais de 2017 se sont déroulés en juin et en octobre.
Une plus grande fréquence et une plus grande ampleur des feux hivernaux ou printaniers , déjà connus - les hâles de mars -, est à prévoir. Pour Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et directeur départemental du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Bouches du Rhône, « nous devons arrêter de parler de « saison des feux » [car] je peux vous dire que nous intervenons sur des départs de feux depuis le mois de janvier. Autrement dit, malgré une intensité particulière sur certains créneaux, la saison des feux, c'est du 1 er janvier au 31 décembre, car la sécheresse est chronique ! ».
(4) Le développement d'incendies de végétation ou de terres agricoles : une manifestation de l'accroissement de l'aléa
L'augmentation de l'aléa se manifeste en particulier par l'émergence d'incendies affectant des surfaces autres que boisées : feux sur des terres agricoles (cultures de céréales, végétations sèches en fin d'hiver...), feux de végétation, notamment de friches issues de la déprise agricole...
Dans certains départements, le nombre de départs de feux est déjà plus important pour cette catégorie de surfaces que pour les forêts au sens du code forestier.
Comme l'illustre le graphique et la carte ci-après, ces incendies de surfaces non boisées se développent largement hors zone méditerranéenne ; la partie nord de la France, du nord-est au Limousin, a par exemple été particulièrement touchée lors de l'été 2019, marquée par une situation de sécheresse estivale prononcée. Ces incendies de surfaces non boisées augmentent ainsi l'aléa dans des zones et à des moments de l'année où il n'est pas toujours pleinement possible de l'anticiper, avec des moyens de lutte concentrés sur d'autres missions (secours d'urgence aux personnes) ou potentiellement sous-dimensionnés au risque (dans les départements du nord-ouest et du nord-est).
Les rapporteurs constatent toutefois l'absence de remontée des incendies de surfaces non boisées dans la BDIFF pour les régions Sud et en Corse ; moins documenté, ce phénomène n'est donc pas pour autant absent de la zone méditerranéenne, comme pourrait le laisser penser ce graphique.
Source : bilan des feux ONF (fin juillet 2022).
Source : IGN
b) Le réchauffement climatique, facteur structurel de cette évolution, aggravée par une augmentation du combustible en forêt
L'extension géographique et temporelle, ainsi que l'intensification du risque incendie, s'expliquent structurellement par l'évolution attendue des conditions météorologiques face au réchauffement climatique.
Autre évolution aggravante, l'augmentation de la quantité de combustible en forêt, se combine à une détérioration de l'état de santé des forêts. Deux tendances antagonistes , éloignant les forêts françaises de la gestion durable et multifonctionnelle, celle d'une sylviculture trop intensive et d'une « libre évolution » des forêts , pourraient accroître encore le risque en jouant tant sur la quantité que sur la structure de la végétation en forêt.
(1) Le rôle structurant du réchauffement climatique dans l'extension et l'intensification du risque incendie
Selon le GIEC, le réchauffement climatique d'origine anthropique accroît le risque incendie par une augmentation moyenne du niveau des températures, contribuant à une sécheresse croissante de la biomasse , facilitant les départs de feux et leur propagation 15 ( * ) .
Comme l'illustre le graphique ci-après, issu du résumé pour décideurs du rapport du groupe II du GIEC, l'augmentation des températures actuellement observée au niveau mondial (1,1 °C par rapport à l'ère préindustrielle) se traduit d'ores et déjà par des impacts et des risques « modérés » en matière d'exposition aux incendies.
Cette évolution s'observe déjà en France - dont les températures se sont en moyennes élevées de 1,86 °C par rapport à l'ère préindustrielle - par une augmentation du nombre de jours marqués par des conditions propices aux départs de feux de forêts et de la part du territoire métropolitain présentant des conditions météorologiques propices aux incendies. Pour l'instant, la stratégie française de défense des forêts contre les incendies a permis un recul net des surfaces brûlées et des départs de feux, en dépit de cette dégradation des conditions météorologiques (voir supra ).
Avec une élévation des températures mondiales supérieure à 2° C ou plus, les impacts et les risques associés aux incendies sont considérés comme « élevés ». Selon le GIEC, les options disponibles pour réduire les risques perdent en efficacité avec l'augmentation du réchauffement ; en matière d'incendies, la politique de lutte et de prévention sera donc d'autant moins performante que la hausse des températures sera élevée .
Source : GIEC
Ces constats se retrouvent dans les projections d'évolution faites à l'échelle nationale : l'augmentation moyenne des températures, de la fréquence et de la sévérité des vagues de chaleur que la France connaîtra au XXI e siècle se traduira par une extension géographique et temporelle, ainsi que par une intensification du risque incendie.
Compte tenu du caractère déterminant du facteur météorologique dans l'évolution du risque incendie, l'extension et l'intensification de ce risque dépendront largement du scénario climatique et donc de l'évolution des émissions de gaz à effet de serre observées à l'échelle mondiale.
(2) La dégradation de l'état sanitaire des forêts : un facteur supplémentaire de risque de feu
L'état de santé des forêts est aujourd'hui dégradé , en raison de la pullulation de pathogènes et de ravageurs, favorisée par la récurrence des sécheresses pour des essences qui ne sont plus adaptées à leur station forestière.
La mortalité a largement augmenté passant en vingt ans de trois à neuf millions de mètres cubes par an, atteignant dans certaines régions les volumes de bois « sain » qui devaient être prélevés, fragilisant notamment la forêt communale du Grand Est, de Bourgogne-Franche-Comté et d'Auvergne-Rhône-Alpes. Entre 2018 et 2020, plus de 300 000 hectares de forêts publiques ont été affectées par des dépérissements forestiers.
À ce stade, en France, les massifs les plus affectés par les scolytes ne sont pas les mêmes que ceux affectés par les incendies , notamment parce que les forêts scolytées se situent plutôt dans la moitié nord de la France. Mais l'éclosion et la propagation de feux dans ces régions est précisément ce qui rendrait la situation particulièrement critique pour les SDIS peu habitués à de tels embrasements.
Les crises sanitaires génèrent une biomasse combustible sèche propice au départ et à la propagation des incendies . La teneur en eau 16 ( * ) des éléments morts peut descendre jusqu'à 5 % en conditions sèches et chaudes, contre au moins 50 % pour les peuplements en bonne santé. Les dépérissements augmentent donc la proportion de matériel mort, diminuent la teneur en eau du couvert, et augmentent ainsi le risque incendie.
Il faut distinguer trois phases dans l'exposition au risque des arbres dépérissants, plaidant pour une intervention d'extraction de ces bois rapide :
- initialement, les arbres en bonne santé sont moins exposés au risque d'incendie ;
- les arbres « rouges », qui viennent de dépérir sont les plus fragiles, en raison des branches et feuilles ou aiguilles sèches présentes sur l'arbre ;
- dans un dernier temps, l'arbre devenant « gris » et les feuilles et aiguilles tombant, réduisant le combustible, le risque diminue à nouveau.
Le Département de la santé des forêts (DSF), rattaché à la Direction générale de l'Alimentation du ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire, a ainsi présenté des boucles rétroactives entre dépérissements liés aux parasites et incendies, notamment dans les Montagnes Rocheuses aux États-Unis et au Canada. Des études montrent que les scolytes ont pu y faire doubler le niveau de danger.
Par ailleurs, la France a connu depuis quelques années une invasion fulgurante de pyrale du buis, qui a impacté de très grandes étendues de buxaies (forêts peuplées des buis). Il est considéré par les chercheurs qui travaillent sur ce sujet que les dommages de la pyrale renforcent le risque d'incendie dans les buxaies au stade où les feuilles sont partiellement décapées par la chenille 17 ( * ) .
Si les études ne sont pas parvenues à isoler précisément l'effet des dépérissements indépendamment de la sécheresse, le phénomène n'en reste pas moins un fort sujet de préoccupation pour les sénateurs et pour les chercheurs 18 ( * ) .
Mais les attaques massives de scolytes, très amplifiées par la sécheresse, pourraient à l'avenir favoriser d'importantes activités de feux. Si le risque incendie s'étend en « tache d'huile », les dépérissements , en particulier dans le nord-est de la France, créent selon l'Inrae une discontinuité géographique de cette extension du risque.
Dans le sens inverse, les parcelles brûlées sont aussi plus sujettes aux crises sanitaires. Des scolytes ont ainsi proliféré à la suite de l'incendie de la forêt du Pignada, à Anglet, en 2020. Le nématode du pin, insecte pyrophile dont l'aire de répartition s'est fortement étendue en Europe, notamment au Portugal, risque de proliférer en France si les mesures sanitaires ne sont pas strictement appliquées.
(3) Le risque lié aux approches « monofonctionnelles » de la forêt
En complément du succès exceptionnel de la stratégie d'attaque massive des feux naissants, il faut rappeler l' effet protecteur , sans doute moins visible et plus difficilement mesurable, du modèle français de gestion durable et multifonctionnelle de la forêt . L'équilibre entre fonctions sociales, écologiques et de production a été une garantie pour la préservation du patrimoine forestier de la nation. Il pourrait toutefois être fragilisé par deux tendances antagonistes, l'une uniquement économique et l'autre seulement environnementale.
(a) L'impact potentiel d'une sylviculture trop intensive
La France se distingue en Europe par la multifonctionnalité de ses forêts. Seulement 50 % de la progression annuelle de bois y est récoltée.
Dans ce contexte, le Programme national de la forêt et du bois (PNFB) prévoit une augmentation importante des volumes de bois prélevés dans les forêts françaises à horizon 2026, à des fins de production et de décarbonation (effet de stockage et effet de substitution).
Dans les grandes forêts domaniales ou dans les régions déjà les plus productives, les associations environnementales critiquent la futaie régulière et la pratique associée des coupes à blanc, qui affaibliraient les écosystèmes forestiers dans le contexte du changement climatique. Certes, la sylviculture en couvert continu peut faciliter la propagation du feu, comme on l'a vu, notamment en cas de forte densité des peuplements. Toutefois, il faut aussi rappeler que les sylviculteurs actuels héritent des forêts plantées avec le fonds forestier national au lendemain de la guerre.
Source : indicateurs de gestion durable
S'agissant des essences, le pin maritime est, certes, une essence dotée d'une inflammabilité et d'une combustibilité importantes - mais les caractéristiques des essences sont difficiles à isoler des stations forestières dans lesquelles elles sont plantées. Il convient toutefois de relativiser les craintes d'une monoculture généralisée ou d'un « enrésinement » de la forêt française, qui reste l'une des plus diverses en Europe.
L'UCFF (coopératives forestières) rappelle en outre que « le rapport surface parcourue par le feu/nombre d'incendies est très favorable dans les départements où la forêt est cultivée/gérée », et affirme que « la forêt de plantation reste la meilleure solution, à condition qu'elle se fasse dans un contexte où la prévention y est réfléchie » pour limiter les risques.
Une forêt gérée est en effet synonyme d'amélioration des peuplements via la réduction de la concurrence hydrique des végétaux et la photosynthèse. La rotation des récoltes, en moyenne plus fréquente que par le passé, est aussi un facteur d'adaptation de la forêt.
Il faut du reste souligner que par l'aménagement de l'espace forestier qu'elle implique, la sylviculture est au contraire un atout dans la prévention du risque incendie, avec en particulier des dessertes, qui permettent une synergie avec les pistes DFCI empruntées par le SDIS, pour réduire le risque incendie.
L'impact limité des travaux sylvicoles sur le risque incendie
Même s'il s'agit d'une cause non négligeable de départs de feux (engins, outils), les chantiers forestiers sont très loin d'être à l'origine des surfaces brûlées les plus importantes, d'une part parce que la plupart des travaux sont réalisés hors des périodes de forte sensibilité au feu, et d'autre part parce qu'en cas de sinistre, la présence de professionnels sur place permet une détection et une action immédiates.
En pratique, aujourd'hui, les entrepreneurs de travaux forestiers et exploitants forestiers organisent leur travail pour éviter d'aller en forêt les jours classés à risque, non seulement pour que leur activité n'accroisse pas ce risque, mais aussi tout simplement pour leurs conditions de travail. Ainsi, ils peuvent se consacrer à des travaux en dehors des forêts, voire à de la maintenance ou à des tâches administratives.
Les jours de forte chaleur, ils peuvent aussi se rendre en forêt en horaires décalés, très tôt le matin. Enfin, il faut rappeler que les entrepreneurs de travaux forestiers et exploitants forestiers ont un périmètre d'activité généralement large (dans un rayon dépassant parfois les 100 km), qui leur permet de se détourner facilement des massifs à risque.
(b) L'impact potentiel de la « libre évolution »
Lors de leur audition par les rapporteurs, les auteurs de la mission sur la réserve naturelle de la plaine des Maures (incendie de Gonfaron) ont souligné que la culture anglo-saxonne de la libre évolution ou de la « mise sous cloche » n'était pas transposable à la France métropolitaine, où il n'existe pas de forêt primaire .
Ils ont ainsi indiqué, dans le cadre de leurs travaux sur l'articulation de la politique de défense des forêts contre l'incendie avec d'autres politiques publiques, avoir demandé à l'ONF des éléments sur les moyens d'assurer la protection des réserves biologiques intégrales face au risque incendie.
Les rapporteurs sont en effet attachés à ce que la stratégie nationale des aires protégées, qui prévoit le classement de 30 % du territoire national en aires protégées, dont 10 % sous protection forte à horizon 2030, n'aille pas dans le sens de la libre évolution, mais qu'elle permette au contraire le maintien d'une véritable gestion.
Des conflits se sont fait jour, non seulement entre protection de la biodiversité et opportunité de réaliser des travaux d'aménagement de DFCI , mais plus largement entre protection de la biodiversité et travaux sylvicoles et d'entretien , qui peuvent contribuer à améliorer les peuplements et donc la résilience des forêts face aux risques.
En effet, la conjonction de deux phénomènes a pu augmenter le nombre de contentieux (cf. infra ) :
- le développement de la prise de conscience environnementale, évidemment positive pour la forêt, a engendré une augmentation des signalements et donc des contrôles ;
- l'amélioration de nos connaissances en matière de faune et de flore a conduit à une augmentation du nombre de sites à enjeu.
c) Une hausse de la vulnérabilité liée à une forte pression foncière et à un mitage des espaces forestiers
Le risque ne s'apprécie par seulement à l'aune de l'évolution de l'aléa : l'évolution des enjeux exposés doit également être prise en compte pour évaluer la vulnérabilité des personnes et des biens.
Une étude de l'ONF montrait que plusieurs centaines de milliers d'habitations étaient soumises à l'aléa feu de forêt , en raison de la poursuite de l'étalement urbain et du mitage de nos forêts. Une source de risque supplémentaire, provient de l'installation d'habitats légers (« résidences démontables constituant l'habitat permanent de leurs utilisateurs » (yourtes, tipis), « résidences mobiles de loisirs » (roulottes, mobil-home), caravanes, habitats légers de loisirs (cabanes dans les arbres)), dans un contexte de forte pression foncière.
En conséquence, le feu pénètre désormais dans les zones péri-urbaines , avec une attention particulière à porter aux interfaces et à la végétation des jardins qui, avec par exemple des haies de cyprès ou de thuyas, peut former un couloir de feu.
Ce phénomène doit rappeler l'importance capitale du débroussaillement pour protéger les habitations . Les études scientifiques montrent que le respect des obligations légales de débroussaillement garantit la sécurité des personnes confinées dans une habitation, même encerclée par les flammes.
Source : Sdis du Var
En plus d'augmenter l'enjeu, l'étalement urbain augmente les interfaces avec la forêt et donc l'aléa , 80 % des départs de feux ayant lieu dans les 50 mètres d'une habitation , d'après la direction générale de la prévention des risques (DGPR).
En effet 90 % des départs de feux sont le fait de l'homme - que ce soit du fait d'une activité économique (chantiers de BTP, activités agricoles, dilatation des câbles électriques...) ou bien d'une activité du quotidien (mégots de cigarettes, barbecues ou feux de camps, incendie de véhicules ou de poubelle...) - et la moitié de ces feux d'origine anthropique est due à des imprudences ou des comportements dangereux.
À l'origine, les obligations légales de débroussaillement étaient d'ailleurs essentiellement destinées à éviter que des départs de feux liés aux activités anthropiques ne se propagent aux forêts.
En définitive, l'aléa autant que l'enjeu lié aux feux de forêt augmentent, formant un cocktail explosif avec la conjonction de « trois conditions nouvelles particulièrement alarmantes », selon les spécialistes de la défense des forêts contre l'incendie Charles Dereix et Éric Rigolot, dans une synthèse parue dans la revue Forêt méditerranéenne :
- avec le changement climatique, une plus grande sécheresse sur des surfaces plus étendues ;
- une augmentation constante de la biomasse et des accrues forestières ;
- une urbanisation grandissante dans un milieu arboré.
* 1 La hausse observée en 2020 s'explique principalement par une meilleure remontée des informations selon le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Les chiffres consolidés pour la saison 2021 ne sont pas encore disponibles à la date de publication du présent rapport.
* 2 Depuis 2006, date d'établissement de la base de données relative aux incendies de forêts en France (BDIFF).
* 3 Compte rendu en ligne : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220613/ecos.html
* 4 Pour une synthèse, voir Moreira, Curt et al ., `Landscape-wildfire interactions in southern Europe: Implications for landscape management', Octobre 2011, Journal of Environmental Management 92(10).
* 5 Compte rendu en ligne : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220613/ecos.html
* 6 Jean-Louis Bianco, La Forêt : une chance pour la France , 1998, rapport au Premier ministre. En ligne : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/994000095.pdf
* 7 Mission « flash » sur la prévention des incendies de forêt et de végétation, communication de MM. Alain Perea et François-Michel Lambert, 5 janvier 2022. En ligne : https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/455076/4428909/version/2/file/COMMUNICATION_MI_flash_prevention_incendies.pdf
* 8 Rapport du CGAAER n° 21092 et CGEDD n° 014045-01 - La forêt usagère de la Teste-de-Buch - Un fragile équilibre entre propriété et usage , 11 mai 2022. En ligne : https://agriculture.gouv.fr/rapport-du-cgaaer-ndeg-21092-et-cgedd-ndeg-014045-01-la-foret-usagere-de-la-teste-de-buch-un
* 9 Le scénario RCP4.5 du GIEC est le scénario climatique « intermédiaire » dans lequel les émissions de gaz à effet de serre sont stabilisées avant la fin du XXIème siècle à un niveau faible. Il conduirait à un réchauffement de +2,7 °C. Ce scénario est proche de la trajectoire actuelle, dans lequel le réchauffement en fin de siècle pourrait atteindre 2,4 ou 2,3 °C dans l'hypothèse d'un respect des engagements à horizon 2030 (selon les estimations faites à la suite de la COP 26 de Glasgow).
* 10 Hélène Fargeon et al, « Projection of fire danger under climate change over France: where do the greatest uncertainties lie? », Climatic Change volume 160, 2020.
* 11 Le scénario RCP8.5 du GIEC est le scénario le plus pessimiste dans lequel les émissions de CO 2 continuent d'augmenter fortement jusqu'à être deux fois supérieures aux niveaux actuels en 2050 et plus de trois fois supérieures en 2100. Il conduirait à un réchauffement de +4,4 °C.
* 12 Jean-Luc Dupuy et al, « Climate change impact on future wildfire danger and activity in southern Europe: a review », Annals of Forest Science 77(2):35, 2020.
* 13 Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêt , Rapport de la mission interministérielle CGEDD, CGAAER, IGF, juillet 2010. En ligne : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000494.pdf
* 14 Compte rendu en ligne : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220613/ecos.html
* 15 Point 2.4.4.2 du rapport du groupe II du GIEC.
* 16 Rapport entre le poids d'eau et le poids de matière sèche.
* 17 Mais les dommages de la pyrale diminuent le risque d'incendie lorsque les buis sont totalement défoliés.
* 18 https://academic.oup.com/bioscience/article/68/2/77/4797261?login=false